Koweït. Des dizaines de militants réduits au silence

Les autorités koweïtiennes ont arrêté, poursuivi et emprisonné des dizaines de militants pacifiques, notamment des défenseurs des droits humains et des opposants politiques, dans le but de faire taire ceux qui les critiquent et de sanctionner la dissidence, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public mercredi 16 décembre.

Ce document, intitulé The ‘iron fist policy’ : Criminalization of peaceful dissent in Kuwait, décrit en détail la manière dont la liberté d’expression est réprimée au Koweït depuis 2011, dans le contexte d’une détérioration générale de la situation des droits humains dans le pays, et souligne comment les autorités recourent de manière croissante à une multitude de lois restrictives pour réduire au silence les voix critiques.

« Au cours des cinq années écoulées depuis qu’une vague de manifestations populaires a balayé le monde arabe, nous avons observé une érosion constante et impitoyable des droits fondamentaux au Koweït, à mesure que les autorités ont durci le ton face à la dissidence. Des dizaines d’opposants non violents ont été arrêtés et incarcérés pour avoir condamné cette répression généralisée », a déclaré James Lynch, directeur adjoint du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Il n’est pas trop tard pour remédier à l’escalade des violations des droits humains. Le Koweït est arrivé à un point critique, et le gouvernement a clairement le choix entre autoriser le pays à glisser vers une répression plus dure, ou prendre des mesures de toute urgence afin de prouver que ses engagements publics en faveur des droits humains constituent plus que des promesses creuses. »

La répression a débuté en 2011, en réaction aux manifestations organisées par des membres de la minorité bidun.
C’est pourtant lorsque la parole a jailli durant la série de manifestations dites de la Dignité de la nation, en 2012, quand des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour s’opposer à une nouvelle loi électorale et protester contre la corruption gouvernementale présumée, que le gouvernement a agi pour limiter la liberté d’expression au Koweït, ce qui est contraire à ses obligations en vertu du droit international.

Quand les actions de protestation ont continué, accompagnées sur les médias sociaux d’une flambée des propos critiques, le gouvernement a annoncé une « politique de la main de fer » en 2014, promettant « une lutte décisive et ferme contre tout ce qui pourrait affaiblir l’État, ses institutions et sa Constitution. »

Les autorités ont intensifié les restrictions à la liberté d’expression, en recourant à un ensemble de lois vagues et à la définition trop large relatives à la diffamation. Elles ont aussi mis fin à l’activité de plusieurs médias et invoqué la loi sur la nationalité pour déchoir certains détracteurs de leur citoyenneté.

Il y a eu en particulier, ces dernières années, une multiplication des poursuites pour des propos considérés comme « offensants » ou « insultants » à l’égard de l’émir du Koweït et d’autres dirigeants arabes, ou pour des commentaires perçus comme visant à « déstabiliser » les représentants du gouvernement. Ces deux dernières années, les médias koweïtiens ont fait état de plus de 90 affaires de poursuites judiciaires pour ce type de motifs.

En vertu de la législation actuelle, chercher à déstabiliser l’émir ou contester son pouvoir est passible d’une peine de cinq ans de prison. Citer des propos tenus par l’émir sans permission officielle est une infraction. Il existe des lois similaires pour les commentaires considérés comme une atteinte à la sécurité nationale ou qui sont perçus comme diffamatoires vis-à-vis de la religion et des figures religieuses.

« Nul ne devrait être emprisonné pour avoir exprimé ses opinions de manière pacifique, même si celles-ci peuvent paraître contestables à ceux qui sont au pouvoir », a déclaré James Lynch.

« Les lois qui étouffent la liberté d’expression vont à l’encontre du droit international. Au lieu de réagir de manière défensive, les autorités koweïtiennes doivent accepter la critique et voir ces commentaires comme des occasions de débattre et de discuter. »

Comme l’a noté le Comité des droits de l’homme des Nations unies, les personnalités publiques, y compris les chefs d’État, sont « légitimement exposées à la critique et à l’opposition politique ».

