TURKMENISTAN. De sévères restrictions à la liberté de mouvement persistent

Index AI : EUR 61/002/2010 (Public)

ÉFAI - 16 août 2010

Amnesty International s’inquiète de constater que le Turkménistan semble plus déterminé que jamais à refuser l’entrée du pays aux observateurs chargés de surveiller la situation des droits humains et à restreindre la liberté de mouvement de sa population. Cette inquiétude s’est encore accrue à la lecture de récents rapports émanant d’une source interne au Turkménistan, à propos d’un nouveau décret présidentiel interdisant la sortie du pays et l’entrée dans le pays de milliers de personnes nommément citées. Selon cette source, l’ordre signé du président Gourbangouly Berdymoukhammedov est entré en vigueur le 1er août et a été envoyé aux services de l’immigration, aux garde-frontières, aux forces de sécurité et aux postes de police dans tout le pays.

Amnesty International appelle les autorités turkmènes à lever immédiatement toutes les restrictions à la liberté de circuler, prises en violation des obligations de ce pays au regard du droit international, à autoriser les personnes à exercer leur droit à la liberté de mouvement – notamment à autoriser tous les citoyens du Turkménistan à exercer leur droit de quitter ou de regagner leur propre pays, et à ouvrir le pays aux observateurs internationaux.

Le nouveau décret interdirait explicitement à 37 057 personnes de quitter le Turkménistan. Il donnerait également pour instruction aux services de l’immigration d’empêcher l’entrée dans le pays d’un certain nombre d’organisations internationales de défense des droits humains, dont Amnesty International, ainsi que de plus de 8 000 personnes nommément citées, de diverses nationalités.

La source a communiqué à Najot, une organisation ouzbèke de défense des droits humains opérant près de la frontière avec le Turkménistan, une liste détaillée des personnes auxquelles l’entrée au Turkménistan serait interdite. Outre Amnesty International, la liste interdirait l’entrée dans le pays à des organisations telles que les fondations de l’Open Society et Mémorial, ainsi qu’à des personnalités comme Farid Toukhbatoulline et Vitaly Ponomarev, défenseurs des droits humains. Selon Najot, 73 journalistes étrangers figureraient également sur la liste des personnes auxquelles serait interdite l’entrée au Turkménistan.

Amnesty International s’est élevée à de nombreuses reprises contre les violations des droits humains au Turkménistan et la détermination du gouvernement à résister à toute surveillance internationale. Le seul rapporteur spécial des Nations unies à s’être rendu au Turkménistan est la rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction. Le rapporteur spécial sur la torture sollicite une demande de visite au Turkménistan depuis 2003. Le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a également envoyé une demande de visite, mais n’a pas, à ce jour, reçu de réponse favorable. Les demandes répétées d’Amnesty International qui sollicite de pouvoir se rendre au Turkménistan sont restées sans réponse.

La nouvelle du décret présidentiel intervient peu après une série d’informations qui nous sont parvenues début juillet, selon lesquelles les détenteurs de la double nationalité russe et turkmène ne pouvaient plus quitter le Turkménistan en présentant leur passeport russe. La police des frontières aurait déclaré à plusieurs personnes qui avaient tenté de le faire qu’elles devaient rendre l’un de leurs passeports.

Le 7 juillet, une annonce du ministre des Affaires étrangères du Turkménistan a paru confirmer la nouvelle ligne dure adoptée par le gouvernement sur la question de la double nationalité, en faisant référence à l’article 7 de la Constitution turkmène de 1992, qui précise qu’un ressortissant turkmène ne peut avoir d’autre nationalité.

En dépit de l’article 7, Boris Yeltsin, ancien président de Russie et Saparmourad Niyazov, ancien président du Turkménistan avaient conclu en 1993 un accord sur la double nationalité. Au titre de cet accord, environ 100 000 personnes possèdent la double nationalité au Turkménistan et depuis 1993, les détenteurs de deux passeports, russe et turkmène, peuvent quitter le Turkménistan en présentant leur passeport russe. Fin 2002, l’ancien président Niyazov avait tenté unilatéralement de revenir sur cet accord, mais les citoyens détenteurs de la double nationalité ont continué à présenter leur passeport russe à leur entrée et à leur sortie du Turkménistan. Ce faisant, ils échappaient à la pénible obligation imposée aux citoyens turkmènes, contraints de demander une autorisation officielle pour quitter le pays. Cette autorisation n’est accordée que pour une destination précise et n’est valable que pour une durée limitée.

