République centrafricaine : terreur et dégoût à Bangui

Par Joanne Mariner, conseillère principale sur la réaction aux crises à Amnesty International

À Bangui, dans le quartier de Nguingo, situé en amont de l’Oubangui par rapport au centre-ville, les habitants sont terrorisés.

« Des rumeurs disent que les anti-balaka vont mener une nouvelle attaque cet après-midi », m’a déclaré l’un d’entre eux quand je me suis rendue dans le quartier mercredi 22 octobre.

« Ils veulent nous donner une leçon. »

Depuis quelques années, la République centrafricaine fait beaucoup parler d’elle pour ses graves violences intercommunautaires. Après le départ du gouvernement de la Séléka, à majorité musulmane, en janvier 2014, le pays a été le théâtre d’une vague de nettoyage ethnique, qui a littéralement vidé le territoire de ses habitants musulmans. Des milliers d’entre eux ont été tués. La Séléka s’est aussi rendue coupable de graves atteintes aux droits humains dans diverses parties du pays, dont la capitale, Bangui.

Toutefois, les troubles à Nguingo, sous-division du quartier de Ouango, sont d’un autre ordre. Si Nguingo, comme le reste du quartier de Ouango, comptait autrefois une communauté musulmane prospère, il y a longtemps que ses membres ont fui – chassés par les anti-balaka, une milice composée principalement de chrétiens et d’animistes. Avec le départ des musulmans – dont les maisons ont été pillées et saccagées – les milices anti-balaka ont perdu leurs cibles les plus faciles.

Elles ont maintenant de plus en plus recours à des méthodes de voyous contre les habitants non musulmans de Bangui, s’aliénant même ceux qui les avaient jusqu’à présent soutenues. Il y a dix jours, une attaque des anti-balaka dans le quartier de Nguingo a fait trois morts et au moins 20 blessés graves ; quelque 28 maisons et une église ont aussi été incendiées.

« Pour moi c’est une bande de bandits, a déclaré avec colère un vieil homme. Ils pensent que parce qu’ils ont des fusils et des machettes ils peuvent s’en prendre à nous librement. »

Cette incursion des anti-balaka à Nguingo le 14 octobre était une attaque de représailles. Plus tôt dans la journée, un groupe de trois combattants anti-balaka étaient venus voler dans le quartier. C’était la deuxième fois en l’espace de quelques jours qu’ils menaient une telle opération, et les habitants en avaient assez.

La fois précédente, les anti-balaka avaient volé des voitures, des motos et d’autres engins. Avec l’aide des soldats rwandais – déployés dans le pays dans le cadre de la force de maintien de la paix de l’ONU – les habitants ont pu récupérer la plupart des objets volés, mais ils se sont aussi préparés à résister à de nouvelles déprédations.

Quand les trois combattants anti-balaka sont arrivés le 14 octobre, les jeunes du quartier ont riposté, leur lançant de lourdes pierres. Deux des combattants sont parvenus à s’enfuir, mais le troisième, armé d’un pistolet non chargé, a été grièvement blessé par les jets de pierres. Il avait le visage en sang, dans un tel état que certains l’ont d’abord cru mort, mais il a finalement survécu et a été conduit à la prison locale et remis aux autorités.

Deux heures plus tard, les anti-balaka sont revenus, en force cette fois-ci. Selon la police locale, le commandant anti-balaka de la zone avait demandé des renforts au commandant de Boy Rabe, principal bastion anti-balaka de la ville. S’il est difficile de savoir exactement combien de combattants anti-balaka ont participé à cette attaque – les estimations vont de plusieurs dizaines à bien plus de 100 – les témoins sont unanimes pour dire que ces hommes étaient très bien armés – notamment de kalachnikovs et de grenades – et disposés à se battre.

« Les anti-balaka ont attaqué par le nord, tirant en l’air et hurlant : "Dehors, dehors ! Tous les hommes dehors !", m’a raconté Thérèse, 55 ans. Ils voulaient tuer tous les jeunes hommes. »

Les anti-balaka ont commencé par attaquer la maison du chef de quartier, le tenant pour responsable de la contre-attaque des habitants. Si celui-ci est parvenu à s’enfuir avant leur arrivée, ses voisins n’ont pas tous eu cette chance.

Jacques Mamadou
, 38 ans, a été tué devant chez lui alors qu’il tentait de s’enfuir. Le jour où je me suis rendue sur place, ses chaussures et sa casquette étaient posées sur sa tombe fraîchement creusée près des ruines de sa maison, juste en-dessous de celles de la maison du chef de quartier.

