Commission africaine. Déclaration orale d’Amnesty International sur les expulsions forcées

Déclaration publique

AFR 01/006/2007 (Public)

La pratique des expulsions forcées est une violation flagrante des droits humains en droit international. Les expulsions forcées constituent l’une des violations les plus répandues et les moins reconnues des violations des droits humains en Afrique. Les personnes expulsées se retrouvent sans toit, perdent tout ce qu’elles possèdent sans recevoir d’indemnisation et/ou sont déplacées de force loin de tout accès à une eau propre, à la nourriture, à des sanitaires, sans possibilité de gagner leur vie ou d’envoyer leurs enfants à l’école, en violation de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Ces expulsions forcées s’accompagnent souvent d ‘autres violations des droits fondamentaux des personnes garantis par la Charte africaine ; le recours à la force excessive, les arrestations arbitraires, les coups, les viols, les actes de torture, voire les homicides sont fréquents.

Depuis 2000, plus d’un million deux cent mille personnes ont été expulsées de force de chez elles dans différentes régions du Nigéria. Ces expulsions ont majoritairement concerné des populations marginalisées, dont beaucoup vivaient depuis des années loin de tout accès à une eau propre, à des sanitaires, à des soins de santé adéquats et à l’éducation.

Les expulsions forcées se poursuivent dans le pays. Selon le Centre pour le droit au logement et contre les expulsions, 800 000 personnes ont été expulsées de chez elles à Abuja en 2003, en application du plan d’urbanisation d’Abuja, élaboré en 1979, lorsque la ville est devenue capitale à la place de Lagos. L’idée était de créer une ville structurée. En avril 2005, environ trois mille personnes du quartier de Makoko, à Lagos, ont été expulsées de leur maisons sans offre de relogement approprié. Les expulsions ont été menées en application d’une décision de justice de 2000 accordant les terrains où elles s’étaient installées à un propriétaire privé.

En mai 2006, des milliers de résidents qui vivaient ou tenaient de petits commerces dans des baraquements de l’armée de la deuxième brigade amphibie de Port Harcourt ont été expulsés, selon certaines informations, après un attentat à la voiture piégée dans le quartier en avril 2006. Les résidents ont reçu ordre d’évacuer la zone sans avertissement préalable, sans solution de relogement et sans indemnisation.

Amnesty International craint que de nouvelles expulsions forcées ne se produisent. En août 2007, le gouvernement de l’État de Rivers a annoncé sa décision de démolir les maisons du front de mer à Port Harcourt et de les remplacer par 6 000 nouveaux appartements neufs. Des violences entre gangs armés et éléments de la force de frappe conjointe (comprenant des membres de l’armée de terre, de la marine, des troupes aériennes et de la police mobile) en ont été la cause directe. Le gouvernement de l’État de Rivers estimait que la zone servait de refuge aux bandes armées Le 26 octobre, un nouveau gouverneur a été nommé à la tête de l’État de Rivers, il a suspendu le programme de démolition.

Bien qu’il y ait eu moins d’expulsions forcées en 2007 en Angola, un certain nombre de problèmes ont été signalés lors d’expulsions forcées au cours de ces six derniers mois. La plupart ont eu lieu à Luanda, la capitale, qui est toujours la région la plus affectée. Quelque 300 familles ont été expulsées de force de leurs maisons qui ont ensuite été démolies, dans au moins trois quartiers entre mai et août 2007. Dans un cas au moins, la force et des armes à feu ont été employées et deux résidents ont été blessés. D’autres résidents ont également été brièvement détenus. Ils ont été libérés sans avoir été inculpés un peu plus tard. La plupart des résidents continuent de vivre dans le même quartier, mais sans logement adéquat. Plus d’une centaine de familles sont toujours à la rue dans le quartier de Cambamba 2, après la destruction de leurs logements, à plusieurs reprises depuis 2005, à l’issue d’expulsions forcées.

En Guinée équatoriale, des expulsions forcées de moindre envergure se sont poursuivies au cours des six derniers mois à Malabo, la capitale et à Bata. Cependant, des centaines de familles dans les deux villes risquent toujours d’être expulsées de force . En juin, une vingtaine de familles au moins (plus de 120 personnes) d’un quartier du centre de Malabo ont été priées de quitter les lieux « au cours des prochaines semaines ». Aucune indemnisation ni offre de relogement ne leur a toutefois été faite. Certaines familles sont parties mais d’autres vivent toujours sur place sous la menace d’une expulsion forcée.

