Communiqué de presse

Espagne. Les restrictions imposées à la liberté d’expression et de religion ou de conscience par des écoles doivent respecter les normes relatives aux droits humains

Le 25 janvier 2012, un tribunal de première instance de Madrid a confirmé la décision de l’institut José Cela – un établissement d’enseignement secondaire de Pozuelo de Alarcón (Madrid) – d’exclure la jeune Najwa des cours collectifs parce qu’elle portait le foulard à l’école.

Le règlement interne de l’institut interdit le port de tout type de vêtements couvrant la tête. En février 2010, Najwa, 16 ans à l’époque, a commencé à porter le foulard et, en vertu de ce règlement, s’est vu interdire d’assister aux cours ; elle a continué à recevoir un enseignement dans les locaux du lycée mais a été isolée du reste des élèves pendant quelques semaines. Avant la fin de l’année scolaire, elle a finalement été inscrite dans une autre école de la même ville, où elle était autorisée à porter le foulard.

Le tribunal de première instance a fait remarquer que le règlement interne de l’institut s’appliquait à tous sans distinction, et que l’interdiction du port de couvre-chefs avait pour but d’introduire un code vestimentaire commun visant à garantir une coexistence harmonieuse entre élèves et à éviter les distractions. Le tribunal a estimé que les restrictions introduites par l’institut étaient nécessaires à la protection de l’ordre public et des droits fondamentaux d’autrui. Il a en outre avancé que la laïcité est un principe constitutionnel et que les attitudes allant à l’encontre de ce principe ne sauraient être considérées comme constitutives du droit à la liberté de religion.

Le port de signes et de vêtements religieux et culturels relève du droit à la liberté d’expression et du droit de manifester sa religion ou ses convictions. Le droit international autorise à limiter l’exercice de ce droit mais uniquement lorsque les trois conditions suivantes sont réunies : les restrictions doivent être prévues par la loi ; elles doivent se rapporter à un des objectifs considérés comme légitimes dans le droit international, c’est-à-dire : la protection de la sécurité et de l’ordre publics, de la santé ou de la morale, ou encore des droits et libertés d’autrui ; et il doit enfin être possible de prouver qu’elles sont nécessaires et proportionnées à la réalisation du but ainsi visé.

Sur le terrain de l’éducation, il convient de prendre plusieurs éléments complexes en compte afin de déterminer si une restriction du port de signes et vêtements religieux et culturels peut être autorisée. Comme l’a indiqué le rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction, il faudrait commencer par formuler une affirmation générale du droit des élèves de porter des signes religieux à l’école . Dans certaines situations, les restrictions peuvent se justifier par la volonté de protéger les élèves d’éventuelles pressions exercées par leurs camarades ou leur entourage. Le but doit toujours être de protéger de manière égale les aspects positifs comme négatifs de la liberté de religion et de conviction - c’est-à-dire la liberté de manifester ses convictions comme la liberté de ne pas être soumis à des pressions visant à contraindre à la pratique d’activités religieuses. Cependant, si une restriction de ce type est imposée afin de mettre des élèves à l’abri de telles pressions, cela doit se fonder sur des faits pouvant être démontrés et non pas sur des spéculations ou suppositions. Les principes de nécessité et de proportionnalité exigent par ailleurs que d’autres mesures permettant d’atteindre le but visé par la restriction soient étudiées.

Dans le cas présent, des craintes sont nées du fait des objectifs que cherchait à atteindre l’institut José Cela en imposant cette interdiction inscrite dans son règlement interne. L’affirmation de ce lycée selon laquelle le règlement s’appliquait à tous sans distinction ne prend pas en compte l’impact tout particulier qu’elle a sur les élèves qui choisissent de porter un couvre-chef dans le but d’exprimer leur identité religieuse ou culturelle. La restriction a alors pour effet d’induire une discrimination indirecte à l’égard des musulmanes lorsqu’elles exercent leur droit à la liberté d’expression et de religion ou de conviction. Concernant la référence faite dans la décision du tribunal à la protection du principe de laïcité, il ne s’agit pas en soi d’un but légitime aux termes du droit international relatif aux droits humains, car l’observer pourrait revenir à justifier des restrictions des droits à la liberté d’expression et de religion. La décision de justice fait également référence à l’objectif de préservation de l’ordre public et des droits d’autrui, que le droit international relatif aux droits humains reconnaît comme étant des buts légitimes, susceptibles de justifier une restriction des droits susnommés ; mais il faut alors démontrer que les restrictions de ce type sont nécessaires et proportionnelles à l’objectif annoncé. Dans ce cas-ci, il est loin d’être établi que la restriction des droits de Najwa à la liberté d’expression et de religion était nécessaire et proportionnelle à la réalisation de ces objectifs.

En ce qui concerne l’exercice par des mineurs de la liberté d’expression et de religion ou de conviction, la Convention relative aux droits de l’enfant précise que les parents ont le droit de guider l’enfant dans l’exercice de ses droit fondamentaux (y compris ceux susmentionnés) d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités. La Convention dispose par ailleurs que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions qui concernent les enfants. Afin de veiller au respect de ces principes, des restrictions portant sur les signes et vêtements religieux et culturels ne sauraient être adoptées qu’à l’issue d’une consultation rigoureuse auprès des parents et des élèves. On peut se demander si l’intérêt supérieur de Najwa a été respecté dans ce cas, puisque du fait de l’exercice de ses droits à la liberté d’expression et de religion ou de conviction, elle a dans un premier temps été isolée de ses camarades, puis a au bout du compte dû changer d’école afin de pouvoir jouir de ces droits.

Amnesty International demande au ministère espagnol de l’Éducation et au ministère de l’Emploi et de l’Éducation de la communauté de Madrid de s’assurer que, lorsqu’elles ont des répercussions sur l’exercice des droits à la liberté d’expression et de religion ou de conviction, les restrictions vestimentaires imposées par la direction de certaines écoles à titre individuel soient conformes au droit international relatif aux droits humains. En dépit du principe d’autonomie de chaque établissement scolaire, l’État et la communauté de Madrid partagent la responsabilité de veiller au respect du principe de non-discrimination à l’école.

Complément d’information

Il n’existe pas en Espagne d’interdiction générale des signes et vêtements religieux et culturels à l’école. Ces dernières années, cependant, plusieurs cas de jeunes filles privées de la possibilité de porter le foulard dans leur établissement scolaire ont été signalés. Certains de ces cas ont été résolus par le biais d’une médiation entre les autorités scolaires et les familles des élèves concernées. D’autres ont donné lieu à des litiges ayant débouché au bout du compte sur l’inscription des élèves dans d’autres écoles où le port de signes et de vêtements religieux et culturels ne faisait pas l’objet de restrictions.
Le cas de Najwa à Pozuelo de Alarcón est le premier du pays sur lequel un tribunal de première instance se soit prononcé.

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