Tadjikistan. Il est temps de mettre en pratique la promesse de mettre fin à la torture

Tagoïbek Charifbekov : torture et autres mauvais traitements en détention provisoire

Quelques jours avant la venue au Tadjikistan du Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Amnesty International appelle les autorités tadjikes à garantir que des enquêtes minutieuses, impartiales et indépendantes soient menées sur toutes les allégations de torture en détention, et à s’assurer que les victimes présumées de tels sévices et leurs représentants ne soient ni harcelés, ni punis pour avoir dénoncé des brutalités policières.

L’organisation est notamment inquiète au vu d’informations récentes indiquant qu’aucune investigation approfondie et impartiale n’a encore été menée dans l’affaire de Tagoïbek Charifbekov. Cet homme âgé de 31 ans affirme avoir été torturé et maltraité par la police, et il semble maintenant être victime de harcèlement depuis qu’il a déposé une plainte relative aux sévices qui lui ont été infligés.

Le 7 avril 2012, Tagoïbek Charifbekov a été interpellé par la police à Vakhdat car il était soupçonné d’avoir volé un téléphone portable appartenant à son associé afghan. Il affirme que trois policiers du Département de l’Intérieur de Vakhdat l’ont détenu illégalement dans un bureau du poste de police, et l’ont torturé et battu en présence d’un enquêteur en chef afin de lui extorquer des « aveux ». Ces agents lui auraient notamment administré des décharges électriques dans les doigts, plongé la tête dans un évier rempli d’eau pendant deux heures - avec des pauses pour ne pas qu’il s’étouffe- et donné des coups de pied dans la poitrine.

Selon certaines informations, Tagoïbek Charifbekov a été relâché dans la soirée le jour-même mais ses deux passeports ont été confisqués, et les policiers lui ont dit de revenir le lendemain pour apporter environ 270 euros.
Il semble que la victime du vol de téléphone ait dit à la police que cet homme n’était pas coupable. Tagoïbek Charifbekov a été examiné le 10 avril par un médecin qui a conclu que ses blessures pouvaient avoir été causées par un instrument contondant, et que les ecchymoses et les écorchures présentes sur son corps pouvaient être dues à des décharges électriques.
Le 14 avril, l’avocat de Tagoïbek Charifbekov s’est rendu au bureau du procureur général du Tadjikistan pour porter plainte pour torture. Il a fourni des documents et demandé qu’une procédure pénale soit engagée contre les policiers présumés responsables. Un procureur du Service des plaintes de la police (rattaché au bureau du procureur général) a étudié la plainte et mené une enquête minutieuse, avant de confier l’affaire à un autre employé du même service sans donner d’explications.

Amnesty International est inquiète car le fonctionnaire qui a repris le dossier semble vouloir faire pression sur Tagoïbek Charifbekov pour qu’il retire sa plainte. Il aurait ainsi convoqué ce dernier et sa mère le 2 mai dernier et suggéré que Tagoïbek Charifbekov s’était peut-être cogné la tête contre la portière d’un minibus. Il aurait ajouté que les conclusions de l’examen médical ne seraient pas prises en compte car elles n’indiquent pas explicitement que des décharges électriques ont été utilisées. Il aurait également dit que l’enquêteur de police en chef présumé responsable continuerait de travailler dans la police et que Tagoïbek Charifbekov serait convoqué pour être interrogé « constamment ». Il semble que les passeports de ce dernier soient toujours entre les mains de ce policier, qui aurait demandé à Tagoïbek Charifbekov de lui pardonner, ce que celui-ci refuse.

Tagoïbek Charifbekov craint qu’aucune enquête efficace ne soit menée sur ses allégations de torture et autres mauvais traitements, et il redoute d’être poursuivi pour diffamation. Amnesty International a déjà exprimé ses inquiétudes quant au fait que des responsables tadjiks utilisent les lois relatives à la diffamation, ou menacent de le faire, pour taire toute déclaration critique de façon à réduire au silence les médias indépendants et décourager les victimes d’atteintes aux droits humains de s’exprimer publiquement et de chercher à obtenir justice. C’est pourquoi l’organisation demande que la diffamation soit décriminalisée sans délai, comme l’avait réclamé le président tadjik, Emomali Rakhmon, en mars dernier, et que le ministère de la Justice élabore des amendements législatifs en la matière.

Le 3 mai, Tagoïbek Charifbekov et sa mère ont adressé une plainte écrite au Service des plaintes de la police concernant le nouveau fonctionnaire en charge de leur dossier. Ils attendent encore une réponse des autorités.
Les recherches menées par Amnesty International indiquent que la torture est un problème récurrent au Tadjikistan, notamment au cours de la détention provisoire, pendant laquelle les détenus risquent tout particulièrement d’être victimes de torture et d’autres mauvais traitements aux mains d’agents chargés du maintien de l’ordre, qui cherchent ainsi à les pousser à « avouer » des crimes. Il règne dans ce pays un climat d’impunité, ce qui signifie que la brutalité policière perdure sans aucune restriction ou presque. En 2012, les autorités tadjikes ont plusieurs fois répété qu’elles étaient résolues à éradiquer la torture et les mauvais traitements ; dans cet objectif, elles ont modifié le Code pénal pour y inclure une définition de la torture conforme aux normes internationales.

Au vu de ces déclarations, Amnesty International exhorte le Tadjikistan à veiller à ce qu’une enquête minutieuse et impartiale soit menée sans délai sur toutes les allégations de torture et d’autres mauvais traitements, y compris dans les affaires concernant Tagoïbek Charifbekov, Farhod Dadoboïev, Nassim Salimzoda, Mouhammadcharif Oumarov, Ravchan Khollov et Yosinjon Safarov. Tous les agents chargés du maintien de l’ordre qui font l’objet d’une enquête concernant des actes de torture et autres mauvais traitements doivent être suspendus immédiatement. Si des éléments crédibles indiquent que des personnes sont responsables d’actes de torture ou d’autres mauvais traitements, ou ont participé à de tels agissements, celles-ci doivent être jugées de façon équitable et, si reconnues coupables, doivent être sanctionnées par une peine proportionnée à la gravité de l’infraction.

Amnesty International rappelle aussi au Tadjikistan que les États parties à la Convention contre la torture ont le devoir de protéger les victimes présumées de torture et d’autres mauvais traitements, et d’« assurer la protection du plaignant et des témoins contre tout mauvais traitement ou toute intimidation en raison de la plainte déposée ou de toute déposition faite » (article 13 de la Convention contre la torture). L’organisation demande donc instamment aux autorités tadjikes de veiller à ce que Tagoïbek Charifbekov et d’autres victimes présumées de torture et d’autres mauvais traitements ne soient ni persécutés, ni menacés pour avoir déposé des plaintes relatives à ces sévices.

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