Communiqué de presse

Maroc et Sahara occidental. De nouvelles révélations sur des disparitions de Sahraouis soulignent le manque de vérité et de justice

Des révélations publiées cette semaine par une équipe espagnole d’experts médicolégaux confirment la mort de huit Sahraouis, dont deux enfants, qui avaient disparu en 1976, et établissent des preuves inédites de leur exécution extrajudiciaire par les forces armées marocaines. Ces révélations soulignent combien il reste nécessaire de faire toute la lumière sur les centaines de cas de disparitions forcées survenues ces dernières décennies et de rendre justice aux victimes et à leurs familles.

L’équipe de spécialistes de l’université du Pays basque et de la Société de sciences Aranzadi a exhumé les corps des huit Sahraouis pour procéder à des examens médicolégaux, dont des tests ADN. Parallèlement, elle a enquêté sur les circonstances de leur mort et interrogé leurs proches et des témoins des faits survenus en 1976. Ces spécialistes avaient été contactés en avril 2013 par des familles sahraouies de victimes de disparitions forcées après la découverte par un berger de restes humains dans la zone de Fadret Leguiaa, près d’Amgala, au Sahara occidental. Cette zone se situe dans la partie de ce territoire contesté qui est sous contrôle du Front populaire pour la libération de la Saguia el Hamra et du Rio de Oro (Front Polisario), qui dirige un gouvernement en exil, autoproclamé, depuis les camps de Tindouf, en Algérie, à 400 kilomètres de là.

L’équipe a publié ses conclusions le 10 septembre 2013, indiquant que les huit Sahraouis (six adultes – Salma Daf Sidi Salec, Sidahmed Segri Yumani, Salama Mohamed Ali Sidahmed Elkarcha, Salma Mohamed Sidahmed, Mohamed Abdalahe Ramdan et Mohamed Mulud Mohamed Lamin – et deux enfants – Bachir Salma Daf et Sidi Salec Salma) avaient été arrêtés en février 1976 par une patrouille militaire marocaine et exécutés sur place par arme à feu, avant d’être enterrés dans deux tombes de faible profondeur creusées à même le sable et les cailloux.

L’Instance équité et réconciliation (IER), créée en 2004 par les autorités marocaines pour enquêter sur les disparitions forcées, entre autres violations, n’avait révélé aucune information sur ce qu’il était advenu de ces huit personnes. Cependant, quatre d’entre elles avaient fait l’objet de recherches menées par le Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH), organisme national de protection et de promotion des droits humains, dans le cadre de ses travaux de suivi des conclusions de l’IER. Celui-ci avait conclu que ces quatre personnes avaient été arrêtées par les forces armées marocaines près d’Amgala en 1976 (en février, juin et juillet) et emmenées à la caserne militaire de Smara – autre ville du Sahara occidental – où elles étaient ensuite décédées. Les quatre autres ne figuraient ni sur les listes de personnes disparues de l’IER, ni sur celles du CCDH.

La divergence entre les conclusions du CCDH et celles de l’équipe espagnole sur la mort de quatre des huit Sahraouis disparus sème le doute sur la fiabilité des conclusions publiées par le CCDH à propos d’autres cas de disparitions forcées, en particulier lorsque ni l’IER, ni le CCDH n’ont pu recueillir de témoignages des familles de disparus, réfugiées dans les camps de Tindouf.

Amnesty International demande que les éléments de preuve laissés par l’équipe de spécialistes espagnols soient préservés, qu’une enquête indépendante, impartiale et minutieuse soit menée sur la mort de ces huit Sahraouis, et que les responsables présumés soient traduits en justice. Compte tenu du lieu où se trouvent les ossements et de la défiance entre les autorités marocaines et celles du Polisario, l’organisation appelle les Nations unies à faire le nécessaire pour que ce soit le cas.

Il est probable que d’autres corps restent à découvrir dans cette zone et dans d’autres parties du Sahara occidental. Ceux-ci doivent être recherchés, exhumés, identifiés et rendus à leurs familles. Les autorités marocaines doivent veiller à ce qu’une enquête soit rouverte dès lors que de nouveaux éléments émergent dans des affaires de disparitions forcées, du fait de l’exhumation d’ossements ou de témoignages de proches de victimes qui n’avaient pas été interrogés par l’IER ou le CCDH, notamment ceux qui vivent dans les camps de Tindouf.

Il faut demander des comptes aux responsables afin de mettre réellement un terme à l’impunité pour les violations commises dans le cadre du conflit armé entre le Maroc et le Front Polisario. La Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO), qui est la force de maintien de la paix présente dans la région, pourrait jouer un rôle en apportant une aide internationale et des compétences pour faciliter le processus, de même que le Haut-Commissariat aux droits de l’homme et le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires de l’ONU.

La justice de transition : un processus inachevé
Les nouvelles informations révélées par l’équipe d’experts médicolégaux montrent les limites du travail mené par l’IER et le CCDH pour établir la vérité sur les centaines de disparitions forcées survenues au Maroc et au Sahara occidental sous le règne de l’ancien roi Hassan II, ainsi que la nécessité de mener de nouvelles enquêtes indépendantes, impartiales et approfondies.

De nombreuses familles attendent toujours de connaître toute la vérité sur le sort de leurs proches disparus et d’obtenir justice pour les crimes dont ils ont été victimes. Les disparitions forcées restent une atteinte aux droits humains tant que les familles n’ont pas obtenu le droit à la vérité et au deuil, ainsi qu’à la justice et à des réparations.

