Recommandations pour la défense des droits humains

Amnesty International accueille avec satisfaction les observations finales qu’a rendu publiques le Comité des droits de l’homme des Nations unies (ci-après, le Comité) le 4 novembre, et prie les autorités marocaines de suivre sans délai ses recommandations et d’engager des réformes politiques et législatives, dans le contexte en particulier de la révision actuelle du Code pénal et du Code de procédure pénale.

Le Comité a salué le processus de réforme du système judiciaire entamé au Maroc après l’adoption d’une nouvelle Constitution en 2011, mais a attiré l’attention sur la persistance de lacunes dans la législation ouvrant la voie à des restrictions des droits inscrits dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).

Le Comité s’est dit préoccupé par le fait que les autorités refusent de nombreuses demandes d’enregistrement déposées par des organisations non gouvernementales (ONG), et qu’elles cherchent à entraver les activités et la liberté de circulation des défenseurs des droits humains, notamment au Sahara occidental. Il s’est également inquiété des dispositions législatives encadrant les rassemblements publics, dont la tenue est soumise à l’obtention d’une notification préalable, ainsi que de l’usage excessif ou disproportionné de la force pour disperser ces rassemblements.
Concernant la liberté d’expression, le Comité a déploré l’introduction de nouvelles dispositions dans le Code pénal érigeant en infraction des actes perçus comme offensants envers l’Islam, la monarchie ou l’« intégrité territoriale », alors que des dispositions similaires ont été éliminées du Code de la presse révisé en 2016. Amnesty International partage ces préoccupations et avait soumis à l’attention du Comité les cas de journalistes inculpés et poursuivis au titre de ces dispositions. Les autorités marocaines devraient supprimer du Code pénal les dispositions érigeant en infraction le droit à la liberté d’expression, ne plus engager de poursuites judiciaires contre des journalistes qui ne font qu’exercer leur activité, et relâcher toutes les personnes détenues pour le seul fait d’avoir exprimé leurs opinions. Le Comité s’est également inquiété des violations du droit à la vie privée lors d’activités de surveillance visant des journalistes, des défenseurs des droits humains et des opposants politiques supposés. Il a recommandé que ce type d’activités soit mené conformément à l’article 17 du PIDCP relatif au droit à la vie privée et respecte le principe de légalité, et a engagé le Maroc à établir un mécanisme de contrôle indépendant pour prévenir les abus.
Le Comité a constaté la fréquence des violences à l’égard des femmes et le faible taux de poursuites des auteurs de ces violences, deux phénomènes qui s’expliquent en grande partie par l’absence de véritables mesures de protection pour les femmes et le risque de poursuites pour relations sexuelles hors mariage qu’elles courent si elles signalent un viol ou une autre agression sexuelle. Le Comité a recommandé au Maroc, entre autres mesures, de réviser rapidement sa législation pour garantir la protection adéquate des femmes contre la violence et le harcèlement sexuel et pour s’assurer que les victimes de violence ne soient pas poursuivies pour relations sexuelles hors mariage. Dans sa communication au Comité, Amnesty International avait mis en évidence la persistance de failles dans les réformes législatives proposées pour combattre la violence à l’égard des femmes et expliqué que la criminalisation des relations sexuelles hors mariage entre adultes consentants dissuadait les victimes d’agression sexuelle de signaler les faits et de se faire soigner. À cet égard, Amnesty International demande l’abrogation des articles 490 et 491 du Code pénal.
Le Comité a également exprimé ses préoccupations concernant les discriminations persistantes fondées sur le genre, dont la criminalisation des relations entre adultes consentants du même sexe – les lesbiennes, les gays et les personnes bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI) étant passibles de poursuites judiciaires et de peines d’emprisonnement –, et les dispositions du Code de la famille qui demeurent discriminatoires à l’égard des femmes. Amnesty International invite le Maroc à abroger l’article 489 du Code pénal, qui érige en infraction les relations entre personnes du même sexe, et à modifier les dispositions discriminatoires restantes du Code de la famille, conformément aux recommandations du Comité.

Le Comité s’est inquiété du nombre élevé d’avortements clandestins, du nombre très limité de situations dans lesquelles l’interruption volontaire de grossesse est autorisée et des conditions excessives envisagées dans les propositions de réformes législatives pour obtenir un avortement légal. Le Comité a recommandé au Maroc, entre autres mesures, d’autoriser sans délai l’interruption volontaire de grossesse dans un plus grand nombre de situations, notamment lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste ou lorsque le fœtus présente des malformations mortelles, ainsi que de supprimer des réformes proposées les conditions contraignantes à l’accès à l’avortement légal. Dans sa communication, Amnesty International a dénoncé l’obligation de notification d’une tierce partie et les procédures d’approbation auxquelles est conditionné l’accès à l’avortement légal dans les réformes législatives envisagées, et exhorte les autorités marocaines à supprimer ces conditions et à dépénaliser le recours à cette intervention et la pratique de celle-ci.