Constant Yaonomo, meunier de 24 ans, a lui aussi été tué. Sa famille vivait juste au coin de la rue où se trouvait la maison du chef de quartier, et ses parents pensent qu’il a été abattu alors qu’il courait se réfugier chez lui. « Il a voulu rentrer à la maison quand les combats ont commencé  », m’a raconté son père, me montrant des photos du corps de Constant.

« Nous n’avons su ce qui lui était arrivé qu’à 20 heures, quand les combats se sont calmés et que mon gendre est venu nous dire que notre fils était mort. C’est ma femme qui a ouvert la porte. Quand elle a entendu la nouvelle, elle s’est évanouie. »

«  Il y avait encore quelques tirs mais je n’en avais plus rien à faire ; je suis sorti dans la rue chercher son corps. Ses vêtements étaient pleins de sang. Je l’ai lavé et changé, je lui ai mis mon propre costume. Nous l’avons enterré le lendemain matin à 10 heures. La plupart de nos voisins avaient fui, mais il en restait quelques-uns, et ils m’ont aidé à creuser sa tombe.  »

La troisième victime a été Gilles Francis Beaubiasso, un étudiant de 24 ans.

Selon sa belle-mère, la famille était en train de fuir quand il a été touché : il a reçu une balle dans la poitrine et une autre dans le bras gauche.

Plusieurs autres personnes ont été blessées par des balles, des coups de machettes ou des éclats de grenades. Au moins 20 personnes ont été soignées dans un centre de santé du quartier, les blessés les plus graves étant ensuite transférés à l’hôpital principal de la ville.

Outre la vengeance, les anti-balaka semblaient aussi motivés par la recherche de profit. En effet, ils ont incendié des dizaines de maisons – dont les toits en chaume brûlent comme du petit bois – et en ont dépouillé systématiquement les habitants quand ils sortaient pour échapper à la chaleur et à la fumée.

« Ils ont pris l’argent, les téléphones portables, les bijoux des femmes – tout ce qu’ils pouvaient trouver, m’a déclaré un homme de 59 ans, la tête bandée. Je n’avais rien à leur donner alors ils m’ont donné un coup de machette sur la tête. »

Une femme a raconté que les anti-balaka avaient pointé leurs fusils sur ses deux jeunes fils – âgés de 10 et 11 ans – et menacé de les tuer si elle ne payait pas.

« Je leur ai donné 30 000 francs CFA [environ 58 dollars des États-Unis] pour sauver mes enfants.  »

Malgré la violence de cette attaque, tout le monde s’accorde à reconnaître qu’elle aurait pu être encore bien pire. En effet, c’est l’arrivée de troupes de maintien de la paix de l’ONU – un contingent congolais – qui a mis fin au massacre. « Si les soldats congolais n’étaient pas arrivés, a souligné un habitant, ça aurait été un carnage. »

Les anti-balaka ont combattu les soldats congolais pendant un petit moment, puis ont pris la fuite.

Cependant, les habitants du quartier craignent que leur retraite ne soit que provisoire et qu’ils reviennent se venger. Plus d’un millier de personnes ont fui en République démocratique du Congo, sur la rive opposée de l’Oubangui ; une centaine d’autres ont trouvé refuge dans l’enceinte d’une église catholique voisine. Malgré les patrouilles des Nations unies, les gens ne se sentent pas en sécurité.

Que faire face à ces milliers de combattants anti-balaka ? C’est l’une des questions les plus difficiles auxquelles le pays est confronté. Certes, la manière dont ces groupes sont perçus par la population est peut-être en train de changer, en particulier au fur et à mesure qu’ils perdent leur statut autoproclamé de « forces d’autodéfense » et adoptent un comportement de bandes criminelles, comme à Nguingo. Néanmoins, leurs revendications de pouvoir ne s’appuient pas, au final, sur leur légitimité, mais sur leurs armes, leur organisation et leur capacité à commettre des violences.

Tant que les anti-balaka n’auront pas été désarmés et leur structure démantelée, la violence ne cessera pas. Les forces de maintien de la paix de l’ONU parviendront-elles à protéger les civils de cette violence ? C’est là le véritable enjeu.

Suivez Joanne Mariner sur Twitter @jgmariner.

Ce billet de blog a été initialement publié sur le site AllAfrica.com.

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