Une expulsion expose un demandeur d’asile à la torture

Le 1er juillet 2016, Olim Otchilov, un demandeur d’asile ouzbek âgé de 27 ans, a été renvoyé de force en Ouzbékistan depuis la Russie, ce qui est manifestement contraire aux mesures provisoires recommandées par la Cour européenne des droits de l’homme. Le 28 juin 2016, la Cour européenne a indiqué des mesures provisoires, au titre de l’article 39 du règlement de la Cour, sur le cas d’Olim Otchilov afin d’empêcher son expulsion vers l’Ouzbékistan, où il risque de connaître la torture.

Olim Otchilov avait quitté l’Ouzbékistan pour la Russie en tant que travailleur migrant en juillet 2012. Deux ans plus tard, le 24 novembre 2014, le tribunal régional de Moscou l’a condamné à trois ans de prison pour son implication présumée dans des activités extrémistes en Russie. Olim Otchilov a purgé sa peine dans une colonie pénitentiaire de la région d’Arhanguelsk (nord-ouest de la Russie), à plus de 1 200 kilomètres de Moscou.

Le 2 octobre 2015, tandis qu’Olim Otchilov purgeait sa peine, le ministère russe de la Justice a déclaré qu’il était « indésirable » en Russie. Olim Otchilov a été informé de la décision du ministère de la Justice et de la nécessité pour lui de quitter la Russie à sa sortie de la colonie pénitentiaire.
Le 16 mai 2016, les services fédéraux de la migration en Russie ont ordonné l’expulsion d’Olim Otchilov sur la base d’une décision du ministère de la Justice. Le 26 mai 2016, Olim Otchilov a formé un recours contre l’arrêté d’expulsion auprès du ministère de l’Intérieur, mais il n’a pas reçu de réponse. Olim Otchilov avait précédemment demandé le statut de réfugié, mais il a été débouté.

Olim Otchilov est parvenu depuis sa colonie pénitentiaire à contacter des avocats spécialistes des droits des réfugiés à Moscou, parce qu’il craignait d’être renvoyé de force en Ouzbékistan, où il risquait véritablement d’être victime de torture et d’autres formes de mauvais traitements. Ses avocats ont sollicité des mesures provisoires auprès de la Cour européenne et, le 28 juin 2016, la Cour a rendu une décision en ce sens, afin qu’Olim Otchilov ne soit pas expulsé vers l’Ouzbékistan.

Le 30 juin 2016, date prévue pour sa libération, Olim Otchilov a été emmené hors de la colonie pénale par des responsables russes de l’application des lois et transféré à l’aéroport d’Arhanguelsk afin d’être expulsé vers l’Ouzbékistan via Moscou. Le même jour, les représentants d’Olim Otchilov ont informé les autorités russes que la Cour européenne avait préconisé des mesures provisoires.

Les autorités russes ont cependant fait fi de la décision de la Cour européenne, bafouant ainsi directement leurs obligations juridiques. Dans une lettre que les avocats russes d’Olim Otchilov ont reçue en réponse à la notification relative aux mesures provisoires recommandées par la Cour européenne en vertu de l’article 39, la police a écrit qu’elle n’avait pas pu empêcher son expulsion, parce que lorsque les détails relatifs à son vol ont pu être établis et lorsque des policiers sont arrivés à la porte d’embarquement, « les portes de l’avion avaient été verrouillées en vue du décollage ». La lettre expliquait aussi qu’Olim Otchilov s’était fait enregistrer sur un vol à destination d’Ourguentch, dans l’ouest de l’Ouzbékistan, avec la compagnie Uzbekistan Airways le 1er juillet et était monté dans l’avion de son propre chef avant que les policiers ne puissent intervenir.

On ignore actuellement où Olim Otchilov se trouve en Ouzbékistan. Les autorités ouzbèkes l’ont accusé d’« activités hostiles à l’État », ce qui l’expose au risque d’être soumis à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements, et de faire l’objet d’un procès inique en Ouzbékistan.

Poursuites pour « activités hostiles à l’État » en Ouzbékistan

Le 13 juin 2013, les autorités ouzbèkes ont accusé Olim Otchilov d’« activités hostiles à l’État » et ont affirmé qu’il avait participé aux activités d’un groupe se faisant appeler Mouvement islamiste du Turkestan. Elles ont déclaré qu’il avait pris part à des actions de ce type dès son arrivée en Russie en 2012. Le jour même, il a été placé sur une liste de personnes recherchées. Selon les autorités ouzbèkes, Olim Otchilov s’est dit en faveur du « renversement de l’ordre constitutionnel » en Ouzbékistan, a critiqué publiquement le gouvernement ouzbek actuel, a distribué des écrits extrémistes interdits en Ouzbékistan, et a prononcé en Russie des discours devant d’autres travailleurs migrants ouzbeks les incitant à se rendre dans des « camps d’entraînement terroristes et subversifs » afin d’y recevoir une formation militaire.

