Communiqué de presse

Soudan du Sud. La montée de la violence met en évidence l’échec de l’action régionale et internationale

De nouvelles recherches effectuées par Amnesty International sur les activités militaires accrues dans le Soudan du Sud ces dernières semaines montrent clairement que les efforts déployés à l’échelon régional et international pour mettre fin aux souffrances humaines causées par le conflit armé dans ce pays ont échoué.

Les chercheurs d’Amnesty International viennent de rentrer de Bentiu, dans l’État d’Unité, où ils ont recueilli des informations sur des violations parmi lesquelles figurent des homicides, des enlèvements et des violences sexuelles visant des civils.

« L’intensification des combats entre les parties au conflit indiquent clairement que les dirigeants du Soudan du Sud se soucient peu de la cessation des hostilités, tandis que les instances régionales et le reste de la communauté internationale hésitent à prendre des mesures fortes afin de lutter contre des atrocités répétées », a déclaré Michelle Kagari, directrice adjointe du programme Afrique d’Amnesty International.

Des milliers de personnes se sont rendues à la base des Nations unies à Bentiu afin de fuir les combats de plus en plus intenses dans l’État d’Unité, entre le Mouvement populaire de libération du Soudan-Opposition et les forces gouvernementales, qui sont soutenues par des groupes de jeunes combattants et des milices.

Des personnes ayant fui les violences dans les comtés de Rubkona, Guit, Koch et Leer ont systématiquement indiqué que des membres des forces gouvernementales, certains vêtus de l’uniforme de l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS) et d’autres en civil, pour la plupart issus de la tribu Bul de l’ethnie nuer, ont attaqué leur village armés de haches, de machettes et de fusils.

Les personnes rencontrées ont fourni des témoignages effrayants selon lesquels les forces gouvernementales ont incendié des villages entiers, tuant et frappant les résidents, pillant bétail et autres biens, commettant des actes de violence sexuelle et enlevant des femmes et des enfants.

Une femme de 45 ans a déclaré à Amnesty International que les forces gouvernementales sont arrivées à Panthap, dans le comté de Rubkona, tôt le matin du 8 mai. Les soldats ont ordonné aux villageois de leur amener toutes leurs possessions et ont emporté tout ce qui avait de la valeur. Elle a dit qu’ils l’avaient frappée à coups de bâton, mais que personne n’a été tué. Elle a fui avec environ 200 autres villageois, arrivant au camp des Nations unies pour personnes déplacées de Bentiu le 12 mai.

Une femme de Chatchara, dans le comté de Rubkona, a décrit une attaque menée le matin du 7 mai contre son village par des groupes de jeunes gens qu’elle pense alliés au gouvernement.

« Ils sont arrivés et ont dit, "sortez vos affaires", et puis ils ont brûlé notre tukul [structure en boue séchée surmontée d’un toit de chaume]. Ils nous ont frappés avec des bâtons et des tiges métalliques, en demandant "où sont les garçons et les hommes jeunes ?" Ils ont pris nos possessions, notre maïs et nos habits, et nous ont forcés à les porter vers Mayom. Nous étions de nombreuses femmes du village. L’une d’entre nous, épuisée, a été tuée. Ils ont aussi tiré sur sa fille de 2 ans. »

Cette femme a plus tard été remise en liberté. Elle a elle aussi pris la direction du camp des Nations unies à Bentiu.

Un homme de 70 ans, lui aussi de Chatchara, a décrit de la même façon les agissements - coups, incendies et pillages - des forces du gouvernement :

« Lorsque les hommes de l’APLS sont arrivés, ils m’ont frappé et ont mis le feu à mes trois tukuls, puis à tous les tukuls du village. Ils ont pris les vaches et les chèvres. Des enfants ont été blessés lors de tirs croisés. Beaucoup de femmes et d’enfants ont été tués. Je les ai vus emmener de jeunes enfants et des femmes, qu’ils ont obligés à faire avancer les vaches et les chèvres. Ils ont pris ma petite-fille, une adolescente de 13 ou 14 ans. »

Une femme de 20 ans du comté de Guit a raconté comment un groupe de soldats de l’APLS et des jeunes armés ont attaqué son village dans la nuit du 7 mai :

« Ils ont même tué des jeunes enfants et des hommes âgés. Ils ont brûlé les granges, où nous conservons notre maïs. Ils sont venus chez moi et ont tiré sur mon neveu qui avait environ 20 ans. Ils ont frappé ma mère avec une corde utilisée pour attacher les vaches. Ils lui ont demandé : "Où sont les hommes jeunes, nous voulons les tuer, ils ont rejoint l’opposition." Je me suis enfuie en courant avec mes trois enfants, mon frère et ma sœur. Nous avons couru jusqu’à la rivière alors qu’ils nous tiraient dessus. Depuis la rivière, je les ai vus brûler la maison. Ils ont aussi pris nos vaches et nos chèvres - nous avions 15 vaches et 30 chèvres. »

