La répression vise les opposants pacifiques

Les autorités bahreïnites doivent mettre fin à la répression accrue visant les détracteurs et opposants pacifiques, a déclaré Amnesty International le 1er septembre 2016. Elle lance cet appel alors que de nombreux manifestants et au moins 60 religieux chiites ont été convoqués et arrêtés en lien avec un sit-in qui a débuté au mois de juin dans le village de Diraz, dans le nord-ouest de Bahreïn. Quatre dignitaires religieux ont été condamnés à des peines de prison comprises entre un et deux ans en lien avec ce sit-in, tandis que neuf autres sont toujours détenus dans l’attente d’être jugés. En outre, plusieurs défenseurs des droits humains se sont vus refuser l’autorisation de se rendre à l’étranger pour des activités de sensibilisation aux droits humains.

Depuis plus de deux mois, des centaines de personnes prennent part chaque jour à un sit-in permanent à Diraz, devant le domicile du chef spirituel chiite Sheikh Isa Qassem pour protester contre le fait que les autorités l’ont déchu de sa nationalité le 20 juin. En effet, le ministère de l’Intérieur l’a déchu de manière arbitraire de la nationalité bahreïnite, le rendant de ce fait apatride, puisqu’il n’a pas d’autre nationalité.

En réaction aux manifestations à Diraz, le ministère de l’Intérieur a averti qu’une « action en justice serait intentée contre les contrevenants » et a fermé toutes les voies d’accès à Diraz, à l’exception de deux routes où des postes de contrôle ont été établis. Toutes les personnes qui n’ont pas de papiers d’identité prouvant qu’elles habitent à Diraz se voient interdire l’accès au village, y compris celles qui souhaitent simplement rendre visite à leur famille et n’ont pas l’intention de partitipcer au sit-in. Les habitants de Diraz ont déclaré à Amnesty International que depuis le 20 juin, la connexion Internet est bloquée chaque jour entre 19 heures et 1 heure du matin, moment où la plupart des personnes se joignent aux manifestations. Le ministère de l’Intérieur a réitéré ses avertissements concernant l’action à Diraz, insistant surle faitque toute personne qui reprend en ligne des appels à manifester « diffuse de fausses informations et incite potentiellement aux troubles ».

De nombreux manifestants et au moins 60 religieux chiites ont été convoqués pour interrogatoire au sujet de ces manifestations, parfois à plusieurs reprises. Cette stratégie des autorités bahreïnites vise semble-t-il à intimider les opposants pacifiques. La majorité des 60 religieux chiites sont inculpés de « rassemblement illégal » ou de participation au sit-in de Diraz, et d’autres d’« incitation à la haine envers le régime ». Au moins 13 d’entre eux, dont neuf sont actuellement en procès, sont maintenus en détention et la plupart ont déclaré être privés du droit d’être assistés d’un avocat durant leurs interrogatoires par la police. Parmi ces 13 dignitaires, trois ont été condamnés le 18, le 30 et le 31 août respectivement, à un an de prison chacun pour « rassemblement illégal ». Il s’agit de Sheikh Ali Humaidan, Sayed Ahmad al Mousawi et Sheikh Aziz al Khadran. Le 31 août, Sheikh Majid al Mishaal, président du Bahrain Shi’a Clerical Council, a été condamné à deux ans de prison pour « rassemblement illégal » et « incitation à désobéir aux ordres de la police » durant le sit-in de Diraz. Il doit également être jugé pour un autre chef d’inculpation, « incitation à la haine envers le régime ».

Parmi les 60 religieux, beaucoup avaient signé une déclaration, publiée le 19 juillet et signée par 217 dignitaires chiites, pour demander que les autorités cessent de les prendre pour cibles en raison de leur « identité », de leurs « croyances » et de leurs « rituels ». Le 16 août, cinq experts de l’ONU ont qualifié les arrestations et les mesures prises contre les dignitaires chiites et les défenseurs des droits humains, ainsi que les révocations de nationalité, de « harcèlement systématique de la population chiite par les autorités ».