Sur le plan de la lutte contre le terrorisme et du droit à un procès équitable, le Comité a fait part de sa préoccupation quant au caractère excessivement large et vague de la définition des actes constitutifs de terrorisme dans le Code pénal en vigueur et son projet de réforme, certains de ces chefs d’inculpation ayant été utilisés à l’encontre de journalistes qui ne faisaient que leur travail, et quant à l’effet dissuasif de cette définition sur l’exercice d’autres droits. Dans sa communication, Amnesty International a évoqué le cas du journaliste Ali Anouzla, arrêté et détenu pendant plus d’un mois pour « apologie du terrorisme » après la diffusion sur son site Internet d’information d’un article critiquant une vidéo du groupe armé Al Qaïda au Maghreb islamique. L’organisation engage les autorités marocaines à abandonner toutes les charges retenues contre le journaliste, dont l’affaire est en instance depuis plus de trois ans.

Par ailleurs, le Comité s’est inquiété des périodes excessivement longues de garde à vue qui, pour les infractions liées au terrorisme, peuvent aller jusqu’à 12 jours avec possibilité de consulter un avocat au plus tôt six jours après le début de la garde à vue. Il a recommandé que le Code pénal soit révisé de sorte que les infractions liées au terrorisme soient définies précisément et que cette législation n’impose pas de restriction injustifiée à d’autres droits. Il a également exhorté le Maroc à profiter des réformes législatives en cours pour réduire la durée de la garde à vue à 48 heures et pour permettre l’accès à un avocat dès le début de la détention. Amnesty International a appelé à maintes reprises les autorités marocaines à respecter le droit de tous les suspects de bénéficier d’un avocat pendant leur interrogatoire par la police, à titre de garantie contre la torture et d’autres mauvais traitements et contre l’utilisation d’« aveux » obtenus sous la contrainte au cours de procédures judiciaires.

Le Comité a salué les efforts consentis par le Maroc pour mettre fin à la torture, mais a noté la persistance d’allégations de torture et d’autres mauvais traitements, l’utilisation d’« aveux » obtenus sous la contrainte comme preuves devant les tribunaux – alors même que le droit interne l’interdit –, et l’absence d’examens médicaux ou d’enquêtes systématiques en cas d’allégations de torture ou d’aveux forcés. Il a également relevé des cas d’intimidation contre des personnes qui ont dénoncé des actes de torture, ainsi que le nombre limité de poursuites judiciaires engagées et de condamnations prononcées dans les affaires de torture et d’autres mauvais traitements. En outre, le Comité s’est inquiété de ce que les disparitions forcées qui ont eu lieu sous le règne du roi Hassan II, entre 1956 et 1999 (période appelée les « années de plomb »), n’ont toujours pas fait l’objet d’une procédure pénale, malgré le travail accompli par l’Instance équité et réconciliation, l’organe de justice de transition du Maroc. Les préoccupations d’Amnesty International sont identiques à celles du Comité, comme l’organisation l’a précisé dans sa communication.

Le Comité prie instamment le Maroc d’enquêter sur les actes de torture, les autres mauvais traitements et les disparitions forcées, d’en poursuivre les auteurs et de les punir ; d’ordonner sans délai des expertises médicales sur toutes les allégations de torture et d’autres mauvais traitements ; de s’assurer que, dans la pratique, les aveux extorqués sous la contrainte ou la torture sont systématiquement irrecevables devant les tribunaux ; et de veiller à ce que les victimes aient accès à des recours et des réparations satisfaisants. Amnesty International a pour sa part recommandé que tous les examens médicolégaux soient réalisés conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), et que les aveux faits par une personne privée de liberté autrement qu’en présence d’un juge et avec l’assistance d’un avocat n’aient pas de force probante dans le cadre d’une procédure judiciaire.

Sur la question de la peine capitale, le Comité a salué le moratoire de fait sur les exécutions, mais regretté l’inclusion dans le projet de Code pénal de trois nouvelles catégories de crimes passibles de cette sentence, ce qu’Amnesty International a également déploré. L’organisation demande instamment aux autorités marocaines d’instaurer un moratoire officiel sur les exécutions et de ratifier le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au PIDCP, conformément aux recommandations du Comité.

Concernant les droits des réfugiés et des migrants, le Comité a déploré que de nombreux réfugiés syriens n’aient toujours pas de statut légal. Il a aussi noté avec préoccupation la persistance d’arrestations arbitraires de migrants et l’utilisation d’une force excessive à leur encontre, ainsi que la participation des forces de sécurité dans des opérations d’expulsions collectives. Il s’est enfin inquiété de ce que des enfants migrants continuaient d’être détenus et qu’il existait toujours des barrières juridiques à l’enregistrement des naissances et à la transmission de la nationalité. Amnesty International engage les autorités marocaines à mettre en œuvre les recommandations du Comité, notamment à adopter une législation en matière d’asile qui soit conforme aux dispositions du PIDCP, à autoriser les personnes qui ont besoin d’une protection internationale à vivre légalement dans le pays, notamment en leur octroyant des cartes nationales de réfugié et en leur donnant le droit de travailler, à établir des procédures de détermination du statut de réfugié aux points d’entrée dans le pays, à mettre un terme à la participation des forces de sécurité dans les opérations d’arrestations et d’expulsions collectives, à éliminer le recours à une force excessive contre les migrants, et à adopter une loi pour prévenir l’apatridie.

Complément d’information

À l’occasion de l’examen par le Comité du sixième rapport périodique du Maroc, Amnesty International a présenté une communication où elle évoquait nombre des préoccupations soulevées par le Comité dans ses observations finales.

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