Honduras : « Ils ne peuvent pas nous couper les ailes »

Depuis plus de 30 ans, une organisation hondurienne de défense des droits humains représente la lueur de l’espoir pour les gens dont les droits fondamentaux ont été violés.

Ebed Yánez a quitté sa maison de Tegucigalpa tard dans la soirée le 26 mai 2012, sans prévenir ses parents. Cet adolescent de 15 ans qui n’avait pas le permis a pris la moto de son père et est parti rejoindre une amie. Dans la capitale hondurienne, les sorties nocturnes sont dangereuses. Ebed n’est jamais rentré.

Inquiets, ses parents l’ont cherché partout le lendemain. Ils ont fini par retrouver son corps à la morgue. Ebed avait été tué par balle.

Wilfredo Yánez, le père d’Ebed, veut que sa mort ne reste pas impunie. Se mettant en grand danger, il a suivi des indices et recueilli des éléments de preuve. Quelques jours plus tard, il a établi qu’Ebed avait refusé de s’arrêter à un barrage militaire, et que des soldats l’avaient abattu.

Wilfredo a porté plainte auprès du parquet, sans grand espoir d’obtenir de l’aide. La faiblesse des institutions du Honduras, déjà patente, s’est encore accrue après le coup d’État militaire de 2009. Et la situation des droits humains, qui était préoccupante, n’a fait qu’empirer.

Selon les chiffres de l’ONU, le Honduras présente le taux d’homicides le plus élevé au monde, et 20 % seulement des infractions pénales font l’objet d’une enquête. Dans ce pays, l’un des plus pauvres des Amériques, 60 % de la population vit dans la pauvreté.

Les policiers, dont la corruption est notoire, sont fréquemment liés au milieu criminel. En réponse à l’emprise grandissante des cartels de la drogue, les autorités ont déployé davantage de soldats dans les rues du pays.

Comme la plupart des victimes de violations des droits humains au Honduras, Wilfredo s’est donc tourné vers le Comité des familles de détenus et disparus du Honduras (COFADEH) pour obtenir de l’aide.

Le danger, ils connaissent

Au Honduras, il est dangereux de militer pour la défense des droits humains. Des journalistes, des avocats, des syndicalistes, et des leaders indigènes et paysans ont été tués en raison de leur travail en faveur des droits humains.

Des membres du COFADEH ont reçu des SMS les menaçant de violences sexuelles. Certains ont été agressés physiquement. Les locaux de l’organisation ont fait l’objet de nombreuses effractions. Mais rien de tout cela n’a réussi depuis plus de 30 ans à empêcher les militants de promouvoir et défendre les droits humains.

L’organisation a été fondée en 1982 par des parents de militants politiques, d’étudiants et de responsables syndicaux qui avaient « disparu » aux mains des forces de sécurité sous le régime militaire.

Elle n’a cessé de collecter des témoignages de victimes, de protéger les personnes en danger et de soutenir celles et ceux qui, comme, Wilfredo, réclament justice.

Blessé par balle pendant une sortie de pêche

On n’oublie pas une visite dans les locaux du COFADEH à Tegucigalpa. Les gens attendent patiemment pour rencontrer un avocat et lui faire part de ce qui leur est arrivé, dans l’espoir qu’on puisse les aider. Beaucoup viennent de loin.

Nous avons rencontré de nombreuses victimes de violations des droits humains qui n’avaient pas porté plainte auprès des autorités car elles s’en méfiaient et en avaient peur. Ces hommes et ces femmes préfèrent s’adresser au COFADEH, qui transmet alors la plainte au parquet.

La dernière fois que nous nous sommes rendus dans les locaux de l’organisation, en mai 2013, nous avons rencontré Wilmer Sabillón. Quelques semaines auparavant, un militaire de la Marine lui avait tiré dessus alors qu’il était à la pêche. Le jeune homme n’a pas reçu les soins nécessaires et n’est pas encore tout à fait remis.

Wilmer était très soulagé d’être entré en contact avec le COFADEH. En l’espace de quelques heures, le Comité lui avait pris rendez-vous avec un médecin pour une expertise médicolégale. Il avait saisi la justice et déposé plainte auprès de la section du parquet chargée des droits humains.

Une personne du COFADEH est restée toute la journée aux côtés de Wilmer et de sa famille. En août, un membre de la Marine a été inculpé de tentative de meurtre contre Wilmer.

Garder le souvenir présent

Wilmer n’est que l’une des nombreuses personnes pour lesquelles le COFADEH est intervenu. L’organisation est devenue la voix des victimes. Les gens qui veulent obtenir justice savent que c’est elle qui peut les aider.

Les militants du COFADEH sont aussi très attachés à la transmission de la mémoire. Ils ne veulent pas qu’on oublie que l’État est responsable de quelques 200 disparitions forcées commises dans les années 1980.

La population du Honduras compte une très forte proportion de jeunes. Beaucoup risquent d’être enrôlés dans des bandes organisées. Un réseau national de jeunes militants a vu le jour sous l’égide du COFADEH.
Dans des ateliers et des séminaires, des militants expérimentés enseignent désormais aux plus jeunes ce que sont les violations des droits humains et comment recueillir des informations sur ces pratiques. Ils les incitent à s’engager sur le terrain et à promouvoir des valeurs telles que l’égalité et la solidarité.

Pour Bertha Oliva, membre fondatrice et coordinatrice générale du COFADEH, les jeunes sont la force de l’organisation.

Espoir et solidarité internationale

La solidarité internationale joue un rôle essentiel aussi. Dans la pièce principale des bureaux du COFADEH est accroché un drapeau rouge brodé de colombes (l’emblème de l’organisation). Des membres d’Amnesty au Royaume-Uni le leur ont offert l’an dernier à l’occasion du 30e anniversaire du Comité (voir ci-dessus).

« Les gens sont touchés lorsqu’ils voient les colombes, explique Bertha. Aujourd’hui plus que jamais, il est essentiel de poursuivre la campagne de solidarité et d’exiger que l’État hondurien respecte le travail des défenseurs des droits humains. Ils auront beau essayer, ils ne pourront pas nous couper les ailes. »

Le COFADEH reste mobilisé auprès de Wilfredo dans son combat pour obtenir justice après la mort d’Ebed. Un soldat est actuellement inculpé et placé en détention.

Le travail du COFADEH est d’autant plus important que le Honduras s’apprête à élire en novembre un nouveau président – et la situation des militants est d’autant plus périlleuse. Merci d’écrire une lettre de soutien – vos mots aideront et protégeront les membres du COFADEH.

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