Communiqué de presse

Les principaux défis relatifs aux droits humains auxquels doit faire face le Turkménistan

DIFFICULTES D’ACCES AU PAYS ET CENTRES DE DETENTION

Le Turkménistan impose des limites très strictes à la surveillance internationale en matière de droits humains. Les autorités ont rejeté toutes les demandes émanant d’organisations non gouvernementales (ONG) internationales de défense des droits humains désireuses de se rendre dans le pays. Les multiples demandes d’Amnesty International en ce sens sont restées sans réponse. Le seul rapporteur spécial des Nations unies à s’être rendu au Turkménistan à ce jour est le rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction, en septembre 2008. Bien d’autres procédures spéciales des Nations unies ont demandé l’autorisation de s’y rendre, mais sans succès. Les journalistes étrangers se voient fréquemment interdire l’entrée au Turkménistan.

Les autorités continuent de refuser au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) l’accès aux prisons et aux centres de détention. Amnesty International est préoccupée par le fait que les conditions carcérales au Turkménistan sont loin d’être conformes aux normes internationales et s’apparentent à un traitement cruel, inhumain et dégradant. Surpopulation, insalubrité et mauvaise alimentation seraient généralisées et favoriseraient la propagation de maladies. Selon certaines informations, le seul moyen de satisfaire ses besoins les plus élémentaires, y compris en termes de nourriture et de médicaments, consiste à verser des pots-de-vin.

DISPARITIONS FORCEES ET DETENTIONS AU SECRET

Amnesty International demeure préoccupée par les disparitions forcées de dizaines de personnes déclarées coupables en 2002 et 2003 au terme de procès iniques. Au moins 59 personnes ont été condamnées dans le cadre de procès inéquitables entre décembre 2002 et janvier 2003, notamment Boris Chikhmouradov, ancien ministre des Affaires étrangères du Turkménistan, son frère Konstantin Chikhmouradov et Batyr Berdiev, ancien représentant du Turkménistan auprès de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Ces personnes ont été condamnées à des peines allant de cinq ans d’emprisonnement à la détention à perpétuité et beaucoup ont été désignées comme « ennemis du peuple ». Selon des informations crédibles, beaucoup ont été torturées par des agents des forces de l’ordre lors de leur détention provisoire.

L’ancien dissident politique Goulgueldi Annaniazov est toujours maintenu en détention au secret et le gouvernement refuse de dévoiler où il est retenu et quel est son état de santé. Goulgueldi Annaniazov avait quitté le Turkménistan en 1999 et s’était installé en Norvège, où il avait obtenu le statut de réfugié. Il est revenu dans son pays en juin 2008 et a été arrêté le 24 juin. Reconnu coupable d’avoir traversé la frontière turkmène sans documents de voyage valides et probablement d’autres infractions inconnues, il a été condamné à 11 ans d’emprisonnement lors d’un procès à huis clos le 7 octobre 2008. Cependant, la loi turkmène ne prescrit pas une peine de 11 ans de prison pour la seule utilisation de documents de voyage non valides.

D’après des sources non gouvernementales, la plupart des détenus sont incarcérés dans la prison d’Ovadan-Depe, près de la capitale Achgabat, connue pour ses conditions de détention particulièrement pénibles. Depuis le moment de leur arrestation, les détenus sont privés de tout contact avec leur famille ou des organismes indépendants, y compris avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Les proches de plusieurs détenus ont demandé à maintes reprises l’autorisation de leur faire parvenir des colis et des lettres au moins une fois par an et de leur rendre visite. Ils ont également demandé à connaître l’identité des prisonniers morts en détention. Ces personnes n’ont pas reçu de réponse écrite, mais des représentants du gouvernement les auraient informées du rejet de leurs requêtes.

Dans une lettre adressée au secrétaire général des Nations unies le 29 avril 2004, le Représentant permanent du Turkménistan auprès de l’ONU a fait part de ses réactions aux préoccupations concernant la détention au secret des personnes incarcérées en relation avec les événements de novembre 2002 et l’absence de contact avec le CICR – inquiétudes soulevées par la Commission des droits de l’homme de l’ONU dans sa résolution adoptée en 2004 sur les droits humains au Turkménistan. Le représentant indiquait que « conformément à la loi et au verdict de la cour, tout contact avec des terroristes condamnés [est] interdit pour une durée de cinq ans ». Bien que cette période ait désormais expiré, puisque les condamnations remontent à décembre 2002 et janvier 2003, les prisonniers continuent d’être détenus au secret.