Il faudrait utiliser les mécanismes existants des Nations unies pour aider à résoudre ces affaires de disparitions forcées. Le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires pourrait jouer un rôle précieux dans la résolution des problèmes de vérité et de justice au Maroc et au Sahara occidental. Amnesty International a salué la récente ratification par le Maroc de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, mais elle a appelé les autorités marocaine à renforcer cet engagement en reconnaissant la compétence du Comité des disparitions forcées pour recevoir et examiner des communications présentées par des victimes ou pour le compte de victimes et par d’autres États parties, ainsi qu’en transposant les dispositions de cette Convention dans le droit national, dans les plus brefs délais.

Le roi Mohammed VI a mis en place l’IER il y a près de 10 ans pour enquêter sur les atteintes aux droits humains commises par les services de sécurité marocains entre 1956 et 1999. Deux ans plus tard, à l’issue des travaux de cette Instance, il a chargé le CCDH, organisme national de protection et de promotion des droits humains, d’assurer le suivi des travaux et des recommandations de l’IER, ce que celui-ci a fait jusqu’en 2010. C’était la première expérience de ce type dans le domaine de la justice de transition dans cette région, et elle a suscité beaucoup d’espoirs en termes de vérité, de justice et de réparations.

Dans son rapport de 2010 intitulé Des promesses non tenues. L’Instance équité et réconciliation et le suivi de ses travaux, Amnesty International a reconnu les progrès réalisés dans le cadre de ce processus sans précédent de justice de transition. L’IER a mis en avant la responsabilité de l’État dans les violations des droits humains, et des indemnisations financières ont été accordées. Un plus petit nombre de victimes a aussi bénéficié d’autres formes de réparations, comme une assurance maladie ou le rétablissement dans un emploi.

Cependant, Amnesty International a aussi dénoncé les lacunes du processus, dont certaines étaient liées au mandat de l’IER. Par exemple, le travail de cette Instance a été gêné par le fait qu’elle ne pouvait pas obliger à témoigner les membres des autorités ou des forces de sécurité susceptibles d’avoir connaissance du sort de personnes disparues. Par ailleurs, trop peu de cadavres de personnes exécutées ou décédées en détention ont été exhumés, identifiés et rendus aux familles, privant ces dernières de la possibilité de faire réellement leur deuil.

De plus, l’IER a accru le sentiment de marginalisation des Sahraouis en ne tenant pas compte de l’ampleur particulière des violations dont ils avaient été victimes. Ainsi, aucune audience publique permettant aux victimes d’évoquer leurs souffrances n’a été organisée au Sahara occidental, contrairement à ce qui s’est passé dans d’autres régions, où de telles audiences ont été retransmises à la télévision. Le rapport final de l’IER fournissait très peu d’informations sur les disparitions forcées et les autres atteintes aux droits humains subies par des Sahraouis. Il ne reconnaissait même pas que le Sahara occidental avait souffert de manière disproportionnée, comme le montre son exclusion du programme de réparations collectives destiné aux zones particulièrement touchées par les violations pendant les « années de plomb ». L’IER n’a pas non plus réussi à améliorer la communication avec les victimes, leurs familles et les organisations de la société civile au Sahara occidental, ni à rétablir leur confiance – ce manque de confiance étant lui-même une conséquence des violations subies dans cette région aux mains des autorités marocaines.

En outre, le mandat de l’IER ne prévoyait pas l’identification des auteurs de graves violations des droits humains ni l’engagement de poursuites à leur encontre, laissant aux victimes le soin de saisir elles-mêmes la justice à titre individuel. À ce jour, l’écrasante majorité des responsables marocains soupçonnés d’avoir commis des violations flagrantes des droits humains pendant la période couverte par le mandat de l’IER n’ont pas été traduits en justice, et rien ne laisse supposer que les autorités aient l’intention d’y remédier à l’avenir. Au contraire, le discours officiel encourage une justice de « réconciliation », et non une justice « accusatoire », ce qui se traduit par l’impunité pour de graves atteintes aux droits humains.

Plusieurs des recommandations juridiques et institutionnelles formulées par l’IER ont été intégrées à la nouvelle Constitution, comme la reconnaissance des droits humains, et d’autres ont conduit au lancement de réformes visant à renforcer l’indépendance de la justice. Cependant, il reste à traduire ces avancées dans les faits, en faisant évoluer les pratiques. Par ailleurs, la réforme de l’appareil de sécurité également recommandée par l’IER, indispensable pour garantir la transparence et l’obligation de rendre des comptes, n’a toujours pas été mise en œuvre.

Un mandat de protection des droits humains pour la MINURSO
L’emplacement où se trouvent les ossements, dans une zone où la MINURSO fait appliquer un cessez-le-feu le long de la ligne qui sépare la partie est du Sahara occidental, contrôlée par le Front Polisario, de la partie ouest, administrée par le Maroc, souligne aussi combien il serait important de disposer d’un dispositif officiel indépendant de surveillance de la situation des droits humains dans cette région.

Amnesty International a déjà demandé à maintes reprises et continue de demander que le mandat de la MINURSO soit étendu à la protection des droits humains, non seulement pour promouvoir la vérité et la justice dans les cas non résolus d’atteintes commises par le passé par les autorités marocaines et le Front Polisario, mais aussi pour s’occuper des nouvelles violations, qui restent une source de préoccupation dans la région.

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