Sheikh Maytham al Salman, dignitaire religieux et défenseur des droits humains, a été arrêté le 14 août et interrogé notamment sur son travail en faveur des droits humains et sur les manifestations à Diraz. Il a été inculpé de « rassemblement illégal » et relâché le lendemain. Durant son interrogatoire, il aurait été privé du droit d’être assisté d’un avocat, privé de sommeil pendant 26 heures et contraint d’enlever son turban. On ignore si cette affaire ira jusqu’au tribunal. Sheikh Maytham al Salman attend son nouveau passeport depuis janvier 2016 et, depuis lors, il n’a pas le droit de voyager. On ne lui a fourni aucun motif pour cette longue attente, alors qu’il a déposé au moins neuf requêtes pour savoir où en était sa demande de passeport. Amnesty International a également écrit au ministère de l’Intérieur en mars 2016 concernant cette affaire, sans recevoir de réponse.

Taha al Derazi, neurochirurgien et membre de l’ONG Bahrain Human Rights Monitor, a été convoqué le 14 août, avec Sheikh Maytham al Salman et 11 autres hommes, dont plusieurs dignitaires religieux, et cinq femmes. Il a été inculpé de « rassemblement illégal » et relâché le 24 août, dans l’attente de son procès. Son procès a démarré, la prochaine audience étant fixée au 6 septembre. Le 10 juin, Taha al Derazi et son épouse n’ont pas pu quitter Bahreïn pour se rendre à l’étranger, alors qu’aucune interdiction officielle de voyager ne leur avait été signifiée.

Khalil al Marzooq, secrétaire général adjoint de la principale formation d’opposition à Bahreïn, la Société islamique nationale Al Wefaq, a été convoqué le 7 août en compagnie de 13 personnes, dont huit dignitaires religieux, et accusé d’avoir participé au sit-in à Diraz, ce qu’il a nié. Il a été libéré le même jour, après avoir signé un document dans lequel il renonçait à participer à des rassemblements.

Le 17 juillet, Sheikh Isa Qassem, chef spirituel d’Al Wefaq, a été inculpé, ainsi que deux employés de son bureau, de « blanchiment d’argent » et d’avoir « reçu des fonds sans autorisation ». Il a en effet reçu des khums, une obligation religieuse pour les musulmans chiites de verser un cinquième de leurs revenus annuels à leur chef spirituel ou à son représentant, qui reçoit l’argent et le redistribue aux pauvres – pratique en vigueur depuis des siècles au sein de la communauté chiite à Bahreïn. Son procès s’est ouvert devant la Haute Cour criminelle à Manama le 26 juillet, et la prochaine audience est fixée au 15 septembre. Sheikh Isa Qassem n’a pas désigné d’avocat et ne s’est pas présenté au tribunal.

Deux jours après l’inculpation d’Isa Qassem, Al Wefaq a été dissout, signe d’un durcissement sans précédent de la répression à l’égard du mouvement. Une cour d’appel a ordonné la dissolution et la saisie de tous ses avoirs, à la suite d’une action intentée par le ministère de la Justice. Les autorités bahreïnites n’ont pas présenté de preuves crédibles démontrant qu’Al Wefaq est autre chose qu’un mouvement d’opposition pacifique, et Amnesty International considère que sa dissolution constitue une violation du droit à la liberté d’expression et d’association de ses membres.

Par ailleurs, la répression s’est intensifiée à l’égard des défenseurs des droits humains et de la société civile en général depuis juin 2016. En effet, depuis le mois de juin, 24 personnes, dont des défenseurs des droits humains, d’anciens prisonniers d’opinion, un avocat et un journaliste, ont été frappées d’interdictions de voyager ou empêchées de se rendre à l’étranger pour participer à des rencontres de sensibilisation aux droits humains ou pour partir en vacances avec leurs familles. Dans le cadre de mesures similaires à celles imposées à cinq militants dans les jours précédant la session du Conseil des droits de l’homme à Genève au mois de juin, Nedal al Salman, défenseure des droits humains, a été arrêtée le 29 août à l’aéroport international de Bahreïn et n’a pas été autorisée à décoller pour se rendre à Genève et participer à des réunions de sensibilisation à l’approche de la session du Conseil des droits de l’homme en septembre. L’agent qui l’a arrêtée à l’aéroport l’a informée qu’elle faisait l’objet d’une interdiction de voyager ordonnée par le ministère public.

Nabeel Rajab, défenseur des droits humains et président du Centre bahreïnite des droits humains, a été arrêté le 13 juin et est actuellement détenu dans l’attente d’être jugé pour avoir publié et repris des commentaires pacifiques sur Twitter, concernant des allégations de torture à la prison de Jaww en mars 2015 et la guerre au Yémen. Sa prochaine audience devant le tribunal est fixée au 5 septembre. Nabeel Rajab fait des allers-retours en prison depuis 2012 en raison de son travail en faveur des droits humains, et une interdiction de voyager a été prononcée à son encontre en novembre 2014. Amnesty International le considère comme un prisonnier d’opinion et demande sa libération immédiate et sans condition.

