Discrimination raciale envers les palestiniens

Les autorités israéliennes doivent abroger la Loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël, texte discriminatoire qui continue à priver des milliers de Palestiniens de l’accès au regroupement familial, a déclaré Amnesty International aujourd’hui. Près de 14 ans après l’adoption de cette loi à titre de disposition temporaire, les autorités israéliennes ne sauraient continuer à invoquer des motifs de sécurité pour justifier ce qui constitue une discrimination raciale institutionnelle.

Le lundi 20 février, la Cour suprême israélienne va examiner une affaire regroupant 11 requêtes déposées pour remettre en cause la constitutionnalité de ce texte, qui font valoir que l’interdiction systématique du regroupement familial ne saurait être justifiée par de réelles préoccupations en matière de sécurité.

Cette loi est explicitement discriminatoire à l’égard des Palestiniens des territoires palestiniens occupés (TPO), puisqu’elle les empêche de vivre avec leur famille à Jérusalem et en Israël.

Elle est aussi implicitement discriminatoire à l’égard des citoyens palestiniens d’Israël (les Arabes israéliens), qui représentent 20% de la population d’Israël, et à l’égard des Palestiniens de Jérusalem. En effet, dans la plupart des cas, ce sont des membres de ces communautés qui épousent des Palestiniens des TPO. Initialement adoptée en 2003 à titre de disposition temporaire d’un an, pour des motifs de sécurité, la loi a été prorogée chaque année depuis lors.

Amnesty International a appelé à maintes reprises les autorités israéliennes à abroger cette loi et à reprendre le traitement des demandes de regroupement familial. Il s’agit d’une procédure que les citoyens israéliens ou les personnes résidant en Israël doivent suivre pour solliciter un « regroupement » auprès du ministère israélien de l’Intérieur, en d’autres termes, un statut permettant à leur conjoint non juif ou aux autres membres non juifs de leur famille qui ne possèdent pas la citoyenneté israélienne, ou l’autorisation nécessaire, de vivre en Israël ou à Jérusalem. Des familles et des organisations israéliennes de défense des droits humains ont déjà tenté de remettre la loi en cause, mais en vain. La Cour suprême israélienne l’a maintenue en 2006, puis en 2012, invoquant des questions de sécurité pour justifier sa décision, même si la majorité des juges a reconnu que ce texte était contraire aux droits humains et affectait la vie familiale de façon disproportionnée.

La loi exclut du bénéfice du regroupement familial les hommes palestiniens âgés de 18 à 35 ans et les femmes palestiniennes âgées de 18 à 25 ans qui résident dans les TPO. Les proches non concernés par ces restrictions d’âge peuvent être écartés pour participation présumée à des activités hostiles à Israël, activités qui sont définies de façon très large et peuvent désigner toute infraction pénale, le fait d’avoir lancé des pierres ainsi que la participation à des manifestations et à d’autres activités politiques.

Fondamentalement, la loi empêche les conjoints originaires des TPO d’obtenir un droit à la citoyenneté israélienne ou au séjour en Israël. Une fois qu’un demandeur (résident ou citoyen) a établi son « centre de vie » en Israël, seuls des permis militaires de visite peuvent être fournis à son conjoint des TPO. Ces permis militaires ne confèrent toutefois pas de statut officiel et n’accordent pas au conjoint palestinien le droit de travailler, de bénéficier de prestations en matière de santé ou de prestations sociales, ni de conduire un véhicule ou d’ouvrir des comptes bancaires. La loi, en revanche, ne soumet pas à de telles restrictions les étrangers non juifs qui rejoignent leur conjoint israélien de partout ailleurs dans le monde. Des milliers de Palestiniens titulaires de la citoyenneté israélienne ou d’un permis de séjour à Jérusalem sont pour leur part contraints de faire un choix : vivre sans leur conjoint ou quitter Israël pour le rejoindre dans les TPO.

Ceux qui optent pour la seconde possibilité sont confrontés à quantité de conséquences juridiques. Les résidents palestiniens de Jérusalem-Est, soit quelque 350 000 personnes, risquent de perdre leur propre permis de séjour permanent s’ils quittent Jérusalem pour rejoindre leur conjoint. Les citoyens israéliens n’ayant pas le droit de pénétrer dans la zone A (grands centres de population palestiniens tels que définis dans les Accords d’Oslo), ils doivent enfreindre la législation israélienne pour vivre avec leur famille, mettant en danger les prestations sociales et les prestations de santé auxquelles ils ont droit. Lorsqu’une personne originaire des TPO reste illégalement en Israël avec son conjoint israélien et ses enfants israéliens, elle ne peut pas sortir souvent du domicile familial, compte tenu du risque d’arrestation et d’expulsion.

