Des vidéos macabres de propagande présentent les « aveux » forcés de Sunnites exécutés

Les autorités iraniennes recourent à une stratégie de propagande grossière pour déshumaniser les victimes de la peine de mort aux yeux de la population et détourner l’attention des procès entachés de graves irrégularités qui ont débouché sur leur condamnation à mort, écrit Amnesty International dans un rapport publié jeudi 17 novembre.

Intitulé Broadcasting injustice, boasting of mass killing, ce rapport révèle que les autorités iraniennes ont lancé une campagne médiatique à la suite de l’exécution collective, le 2 août 2016, de 25 Sunnites accusés d’appartenance à un groupe armé, en inondant les médias contrôlés par l’État de vidéos présentant leurs « aveux » forcés dans le but de justifier les exécutions.

« En exhibant des condamnés à mort à la télévision nationale, les autorités cherchent visiblement à convaincre la population de leur " culpabilité ", mais ne peuvent pas masquer une vérité qui dérange, à savoir que les hommes exécutés ont été déclarés coupables d’infractions définies en termes vagues et généraux et condamnés à mort à l’issue de procès manifestement iniques, a déclaré Philip Luther, directeur des recherches et des actions de plaidoyer pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.

« Les autorités iraniennes ont le devoir de traduire en justice les personnes qui se livrent à des attaques armées et tuent des civils. Cependant, rien ne saurait justifier le fait d’extorquer des " aveux " sous la torture et les mauvais traitements, et de les diffuser dans des vidéos sinistres. Il s’agit d’une grave violation des droits des détenus qui les prive, eux et leurs familles, de toute dignité humaine. »

Les vidéos d’« aveux » mises en scène ont des titres à sensation, tels que « Aux mains du diable » (Dar dast-e Sheytan) et « Dans les profondeurs des ténèbres » (Dar omgh-e tariki), et des bandes sons mélodramatiques. Dans certaines vidéos, des scènes sont entrecoupées de légendes qui évoquent les bandes annonces de films, comme « à suivre » ou « bientôt disponible », afin d’accentuer leur effet théâtral.

Des « aveux » forcés

Dans des messages enregistrés à l’intérieur de la prison et postés en ligne via un téléphone portable clandestin, la plupart des détenus ont déclaré qu’ils avaient été contraints de passer aux « aveux » devant la caméra, après avoir enduré des mois de torture dans les centres de détention du ministère du Renseignement, où ils étaient détenus à l’isolement pendant de longues périodes. Ils ont raconté avoir été frappés à coups de pied, de poing et de matraques électriques, fouettés, privés de sommeil et privés d’accès à la nourriture et aux médicaments.

« J’avais l’impression de n’avoir aucun autre choix… Je ne pouvais plus endurer les violences et la torture… Ils [les agents du Renseignement] m’ont mis devant une caméra et m’ont dit que mon affaire serait terminée et qu’ils me relâcheraient si je disais ce qu’ils m’avaient demandé », a déclaré Mokhtar Rahimi, ajoutant que ses déclarations ont par la suite été utilisées pour le déclarer coupable. Il compte parmi les hommes qui ont été mis à mort.

Un autre accusé, Kaveh Sharifi, a déclaré qu’on lui a demandé de mémoriser six pages d’un texte préparé par le ministère du Renseignement :

« Je me suis entraîné pendant près de deux heures par jour jusqu’à ce que j’ai tout mémorisé... Ils m’ont même conseillé de bouger les mains et d’avoir l’air joyeux pour que personne ne soupçonne que j’étais détenu à l’isolement et que je subissais des mauvais traitements. »

Outre la diffusion des vidéos de propagande, les autorités iraniennes ont publié une série de déclarations incendiaires présentant les prisonniers exécutés comme d’abominables criminels méritant leur châtiment. Comme dans les « aveux » filmés, ces déclarations offrent une description déformée des événements et portent atteinte à la dignité et à la réputation des hommes concernés. Elles attribuent collectivement aux accusés un large éventail d’activités criminelles, sans clarifier le rôle que chacun d’entre eux a joué dans ces agissements.

Des vidéos de propagande

Parmi les hommes présentant leurs « aveux » dans les vidéos figurent Kaveh Sharifi, Kaveh Veysee, Shahram Ahmadi et Edris Nemati, qui comptaient parmi les 25 Sunnites exécutés le 2 août 2016. Loghman Amini, Bashir Shahnazari, Saman Mohammadi et Shouresh Alimoradi, quatre Sunnites détenus depuis leur arrestation dans un centre du ministère du Renseignement à Sanandaj, dans la province du Kurdistan, ont également été filmés.