Ghada Jamsheer, militante qui défend les droits des femmes, a été arrêtée à l’aéroport international de Bahreïn le 15 août, après être rentrée chez elle à Bahreïn, et placée en détention. On ignore pourquoi elle a été interpellée, mais sa détention serait liée à des commentaires pacifiques qu’elle a postés sur Twitter en 2014, au sujet de la corruption présumée qui règne à l’hôpital universitaire du roi Hamad. En juin 2016, une cour d’appel a confirmé sa condamnation à un an de prison, prononcée lorsqu’elle avait été reconnue coupable de quatre chefs d’inculpation en lien avec ces commentaires sur Twitter. Que la détention de Ghada Jamsheer soit liée à cette peine de prison ou à d’autres charges en lien avec l’exercice pacifique de son droit à la liberté d’expression, Amnesty International la considère comme une prisonnière d’opinion.

Ces derniers mois, les autorités bahreïnites ont également renforcé d’autres mesures répressives visant à réduire au silence les détracteurs et les opposants. Ainsi, des dirigeants de partis d’opposition sont emprisonnés ou jugés pour avoir exercé sans violence leur droit à la liberté d’expression. Le 30 mai, la Cour d’appel de Manama a plus que doublé la peine prononcée contre Sheikh Ali Salman, secrétaire général d’Al Wefaq, qui purgeait une peine de quatre ans pour des propos pacifiques tenus en 2012 et 2014. Elle a augmenté la durée de sa peine à neuf ans, annulant ainsi son acquittement pour les accusations d’« incitation à promouvoir la réforme du système politique par la force, la menace ou d’autres moyens illégaux ». Ebrahim Sharif, ancien prisonnier d’opinion et ancien secrétaire général de la Société nationale pour l’action démocratique (Waad), a été incarcéré en juillet 2015 et condamné à un an de prison en raison d’un discours pacifique prononcé un mois auparavant. Il avait été libéré récemment après avoir purgé quatre ans d’une peine de cinq ans pour avoir mené des manifestations durant le soulèvement de 2011. Il a été libéré en juillet 2016, mais encourt une nouvelle peine de prison, le ministère public ayant fait appel de sa condamnation à un an de prison et de son acquittement pour l’accusation d’« incitation à renverser le régime en employant la force et des moyens illégaux ». La prochaine audience devant la cour d’appel est prévue le 13 octobre. Un autre dirigeant d’un parti d’opposition, Fadhel Abbas Mahdi Mohamed, du Rassemblement unitaire national démocratique (al Wahdawi), est toujours derrière les barreaux, condamné en juin 2015 à cinq ans d’emprisonnement pour une déclaration faite par son parti, qui dénonçait les frappes aériennes menées au Yémen sous la direction de l’Arabie saoudite en violation du droit international. Amnesty International considère Ali Salman et Fadhel Abbas Mahdi Mohamed comme des prisonniers d’opinion, incarcérés uniquement pour avoir exprimé sans violence leurs opinions, et demande une nouvelle fois leur libération immédiate et sans condition.

Au moins 316 personnes, dont des défenseurs des droits humains et d’anciens députés, ont été déchus de manière arbitraire de leur nationalité à Bahreïn depuis 2012, pour des accusations liées au terrorisme ou à la sécurité, formulées en termes vagues. La plupart de ces 316 personnes sont devenues apatrides, car elles n’ont pas d’autre nationalité. Au moins six d’entre elles ont été expulsées de force du pays depuis 2014, dont deux dignitaires chiites et un avocat défenseur des droits humains. Retirer leur nationalité à des citoyens, sans les garanties adéquates d’une procédure légale, est arbitraire et bafoue les obligations internationales de Bahreïn en termes de droits humains. Le droit à la nationalité, dont nul ne peut être privé arbitrairement, est garanti par l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel Bahreïn est partie. L’article 7 de la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie interdit également, sauf rares exceptions très encadrées, toute perte de la nationalité si cela engendre un état d’apatridie, et cette obligation d’éviter l’apatridie fait désormais partie intégrante du droit international coutumier.

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