À Bata, en juillet, une dizaine de familles ont été expulsées de force et leurs maisons et leurs potagers ont été détruits par des tracteurs qui sont intervenus dans la zone sans avis préalable. Les 50 premières maisons d’un ensemble de logements sociaux construits pour reloger certaines des familles expulsées de force ont été livrées au gouvernement. Toutefois, au prix de 10 millions de francs CFA chacune (environ 15 245 euros), elles ne sont pas accessibles à la plupart des familles et sont donc attribuées à des catégories plus aisées. Aucune loi, aucune mesure n’a été adoptée pour protéger les droits des personnes.

Au Soudan, des expulsions forcées ont eu lieu en lien avec la construction de deux barrages sur le Nil, dans le nord du pays, le barrage de Merowé et celui de Kajbar. Plus de 60 000 personnes sont concernées. En 2006 et 2007, des milliers de villageois vivant au bord du Nil dans la région de la quatrième cataracte ont été expulsés de force sans avis préalable. Certains de ceux qui ont été expulsés en 2006 n’ont toujours pas été relogés de manière adéquate. Ceux qui ont été expulsés de leurs villages au bord du Nil auraient été transférés sur un site dans le désert, sans eau ni électricité. Les Principes de base et directives sur les expulsions forcées et les déplacements liés au développement prévoient les procédures à suivre dans le cas de projets tels que la construction des barrages de Merowé et de Kajbar, mais ces procédures n’ont pas été suivies.

En 2006, des dizaines de milliers de personnes, notamment parmi la population indigène, ont été expulsées avec violence de forêts au Kenya sans proposition de réinstallation ; en octobre 2007, le gouvernement kenyan a toutefois promis de trouver une solution pour toutes les personnes qui avaient été expulsées de la forêt de Mau. Par ailleurs, de nombreux résidents de la capitale installés dans des campements de fortune ont été expulsés de force dans le cadre du programme de démolition de leurs installations.

Le rapporteur spécial des Nations unies sur le logement convenable a publiquement critiqué la pratique des expulsions forcées au Kenya. En dépit de rapports faisant état d’un processus en cours d’adoption de directives visant à éviter les expulsions forcées et à trouver une solution au problème en 2006, aucun cadre légal n’est encore en place.

Le programme d’expulsions forcées massives du gouvernement du Zimbabwe en 2005 a laissé quelque 700 000 personnes sans abri et/ou sans moyen de subsistance. Deux ans plus tard, les victimes continuent de souffrir des effets des expulsions et leurs conditions de vie se sont dégradées. Il ne fait aucun doute que les expulsions forcées ont plongé de nombreuses familles dans la pauvreté en détruisant leurs maisons et les forçant à cesser leurs activités informelles. En outre, le gouvernement a aussi mis en place des obstacles restreignant de manière injustifiable l’accès des victimes l’aide humanitaire. Le gouvernement n’a jusqu’à présent proposé aucun recours effectif aux victimes.

Étant donné la gravité et les proportions du phénomène des expulsions forcées en Afrique, Amnesty International encourage la Commission africaine à adopter une résolution condamnant la pratique des expulsions forcées en Afrique et qualifiant cette pratique de violation grave de la Charte africaine. Amnesty International suggère également que la Commission africaine élabore des principes relatifs à la prévention et à la protection des expulsions forcées en Afrique, en s’appuyant sur la jurisprudence de la Commission, le droit international relatif aux droits humains et les normes élaborées par les experts et organes de défense des droits humains des Nations unies.
Amnesty International recommande en particulier aux États parties à la Charte africaine de veiller à ce que toutes les expulsions se fassent dans le respect des principes suivants :

  les expulsions ne devront être décidées qu’en dernier ressort, une fois que toutes les autres alternatives auront été explorées ;

  il devra y avoir une réelle consultation des personnes concernées ;

  un préavis suffisant et raisonnable (d’au moins quatre-vingt dix jours) avant le jour prévu pour l’expulsion devra être accordé à toutes les personnes concernées par une expulsion ;

  une information sur les expulsions prévues et, le cas échéant, sur la nouvelle destination du terrain ou des logements, devra être fournie dans un délai raisonnable aux personnes concernées ;

  des responsables du gouvernement ou leurs représentants devront être présents au moment des expulsions, notamment lorsque des groupes de personnes sont concernés ;

  toutes les personnes procédant à une expulsion devront être correctement identifiées ;

  on ne procèdera pas à des expulsions de nuit ou lorsque les conditions climatiques sont particulièrement mauvaises, sauf avec le consentement des personnes concernées ;

  aucune expulsion ne devra laisser des personnes à la rue ; les expulsés devront recevoir une juste compensation et un logement de substitution ;

  les personnes expulsées devront avoir un accès sûr et assuré à la nourriture, à l’eau potable, aux structures sanitaires et aux services médicaux ;

  des voies de recours devront être ouvertes aux personnes demandant réparation à la justice, avec le cas échéant l’octroi d’une aide juridique.

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