Bolivie. Amnesty International observe avec préoccupation le déroulement du processus de consultation des peuples indigènes du TIPNIS – un processus potentiellement porteur de conflit

Amnesty International déplore la manière dont se déroule le processus de consultation, entamé le 29 juillet dernier, concernant le projet de route dont le tracé traverse le Territoire indigène et Parc national Isiboro-Sécure (TIPNIS). En effet, cette consultation ne présente pas toutes les garanties permettant d’assurer que les droits humains seront respectés.

Amnesty International ne prend pas position sur l’opportunité de la construction de cette route à travers le TIPNIS. Elle défend simplement le droit des peuples indigènes d’être consultés au préalable et de donner ou non leur accord libre et informé au projet. Elle rappelle à l’État qu’il est de son devoir de veiller à ce que ce processus s’accomplisse de bonne foi, dans la transparence, dans le respect des us et coutumes des communautés affectées et par l’intermédiaire de leurs institutions représentatives.

Conformément aux normes nationales et internationales, et notamment à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, l’État bolivien est tenu de respecter le droit des peuples indigènes à être consultés au préalable avant d’adopter et d’appliquer des mesures législatives ou administratives susceptibles de concerner les peuples autochtones, afin d’obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Commentant ces normes dans un arrêt du mois de juin, le Tribunal constitutionnel plurinational de Bolivie a estimé que les relations entre l’État et les communautés indigènes reposaient avant tout, dans le cadre d’une consultation , sur « la concertation, c’est-à-dire sur un processus d’accords qui permettent de réaliser la consultation dans un climat de respect mutuel et de considération, de la part de l’État, pour les institutions indigènes, qui doivent participer activement au processus préalable à la consultation…  ». Le Tribunal précise un peu plus loin que la consultation est conditionnée « à une nécessaire participation et à une concertation préalable et commune entre l’État et les peuples indigènes premiers ».

Amnesty International constate avec préoccupation que cette concertation préalable et commune entre l’État et les peuples indigènes premiers n’a pas eu lieu avant le lancement du processus, dimanche dernier. La direction de la Subcentral TIPNIS, organisation qui regroupe plusieurs communautés et qui constitue l’organe représentatif officiel du territoire, a introduit le 25 juillet dernier un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel plurinational, demandant entre autres la suspension de la consultation et l’application de l’arrêt cité plus haut, qui constatait l’absence de concertation entre les différentes parties.

Ce manque de concertation a entraîné un refus du processus de la part de certaines communautés, qui, par conséquent, ne souhaitent pas s’entretenir avec les personnes chargées de le mener à bien. Selon les informations dont dispose Amnesty International, des membres de la police et de l’armée sont toujours déployés dans le TIPNIS, avec pour mission de veiller au bon déroulement de la consultation et au respect de l’ordre publique. Certaines personnes appartenant à des communautés indigènes se sont inquiétées d’un éventuel conflit que pourrait provoquer la présence des forces de sécurité dans cette zone. Amnesty International reconnaît que l’État a le devoir de garantir l’ordre public, mais elle rappelle néanmoins que toute intervention policière ou militaire doit être conforme aux principes de la nécessité et de la proportionnalité et que la force ne peut être utilisée qu’en ultime ressort, conformément aux dispositions de la législation internationale relative aux droits humains, que la Bolivie s’est engagée à respecter.

Par ailleurs, le « Protocole relatif à la consultation des peuples indigènes du TIPNIS » élaboré par les autorités précise que cette procédure a pour objectif de « définir si le TIPNIS doit rester une zone intangible, dans le cadre de la promotion du développement des activités des peuples indigènes Mojeño-Trinitario, Chimane et Yuracaré, ainsi que de la construction de la route allant de Villa Tunari à San Ignacio de Moxos ». Si l’on en croit certaines informations parvenues à Amnesty International, la consultation en cours lierait le développement des communautés consultées (mise en place de centres de santé, enseignement et ressources naturelles nécessaires à leur survie) à la construction de la route.