Selon des informations crédibles parvenues à Amnesty International, certains de ces prisonniers sont morts en détention. Ils seraient morts des suites de torture ou d’autres formes de mauvais traitements, de la sévérité des conditions de détention et de l’absence de soins médicaux adaptés. À ce jour, les autorités n’ont dévoilé aucune information à ce sujet.

TORTURE ET MAUVAIS TRAITEMENTS

Les rares militants de la société civile encore présents au Turkménistan affirment que la torture et les mauvais traitements sont courants dans les affaires de droit commun. Dans la plupart des cas, les détenus seraient soumis à des actes de torture ou à d’autres formes de mauvais traitements peu après leur arrestation, mais aussi lors de leur détention provisoire ou dans les prisons. Les auteurs de ces agissements sont notamment les policiers, les agents du ministère de la Sûreté nationale et le personnel pénitentiaire. Amnesty International a reçu des informations concernant des allégations de torture et de mauvais traitements émanant de diverses régions du Turkménistan.

Il semble que la torture soit utilisée pour arracher des « aveux » et autres informations à charge, et pour intimider les détenus. Parmi les méthodes de torture et autres mauvais traitements signalés à Amnesty International figurent l’administration de décharges électriques, l’asphyxie provoquée par un sac plastique ou par l’application d’un masque à gaz duquel l’arrivée d’air est coupée, le viol, l’administration forcée de psychotropes, les coups infligés à l’aide de bâtons, de matraques ou de bouteilles en plastique emplies d’eau, les coups de poing, les coups de pied, la privation d’eau et de nourriture et l’exposition au froid extrême.

L’impunité pour de tels agissements reste la norme au Turkménistan, les plaintes déposées par les victimes étant rarement suivies d’effet. D’après une source non gouvernementale au Turkménistan, seules les personnes ayant « des amis ou des proches influents » voient leurs plaintes faire l’objet d’investigations.

Aucune enquête indépendante et efficace ne semble avoir été menée sur la mort en détention en 2006 d’Ogoulsapar Mouradova, journaliste de Radio Free Europe/ Radio Liberty et ancienne membre de l’ONG Fondation Helsinki du Turkménistan. Selon certaines allégations, elle est morte des suites de torture après avoir été condamnée lors du même procès que les prisonniers d’opinion Annakourban Amanklytchev et Sapardourdy Khadjiev, qui auraient également été torturés en vue de leur extorquer des « aveux ».

LIBERTE D’OPINION ET D’EXPRESSION, LIBERTE DE REUNION ET D’ASSOCIATION

Les partis politiques indépendants n’existent pas au Turkménistan et les militants indépendants de la société civile ne peuvent pas mener leurs activités ouvertement. De nombreux opposants politiques ont été contraints à l’exil. Ceux qui sont restés dans le pays sont souvent assignés à résidence, soumis à des détentions arbitraires, à des peines de prison au terme de procès iniques et à des actes de torture et des mauvais traitements. L’adoption le 11 janvier 2012 du texte qui légalise officiellement la formation de partis politiques est une mesure positive, mais les défenseurs turkmènes des droits humains comme les opposants politiques qui vivent en exil ont exprimé des doutes quant à l’application de ce nouveau texte de loi.

Depuis de nombreuses années, les autorités surveilleraient étroitement les canaux de communication tels que les lignes téléphoniques et Internet, en partie pour empêcher toute information relative aux violations des droits humains de parvenir aux organisations internationales de défense des droits humains et aux médias internationaux.

Les critiques dans les médias sont très rarement tolérées. L’autocensure est généralisée. Les journalistes travaillant avec des médias étrangers connus pour leurs articles critiques envers le régime font fréquemment l’objet de mesures de harcèlement et d’intimidation. Les militants indépendants de la société civile ne peuvent pas mener leurs activités librement, et certains sont contraints à l’exil. Les craintes pour la sécurité des dissidents se sont encore intensifiées lorsque le président Gourbangouly Berdymoukhammedov a demandé en septembre 2010 au ministère de la Sûreté nationale de lutter contre ceux qui « diffament notre État séculaire, démocratique et fondé sur le respect des lois et tentent de briser l’unité et la solidarité de notre société », propos repris sur le site officiel du gouvernement.

