Une minorité religieuse privée du droit de pratiquer sa foi

Amnesty International est extrêmement préoccupée par un décret ministériel conjoint qui prive une minorité religieuse d’Indonésie du droit de pratiquer librement sa foi et ses convictions, au mépris total des obligations internationales du pays en matière de droits humains et des protections prévues par la Constitution.

Le 29 février 2016, le décret ministériel conjoint n° 93/2016 a été pris par le ministre des Affaires religieuses, le procureur général et le ministre de l’Intérieur, interdisant le courant religieux Millah Abraham, dont les adeptes sont d’anciens membres du groupe religieux Gafatar (ou Fajar Nusantara). Les autorités considèrent ce courant comme « hérétique », car il mêle les enseignements religieux de l’islam, du christianisme et du judaïsme.

Ce texte de loi comportant de graves lacunes, qui entrave illégalement la liberté de religion et de conviction, doit être immédiatement abrogé. S’il était appliqué, il marginaliserait encore davantage un groupe minoritaire et risquerait d’attiser le climat d’intolérance et de peur qui a donné lieu à des cas de harcèlement, d’intimidation et d’agressions visant ses membres.

D’anciens membres du Gafatar ont déjà été attaqués et emprisonnés pour leurs seules convictions religieuses. En janvier 2016, une foule a pris d’assaut et incendié neuf maisons appartenant à des adeptes de cette religion dans le district de Menpawah (province de Kalimantan-Ouest). Après ces attaques, au moins 2 000 personnes ont été déplacées par les forces de sécurité locales vers des centres d’accueil temporaires dans le district de Kubu Raya et la ville de Pontianak (dans la même province), avant d’être transférées dans plusieurs lieux sur l’île de Java sans consultation préalable.

En juin 2015, six membres du Gafatar vivant dans la province de l’Aceh ont été reconnus coupables d’« insulte à la religion  » en vertu de l’article 156 du Code pénal et condamnés à quatre ans d’emprisonnement par le tribunal du district de Banda Aceh.

Le droit à la liberté de religion et de conviction est garanti par les articles 28-E et 28-I de la Constitution indonésienne. De plus, l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel l’Indonésie est partie, dispose que « ce droit implique la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix » et que « nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix ».

L’article 18 du PIDCP distingue le droit à la liberté de religion et de conviction de la liberté de manifester sa religion ou sa conviction. La liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix est protégée sans condition par ce texte et doit pouvoir être exercée sans ingérence.

Le PIDCP reconnaît toutefois que l’exercice de la liberté de manifester sa religion ou sa conviction peut être soumis à des restrictions, mais uniquement si celles-ci sont prévues par la loi et « nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui  ». Le Comité des droits de l’homme des Nations unies, organe qui contrôle la mise en œuvre du PIDCP, a précisé que ces restrictions doivent être directement liées et proportionnelles à l’objectif spécifique sur lequel elles sont fondées. Aucune restriction ne saurait être imposée pour des motifs discriminatoires ou appliquée de manière discriminatoire.

Le non-respect des dispositions du décret ministériel conjoint entraînerait des poursuites pénales pour blasphème au titre du décret présidentiel n° 1/PNPS/1965 relatif à la « prévention du blasphème ou des outrages à la religion », ainsi que du Code pénal indonésien.

La protection de concepts abstraits, de croyances religieuses ou autres ou des sensibilités religieuses de leurs adeptes n’est pas une raison acceptable pour restreindre la liberté d’expression. Aux termes de l’article 19-3 du PIDCP, l’exercice du droit à la liberté d’expression peut être soumis à certaines restrictions, notamment pour sauvegarder l’ordre public, mais ces restrictions doivent être expressément fixées par une loi conforme aux droits humains, être manifestement nécessaires et proportionnées aux buts indiqués, et elles ne doivent pas mettre en péril ce droit lui-même.

Par le passé, Amnesty International a déjà appelé les autorités indonésiennes à abroger toutes les dispositions inscrites dans la législation et la réglementation imposant des restrictions du droit à la liberté d’expression, de pensée, de conscience et de religion qui outrepassent ce qui est permis en vertu du droit international relatif aux droits humains, ou à les modifier afin de les rendre conformes aux obligations internationales de l’Indonésie en matière de droits humains.

Par conséquent, plutôt que de punir des personnes pour avoir exercé pacifiquement leur liberté d’avoir une religion ou une conviction, l’Indonésie doit respecter son obligation de veiller à ce que tous les citoyens présents sur son territoire puissent exercer leurs droits sans crainte de représailles.

Les autorités indonésiennes doivent prendre des mesures efficaces, y compris en assurant une protection policière suffisante, pour veiller à ce que les membres des minorités religieuses puissent pratiquer leur foi sans craindre d’être intimidés ou agressés.

Contexte

Le Fajar Nusantara (ou Gafatar) a été fondé en janvier 2012 et comportait des branches dans 14 provinces. Cependant, ce groupe religieux a été dissout en août 2015 par ses membres, qui n’ont pas pu obtenir d’autorisation d’enregistrement auprès du ministère de l’Intérieur.

Le décret ministériel conjoint n° 93/2016 interdit aux anciens membres ou sympathisants du Gafatar de pratiquer des activités et de diffuser ou d’interpréter des enseignements qui s’écartent de l’enseignement fondamental de l’islam. Selon ce texte, le Gafatar est dérivé de l’organisation Al Qiyadah Al Islamiyah, qui a été déclarée comme « hérétique » par le procureur général en novembre 2007 pour avoir fait la promotion des enseignements religieux du courant Millah Abraham.

En outre, le décret vise à « prévenir la population et lui donner pour instructions d’entretenir et de protéger l’harmonie entre les croyants des différentes religions, ainsi que l’unité dans l’ordre public au sein d’une communauté, en ne se livrant pas à des activités illégales contre les anciens membres ou sympathisants du Gafatar  ».

En avril 2008, Ahmed Moshadeq, chef d’Al Qiyadah Al Islamiyah, a été reconnu coupable au titre de l’article 156-a du Code pénal indonésien et condamné à quatre ans d’emprisonnement par le tribunal du district de Djakarta-Sud pour avoir dirigé une « secte hérétique » et prétendu être un prophète. En juin 2008, le tribunal du district de Makassar, dans la province de Sulawesi-Sud, a condamné 21 membres d’Al Qiyadah Al Islamiyah pour blasphème, également au titre de l’article 156-a du Code pénal.

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