Amnesty International demande instamment aux autorités de fournir des informations transparentes et complètes sur toutes les conséquences, positives comme négatives, que la construction de cette route est susceptible d’avoir. Elle réitère en outre son appel en faveur de la protection et de la concrétisation des droits fondamentaux des peuples indigènes, tels que le droit à l’enseignement ou le droit à la santé, qui relèvent des obligations de l’État, que le projet de route se réalise ou non.

Amnesty International relève avec préoccupation que la consultation doit se dérouler du 29 juillet au 25 août 2012, soit sur une durée de moins d’un mois. Étant donné le nombre de communautés à consulter, l’étendue du territoire concerné et la complexité des thèmes à aborder, ce délai paraît insuffisant, d’autant plus qu’il n’y a pas d’accord sur les modalités du déroulement de l’opération. En cherchant ainsi à presser le processus, on risque d’organiser une consultation ne permettant pas de diffuser des informations suffisantes et de parvenir à un véritable consensus au sein des communautés. Le processus de consultation ne doit pas, en effet, être considéré comme un simple référendum, à l’issue duquel la majorité imposerait son point de vue, mais plutôt comme une façon de trouver un accord général emportant l’adhésion des différentes communautés.

Amnesty International demande enfin l’ouverture d’une enquête sur l’usage abusif de la force et du gaz lacrymogène dont se serait rendue responsable la police à l’occasion de l’expulsion, dimanche dernier, de membres de la Confédération des peuples indigènes de Bolivie (CIDOB), qui se trouvaient au siège de l’organisation à Santa Cruz. Ces violences ont fait plusieurs blessés et sept personnes au moins ont été interpellées. La CIDOB, qui regroupe les peuples indigènes de l’est de la Bolivie, est divisée entre partisans d’Adolfo Chávez, l’un de ses dirigeants, qui milite activement contre une route passant au cœur du TIPNIS, et une tendance favorable à une nouvelle orientation. Les accusations, selon lesquelles ces dissensions internes auraient donné lieu à des mauvais traitements, infligés à certains dirigeants indigènes, doivent également donner lieu à des enquêtes. Ces tensions au sein même du mouvement indigène traduisent bien la diversité des points de vue antagonistes qui s’expriment dans l’affaire du TIPNIS. Elles sont aussi, selon certaines informations, le résultat de l’ingérence des autorités dans les structures traditionnelles indigènes.

Amnesty International prend note des efforts réalisés ces dernières années par l’État bolivien pour en finir avec l’exclusion sociale et la discrimination dont souffrent les peuples indigènes. Le processus de consultation permet justement de mettre en pratique un droit inaliénable des peuples indigènes. L’organisation rappelle cependant à l’État que, pour que ce droit soit pleinement respecté et garanti, il est indispensable que le processus se fasse avec l’accord des différents acteurs concernés et se déroule dans un climat de confiance.

Informations complémentaires

En 2011, des représentants de communautés opposées au projet de route traversant le TIPNIS ont organisé une marche jusqu’à La Paz. À la suite de cette initiative, le gouvernement a promulgué la Loi n°180, déclarant l’intangibilité du TIPNIS et annulant la construction de la route prévue. En janvier 2012, après une autre marche, organisée cette fois par des groupes favorables au projet de route, la Loi n°222, prévoyant l’organisation d’une consultation au sein du TIPNIS a été approuvée. Or, cette consultation a été rejetée par les communautés opposées à la route, qui la considèrent comme n’étant plus d’actualité et n’étant pas organisée de bonne foi. Pour manifester leur opposition, ces communautés ont effectué une nouvelle marche sur La Paz.

Amnesty International a publié en mai dernier une Lettre ouverte aux autorités de l’État plurinational de Bolivie, dans laquelle elle mettait l’accent sur le non-respect du droit à une consultation préalable.

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