Amnesty International continue de réclamer la libération des prisonniers d’opinion Annakourban Amanklytchev et Sapardourdy Khadjiev, condamnés en 2006 à sept ans d’emprisonnement pour « acquisition, possession ou vente illégales de munitions ou d’armes à feu ». En août 2010, le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a conclu qu’ils avaient été détenus de manière arbitraire et condamnés à l’issue de procès iniques pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression et d’association, et pour leurs activités en faveur des droits humains.

En septembre 2010, la chaîne de télévision par satellite K+, qui émet en Asie centrale, a diffusé une interview de Farid Toukhbatoulline, directeur en exil d’Initiative turkmène pour les droits humains. Cette chaîne fournit à la population turkmène une occasion rare d’être informée par une source non gouvernementale de la situation des droits humains dans le pays. Peu après, le site d’Initiative turkmène pour les droits humains a été la cible de hackers non identifiés et rendu inaccessible, jusqu’à ce que l’association transfère son site d’un hébergeur de Moscou vers un autre basé à l’étranger. En octobre 2010, Farid Toukhbatoulline a été informé, de source digne de foi, que des responsables du ministère de la Sûreté nationale avaient envisagé de « se débarrasser discrètement » de lui, sans laisser de traces.

Amnesty International est préoccupée par des actes de représailles qui se sont déroulés en 2011. Amangelen Chapoudakov, militant des droits humains âgé de 80 ans, a été arrêté le 7 mars 2011 et interné pendant 40 jours dans un hôpital psychiatrique, après avoir réalisé un entretien avec Radio Azatlyq, le service turkmène de Radio Free Europe/ Radio Liberty, dans lequel il accusait un membre du gouvernement local de corruption.

Le site d’information indépendant basé à l’étranger Chronicles of Turkmenistan a été piraté et rendu inaccessible le 18 juillet 2011, quelques jours après avoir publié des informations sur une explosion dans un dépôt d’armes près d’Achgabat. Les pirates auraient publié les données personnelles des utilisateurs en ligne du site, leur faisant courir le risque d’être harcelés et persécutés par les autorités. La mère du rédacteur a signalé qu’elle avait alors été placée sous surveillance, et que des représentants locaux du gouvernement lui avaient rendu visite et lui avaient posé des questions intimidantes.

Le 5 octobre 2011, le journaliste Dovletmyrat Iazgouliev, correspondant du service turkmène de Radio Free Europe/ Radio Liberty, a été condamné au titre de l’article 106.2 du Cod pénal du Turkménistan à une peine de cinq ans d’emprisonnement pour avoir incité un proche à se suicider. D’aucuns craignent qu’il n’ait été en fait arrêté en vue de l’intimider parce qu’il avait couvert les explosions survenues dans un entrepôt de munitions dans la ville d’Abadan en juillet 2011. Plus tard, il a été averti par des policiers locaux que son reportage pourrait avoir des répercussions. Les proches de Dovletmyrat Iazgouliev ont signalé que des policiers les avaient contraints à signer des déclarations l’incriminant et que leurs tentatives de revenir par la suite sur ces déclarations avaient été ignorées durant le procès. Dovletmyrat Iazgouliev a été libéré à la faveur d’une grâce présidentielle le 26 octobre 2011.

LIBERTE DE MOUVEMENT

Les autorités du Turkménistan limitent fortement la liberté de mouvement. Un décret présidentiel entré en vigueur en août 2010 interdit la sortie du pays et l’entrée dans le pays de milliers de personnes nommément citées. Najot, une organisation ouzbèke de défense des droits humains opérant près de la frontière avec le Turkménistan, s’est procurée une liste détaillée des personnes auxquelles l’entrée au Turkménistan est interdite, sur laquelle figuraient d’éminents défenseurs des droits humains comme Farid Toukhbatoulline et Vitaly Ponomarev, ainsi que 73 journalistes étrangers.

Au total, le nouveau décret interdit explicitement à 37 057 personnes de quitter le Turkménistan. Il donne également pour instruction d’empêcher l’entrée dans le pays d’un certain nombre d’organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International, Open Society Foundation et Memorial, ainsi que de plus de 8 000 personnes nommément citées, de diverses nationalités.

Dans de nombreux cas, les dissidents, les membres de certaines minorités religieuses et leurs proches ne sont pas autorisés à se rendre à l’étranger sur la base de « listes rouges » que les agences gouvernementales détiendraient. Les restrictions imposées au droit de quitter le pays servent à sanctionner les militants pour leurs activités.

