Un décret militaire restreint les droits de circulation

Le 16 février 2017, dans l’est de la Libye, l’armée a pris un décret – décret n° 6 de 2017 – interdisant aux femmes âgées de moins de 60 ans de voyager à l’étranger sans être accompagnées par un tuteur de sexe masculin (muhram). Ce décret a été suspendu cinq jours plus tard en raison des nombreux appels lancés par la société civile pour obtenir son retrait, et finalement remplacé le 23 février par le décret n° 7 de 2017, aux termes duquel aucun Libyen et aucune Libyenne âgé/e de 18 à 45 ans ne peut voyager à l’étranger sans avoir au préalable obtenu l’accord des services de sécurité.

Le ministère de l’Intérieur et le service de renseignement de l’armée dans l’est de la Libye sont responsables de l’application de ce décret et de la délivrance des autorisations pour les civils et les militaires, respectivement, qui veulent voyager. Ce décret, qui n’a pas encore été mis en œuvre, ne précise pas davantage les critères permettant de délivrer ou de refuser l’autorisation de voyager.

Amnesty International demande aux autorités de veiller à ce que la procédure utilisée pour mettre en œuvre le décret n° 7 ne soit pas discriminatoire, tant sur le plan de l’interprétation de ce texte que sur celui de son application, et à ce qu’elle ne donne lieu à aucun refus arbitraire pour les femmes voulant voyager.

Le décret n° 6 de 2017 a été adopté un jour avant l’anniversaire du soulèvement qui a chassé du pouvoir le colonel Mouammar Kadhafi, et mis fin à 42 années de régime autoritaire. Il a finalement été suspendu le 23 février, mais non sans qu’un autre coup ait été porté aux droits des femmes en Libye, ce qui montre que ces droits sont soumis aux caprices des dirigeants militaires, a déclaré Amnesty International.

Le décret n° 6 restreignait fortement le droit de circuler librement des femmes dans l’est de la Libye, et le décret qui l’a remplacé, le décret n° 7, incite à craindre que les droits des femmes ne soient soumis à des restrictions arbitraires en ce qui concerne les voyages, dans un contexte de détérioration de la situation des droits humains dans le pays. Les femmes ont particulièrement été touchées par le conflit, et au cours des dernières années elles ont été contraintes de se retirer de la vie publique et politique en raison de manœuvres d’intimidations.

Les restrictions imposées aux droits et libertés civiles des femmes, notamment en ce qui concerne le droit de circuler librement, ne sont pas récentes en Libye et elles sont souvent appliquées de façon arbitraire.

Il n’existe en Libye aucune loi prévoyant que les femmes ne sont pas autorisées à voyager seules à l’étranger, mais cela n’a pas empêché la mise en œuvre dans le passé de décrets de ce type. En 2007, le gouvernement du colonel Kadhafi avait tenté de faire appliquer un tel décret, mais ce dernier avait été retiré au bout de quelques jours. À la suite du soulèvement de 2011, un décret religieux (fatwa) a été pris en décembre 2013 par le mufti de Libye, empêchant les femmes de Tripoli de voyager à l’étranger si elles n’étaient pas accompagnées par un tuteur de sexe masculin. Cette fatwa adoptée en 2013 a suscité de vives préoccupations, mais les autorités législatives et les autres entités concernées ne lui ont guère accordé d’importance.

Le nouveau décret restreint la possibilité de voyager à l’étranger aussi bien pour les hommes que pour les femmes, mais Amnesty International craint qu’il ne soit appliqué de façon arbitraire, et que les femmes ne soient prises pour cible de façon disproportionnée. Amnesty International demande aux autorités dans l’est de la Libye de veiller à ce que ce décret ne soit pas appliqué de façon discriminatoire ; de plus, l’autorisation requise doit pouvoir être réexaminée par une autorité indépendante et impartiale, avec une possibilité de recours contre une telle décision. Les autorités doivent également prendre d’autres mesures pour veiller à ce que, dans la pratique, les femmes ne soient pas visées de façon discriminatoire par l’application de cette interdiction.

La Libye est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ainsi qu’à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. L’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949, qui s’applique à toutes les situations de conflit armé, interdit toute distinction de caractère défavorable basée sur le sexe. Cette interdiction est une règle du droit international humanitaire coutumier, juridiquement contraignant pour toutes les parties au conflit armé en Libye.

L’application arbitraire de ce décret, qui peut en effet restreindre le droit des femmes de voyager, violerait les obligations de la Libye au titre de l’article 3 (égalité de l’homme et de la femme) et de l’article 12 (liberté de sortir de son pays et d’y entrer) du PIDCP.

Elle serait également contraire à l’article 12 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, qui garantit le droit de circuler librement des femmes. L’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme garantit également ce droit de circuler librement. Toutes les parties au conflit armé en Libye sont tenues de respecter le droit international humanitaire, qui interdit la discrimination basée sur le sexe.

Les États peuvent prendre certaines mesures pour restreindre le droit de circuler librement en cas de danger public menaçant la vie de la nation et quand ces mesures sont strictement nécessaires, mais ces dernières ne sont jamais légales quand elles sont de fait discriminatoires.

Outre les obligations internationales, la Constitution du pays garantit le droit de circuler librement pour tous les citoyens libyens, quel que soit leur genre : on peut notamment citer l’article 6 de la Déclaration constitutionnelle provisoire de la Libye, qui garantit l’égalité, et son article 14, qui garantit le droit de circuler librement, également mis en avant dans l’article 31 de l’Accord politique libyen.

Amnesty International demande aux autorités de la Libye de veiller à ce que les droits et les libertés des femmes soient pleinement protégés par la loi et dans la pratique, et à ce que toutes les autorités gouvernementales respectent les obligations internationales du pays en matière de droits humains.

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