Communiqué de presse

Libye. Le procès par vidéoconférence d’anciens hauts responsables du régime Kadhafi tournerait la justice en dérision

Le procès d’anciens hauts responsables libyens, parmi lesquels Saif al Islam Kadhafi, risque de tourner à la mascarade après que le tribunal a ordonné lundi 14 avril que cet homme et six autres accusés soient jugés par vidéoconférence, a déclaré Amnesty International.

Le 23 mars, veille de l’audience la plus récente dans cette affaire, deux modifications ont été apportées au Code libyen de procédure pénale afin de permettre que les audiences puissent se dérouler par vidéoconférence.

Ces procès par vidéoconférence enfreindront le droit des sept accusés à un procès équitable. L’impact sur le cas de Saif al Islam Kadhafi inspire des craintes particulières car il est maintenu en détention dans un lieu secret, à Zintan, par une milice qui a refusé à de nombreuses reprises de le remettre aux autorités nationales à Tripoli. Les six autres accusés sont incarcérés à Misratah dans des prisons placées sous le contrôle des ministères de la Justice et de la Défense.

« Permettre à Saif al Islam Kadhafi de comparaître par vidéoconférence porte gravement atteinte à son droit à un procès équitable. Il n’est pas incarcéré sous la responsabilité de l’État, et les changements apportés au Code de procédure pénale et la décision prise par le tribunal le 14 avril n’ont pas d’autre but que de donner l’apparence de la légalité au bras de fer opposant les milices et les autorités centrales. La conclusion est que Saif al Islam Kadhafi, comme des centaines d’autres détenus, se trouve toujours dans un lieu de détention non officiel », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

Saif al Islam Kadhafi est actuellement jugé en Libye, de même que 36 autres anciens hauts responsables libyens, dont Abdallah al Senoussi, l’ancien chef des services du renseignement militaire. Ils doivent répondre d’une série d’accusations en rapport avec les crimes commis pendant le soulèvement et le conflit armé de 2011. Saif ul Islam Kadhafi est par ailleurs recherché par la Cour pénale internationale (CPI) pour des meurtres et des persécutions constituant des crimes contre l’humanité.

« Comment les autorités libyennes peuvent-elles affirmer que Saif al Islam Kadhafi bénéficiera d’un procès équitable alors qu’elles ne peuvent même pas faire en sorte qu’il soit présent physiquement afin de répondre d’accusations d’une extrême gravité, par ailleurs susceptibles de lui valoir une condamnation à mort ? La décision du tribunal ne fait que renforcer la conviction qu’il doit être remis à la Cour pénale internationale, conformément à l’arrêt rendu il y a près d’un an », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

Saif al Islam Kadhafi est maintenu en détention dans un lieu secret où il est privé de contacts réguliers avec le monde extérieur. Une comparution par vidéo bafouerait son droit d’assister à son propre procès. Elle ne donnerait en outre dans le meilleur des cas qu’un tout petit aperçu de ses conditions de détention et ne serait pas représentative du traitement qui lui est généralement réservé en détention ni durant un éventuel transfert. Un procès se déroulant dans ces circonstances pourrait par ailleurs entraver ses échanges avec son avocat et compromettre sa capacité à préparer et présenter une véritable défense.

Le procès a été renvoyé au 27 avril, de sorte à laisser suffisamment de temps à la mise en place du dispositif technique requis.

« Les autorités semblent avoir modifié la loi afin de permettre ces comparutions par vidéo pour la simple raison qu’elles sont incapables d’obtenir que Saif al Islam Kadhafi leur soit remis. Cela illustre l’absence de contrôle de l’État en ce qui le concerne », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

Dans certaines circonstances, notamment selon les règles de procédure en vigueur à la CPI, plusieurs phases d’un procès peuvent se dérouler par vidéoconférence. Si cela doit rester exceptionnel, ces dispositions peuvent être appliquées pour des raisons de sécurité par exemple, à la demande de l’accusé, ou lorsque l’accusé a agi de telle sorte qu’il est impossible de poursuivre le procès en sa présence. Cependant, si l’accusé n’est pas détenu dans un lieu officiel et si le tribunal ne peut exercer son autorité sur lui, sa présence par vidéoconférence ne fournit que l’illusion de la légalité.

Le parquet général a affirmé que Saif al Islam Kadhafi ne pouvait pas être transféré de Zintan à Tripoli pour des raisons de sécurité, et qu’il refusait d’être conduit à Tripoli car il craint pour sa vie. Amnesty International pense cependant que cet argument ne sera pas recevable tant que Saif al Islam Kadhafi se trouvera en détention aux mains de miliciens, dans une situation où des contraintes peuvent être exercées sur lui.

Le fait de ne pas amener les six autres accusés de Misratah au tribunal à Tripoli affectera également de manière inutile leur droit à un procès équitable.