Dans les vidéos, ils se dénigrent à maintes reprises, se qualifiant de « terroristes » qui méritent leur châtiment. Ils « avouent » avoir été impliqués dans les activités d’un groupe appelé Towhid va Jahad, qui a procédé à des attaques armées et préparé l’assassinat de « mécréants » (kuffar). Dans certaines vidéos, ils se comparent au groupe armé se désignant sous le nom d’État islamique (EI) et préviennent qu’ils auraient « commis des atrocités pires que l’EI » s’ils n’avaient pas été arrêtés. Ces vidéos sont entrecoupées de clips montrant les atrocités perpétrées par l’EI en Syrie et en Irak, dans le but manifeste d’exploiter les peurs de la population iranienne face aux menaces pour la sécurité dans d’autres pays de la région, afin de justifier les exécutions.

Dans les vidéos, on peut noter des incohérences qui indiquent que les « aveux » ont sans doute été écrits à l’avance. Dans certains cas, les accusés sont liés à des crimes qui se sont déroulés plusieurs mois après leur arrestation ; dans d’autres, la nature de leur participation aux crimes qui leur sont attribués varie fortement d’une vidéo à l’autre.

Ces vidéos illustrent à quel point les agents du Renseignement iranien et les forces de sécurité bafouent le droit à la présomption d’innocence des accusés, ainsi que le droit de ne pas être contraint de témoigner contre soi-même.

Les accusés ont été reconnus coupables du crime formulé en termes vagues d’« inimitié à l’égard de Dieu », en raison de leur « appartenance à un groupe sunnite salafiste », ainsi que d’attaques armées et d’assassinats. Cependant, nombre d’entre eux avaient nié à plusieurs reprises leur implication dans de tels agissements au cours des années qu’ils ont passées dans le quartier des condamnés à mort.

Amnesty International n’est pas en mesure de confirmer l’un ou l’autre de ces récits contradictoires, notamment en raison du secret qui entoure les procès. Les recherches qu’elle a menées indiquent toutefois que les procès de ces hommes étaient contraires aux règles d’équité les plus élémentaires. Aucun n’a pu consulter d’avocat durant la phase de l’enquête et ils ont tous déclaré avoir été soumis à des tortures dans le but de leur arracher des « aveux » qui ont ensuite été retenus contre eux pour les condamner.

En tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), l’Iran est légalement tenu d’interdire, de prévenir et de sanctionner la torture, de ne pas retenir à titre de preuve des « aveux » obtenus sous la torture et de garantir un procès équitable à tous les accusés. Étant donné le caractère irréversible de la peine de mort, il est d’autant plus crucial, dans ce type d’affaires, que les garanties internationales relatives à l’équité des procès soient strictement respectées.

Les vidéos ont été réalisées et diffusées par plusieurs médias affiliés à l’État, dont la Radio-Télévision de la République Islamique d’Iran (IRIB), Press TV et l’organisation Habilian Association. Tous les organismes contrôlés par l’État qui ont participé à la production de ces vidéos partagent la responsabilité des violations des droits humains commises contre les personnes concernées et leurs familles.

Trois mois après l’exécution collective, les autorités iraniennes n’ont pas fourni d’informations concernant les activités criminelles précises dont chacun des prisonniers exécutés a été inculpé et déclaré coupable. Or, au titre du droit international, l’Iran est tenu de rendre des jugements publics dans toutes les affaires pénales, afin de faire connaître les preuves et le raisonnement juridique sur lesquels se fonde la condamnation.

«  Les autorités iraniennes doivent cesser immédiatement de filmer et de diffuser des " aveux " arrachés sous la torture et les mauvais traitements. Elles doivent aussi lever le voile du secret qui entoure les procès et veiller à ce que les tribunaux rendent des jugements bien étayés, qui soient mis à la disposition du public  », a déclaré Philip Luther.

Amnesty International demande à l’Iran d’instaurer sans délai un moratoire officiel sur les exécutions, en vue d’abolir la peine capitale.

Complément d’information

Les 25 hommes exécutés le 2 août 2016 faisaient partie d’un groupe de Sunnites arrêtés pour la plupart entre 2009 et 2011, période où la province du Kurdistan a été le théâtre d’affrontements armés et d’assassinats. Si les autorités ont reconnu avoir procédé à 20 exécutions ce jour-là, Amnesty International a reçu des informations fiables faisant état de cinq exécutions supplémentaires, portant le total à 25.

De nombreux hommes arrêtés à cette période, dont Barzan Nasrollahzadeh, appréhendé alors qu’il avait moins de 18 ans, se trouvent toujours dans le quartier des condamnés à mort.

Amnesty International s’oppose en toutes circonstances et sans aucune exception à la peine de mort, quelles que soient la nature et les circonstances du crime commis, la culpabilité ou l’innocence ou toute autre situation du condamné, ou la méthode utilisée pour procéder à l’exécution. Elle milite en faveur de l’abolition totale de ce châtiment.

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