En 2007, la loi a été modifiée de façon à étendre l’interdiction du regroupement familial aux conjoints originaires de la Syrie, du Liban, de l’Irak et de l’Iran, qu’Israël considère comme des « États ennemis ». Cette exclusion concerne également les conjoints originaires de ces États qui détiennent la double nationalité.

Un « Comité des cas exceptionnels » a été créé après une modification apportée à la loi en 2007, dans le but d’examiner des cas individuels sur une base « humanitaire ». Composé de cinq membres, dont un représentant du ministère de la Défense, du Service de sécurité intérieure (Shin Bet) et des services de l’état civil, il a, au mieux, été peu efficace. De fait, le comité n’a accordé de dérogation que dans de très rares cas, après des délais extrêmement longs et, en règle générale, seulement si la Haute Cour de justice avait été saisie.

Les requêtes soumises à la Cour suprême appellent à user davantage du pouvoir discrétionnaire pour témoigner une plus grande clémence aux personnes engagées depuis longtemps dans une procédure de regroupement familial, en convertissant leur permis militaire de visite en permis de séjour temporaire ou permanent en Israël. La première audience sur cette question a eu lieu au début de l’année 2016. Elle a amené le ministère israélien de l’Intérieur à octroyer des permis de séjour temporaire aux Palestiniens qui avaient sollicité un regroupement familial avant 2004 et qui satisfaisaient aux critères requis. À ce jour, les autorités israéliennes ont délivré 1 124 permis de séjour temporaire, et 760 demandes sont encore en cours de traitement. Elles n’ont pas modifié la loi pour autant, se contentant d’accorder une dérogation ponctuelle, fondée sur une date butoir arbitraire.

Les responsables du gouvernement israélien justifient habituellement cette loi en affirmant qu’elle est nécessaire pour des raisons de sécurité. Toutefois, des déclarations faites par le passé par des responsables israéliens montrent manifestement que le texte est en réalité motivé par des considérations d’ordre démographique. Une disposition appliquée de manière aussi systématique depuis plus de 10 ans ne saurait continuer à être qualifiée de temporaire.

Des familles brisées

Un couple ayant formé une requête dans cette affaire illustre par son cas à la fois l’absence de « raisons de sécurité » justifiant l’interdiction et les répercussions disproportionnées que la loi peut avoir sur la vie quotidienne. Mahmud Mahamid est un citoyen israélien âgé de 83 ans qui sollicite le regroupement familial pour son épouse Siham, 56 ans, originaire de la région de Jénine, dans les TPO. Marié depuis 1995, le couple vit dans un village des environs d’Umm al Fahim, en Israël, et a deux enfants adultes, tous deux citoyens israéliens. Lorsque Mahmud a épousé Siham, il était encore marié à sa première femme, Zahia, qui était alors dans le coma. Il a immédiatement fait une demande de regroupement familial avec Siham, en 1995, mais sa requête a été rejetée. Après le décès de Zahia, survenu quelques mois après le mariage avec Siham, Mahmud a refait une demande, qui a été rejetée sans justification par le ministère de l’Intérieur. Les Mahamid se sont alors tournés vers le contrôleur de l’État d’Israël et ont saisi la Cour suprême. Le ministère israélien de l’Intérieur a accepté de traiter leur demande et, en 1999, Siham a finalement obtenu un permis de séjour temporaire. Toutefois, la loi actuellement en vigueur interdit à Siham de solliciter une autorisation de séjour permanente pour mettre fin au processus annuel de demande de renouvellement de son permis de séjour. Chaque année, depuis près de 20 ans, Siham doit subir une vérification approfondie par le ministère de l’Intérieur de son centre de vie et de ses antécédents, et risque de voir le renouvellement de son statut refusé. Pour le couple, la procédure est extrêmement coûteuse, comme Mahmoud l’a expliqué à Amnesty International : « Je suis retraité et nous vivons tous les deux de ma pension, mais nous avons des difficultés financières, car nous devons payer un avocat pour nous assurer du succès de la procédure. Je passe mon temps à signer des chèques qui vont continuer à être déduits petit à petit à partir de mon revenu fixe. C’est trop. »

À l’heure actuelle, Siham et Mahmud souffrent de diverses maladies. Courir après des documents pour les soumettre au ministère de l’Intérieur afin que le statut de Siham soit renouvelé est extrêmement difficile pour ce couple âgé, qui a peur de l’avenir. Siham craint de ne plus pouvoir renouveler son statut temporaire et de devoir quitter son domicile, où elle vit depuis 20 ans, si quelque chose arrivait à son mari. Mahmud a fait part à Amnesty International de la réaction de l’administration lorsqu’il avait exprimé cette crainte : « J’ai dit à l’employé du ministère de l’Intérieur : « Je suis vieux, je ne vivrai pas des centaines d’années. Que va-t-il arriver à Siham quand je ne serai plus là ? Qui va l’aider ? » L’homme m’a regardé en souriant et a répondu : « Vos enfants prendront la relève, ils pourront faire la demande pour leur mère. » Siham vit en Israël depuis plus de 20 ans, et aucun motif de sécurité ne justifie apparemment son absence de statut permanent. La seule raison pour laquelle elle vit dans l’incertitude est manifestement le fait qu’il s’agit d’une Palestinienne de Cisjordanie.

Dans une autre affaire, (F) [les noms n’ont pas été communiqués pour des raisons de confidentialité], une Palestinienne résidant à Jérusalem, a épousé en 1989 un résident palestinien de la Cisjordanie occupée, avec qui elle a eu six enfants. À l’époque, les Palestiniennes de Jérusalem n’étaient pas autorisées à solliciter un regroupement familial, et la famille a été contrainte de vivre en dehors de Jérusalem, dans une autre partie des TPO. En 1994, le ministère de l’Intérieur est revenu sur cette politique et (F) a finalement été autorisée à faire une demande de regroupement familial. Cependant, sa requête a été rejetée en 1997 au motif que sa famille ne pouvait pas prouver que son centre de vie était situé à Jérusalem - critère qui n’avait pas encore été rendu public. (F) a fait appel et a sollicité l’inscription de ses enfants sur les registres d’état-civil israéliens, mais sa demande a été rejetée. De plus, son permis de séjour à Jérusalem a été révoqué en raison du temps qu’elle avait passé en dehors de cette ville.

Selon les avocats de (F), elle n’a pas reçu de notification officielle de refus. Estimant qu’aucune réponse n’avait été apportée à sa demande, elle a de nouveau tenté de faire inscrire ses enfants en 2005, 2006 et 2007. Après des procédures juridiques longues et épuisantes, y compris des saisines de la Cour suprême israélienne, le ministère israélien de l’Intérieur a finalement reconnu à (F) le statut de résidente à Jérusalem à partir de 2005. Les enfants de (F) qui avaient moins de 14 ans au moment de la décision ont obtenu un permis de séjour. (A) et (I) avaient pour leur part plus de 14 ans en 2005 et, bien qu’ils aient été âgés de moins de 14 ans lorsque la famille a déménagé à Jérusalem et que les premières demandes ont été soumises, ils n’ont obtenu que des permis militaires temporaires de visite les autorisant à entrer à Jérusalem, qui doivent être renouvelés chaque année. Si ces permis les autorisent à travailler, (A) et (I) ne bénéficient pas de prestations sociales ni de prestations en matière de santé et il leur est interdit de conduire un véhicule. Selon son témoignage, (F) n’est pas apte à travailler car elle souffre de douleurs arthritiques, et son mari a du mal à trouver un emploi en raison de son statut de résident des TPO. En conséquence, (A), l’aîné, aujourd’hui âgé d’une vingtaine d’années, doit soutenir la famille financièrement. En raison du caractère temporaire de son statut, (A), non content de devoir se soumettre à la difficile procédure de renouvellement, est aussi exploité par ses employeurs. (A) et (I) affirment qu’ils ne peuvent faire aucun projet de vie, compte tenu de la précarité de leur statut.

Obligations d’Israël en vertu du droit international

En promulguant et en élargissant cette loi, Israël a enfreint les obligations qui lui incombent en vertu du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains. Au titre du droit international relatif aux droits humains, Israël est notamment tenu de respecter l’interdiction absolue de la discrimination consacrée par les articles 2 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), l’article premier de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, l’article 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant et l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). Israël a ratifié tous ces traités ; il est donc tenu d’en respecter les dispositions. En vertu du PIDCP, qu’Israël a ratifié en 1991, il lui est interdit, même « dans le cas où un danger public exceptionnel menace l’existence de la nation », de prendre des mesures qui entraînent « une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’origine sociale ».

Israël est également tenu de protéger la famille en tant qu’élément fondamental de la société, ainsi que le droit de fonder une famille. Ces obligations sont énoncées à l’article 10 du PIDESC, à l’article 23 du PIDCP et aux articles 7 à 10 de la Convention relative aux droits de l’enfant. Selon l’Observation générale faisant autorité du Comité des droits de l’homme des Nations unies, qui est chargé de surveiller l’application du PIDCP par les États parties, le droit international reconnaît que « la famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État ».

La loi est tellement choquante qu’en 2007, puis en 2012, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale s’est dit préoccupé par son caractère discriminatoire et a appelé à son abrogation. Israël doit s’acquitter des obligations qui sont les siennes au regard du droit international sans discrimination fondée sur des motifs nationaux, ethniques ou autres. Les autorités israéliennes doivent abroger cette loi discriminatoire et garantir le droit à la vie familiale et les autres droits fondamentaux de toutes les personnes sans discrimination.

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