Ancien directeur de l’association Turkmen Atlary (Chevaux turkmènes), gérée par l’État, Geldy Kiarizov a été condamné à six ans de prison en avril 2002 à l’issue d’un procès inique pour abus de pouvoir et négligence. Il aurait été inculpé de ces charges car il était tombé en disgrâce auprès de l’ancien président turkmène et a, par conséquent, été victime d’une vague de répression menée contre des fonctionnaires. Des dizaines d’entre eux ont ainsi été incarcérés. Geldy Kiarizov faisait partie des détenus graciés par le président en octobre 2007 et libérés de prison. Amnesty International a reçu des informations fiables indiquant que Geldy Kiarizov souffre actuellement d’une grave pathologie cardiaque, d’une maladie du foie et d’hypertension ; il a besoin de soins spécialisés de toute urgence. L’organisation craint que sa vie ne soit en danger s’il ne les obtient pas rapidement. Selon certaines sources, il ne pourrait pas recevoir ce traitement au Turkménistan. Or, il semble que Geldy Kiarizov et sa famille figurent sur une « liste rouge » et ne puissent donc pas sortir du pays. Amnesty International a demandé au gouvernement du Turkménistan de lever l’interdiction de voyager qui bafoue le droit à la santé de cet homme, ainsi que son droit, et celui de sa famille, à la liberté de mouvement, et de leur permettre de quitter le Turkménistan.

Le 15 novembre 2009, Ovez Annaïev est mort à l’âge de 46 ans. Il n’avait pas obtenu l’autorisation de se rendre à Moscou pour y suivre un traitement contre les problèmes cardiaques dont il souffrait, alors qu’il lui était impossible de bénéficier de ces soins au Turkménistan. Comme d’autres membres de sa famille, il était sous le coup d’une interdiction de quitter le pays depuis que son beau-frère, Koudaïberdy Orazov, dirigeant en exil du mouvement d’opposition Vatan (Patrie), avait été condamné par contumace à la détention à perpétuité pour son implication présumée dans l’attentat de novembre 2002 contre l’ancien président turkmène Saparmourad Niazov.

Près de 1 600 étudiants turkmènes faisant leurs études dans des universités au Tadjikistan, qui étaient revenus au Turkménistan pour les vacances, se sont vus interdire de repartir pour reprendre leurs études le 1er août 2011. En octobre, l’interdiction a été levée, mais certains d’entre eux n’ont pas pu rejoindre leurs universités. Le ministère de l’immigration n’a donné aucune explication.

Le système d’enregistrement du lieu de résidence, connu sous le nom de « propiska », restreint la liberté de mouvement dans le pays et a des répercussions sur l’accès au logement, à l’emploi, aux aides sociales, au système de santé et à l’éducation. Les policiers et les membres des services de sécurité brandissent la menace du retrait de la « propiska » afin de dissuader les personnes qui voudraient porter plainte pour les mauvais traitements qu’elles estiment avoir subis.

LIBERTE DE RELIGION ET DE CROYANCE

Les activités religieuses au Turkménistan sont étroitement contrôlées. Dans son rapport remis en janvier 2010 au Comité des droits de l’homme des Nations unies, le pays indiquait : « Les activités des organisations religieuses non enregistrées sont illégales ». De nombreuses minorités religieuses ne parviennent pas à se faire enregistrer auprès des autorités, souvent sans la moindre explication. Non reconnues, elles sont d’autant plus exposées aux descentes de police et autres actes de harcèlement des pouvoirs publics.

Au Turkménistan, il n’existe pas d’alternative civile au service militaire pour objection de conscience. Refuser de servir dans les forces armées pour cette raison constitue donc une infraction pénale. On sait qu’au moins six témoins de Jéhovah purgent des peines de prison pour avoir refusé de faire leur service militaire.

Ilmourad Nourliev, pasteur protestant, a été condamné à quatre années d’emprisonnement pour escroquerie. Pour ses partisans, il aurait en réalité été pris pour cible en raison de ses activités religieuses et les éléments produits à charge contre lui auraient été forgés de toutes pièces. Le tribunal qui l’a condamné aurait ordonné qu’il soit soumis à un traitement forcé de désintoxication censé le guérir d’une supposée addiction à des stupéfiants, que démentait son entourage. Selon certaines informations, Ilmourad Nourliev n’a pas reçu de médicaments pour son diabète depuis qu’il a été incarcéré en août 2010. En décembre 2010, il a été transféré dans un camp de travail près de la ville de Seïdi, dans la région de Lebap, dans l’est du pays.

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