Amnesty International est préoccupée par le fait que ces personnes n’aient pu jouir de leur droit de quitter leur propre pays qu’en devenant détenteurs de la nationalité et du passeport d’un autre État et en obtenant la double nationalité. Les récents développements de cette affaire font craindre à Amnesty International que les autorités turkmènes, en forçant ces personnes à renoncer à l’un de leurs passeports, ne cherchent à expulser des militants turkmènes protégés par leur nationalité russe ou à les forcer à abandonner la protection que leur offre leur nationalité russe.

Cette approche dure visant à interdire la double nationalité, permise depuis 1993, est peut-être une réponse à l’intervention du gouvernement russe en faveur d’Andreï Zatoka, militant écologiste détenteur de la double nationalité, lors de son incarcération le 29 octobre de l’année dernière. C’est après avoir reçu une note diplomatique du gouvernement russe que les autorités turkmènes auraient commué sa peine de cinq ans d’emprisonnement en amende, à condition qu’il quitte le pays et renonce à sa nationalité turkmène.

En outre, Amnesty International craint que la tentative de retirer à des personnes leur nationalité russe en dehors de toute procédure légale et sans possibilité d’appel ou de réexamen de la décision par un tribunal indépendant, et cela en dépit du fait qu’il s’agit d’une nationalité acquise légalement en vertu d’un accord passé entre deux États, ne s’apparente à une violation du droit à ne pas être privé arbitrairement de nationalité, droit inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et constamment répété au fil des ans, tant dans les déclarations des Nations unies que dans celles des instances régionales et autres.

Les restrictions au droit de quitter le pays sont également employées pour punir des militants pour leurs activités. Selon l’ONG Initiative pour les droits humains au Turkménistan, Oumida Djoumabaeva, militante de la société civile et anciennement représentante d’Andreï Zatoka, a été empêchée de quitter le Turkménistan. Elle voulait prendre un vol au départ de Bekdash pour se rendre chez des amis au Kazakhstan, mais la police des frontières à l’aéroport l’a empêchée de partir, sans lui donner d’explication et en dépit du fait que tous ses papiers étaient en règle.

Dans quelques cas, des personnes ont été empêchées de se rendre à l’étranger en dépit du fait que leur état nécessitait des soins médicaux urgents dont elles ne pouvaient bénéficier au Turkménistan. En novembre 2009, Ovez Annaev est décédé à l’âge de 46 ans, après que l’autorisation de se rendre à Moscou pour y suivre un traitement pour un problème cardiaque lui ait été refusée. Comme l’ensemble de sa famille, il avait interdiction de quitter le territoire depuis la condamnation par contumace de son beau-frère, Khoudaiberdy Orazov, chef en exil du mouvement d’opposition Vatan (Mère patrie), à la prison à perpétuité après les attentats de novembre 2002 contre le président Niyazov.

À l’inverse, d’autres personnes comme Farid Toukhbatoulline mentionné précédemment, défenseur turkmène des droits de l’homme, sont interdites d’entrée au Turkménistan en raison de leur action en faveur des droits humains.

De telles pratiques constituent une violation du droit de toute personne à « quitter n’importe quel pays, y compris le sien » et à retourner dans son propre pays, comme le précise l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP). Le Turkménistan est partie au PIDCP depuis 1997, ce qui le place dans l’obligation de protéger ce droit.
En septembre, le Parlement européen doit se prononcer sur la signature d’un Accord de coopération et de partenariat avec le Turkménistan. Amnesty International demande instamment au parlement européen de tenir compte de ces violations et autres atteintes aux droits humains au Turkménistan avant de finaliser tout accord.


