Huit militants condamnés à cause d’une manifestation pacifique

Les huit militants condamnés le 15 août à des peines allant de quatre à un an d’emprisonnement à cause d’une manifestation pacifique à Sidi Ifni, une ville située sur la côte atlantique sud du Maroc, doivent se voir offrir la possibilité de contester les preuves retenues contre eux lors de leur procès en appel, a déclaré Amnesty International le 13 septembre. Amnesty International est préoccupée par le fait que les manifestants ont été jugés dans le cadre d’un procès inique, et ont peut-être été sanctionnés pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions, notamment des critiques à l’égard des autorités marocaines. Les autorités doivent libérer immédiatement et sans condition les personnes dont la responsabilité pénale, concernant des actes de violence, n’a pas été prouvée au-delà de tout doute raisonnable.

Figure parmi les huit personnes déclarées coupables le militant de premier plan Mohamed Amazouz, 44 ans, membre de l’antenne locale de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), la plus grande organisation marocaine de défense des droits humains. Les autres manifestants condamnés sont Driss Amara, 33 ans, Ayoub Mdimigh, 24 ans, Mbarek Fikri, 21 ans, Mohamed Derbal, 35 ans, Rachid Benmadine, 30 ans, Ali Id Lhoucine, 26 ans, et Youssef Handa, 23 ans ; plusieurs d’entre eux sont également membres de l’AMDH.

Ils ont été déclarés coupables de « rébellion », d’insultes envers des policiers, et de violences, notamment. Or, Amnesty International estime qu’ils n’ont pas eu la possibilité de contester efficacement les preuves produites par l’accusation lors de leur procès, et que le tribunal qui les a déclarés coupables n’a pas établi au-delà de tout doute raisonnable leur responsabilité pénale individuelle. L’organisation demande également que la condamnation prononcée pour insultes soit annulée.

Dans la matinée du 25 juillet, les huit militants ont pacifiquement occupé le balcon de l’ancien consulat d’Espagne à Sidi Ifni, appelé la Pagaduría, pour demander aux autorités espagnoles de leur répondre car ils réclament la citoyenneté espagnole. Ils affirment en effet avoir droit à la citoyenneté espagnole en tant que descendants de ressortissants espagnols d’avant la rétrocession de Sidi Ifni au Maroc en 1969. Ce territoire est demeuré une colonie espagnole pendant plus de dix ans après l’indépendance du Maroc en 1956. Des militants locaux affirment que l’importance économique de la ville et son rayonnement ont fortement décliné à la suite de la rétrocession.

Des policiers ont arrêté les manifestants en début d’après-midi, devant une foule de badauds, dont plusieurs ont filmé la scène. Plusieurs manifestants ont signalé au procureur du roi du tribunal de Tiznit que des policiers les avaient agressés pendant leur arrestation et leur détention, ce qui a amené le tribunal à ordonner des examens médicaux le 26 juillet. La défense a toutefois indiqué à Amnesty International qu’ils n’avaient pas pu consulter les résultats de ces examens et le rapport médical.

Le 15 août, le tribunal de première instance de Tiznit a condamné Mohamed Amazouz, qu’il a décrit comme étant le meneur de la manifestation, à un an d’emprisonnement après l’avoir déclaré coupable de plusieurs infractions au titre du Code pénal, notamment de « rébellion » (article 300) et d’« incitation » à la rébellion (article 304), d’insultes envers des fonctionnaires publics (article 263), et de violences et complicité de violences contre des fonctionnaires publics (article 267). Le tribunal a condamné Youssef Handa à quatre mois d’emprisonnement pour « rébellion », insultes et violences contre des fonctionnaires publics, et les autres accusés à huit mois d’emprisonnement pour les mêmes motifs.

Le jugement montre clairement que le tribunal s’est particulièrement élevé contre le fait qu’au cours de la manifestation, Mohamed Amazouz s’est adressé aux autres manifestants et aux passants en utilisant un porte-voix pour exposer les revendications du groupe et dénoncer la politique du gouvernement concernant la région. Lors de son discours, filmé par des passants qui ont partagé la vidéo sur des réseaux sociaux, il a critiqué la marginalisation supposée de la population locale par les autorités. Il a dénoncé l’obstruction supposée des autorités à l’accès de la population locale à la justice et à des opportunités économiques, et réclamé qu’elles appliquent l’état de droit et apportent la justice sociale. Le tribunal a également contesté ses allégations selon lesquelles les forces de sécurité ont torturé des détenus durant les troubles qui ont secoué la ville en 2008 et été marqués par une violente répression menée contre des manifestants pacifiques.

