Communiqué de presse

Tunisie. Un an après, les violences contre les manifestants n’ont toujours pas été punies

Les autorités tunisiennes n’ont toujours pas traduit en justice ceux qui ont agressé et blessé des manifestants et des journalistes lors d’une manifestation organisée à Tunis il y a un an. C’est un signe de l’absence de progrès dans la réforme des services de sécurité et du système judiciaire en Tunisie, contrairement à ce que laissent penser les déclarations du Premier Ministre Ali Laarayedh, qui a affirmé mardi 9 avril 2013 que le dossier du 9 avril 2012 était « clos ».

Les événements du 9 avril 2012

Le 9 avril 2012, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Tunis en solidarité avec les victimes et les blessés du soulèvement de 2011. Les manifestants ont bravé une décision gouvernementale récente interdisant toutes les manifestations dans l’avenue Habib Bourguiba, dans le centre de la capitale.

Selon les informations recueillies, les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive et abusive pour disperser les manifestants, tirant des gaz lacrymogènes et pourchassant les manifestants et les journalistes dans les rues adjacentes pour les passer à tabac ; plusieurs dizaines de personnes ont été blessées. D’après des victimes et des témoins rencontrés par Amnesty International, des hommes en civil auraient aussi agressé des manifestants et des journalistes sous les yeux de policiers qui n’ont rien fait pour les en empêcher.

La Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) a porté plainte contre le ministre de l’Intérieur de l’époque, Ali Laarayedh, et contre les responsables des forces de sécurité au nom de dizaines de victimes de ces violences. D’autres plaintes ont également été déposées à titre individuel, tandis qu’un certain nombre de victimes ont refusé de saisir la justice, invoquant leur manque de confiance dans les institutions publiques.

L’absence d’enquêtes et de poursuites

À l’époque, Amnesty International avait appelé les autorités tunisiennes à annuler l’interdiction de manifester et à ouvrir des enquêtes sur le recours excessif et abusif à la force par les membres des forces de sécurité, ainsi que sur les agressions de manifestants et de journalistes par des hommes en civil.

L’interdiction de manifester a été annulée à la suite de ces affrontements, mais les enquêtes sur les violences sont au point mort depuis un an et les plaintes déposées auprès du ministère public ont peu progressé, aucune arrestation ni audition n’ayant eu lieu à ce jour. Certains plaignants se sont interrogés sur le rôle de la police judiciaire, chargée d’enquêter sur ces plaintes.

De son côté, le ministère de l’Intérieur n’a pas rendues publiques les conclusions de sa propre enquête, présentées à une commission parlementaire lors d’une séance à huis clos le 27 septembre 2012.

Une commission parlementaire sans réels pouvoirs

Face à la vive émotion provoquée dans l’opinion publique par cette répression, les autorités ont mis en place une commission d’enquête de 22 membres au sein de l’Assemblée nationale constituante. Chargée d’enquêter sur les violences du 9 avril 2012, celle-ci est aujourd’hui connue sous le nom de Commission du 9 avril.

Cependant, un an après les faits, cette commission n’a toujours pas publié de conclusions ni de recommandations. En plus d’une vingtaine de séances, elle n’a entendu que deux témoignages de victimes et de membres de la société civile, ainsi que les conclusions non rendues publiques du ministère, ont déclaré certains de ses membres à Amnesty International.

Le président de cette commission, Zied Ladhari, a expliqué que ses membres étaient débordés par la rédaction de la Constitution et par leurs responsabilités parlementaires, ce qui leur laissait peu de temps pour se réunir. Il a ajouté que la Commission du 9 avril était la première commission d’enquête parlementaire de l’histoire de la Tunisie, et qu’elle manquait donc d’expérience ainsi que d’un cadre juridique satisfaisant.

Au fil des mois, l’inefficacité de cette commission est devenue de plus en plus flagrante, en grande partie en raison de sa structure juridique. En effet, elle a été créée en vertu du règlement de l’Assemblée nationale constituante, qui ne lui donne pas le pouvoir d’obliger les autorités à témoigner ni à lui communiquer des documents.

Les démissions n’ont pas tardé, à commencer par celle de Nejib Hosni, membre de l’Assemblée nationale constituante, qui a quitté la commission le 5 décembre 2012, invoquant son « inutilité ». Dix autres membres de la commission, dont son vice-président Noomane Fehri, ont démissionné le 5 avril 2013, protestant contre son inefficacité. Les démissionnaires ont évoqué l’absence de cadre juridique donnant à la commission les pouvoirs d’enquête nécessaires, ainsi que le manque de coopération du ministère de l’Intérieur.

Tandis que la commission parlementaire était en proie à toutes ces difficultés, une autre commission d’enquête, autorisée par le gouvernement mais mise en place à l’initiative de la société civile et composée de militants issus de celle-ci, a pour sa part enquêté sur les événements survenus en novembre 2012 à Siliana et a réussi, en deux fois moins de temps, à interroger des victimes et à publier ses conclusions et recommandations dans un rapport paru en mars 2013.

Les membres restants de la Commission du 9 avril tentent actuellement de relancer un projet de loi proposant d’accroître les pouvoirs des commissions d’enquête parlementaires. Ce projet leur donnerait notamment le pouvoir de convoquer des suspects et des témoins pour entendre leur témoignage.

Cette nouvelle loi renforcerait les pouvoirs d’investigation des futures commissions d’enquête, mais elle devra toutefois aussi veiller à ce que les témoins soient correctement protégés lorsque leur témoignage risque de les mettre en danger.

La nécessaire obligation de rendre des comptes

Amnesty International déplore que les autorités tunisiennes n’aient pas su mener dans les plus brefs délais une enquête indépendante, exhaustive, impartiale et transparente sur les accusations de recours excessif et abusif à la force.

Le projet de loi destiné à renforcer les pouvoirs d’investigation des commissions d’enquête parlementaires est un excellent projet, mais ces commissions doivent venir en complément des enquêtes et des poursuites judiciaires contre les responsables de violations des droits humains, et non s’y substituer.

Il est grand temps que les autorités tunisiennes montrent leur volonté politique d’obliger les forces de l’ordre à rendre des comptes pour les violations des droits humains qu’elles continuent de commettre. Les autorités tunisiennes doivent entreprendre de toute urgence une refonte du système judiciaire et des services de sécurité – les institutions mêmes qui sont censées protéger les droits fondamentaux du peuple tunisien.

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