Complément d’information

Depuis plusieurs années, Amnesty International recueille des témoignages faisant état de sanctions et actes d’intimidation du gouvernement turkmène à l’égard des militants des droits humains, des proches et amis d’opposants exilés et des membres de l’opposition dans le but d’étouffer leurs voix et leurs critiques. Des restrictions au droit à la liberté de circuler ont été utilisées pour tenter de punir les défenseurs des droits humains et des proches de personnes perçues comme critiques à l’égard du gouvernement du Turkménistan ont été pris pour cibles.

En décembre 2008, le Turkménistan a subi son examen périodique universel devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, examen portant sur la conformité des politiques des États membres des Nations unies en matière de droits humains au droit international. Cet examen a lieu tous les quatre ans. Au cours de la session qui s’est tenue aux Nations unies à Genève, le Turkménistan a accepté 19 recommandations des autres États membres des Nations unies, parmi lesquelles des mesures visant à garantir le droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion, à autoriser des organisations indépendantes non gouvernementales à s’enregistrer et à travailler librement et, enfin, à mettre fin au harcèlement et actes d’intimidation à l’égard des journalistes. Le gouvernement turkmène s’est aussi engagé à veiller à ce que les membres de la société civile soient autorisés à rencontrer des représentants des médias étrangers, d’autres gouvernements et d’organisations internationales, sans avoir à craindre d’actes de harcèlement. Toutefois, depuis l’examen périodique universel, le gouvernement turkmène n’a fait aucun progrès réel quant à la mise en œuvre de ces recommandations, ni fixé de délai pour leur application. Les demandes répétées de visite formulées par les organisations internationales restent sans réponse.

Les défenseurs des droits humains et autres militants indépendants de la société civile ne peuvent agir ouvertement dans le pays. Les partis d’opposition n’existent pas. De nombreux militants de l’opposition vivent en exil. Tous les médias, sur papier ou électroniques, sont sous le contrôle de l’État et l’on constate de nombreuses violations du droit à la liberté d’expression. Selon l’ONG turkmène Initiative pour les droits humains, les citoyens turkmènes ont «  interdiction de s’abonner à quelque publication étrangère que ce soit. Le droit de s’abonner à un nombre restreint de journaux et de magazines étrangers n’a été accordé qu’aux ministères, à certains départements et quelques organisations gouvernementales. » Les autorités continuent de bloquer les sites web de membres de l’opposition en exil et de dissidents et l’usage d’internet est surveillé et filtré par le principal serveur propriété du gouvernement. Les journalistes travaillant avec des médias indépendants étrangers sont harcelés et arrêtés par des agents des services de sécurité et des forces de l’ordre. Les organisations turkmènes de défense des droits humains en exil ont mis en évidence le fait que la peur du harcèlement aboutit à une autocensure des journalistes et des médias.

Documents complémentaires

Turkménistan. Informations complémentaires : Un militant écologiste libéré http://www.amnesty.org/en/library/asset/EUR61/008/2009/en/9cbe6a27-8042-4055-a9d8-50ddb5e46016/eur610082009fra.html

Turkménistan. Andreï Zatoka a été condamné à l’issue d’un procès inéquitable, index AI : EUR 61/007/2009 http://www.amnesty.org/en/library/asset/EUR61/007/2009/en/c7057f78-e299-4c5f-811e-383ebc2231b9/eur610072009fr.html

Turkménistan. Un militant écologiste arrêté au Turkménistan, index AI EUR 61/006/2009, http://www.amnesty.org/en/library/asset/EUR61/006/2009/en/bc17af57-e3d3-4c6d-8e8f-743bd47cc13e/eur610062009fra.html

Individuals continue to be at risk of violations in Turkmenistan (index AI : EUR 61/001/2009) http://www.amnesty.org/en/library/info/EUR61/001/2009/en

Turkmenistan : No effective human rights reform (index AI : EUR 61/004/2008), http://www.amnesty.org/en/library/info/EUR61/004/2008/en

Amnesty International urges Turkmenistan to fully implement
recommendations made under the Universal Periodic Review
(index AI : EUR 61/002/2009) http://www.amnesty.org/en/library/info/EUR61/002/2009/en

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