Le tribunal a déclaré Mohamed Amazouz coupable de « rébellion » et d’« incitation » à la rébellion en raison de ces déclarations, le sanctionnant ainsi pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression. Les huit manifestants ont aussi été déclarés coupables de « rébellion » pour n’avoir pas obéi à la police qui leur avait ordonné de mettre fin à la manifestation et de quitter le balcon, et pour avoir soi-disant résisté à l’arrestation. L’article 300 du Code pénal définit la « rébellion » dans les termes suivants : « Toute attaque ou toute résistance pratiquée avec violence ou voies de fait envers les fonctionnaires ou les représentants de l’autorité publique agissant pour l’exécution des ordres ou ordonnances émanant de cette autorité, ou des lois, règlements, décisions judiciaires, mandats de justice, constitue la rébellion. » Amnesty International est préoccupée par le fait que cette définition de la « rébellion » peut s’appliquer dans un grand nombre de circonstances et, dans ce cas particulier, que les autorités judiciaires pourraient avoir utilisé ce chef pour restreindre indument les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.

En ce qui concerne les chefs de violences à fonctionnaires, Mohamed Amazouz a été accusé d’avoir poussé un policier qui retirait un drapeau espagnol accroché par les manifestants. Un manifestant a également été accusé d’avoir lâché depuis le toit du bâtiment une pile de briques sur le balcon, manquant de peu un policier, et un autre a été accusé d’avoir agité un bâton en bois devant le visage d’un autre policier qui tentait d’accéder au balcon. Mohamed Amazouz s’est vu reprocher d’avoir incité à ces violences en demandant aux autres manifestants d’empêcher les policiers d’accéder au balcon, ce qu’il a nié devant le tribunal.

Au lieu de se référer aux preuves matérielles ou aux témoins que la défense aurait pu contre-interroger lors de l’audience, la cour s’est explicitement basée sur des rapports de la police pour condamner les manifestants. Cela comprend des comptes rendus d’interrogatoires incluant des « aveux » et des accusations lancées par certains manifestants à l’encontre d’autres, sur lesquels les huit accusés sont tous revenus par la suite devant le tribunal.

Le jugement indique que ces rapports de la police sont considérés comme faisant foi sauf preuve contraire. Le jugement se réfère à une disposition contestable du Code de procédure pénale que des organisations de défense des droits humains et des experts internationaux ont dénoncée en lui imputant de nombreux procès iniques. L’article 290 du Code de procédure pénale prévoit que les procès-verbaux ou rapports dressés par les officiers de police judiciaire font foi jusqu’à preuve contraire. Cet article va directement à l’encontre de la présomption d’innocence en renversant la charge de la preuve, ainsi que l’a noté le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire à la suite de sa visite au Maroc en 2014.

De plus, les trois policiers qui ont indiqué dans un rapport avoir été blessés par des manifestants au cours de l’arrestation n’ont pas été cités à comparaître en tant que témoins, et la défense n’a pas eu la possibilité de les contre-interroger. Les rapports médicaux établis à la suite de leur examen médical ont conclu qu’ils avaient été légèrement blessés. Parallèlement à cela, les résultats des examens médicaux subis par les accusés, après qu’ils eurent signalé avoir été agressés en détention, n’ont pas été mentionnés dans le jugement ni mis à la disposition de la défense.

Les huit militants ont été détenus dans la prison de Tiznit, avant d’être transférés dans la prison d’Ait Melloul le 25 août. Ils ont tous interjeté appel de leur condamnation. Leur procès en appel se tiendra dans la ville voisine d’Agadir, mais aucune date n’a encore été fixée. Les prisonniers ont mené plusieurs grèves de la faim pour dénoncer l’iniquité de leur procès et de leur condamnation, leurs conditions de détention à Tiznit, et le fait qu’ils n’ont pas eu accès aux résultats de leurs examens médicaux.

Mohamed Amazouz et d’autres militants ont également fondé l’association Mémoire et droits d’Ifni. En 2015, un tribunal a ordonné la dissolution de l’association, notamment au motif qu’elle menaçait l’« intégrité territoriale » du Maroc en revendiquant les droits et la spécificité culturelle de la population de Sidi Ifni. La plupart des manifestants étaient membres de cette ancienne association.

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