Communiqué de presse

Sierra Leone. Les policiers qui ont pillé la ville de Bumbuna et ouvert le feu sur des manifestants doivent rendre des comptes

Trois jours durant, des policiers se sont livrés au saccage et au pillage de la ville minière de Bumbuna, en Sierra Leone. Une manifestante a été tuée et 11 autres personnes blessées ; des maisons et des commerces ont été détruits. Les auteurs de ces actes doivent rendre des comptes, a déclaré Amnesty International mercredi 19 septembre.

Le 16 avril 2012, des employés de la société minière African Minerals Limited (AML) se sont rassemblés pour protester contre leurs conditions de travail et de rémunération. La situation a dégénéré au cours des deux jours suivants, quand la police a tiré à balles réelles sur des habitants non armés et utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser la foule.

« Les actes irresponsables et violents commis par ces policiers de la Sierra Leone témoignent d’un mépris effarant pour les droits et les vies des personnes qu’ils ont pourtant le devoir de protéger », a déclaré Lisa Sherman-Nikolaus, spécialiste de la Sierra Leone à Amnesty International.

« Une manifestation pacifique de mineurs s’est terminée dans la violence quand la police a fait usage de la force de manière arbitraire et excessive. Ce manquement grave des policiers à leurs obligations professionnelles amène à s’interroger sur leur capacité à maintenir l’ordre et à respecter les droits humains — en particulier, au cours des prochains mois, à l’approche d’élections qui pourraient aggraver les tensions. »

Tout en saluant l’ouverture par la Commission des droits humains de la Sierra Leone d’une enquête publique sur les événements qui se sont déroulés du 16 au 18 avril à Bumbuna, Amnesty International appelle le gouvernement à ouvrir une information judiciaire afin que les responsables de ces exactions – notamment ceux qui ont donné les ordres – soient amenés à rendre des comptes.

Le 16 avril 2012, des employés de la mine AML de Bumbuna, qui avaient appelé à une manifestation publique, se sont rassemblés devant le Palais de justice, lieu de réunion habituel de la population locale. La police locale a confirmé à Amnesty International qu’il s’agissait bien d’une manifestation pacifique ; elle a malgré tout fait venir des renforts de plusieurs autres villes, notamment de Freetown.

Le lendemain, le 17 avril, la police a fait irruption vers 13 heures sur le principal marché de Bumbuna – à 400 mètres environ de l’endroit où manifestaient les mineurs – et s’est mise à tirer des gaz lacrymogènes et des coups de feu en l’air.

Une marchande a déclaré à Amnesty International :

« Toute la journée, ils ont parcouru la ville en tirant des gaz lacrymogènes et des coups de feu, et dès qu’ils apercevaient de la fumée, ils allaient voir. Ils ont même tiré sur des marmites où les gens préparaient à manger, ils ont mangé nos provisions et ont pointé leur arme sur moi. (...) Nous ne travaillons pas pour African Minerals, nous ne sommes que des marchandes.  »

Les policiers affirment qu’ils poursuivaient des individus qui tentaient de mettre le feu à un dépôt de carburant et qui s’étaient enfuis vers la place du marché. Amnesty International n’a pu recueillir aucun témoignage allant dans ce sens. Au contraire, des témoins ont dit avoir vu la police ouvrir le feu sans avoir été provoquée, et sans qu’aucune menace ne pèse sur leur vie ou celle d’autres personnes.

Le soir même, l’animateur d’une station de radio locale a rapporté les événements puis ouvert l’antenne aux auditeurs, qui pouvaient appeler pour rendre compte des actes de violence dont ils avaient été témoins et s’exprimer librement. Le lendemain, aux aurores, la police a investi les locaux de la station de radio ; elle voulait interroger le journaliste, prétendant qu’il incitait à la violence.

Il semblerait que des policiers aient tiré à balles réelles sur des personnes qui s’étaient rassemblées près de la station de radio, car ils craignaient que le journaliste en question ne soit arrêté. Un jeune homme a notamment été blessé par balle à la jambe, comme a pu le constater le représentant d’Amnesty International.

Un peu plus tard dans la matinée, la police a tiré à balles réelles sur une foule de manifestants qui marchaient en direction du commissariat de la ville pour protester contre le comportement des forces de l’ordre. D’après des témoins, la police aurait ouvert le feu sans aucune sommation.

C’est alors que Musu Conteh a reçu une balle mortelle au côté droit du thorax. Un membre du personnel médical qui a apporté des soins aux blessés a déclaré à Amnesty International que 11 personnes avaient été blessées, dont un enfant qui avait inhalé un agent chimique. Six personnes au moins ont été soignées pour des blessures par balles.

« Nous n’avons pu trouver aucune preuve – et la police n’a pas non plus été en mesure d’en fournir – de ce que ces manifestants aient été armés », a précisé Lisa Sherman-Nikolaus.

« Même s’il était avéré que certains manifestants avaient jeté des pierres, comme l’a affirmé la police, le recours à des balles réelles ne peut être justifié dans ce contexte. »

Ce qu’Amnesty International a pu apprendre des événements de Bumbuna suscite quelque inquiétude quant aux relations qu’entretient la police de la Sierra Leone avec la société minière AML, dont le siège est au Royaume-Uni.

Amnesty International a demandé à AML de s’exprimer au sujet de ses relations avec la police et sur les événements survenus à Bumbuna. La société a confirmé qu’elle fournit une aide matérielle à la police, notamment en matière de transport, d’infrastructures, d’approvisionnement et d’apports financiers. En revanche, elle n’a révélé aucune information quant aux rapports entretenus avec la police de la Sierra Leone, qui est, semble-t-il, chargée d’assurer la sécurité des activités minières de la société.

Le fait qu’AML ait indemnisé les marchandes pour les dommages causés lors des saccages commis par la police sur le marché suscite des interrogations quant au rôle d’AML dans les événements survenus à Bumbuna. La société a déclaré que ces indemnisations avaient été accordées aux marchandes par altruisme, à la demande de représentants du gouvernement ainsi que de la population locale, notamment du plus haut dignitaire de la ville.

«  Dans la législation de la Sierra Leone, il n’existe aucune loi sur la liberté d’information : le public n’a par conséquent aucun accès aux documents détaillant les accords conclus entre le gouvernement et des multinationales  », a déclaré Lisa Sherman-Nikolaus.

Amnesty International demande au gouvernement de ratifier le projet de loi sur la liberté de l’information (sur lequel le législateur est appelé à se prononcer), afin d’assurer une véritable transparence des transactions entre le gouvernement et les entreprises.

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit