Hausse spectaculaire des crimes de haine en Allemagne

L’inefficacité de la réaction des autorités face à la nette augmentation des crimes de haine à travers l’Allemagne – notamment des attaques contre des centres d’accueil pour personnes en quête d’asile – met en évidence la nécessité urgente de renforcer les mesures de protection et de diligenter une enquête indépendante sur d’éventuels comportements partiaux au sein des organes chargés de l’application des lois, a souligné Amnesty International dans un rapport rendu public le 9 juin.

Ce rapport, intitulé Living in insecurity : How Germany is failing victims of hate crimes (synthèse en version française ici), indique que le nombre de crimes commis contre des centres d’accueil pour personnes en quête d’asile en 2015 (1 031) est 16 fois plus élevé que celui relevé en 2013 (63). Globalement, les crimes violents à caractère raciste commis contre des minorités raciales, ethniques ou religieuses ont augmenté de 87 %, passant de 693 en 2013 à 1 295 en 2015.

«  Face à l’augmentation des crimes de haine en Allemagne, il est nécessaire de résoudre le problème persistant et bien connu des défaillances des organes chargés de l’application des lois en matière de lutte contre les violences à caractère raciste, a déclaré Marco Perolini, chargé de recherches sur l’UE à Amnesty International.

« Les autorités allemandes fédérales et régionales doivent mettre en place des stratégies exhaustives d’évaluation des risques pour empêcher les attaques contre les centres d’accueil pour demandeurs d’asile. Il faut de toute urgence que les centres d’accueil identifiés comme étant les plus exposés à un risque d’attaque bénéficient d’une protection policière renforcée. »

Bien que la population allemande figure au niveau de l’Europe parmi les populations les plus accueillantes à l’égard des réfugiés, tout au long de l’année 2015 on a relevé chaque semaine jusqu’à six manifestations contre les réfugiés. De nombreuses personnes réfugiées ou en quête d’asile ayant été attaquées, ou dont des amis ou des proches ont été attaqués, ont déclaré à Amnesty International qu’elles vivent maintenant dans la peur et ne se sentent plus jamais en sécurité.

« Tous mes amis ont eu peur après l’attaque que j’ai subie. J’ai fui la guerre en Syrie et je n’ai vraiment pas besoin de subir ces tensions ici, en Allemagne. Je voudrais simplement pouvoir travailler […] et avoir une vie normale, comme avant la guerre », a expliqué à Amnesty International Ciwan B., un Kurde qui s’est enfui de Syrie et qui a été agressé à Dresde en septembre 2015.

Combattre le racisme au sein des institutions

Le fait que les autorités allemandes ne prennent pas de mesures efficaces pour enquêter, poursuivre en justice et condamner les auteurs de crimes à caractère raciste est un problème de longue date, antérieur à l’arrivée dans le pays l’an dernier de près d’un million de personnes réfugiées et en quête d’asile.

Un grand nombre de ces défaillances ont été mises en lumière avec les enquêtes bâclées menées sur une série d’homicides commis entre 2000 et 2007 par un groupe d’extrême droite, Clandestinité national-socialiste (NSU).

Les enquêtes menées sur les meurtres de huit hommes d’origine turque, d’un autre homme d’origine grecque et d’une policière allemande n’ont jamais suivi l’hypothèse d’investigation de crimes racistes, et des proches des victimes ont dit s’être sentis dans une position d’accusés du fait du comportement de la police.

«  Pendant toutes ces années, ils ne nous ont jamais considérés comme des victimes, a expliqué à Amnesty International Yvonne Boulgarides, la femme de Theodorus Boulgarides, serrurier tué le 15 juin 2005 dans sa boutique à Munich par des membres du NSU. La police et les représentants politiques nous ont toujours traités comme des suspects, comme si nous cachions quelque chose. Personne ne nous a demandé notre avis ou écoutés. »

Les investigations qui ont porté sur les défaillances liées aux agissements du NSU ont abouti à un certain nombre de recommandations, mises en œuvre par les organes allemands chargés de l’application des lois. Toutefois, ces initiatives n’ont pas permis de répondre à cette question cruciale : le racisme au sein des institutions étatiques contribue-t-il au fait que des crimes qui semblent motivés par le racisme ne sont pas considérés et répertoriés comme tels et ne donnent pas lieu à des enquêtes adéquates ?

Abdurrahman, de nationalité turque, a été très grièvement blessé quand il a été attaqué par un groupe de neuf hommes alors qu’il fermait son commerce à la gare de Bernbourg, en septembre 2013.

Selon son témoignage et ceux de son associé et d’un ami qui était présent lors des faits, les policiers ont rendu aux agresseurs un élément de preuve essentiel – une pompe à air – qui avait été utilisé pendant cette attaque. Lors du procès, les motivations racistes n’ont pas été pleinement prises en compte et l’absence d’éléments de preuve a permis de renforcer l’argumentation du groupe, qui affirmait avoir agi en partie en état de légitime défense.

Certains de ces dysfonctionnements résultent du système complexe de classification et de collecte des informations sur les crimes motivés par des considérations politiques, qui incluent les crimes de haine.

Ce système a institué, consciemment ou non, des conditions particulièrement exigeantes qui doivent être remplies pour qu’un crime raciste puisse être répertorié et traité comme tel. Toute infraction pénale considérée comme ayant été motivée par le racisme – par la victime ou une autre personne – devrait être classée en tant que crime de haine par la police.

« De nombreux indices pointent vers l’existence d’un racisme institutionnel au sein des organes allemands chargés de l’application des lois. Ce problème a besoin d’être exposé, et résolu : les organes chargés de l’application des lois ne pourront pas faire de progrès en matière de lutte contre les crimes racistes tant qu’ils ne seront pas prêts à examiner leurs propres comportements. »

«  Le temps n’est plus à la complaisance : les organes chargés de l’application des lois doivent au contraire porter sur eux-mêmes un regard critique. Il est urgent qu’une enquête indépendante et publique soit ouverte pour examiner les investigations qui ont porté sur les meurtres imputés au NSU, et pour déterminer dans quelle mesure le racisme institutionnel contribue au fait que les organes chargés de l’application des lois ne combattent pas efficacement les crimes racistes », a déclaré Marco Perolini.

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