Communiqué de presse

Rwanda. Victoire Ingabire doit pouvoir faire appel après son procès inique

Victoire Ingabire, dirigeante de l’opposition rwandaise, doit pouvoir bénéficier dans les plus brefs délais d’une procédure d’appel équitable après avoir été condamnée à l’issue d’un procès non conforme aux normes internationales, a déclaré Amnesty International.

Présidente des Forces démocratiques unifiées (FDU-Inkingi), Victoire Ingabire a été condamnée mardi à huit ans de prison.

« Le procès a été entaché d’irrégularités : le tribunal n’a pas garanti un examen sérieux des éléments de preuve, et dans certains cas, le ministère public n’a pas respecté la procédure légale », a déclaré Sarah Jackson, directrice adjointe du programme Afrique d’Amnesty International.

« Victoire Ingabire doit pouvoir interjeter appel de manière équitable et dans les plus brefs délais. »

Les accusations portées contre Victoire Ingabire figurant dans l’acte d’accusation initial étaient de deux sortes : certaines concernaient des propos, d’autres lui imputaient des actes terroristes. Les chefs d’accusation visant des propos, l’expression par Victoire Ingabire de ses opinions politiques, n’auraient jamais dû être portés devant un tribunal.

Ingabire a été déclarée coupable aujourd’hui de deux nouveaux chefs d’accusation et acquittée de quatre autres. Amnesty International attend la confirmation précise des chefs d’accusation et des lois applicables sur lesquelles se fonde le jugement.

Victoire Ingabire a été arrêtée en avril 2010, alors qu’elle venait de rentrer au Rwanda après 16 ans d’exil. Elle espérait alors faire reconnaître officiellement le parti FDU-Inkingi et comptait se porter candidate à l’élection présidentielle d’août 2010, au nom de cette formation.

Son procès s’est déroulé en présence de nombreux militants des droits humains, journalistes et diplomates.

Malgré la surveillance internationale, il a été entaché de diverses violations des procédures légales : rétention d’éléments de preuve potentiellement à décharge qui auraient pu être utiles aux avocats de l’accusée, intimidation des témoins et atteinte au droit de garder le silence après la saisie des notes de Victoire Ingabire.

Dans l’acte d’accusation initial, les chefs d’accusation pour actes terroristes s’appuyaient en partie sur les témoignages de quatre hommes jugés aux côtés de Victoire Ingabire. Ceux-ci ont tous plaidé coupables et témoigné contre elle.

Le commandant Vital Uwumuremyi, le lieutenant-colonel Tharcisse Nditurende, le lieutenant-colonel Noel Habiyaremye et le capitaine Jean-Marie Vianney Karuta ont admis avoir eu des liens par le passé avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe d’opposition armée opérant en République démocratique du Congo (RDC).

Le ministère public a soutenu que Mme Ingabire avait travaillé avec ses co-accusés à la formation d’un groupe d’opposition armée, la Coalition des forces démocratiques (CDF). Les co-accusés ont affirmé que Victoire Ingabire avait organisé des réunions avec eux en RDC et en République du Congo, et qu’elle leur avait transféré de l’argent par Western Union par l’intermédiaire de tiers.

Mais le tribunal n’a pas examiné comme il se devait les témoignages oraux de ces co-accusés, et a empêché la défense de procéder à un contre-interrogatoire en bonne et due forme.

Dans les réponses aux quelques questions que le tribunal avait concédées à la défense, il est apparu que MM. Nditurende et Habiyaremye avaient été illégalement détenus par l’armée rwandaise avant d’incriminer Mme Ingabire. Ils ont été interrogés par des agents du renseignement au Camp militaire de Kami, et ce en l’absence d’un avocat. Le tribunal n’a pas cherché à obtenir les transcriptions de ces interrogatoires, qui auraient pu servir aux défenseurs de Victoire Ingabire.

Les juges ont empêché les avocats de la défense d’interroger les co-accusés sur leurs conditions de détention au Camp Kami, notamment pour déterminer si leurs témoignages avaient été obtenus par la force ou sous la contrainte.

Un témoin à décharge décisif qui aurait pu éclaircir certains événements du Camp Kami, le lieutenant-colonel Michel Habimana, a pour sa part fait l’objet d’intimidations de la part du ministère public. Il avait affirmé d’y avoir été détenu en même temps que Vital Uwumuremyi. Selon ses dires, c’est sous la contrainte d’agents de la sécurité de l’État que celui-ci aurait inventé les accusations de terrorisme portées contre Victoire Ingabire.

Michel Habimana est un ancien porte-parole des FDLR, qui purge une peine d’emprisonnement à vie pour génocide. À la suite de son témoignage devant le tribunal, sa cellule de prison a été fouillée. Les notes de Michel Habimana, saisies au cours de cette fouille, ont été utilisées comme éléments de preuve par le parquet, selon lequel ces notes démontreraient que l’avocat de la défense de Victoire Ingabire avait indûment préparé ce témoin.

Victoire Ingabire s’est retirée du procès à la suite de ces événements, arguant que les autres témoins à décharge ne pouvaient témoigner dans de bonnes conditions, et que cela portait atteinte à ses droits à un procès équitable.

« Si le ministère public avait des doutes quant à la crédibilité d’un témoin, il aurait dû demander à l’interroger, a déclaré Sarah Jackson. La saisie des notes d’un témoin hors du processus judiciaire est un message d’intimidation envoyé aux autres témoins à décharge. »

Complément d’information

Lors du procès, l’observation d’Amnesty International a porté essentiellement sur le respect des normes d’équité. L’organisation ne prend pas position sur la question de l’innocence ou de la culpabilité de Victoire Ingabire pour actes terroristes.

Amnesty International a fait appel à un observateur indépendant qui, après avoir suivi l’intégralité du procès à l’exception de quatre jours, a procédé à un compte rendu détaillé des procédures judiciaires. L’organisation considère que plusieurs normes d’équité n’ont pas été respectées au cours de ce procès.

Le fait que le tribunal n’ait pas garanti un examen sérieux des témoignages des personnes accusées aux côtés de Victoire Ingabire est d’autant plus préoccupant que l’on connait leur détention illégale par l’armée rwandaise. Dans le rapport intitulé Rwanda. Dans le plus grand secret : détention illégale et torture aux mains du service de renseignement militaire, publié en octobre 2012 par Amnesty International, figurent des allégations crédibles faisant état d’actes de torture au Camp Kami. Les autorités rwandaises ont rejeté ces allégations sans aucune investigation.

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