Un grand nombre des personnes emprisonnées dans le cadre des opérations de répression en cours sont des prisonniers d’opinion, uniquement pris pour cible parce qu’ils ont exercé pacifiquement leur droit à la liberté d’expression.

Certains détenus sont accusés de nombreuses infractions et empêtrés dans plusieurs actions en justice coûteuses, risquant des procès et des peines de prison de manière cyclique. Les procédures judiciaires peuvent avoir une durée prolongée - parfois des années -, en raison de retards et d’ajournements fréquents.

« Les autorités recourent à un enchevêtrement de lois afin d’étouffer la liberté d’expression dans le pays », a déclaré James Lynch.
« De nombreux militants sont entravés par des procédures juridiques administratives sans fin, qui semblent relever d’une stratégie délibérée du gouvernement visant à harceler des militants pacifiques afin de les contraindre au silence par l’usure, et à dissuader les autres de s’exprimer. »

Le cas illustrant le mieux ce phénomène est celui de Musallam al Barrak, un ancien député de l’opposition et critique déclaré du gouvernement. Il purge actuellement une peine de deux ans de prison pour diverses charges de déstabilisation et outrage vis-à-vis de l’émir, après qu’il a prononcé un discours réprobateur. À un moment l’an dernier, il était simultanément visé par 94 poursuites distinctes, tentative claire des autorités de le harceler et de l’intimider afin qu’il se taise.

Un groupe de 67 personnes ayant pris part à un rassemblement pacifique afin d’exprimer leur solidarité avec cet homme en avril 2013, en répétant son discours, ont été arrêtées lorsque les forces de sécurité ont dispersé la manifestation. Elles ont plus tard été inculpées d’« outrage à l’émir ».

Le droit koweïtien va même jusqu’à ériger en infraction l’utilisation de moyens spécifiques pour communiquer des messages « injurieux ». Une nouvelle loi sur la cyberdélinquance, devant entrer en vigueur début 2016, pourrait donner aux autorités de nouvelles possibilités de poursuivre les personnes qui expriment pacifiquement des opinions critiques en ligne. Amnesty International exhorte le gouvernement à réexaminer cette loi de toute urgence et de reporter son application.

Mercredi 9 décembre, le compte Twitter du ministère de l’Intérieur a rappelé aux utilisateurs de Twitter au Koweït qu’ils étaient tenus de respecter les « bonnes mœurs et les lois du pays », ajoutant qu’il n’y aurait aucun laxisme dans l’application de la loi contre « tout ce qui est préjudiciable au pays ».

Parmi toutes les personnes emprisonnées pour avoir enfreint ces lois figure Abdallah Fairouz, un défenseur des droits humains et militant politique, qui a été condamné à cinq ans de prison en raison de tweets qu’il a publiés en ligne il y a plus de deux ans, et qui affirmaient que nul ne devrait bénéficier d’une immunité de poursuites au seul motif qu’il réside dans un palais royal.

Rana al Saadoun a été condamnée à trois ans de prison en juin 2015 pour avoir mis un discours de Musallam al Barrak en ligne sur YouTube. Elle a fait appel.

Lors de l’examen du bilan du Koweït en matière de droits humains au Conseil des droits de l’homme des Nations unies en juin 2015, le gouvernement koweïtien a promis d’accepter neuf recommandations spécifiques l’engageant à respecter des normes internationales en relation avec la liberté d’expression. Rien n’indique jusqu’à présent que ces engagements ont été tenus.

« Au lieu d’arrêter les opposants comme s’ils étaient des criminels, les autorités koweïtiennes doivent prouver que leur engagement en faveur des droits humains est sérieux, en libérant de toute urgence l’ensemble des prisonniers d’opinion, en abrogeant ou en révisant des lois utilisées pour réprimer la liberté d’expression et en honorant les obligations qui leur incombent en vertu du droit international relatif aux droits humains », a déclaré James Lynch.

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