Elle a ajouté que quatre hommes ont violé sa cousine, âgée de 23 ans et mère de deux enfants. « Je l’ai vue quand je courais. Elle hurlait », a-t-elle dit. Elle a également déclaré que les agresseurs ont enlevé sa sœur de 13 ans et son frère de 15 ans. Elle ne sait pas ce qui est advenu de son époux, de sa mère ou de son oncle handicapé, qu’elle a laissés derrière elle à leur domicile. « Toute ma famille est perdue », a-t-elle déclaré aux chercheurs d’Amnesty International.

Nyanaath, une mère de trois enfants, a dit que les forces gouvernementales ont attaqué son village dans le comté de Guit à midi le 10 mai. Elle a expliqué que les agresseurs, dont certains portaient l’uniforme, ont volé des vaches, pillé les possessions des villageois et mis le feu à tous les tukuls.

Nyanaath a ajouté qu’ils ont violé des femmes, elle y compris. Elle a déclaré à Amnesty International que des soldats l’ont attrapée, l’ont forcée à s’allonger sur le dos et lui ont retiré ses sous-vêtements. L’un a commencé à la violer tandis que l’autre pointait son fusil vers elle. Elle a également dit qu’elle avait vu 10 garçons et filles âgés de 10 à 13 ans se faire enlever par des soldats.

Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies affirme que quelque 100 000 personnes ont été déplacées par les combats récents dans l’État d’Unité. Environ 2 300 civils, pour la plupart des femmes et de jeunes enfants, ont cherché refuge auprès de la base des Nations unies à Bentiu depuis le 20 avril, rejoignant ainsi plus 50 000 autres personnes arrivées sur place depuis le début du conflit, en décembre 2013. D’autres sont en chemin.

Les forces gouvernementales en ont bloqué d’autres encore à des postes de contrôle, les empêchant d’atteindre la base pour se mettre en sécurité. Des milliers de personnes ont fui dans la brousse ou dans des zones marécageuses.

Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies a indiqué qu’au moins 28 villes et villages de l’État d’Unité ont été attaqués en l’espace de deux semaines, entre le 29 avril et le 12 mai. Des civils ont été pris pour cibles et leurs possessions ont été pillées.

« Ces attaques contre les civils de l’État d’Unité, et les déplacements qui ont suivi, rappellent certains événements dont Amnesty International a fait état début 2014. Le fait que certains des mêmes villages et villes sont soumis à une nouvelle série d’atrocités souligne la nécessité pour l’Union africaine, les Nations unies et d’autres organes internationaux d’accompagner leur discours ferme d’actions concrètes afin de réduire le coût humain de ce conflit », a déclaré Michelle Kagari.

« La menace de l’obligation de rendre des comptes doit être suffisamment crédible pour avoir un effet dissuasif sur ceux qui continuent à commettre des atrocités dans une impunité totale. Il faut aussi un embargo complet sur les armes afin de mettre fin à l’afflux de celles qui alimentent le conflit, ainsi que des sanctions ciblées afin de dissuader ceux qui continuent à porter atteinte au droit international », a déclaré Michelle Kagari.

Amnesty International demande que :

Le Conseil de sécurité des Nations unies impose à toutes les parties au conflit au Soudan du Sud un embargo complet sur les armes.

Le Conseil de sécurité se hâte de prononcer le gel d’avoirs et des interdictions de voyager contre les individus et les entités qui se sont livrés à des violations du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits humains.

Le Conseil de sécurité rende public un document, évoqué par ses membres le 12 mai, énonçant des solutions visant à amener les responsables à rendre des comptes et qu’il les mette en œuvre.

Le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA) revienne sur sa décision de mettre de côté le rapport établi par la commission d’enquête sur le Soudan du Sud le temps qu’un accord de paix soit finalisé, et qu’il examine ce rapport durant le Sommet de l’UA en juin et le rende public.

L’Autorité intergouvernementale pour le développement réunisse les parties au conflit dans les plus brefs délais et leur signifie qu’elles doivent tenir l’engagement visant à respecter le droit international humanitaire, inscrit dans l’accord de cessez-le-feu du 23 janvier et renouvelé à de nombreuses occasions au cours de l’année écoulée ; et de mettre à exécution ses menaces répétées concernant l’imposition de sanctions ciblées et d’un embargo sur les armes.

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