En Jordanie, l’enquête sur les attaques contre des manifestants doit être transparente

Déclaration publique

Index AI : MDE 16/001/2011

1er avril 2011

Amnesty International demande vendredi 1er avril aux autorités jordaniennes de prendre en compte les inquiétudes relatives à des informations selon lesquelles les forces de sécurité ont pris part à des attaques violentes contre les manifestants favorables aux réformes à Amman les 24 et 25 mars.

Dans une lettre adressée le 1er avril au Premier ministre jordanien, Marouf Bakhit, l’organisation a sollicité des précisions sur les investigations qui seraient menées sur les violences qui se sont déroulées dans la capitale les 24 et 25 mars. Une personne est morte dans des circonstances suspectes et nombre d’autres ont été blessées.

Amnesty International s’inquiète de l’absence d’informations rendues publiques concernant la nature et l’ampleur des investigations. À la lumière des informations reçues, émanant de sources crédibles, selon lesquelles les forces de sécurité jordaniennes se sont non seulement abstenues d’intervenir lorsque les partisans du gouvernement ont agressé les manifestants réclamant des réformes, mais ont également facilité ces attaques et y ont pris part, il est primordial que soit menée dans les meilleurs délais une enquête approfondie, impartiale et indépendante.

Selon ces informations, dans la soirée du 24 mars, les partisans du gouvernement ont lancé des pierres sur les manifestants réclamant des réformes rassemblés sur la place Gamal Abdel Nasser, tandis que les forces de sécurité ont assisté à la scène sans intervenir. Des violences encore plus marquées ont eu lieu le lendemain après-midi, lorsque des partisans du gouvernement et des membres des forces de l’ordre ont attaqué les manifestants à l’aide de pierres, de matraques et de bâtons.

Un témoin, qui a préféré garder l’anonymat par peur des représailles des forces de sécurité, a raconté à Amnesty International :
« La police n’a rien fait pour empêcher les violences contre les manifestants. Les auteurs des violences étaient des malfrats amenés là dans ce but, ainsi que des conscrits de la police. Les policiers ont frappé les manifestants à coups de matraque et ont utilisé des canons à eau. Tous ceux qui fuyaient la place étaient attrapés et roués de coups par les malfrats. Je n’ai été que légèrement blessé comparé à d’autres ; un policier m’a donné un coup de poing dans le nez et m’a frappé à la jambe avec sa matraque… Les manifestants étaient pacifiques, ce qui n’a pas empêché qu’ils soient victimes de violences. Ils ne cessaient de scander " selmiyeh, selmiyeh " [pacifique, pacifique]. Ils ont rassemblé les pierres et ont dessiné une carte de la Jordanie. Pour beaucoup, ces pierres étaient couvertes de sang. »

Un autre témoin, contact de longue date d’Amnesty International, a expliqué, lui aussi sous couvert d’anonymat :
« Une cinquantaine de personnes ont été blessées [par des jets de pierres] la première nuit. Le deuxième jour, on a vu des voyous armés de bâtons et de couteaux descendre des véhicules de police. Puis policiers et gendarmes se sont avancés vers les manifestants d’un côté, et les voyous de l’autre, et tous nous rouaient de coups. Ils ont ensuite ouvert un petit passage pour que les gens puissent s’enfuir, tout en continuant à les pourchasser et à les frapper. Les malfrats ont ensuite mis le feu aux tentes des manifestants et détruit une voiture qui servait d’estrade. »

Un troisième témoin, contact de longue date d’Amnesty International, qui a lui aussi souhaité conserver l’anonymat, a raconté ce qui s’est passé le 25 mars vers 17 heures :
« Les gendarmes sont arrivés, ont bloqué la zone et encerclé complètement les manifestants. Avec l’aide des malfrats qui lançaient des pierres, ils les ont repoussés vers une petite zone sous le pont, en attendant les ordres. Lorsque les ordres ont été donnés, les portes de l’enfer se sont ouvertes et s’en est suivie une attaque violente et brutale. Les manifestants, y compris les femmes et les enfants, ont été assaillis par les différentes forces de l’ordre – les gendarmes, les agents de la sécurité publique, les membres des services de sécurité préventive, des policiers en civil, notamment. Les gendarmes ont dispersé les manifestants en recourant à une force excessive, à l’aide de canons à eau et de matraques. Les autres forces de l’ordre et les voyous se sont servis de bâtons, et donnaient force coups de pied et de poing sur toutes les parties du corps, et particulièrement la tête. »

Le manifestant qui est mort le 25 mars s’appelait Khayri Said Jamil, et était âgé de 55 ans. Selon les médias, le responsable de l’équipe médicolégale qui a pratiqué l’autopsie a déclaré qu’il n’y avait aucune trace de brutalité ni de coups sur son corps et qu’il était sans doute mort d’une crise cardiaque. Toutefois, deux personnes qui ont vu le corps de Khayri Said Jamil ont affirmé à Amnesty International que des traces indiquaient clairement qu’il avait été passé à tabac. L’une d’entre elles a assuré : « Il avait des bleus et des blessures à la tête, aux deux oreilles, aux jambes et aux parties intimes, et il avait les dents cassées.  » Selon ces mêmes médias, l’autopsie officielle a conclu que le corps de Khayri Said Jamil ne présentait pas de telles blessures.

Ces informations jettent de sérieux doutes sur la véracité de la version officielle des faits et sur ce décès en particulier, et soulignent la nécessité de mener des investigations réellement indépendantes. Amnesty International a sollicité des informations sur les autorités chargées de mener cette enquête, sur ses modalités et sa portée, et a demandé quand et à qui ses conclusions seront remises. Par ailleurs, l’organisation insiste pour que l’autorité chargée de l’enquête soit habilitée à contraindre les représentants de l’État, entre autres, soupçonnés d’être impliqués dans des actes illégaux à comparaître devant elle et à témoigner, et pour qu’elle rende ses conclusions publiques. Toute personne identifiée comme ayant commis, ordonné ou s’étant abstenue d’empêcher raisonnablement des atteintes aux droits humains doit être déférée à la justice.

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