Amnesty International a conscience des nombreuses difficultés auxquelles les autorités libyennes sont confrontées sur le plan de la sécurité en cette période d’après-conflit. L’organisation a fait part de sa préoccupation face aux attaques et enlèvements dont des détenus ont été victimes durant leur transfert. Cependant, si la police judiciaire reste faible, les autorités doivent se concentrer sur la reconstruction des institutions et l’amélioration de la sécurité.

« Au lieu de changer la loi pour l’adapter aux difficultés actuelles en termes de sécurité et de politique, les autorités libyennes doivent essayer d’accélérer le processus qui leur permettra de prendre le contrôle des centres de détention actuellement dirigés par les milices », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

Des procès équitables sont essentiels à la lutte contre l’impunité et à l’obtention de la justice et de la vérité pour les victimes des violations des droits humains et des crimes de droit international perpétrés pendant le conflit.

« Il est difficile d’imaginer comment un procès équitable peut se tenir dans un climat où les témoins ont peur de témoigner, les avocats ont peur de plaider, les procureurs et les juges sont menacés, les procès se déroulent en prison ou par vidéoconférence pour de prétendues raisons de sécurité, et où l’État est incapable de récupérer des détenus auprès des milices », a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui.

Amnesty International a par ailleurs de profonds doutes quant au respect du droit à un procès équitable de l’ensemble des autres accusés dans cette affaire. Des avocats ont indiqué à l’organisation qu’on ne leur avait pas donné suffisamment de temps pour examiner les éléments de preuve et préparer leur défense durant la phase précédant le procès. Certains ont fait état de manœuvres d’intimidation et de harcèlement. Les menaces sont monnaie courante en Libye depuis la fin du conflit de 2011, surtout dans les affaires sensibles.

Abdallah al Senoussi continue à être détenu sans bénéficier de l’aide d’un avocat. Sa famille n’a pas été en mesure de trouver d’avocat disposé à le représenter depuis son extradition hors de la Mauritanie en 2012. En vertu du droit libyen, le tribunal devra en désigner un pour le représenter afin que la procédure puisse avancer.

Complément d’information

Saif al Islam Kadhafi est le principal accusé parmi 37 anciens hauts responsables, dont Abdallah al Senoussi, ancien chef des services du renseignement militaire, al Baghdadi al Mahmoudi, ancien Premier ministre, Mansour Daw, ancien chef de la Garde révolutionnaire, et Abu Zeid Dorda, ancien chef de l’agence de la sécurité extérieure, entre autres.

Les nombreuses charges retenues contre eux sont principalement en rapport avec la responsabilité présumée de Saif al Islam Kadhafi et d’autres anciens hauts représentants de l’État au titre de leur position dans la chaîne de commandement, et avec les incitations ou ordres qui auraient mené aux crimes perpétrés pendant le conflit. Certaines de ces infractions sont passibles de la peine de mort. Seuls 23 des accusés ont été présentés lundi 14 avril devant le service des affaires criminelles de la cour d’appel de Tripoli, situé dans l’enceinte de l’institution des services pénitentiaires et de réinsertion d’al Hadba à Tripoli, une prison de haute sécurité dépendant du ministère de la Justice. S’attendant à un ajournement, la plupart des avocats n’ont pas assisté à l’audience.

Amnesty International a rencontré Saif al Islam Kadhafi en septembre 2013 au quartier général de la milice à Zintan, mais n’a pas pu lui parler en privé ni se rendre sur son lieu de détention. L’organisation reste préoccupée par son maintien prolongé à l’isolement et par les effets préjudiciables que celui-ci pourrait avoir sur sa santé, son bien-être et sa capacité à bénéficier d’un procès équitable. Les visites d’organisations indépendantes nationales et internationales à Saif al Islam Kadhafi, qui doivent être autorisées par le parquet général, restent extrêmement rares et sont très difficiles à organiser. Un suivi indépendant et régulier des lieux de détention est l’une des principales garanties contre la torture.

Des modifications contraires au droit à un procès équitable

Le 23 mars, le Congrès général national a modifié les articles 241 et 243 du Code de procédure pénale, qui portent sur le droit à des audiences publiques et sur la présence de l’accusé devant les organes judiciaires, deux principes fondamentaux de l’équité des procès aux termes du droit international relatif aux droits humains.

Dans la version modifiée de l’article 241, une audience est considérée publique tant qu’elle est retransmise au public par le biais de chaînes satellite, d’écrans et d’autres moyens de communication.

En vertu de la nouvelle version de l’article 243, la cour a la possibilité d’utiliser les moyens de communication modernes pour établir le lien entre l’accusé et la salle d’audiences lorsque l’on craint pour sa sécurité ou qu’il existe un risque d’évasion. Cette procédure peut également s’appliquer aux témoins, experts et procureurs. Elle permet de juger plus d’un accusé dans plus d’un tribunal.

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