Olim Otchilov a été déclaré suspect d’infractions relevant de : l’article 155 - « terrorisme » ; l’article 159 - « tentatives de renversement de l’ordre constitutionnel de la république d’Ouzbékistan » ; l’article 223 - « sortie illégale du territoire ouzbek ou entrée illégale sur celui-ci » ; l’article 244-1 - « production et dissémination de documents contenant une menace à la sécurité publique ou à l’ordre public » ; et de l’article 244-2 - « établissement et/ou direction d’organisations extrémistes, séparatistes, fondamentalistes ou d’autres groupes interdits, et participation à ceux-ci », du Code pénal ouzbek.

Le 15 juin 2013, le tribunal criminel de la ville de Karchi, dans le sud de l’Ouzbékistan, a autorisé son arrestation.

Complément d’information

Des centaines de personnes en quête d’asile, de réfugiés et de travailleurs migrants ont été enlevés ou renvoyés de force vers l’Ouzbékistan par la Russie depuis 2014, ce qui constitue une violation flagrante des obligations de la Russie en vertu du droit international. La prohibition absolue de la torture et des autres formes de mauvais traitements inclut l’interdiction de renvoyer ou transférer une personne dans un pays où il existe un risque réel qu’elle soit victime de telles violations. La Russie est partie à plusieurs traités interdisant ce type de transfert, mais elle bafoue systématiquement et de manière flagrante ses engagements en faveur des droits humains en renvoyant en Ouzbékistan des personnes qui y ont précédemment subi des sévices physiques et psychologiques aux mains de représentants de l’État.

L’expulsion par la Russie d’« étrangers indésirables »

Selon des organisations non gouvernementales et des avocats travaillant en Russie, la majorité des travailleurs migrants et des demandeurs d’asile qualifiés d’« étrangers indésirables » ne sont pas en mesure de déposer de recours écrits s’il ne sont pas représentés par un avocat. Même dans les rares cas où ils arrivent à soumettre un appel, leur expulsion n’est pas automatiquement suspendue et les responsables de l’application des lois peuvent procéder à leur expulsion à tout moment, à moins qu’un tribunal russe ne décide son report.

En mars 2016, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé qu’Abdoukhafiz Kholmourodov, un demandeur d’asile originaire d’Ouzbékistan, serait exposé à un risque réel de torture, en vertu de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, s’il était renvoyé en Ouzbékistan. La Cour a par ailleurs déterminé que les autorités russes n’avaient pas examiné de manière adéquate sa demande ni le risque de torture dans le cadre de la procédure d’expulsion administrative, et n’avait pas proposé de véritables garanties ainsi que l’exige l’article 13 de la Convention européenne.

Le 25 mars 2015, la cour d’appel de Kostroma a confirmé la peine prononcée par le tribunal de première instance, autorisant ainsi l’expulsion administrative d’Abdoukhafiz Kholmourodov, qui avait été déclaré « étranger indésirable » et faisait l’objet d’une « interdiction du territoire ». La cour d’appel a indiqué qu’aux termes du droit russe, les tribunaux ne sont tenus de prendre en considération ni les jugements prononcés par la Cour européenne sur un risque réel de torture pour la personne concernée dans le cas d’un renvoi en Ouzbékistan, ni les rapports d’organisations internationales sur la situation des droits humains en Ouzbékistan, lorsqu’ils statuent sur des cas d’expulsion administrative. L’expulsion d’Abdoukhafiz Kholmourodov n’a été suspendue que lorsque la Cour européenne a recommandé des mesures provisoires.

Torture en Ouzbékistan

La torture et d’autres formes de mauvais traitements sont des caractéristiques essentielles du système pénal en Ouzbékistan. En 2015, le rapport d’Amnesty International intitulé Secrets and Lies : Forced confessions under torture in Uzbekistan, a conclu que le recours à la torture en Ouzbékistan était généralisé - et particulièrement central à la politique des autorités contre la dissidence, les menaces réelles ou présumées contre la sécurité et les opposants politiques. La torture et les menaces de torture sont régulièrement utilisées afin d’arracher des « aveux », de punir des détenus, des prisonniers et leurs proches, de leur faire accuser d’autres personnes ou de leur extorquer de l’argent.

Les autorités ouzbèkes continuent à nier vigoureusement les allégations de torture et d’autres formes de mauvais traitements formulées contre les forces de sécurité et le personnel carcéral. Pourtant, les juges continuent à se baser sur des aveux obtenus sous la torture, prononcent des condamnations s’appuyant sur ces aveux, et ne prennent pas en considération ou qualifient d’infondées les allégations de torture et d’autres formes de mauvais traitements, même lorsqu’elles sont étayées par des éléments crédibles. Les autorités locales et les forces de sécurité continuent également à persécuter des familles afin de les pousser à révéler où se trouve un suspect présumé, ou pour forcer les suspects à se rendre à la police, à signer des « aveux », à incriminer d’autres personnes, à retirer une plainte ou à payer un pot-de-vin.

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