Danemark. Les autorités doivent faire la lumière sur les « restitutions »

COMMUNIQUÉ DE PRESSE

EUR 18/003/2007

Les gouvernements européens doivent ouvrir des enquêtes promptes et exhaustives sur leur implication dans le programme de « restitutions » et détentions secrètes des États-Unis, a déclaré Amnesty International ce 23 octobre.

« Le public a le droit de savoir si l’espace aérien et les aéroports européens ont été utilisés pour faciliter le transfert de personnes vers des lieux où elles risquaient la détention secrète et la torture », a déclaré Nicola Duckworth, directrice du programme Europe et Asie centrale d’Amnesty International.

« Selon le droit international, les États qui facilitent des transferts vers des pays où ils savent ou doivent savoir qu’il existe un risque d’atteintes graves aux droits humains se rendent complices de ces atteintes ; les personnes complices d’enlèvement, de torture ou de ‘disparitions’ doivent être tenues pénalement responsables. Les victimes de ‘restitutions’, disparitions et détentions secrètes doivent recevoir des réparations. »

Cet appel renouvelé fait suite à de nouvelles allégations concernant les « restitutions » et détentions secrètes de la CIA en Europe. Le 21 octobre 2007, le journal danois Politiken a signalé que l’un des avions utilisés pour les vols de « restitutions » de la CIA avait reçu la permission de traverser l’espace aérien danois le 25 octobre 2003. Cet avion, qui se rendait de Washington en Jordanie, aurait pris le ressortissant yéménite Muhammad Bashmilah en Jordanie, où il était détenu illégalement, avant de le transférer dans un lieu de détention secret des États-Unis. Selon la déclaration qu’il a faite par la suite à Amnesty International, Muhammad Bashmilah a ensuite été détenu par les États-Unis dans un lieu inconnu pendant plus d’un an et demi, à l’isolement, souvent entravé et menotté.

L’article de Politiken contient aussi des informations sur la « restitution », en 1995, d’un Egyptien qui avait été reconnu comme réfugié au Danemark. Talat Fouad Qassem, également connu sous le nom d’Abu Talal, a été transféré de Croatie en Égypte par la CIA et les autorités égyptiennes, en 1995. L’article du Politiken cite des anciens responsables de la CIA et du Département d’État qui estiment que, même si les responsables danois n’étaient pas la source de leurs renseignements sur le voyage d’Abu Talal du Danemark à la Croatie, le service national de sécurité danois – le PET – aurait été informé de la « restitution » d’Abu Talal.

L’article de Politiken cite plusieurs hauts responsables des États-Unis qui affirment avoir donné à leurs partenaires européens des renseignements obtenus lors d’interrogatoires de personnes détenues dans le programme de « restitution » et de détention secrète. Le journal cite en particulier un discours de mars 2007, adressé en privé par Michael Hayden, directeur de la CIA, aux ambassadeurs des États membres de l’Union européenne à Washington, au cours duquel il aurait déclaré :

« Les détenus de la CIA sont une source essentielle pour notre compréhension d’al Qaida ces cinq dernières années, et nous avons partagé ces renseignements avec nos partenaires européens. Des milliers de rapports bruts concernant des détenus de la CIA ont été transmis aux partenaires de liaison de l’Union européenne et à ses pays membres. En outre, mon agence a fourni des centaines de réponses aux questions particulières que vos services ont posées aux personnes que nous détenons. Enfin, la CIA a transmis à vous, nos partenaires européens, des centaines de bilans analytiques fondés, au moins en partie, sur des renseignements fournis par des détenus d’al Qaida. »

« Ces déclarations posent la question de ce que les services de renseignement européens savaient du programme de ‘restitutions’ des États-Unis », a déclaré Nicola Duckworth.

« Les gouvernements européens doivent indiquer si leurs services de renseignement ont posé des questions aux détenus du programme de ‘restitutions’, par l’intermédiaire de la CIA, comme l’affirme Michael Hayden. »

Les gouvernements européens ont nié à plusieurs reprises leur complicité avec le programme de « restitutions » des États-Unis. Cependant, des éléments indiquant leur implication continuent d’apparaître. Comme l’ont révélé des journalistes, le rapport d’Amnesty International « Partenaires dans le crime » : le rôle de l’Europe dans les « restitutions » des Etats-Unis http://web.amnesty.org/library/index/fraeur010082006, les rapports d’autres organisations non gouvernementales et les rapports d’enquête de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et du Parlement européen, les aéroports et l’espace aérien européens ont été utilisés par des avions de la CIA pour des vols qui ont été régulièrement liés aux « restitutions ». Des agents de quelques pays européens ont participé à l’appréhension de personnes à des fins de « restitution », ou à l’interrogatoire de ces détenus, une fois ceux-ci transférés dans des pays où la torture se pratique régulièrement. Comme l’indiquent les propos que Michael Hayden aurait tenus, les États européens peuvent avoir reçu des renseignements obtenus sous la torture ou par des mauvais traitements infligés à des personnes ayant subi des « restitutions » ou détentions illégales, sans demander d’où provenaient ces renseignements, ni dans quelles circonstances ils avaient été obtenus.

Les allégations de complicité européenne avec le programme de « restitutions » ont à ce jour rencontré le silence des organes décisionnels des deux institutions européennes les plus puissantes : le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, et le Conseil de l’Union européenne, malgré le travail des organes de ces deux institutions pour révéler l’implication d’États européens dans les « restitutions » et détentions secrètes. Le Conseil de l’Europe peut et doit accomplir une étape cruciale, en tant qu’organe collectif de défense des droits humains en Europe, en établissant un cadre pour la supervision et la responsabilisation démocratique des services de sécurité et de renseignement nationaux et étrangers, afin que toutes les mesures qu’ils prennent pour assurer notre sécurité respectent pleinement les droits humains et l’état de droit.

« Il faut prendre des mesures pour que les enlèvements, disparitions, détentions secrètes, ainsi que la torture et les mauvais traitements qui se sont produits dans le cadre du programme de ‘restitutions’, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Europe, cessent, et ne se reproduisent jamais. »

Contexte

Dans une lettre à la Commission temporaire sur l’utilisation alléguée de pays européens par la CIA pour le transport et la détention illégale de prisonniers (TDIP), le gouvernement danois a signalé plus de 100 vols dans l’espace aérien danois et 45 escales dans des aéroports danois, concernant des avions qu’aurait utilisés la CIA, notamment pour des « restitutions ». En avril 2007, Amnesty International a exprimé son inquiétude, dans un rapport au Comité des Nations unies contre la torture, devant le fait que les autorités danoises n’avaient pas ouvert d’enquête indépendante, comme le recommandait la TDIP, sur l’usage présumé de l’espace aérien et des aéroports danois dans le cadre du programme de « restitutions ».

En mai 2007, des représentants du gouvernement danois auraient déclaré au Comité des Nations unies contre la torture que le Danemark « avait toujours été fermement opposé à toute mesure qui violerait les droits humains des personnes détenues, y compris des terroristes », que le Danemark « adoptait une position claire contre le transfert illégal de détenus », et qu’il « était impossible de confirmer que des activités illégales de la CIA avaient eu lieu dans l’espace aérien du Danemark, sur son territoire, ou que des responsables danois avaient été impliqués dans ces activités ».

Voir :

« Partenaires dans le crime » : le rôle de l’Europe dans les « restitutions » des États-Unis
http://web.amnesty.org/library/index/fraeur010082006

Denmark : A Briefing for the Committee against Torture http://web.amnesty.org/library/index/engeur180012007

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