Il est temps de renforcer la Cour pénale...

Il est temps de renforcer la Cour pénale internationale, pas de l’affaiblir

Par Netsanet Belay, directeur de la recherche et des activités de plaidoyer d’Amnesty International en Afrique

Ces jours-ci, 123 pays parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) ont entamé leur réunion annuelle à La Haye, dans un contexte d’inquiétude quant au soutien décroissant à la justice internationale dans certains États africains.

La situation est particulièrement tendue avec les gouvernements du Kenya et de l’Afrique du Sud, qui lancent des initiatives qui mettent en péril l’indépendance de la Cour.

Malgré une impunité généralisée pour les crimes commis pendant les violences post-électorales de 2007-2008, le gouvernement du Kenya continue ses efforts politiques en vue d’interférer dans le procès du vice-président du pays et d’y mettre fin.

L’Afrique du Sud essaie de faire annuler par des moyens politiques une décision de la CPI selon laquelle les autorités sud-africaines auraient dû arrêter le président soudanais Omar el Béchir lors de son récent séjour à Johannesburg.

Les deux gouvernements ont déclaré qu’ils pourraient se retirer du statut de la CPI.

L’Afrique du Sud et le Kenya ne sont pas les seuls à essayer de politiser le travail de la CPI. Certains membres du Conseil de sécurité des Nations unies semblent plus déterminés à servir leurs propres intérêts qu’à veiller à ce que la CPI soit un outil permettant de garantir la justice. La Russie a notamment opposé son veto à une résolution visant à déférer la situation syrienne à la CPI, mais ce n’est pas le seul pays privant les victimes de justice. Il y a tout juste deux semaines, la Nouvelle-Zélande a fait circuler un projet de résolution au Conseil de sécurité de l’ONU visant à interdire l’accès à la Cour aux victimes israéliennes et palestiniennes.

De plus, l’Assemblée refuse d’allouer des ressources suffisantes à la Cour pour lui permettre de faire face au grand nombre de situations qu’elle doit gérer. Cela pourrait forcer la CPI à faire des choix impossibles lorsqu’elle essaie de rendre justice.

Pourtant, malgré les graves difficultés politiques, il est indispensable de trouver un moyen de renforcer la CPI et non de l’affaiblir. La Cour est la seule chance pour de nombreuses victimes dans beaucoup de pays d’obtenir justice. Elle est donc simplement trop importante pour échouer.

Dès la création de la CPI il y a 13 ans, il était clair qu’il ne serait pas facile de lutter contre la culture généralisée et enracinée d’impunité et de réticence à poursuivre les personnalités influentes.

À l’époque, l’Afrique du Sud déclarait pourtant : « ce sont nos actions et pas seulement des engagements qui nous accorderont le privilège d’être associés à la création de cette cour. »

L’impunité existe car, la plupart du temps, les crimes sont commis sous l’autorité des personnes au pouvoir et les victimes sont les personnes les plus vulnérables et marginalisées de la société. Le manque de pouvoir politique des victimes implique que les gouvernements, n’ayant pas protégé ces victimes, ignorent souvent leurs intérêts et leurs demandes visant à obtenir justice, vérité et réparations, au profit des personnes au pouvoir et de leurs intérêts.

Nous avons pu observer ce type de situation à de nombreuses reprises.

Pendant le conflit à Gaza en 2014 par exemple, des habitations ont été la cible des forces israéliennes et de tirs de roquettes du Hamas. Aucune des parties au conflit n’a eu la volonté ou la possibilité de mener une véritable enquête sur ces crimes et de poursuivre les responsables présumés. La CPI représentait donc la seule chance pour les victimes de ces crimes d’obtenir justice.

En effet, la CPI a le potentiel pour jouer un rôle majeur dans l’éradication de cette injustice. Son mandat lui permettant d’intervenir dès lors que les autorités nationales refusent ou sont dans l’incapacité d’agir permet à la CPI d’engager des poursuites dans quelques affaires clés et de rendre justice aux victimes dans une certaine mesure et donc de pousser les autorités nationales à prendre leurs responsabilités.

Dans la première affaire qui lui a été confiée, la CPI a entendu les témoignages d’enfants soldats qui avaient été victimes de violences. Ils avaient notamment été battus et forcés à commettre des actes terribles. Après avoir condamné Thomas Lubanga, de RDC, et donc envoyé un message fort aux personnes recrutant des enfants soldats dans le monde, la Cour prépare maintenant une ordonnance de réparation pour aider les victimes. Sans la CPI, ces victimes ne pourraient simplement pas espérer obtenir justice.

À ce jour, plus de 10 000 victimes ont engagé des procédures auprès de la CPI et de nombreuses victimes dans de nombreuses autres régions, notamment en Afghanistan, en Colombie, en Libye, au Mexique, en Palestine, en Syrie, au Soudan, au Soudan du Sud et en Ukraine, se tournent maintenant vers la CPI pour obtenir justice.

Malgré le soutien solide qu’elle apporte aux victimes, il convient cependant de reconnaître que l’institution n’est pas parfaite. Elle n’a pas permis de garantir l’accès à la justice à de nombreuses victimes hors de l’Afrique, ni de respecter pleinement les droits des accusés, des victimes et des témoins dans certaines affaires. Sa décision d’accepter qu’Abdullah al Senoussi soit rejugé en Libye, malgré les graves préoccupations relatives aux droits humains, est extrêmement dérangeante.

Cependant, ces faiblesses mettent en lumière le besoin d’assurer un engagement constructif plutôt que des attaques destructives.

Dans un contexte où de plus en plus de crimes sont commis dans le monde, il est essentiel que tous les gouvernements, y compris ceux du Kenya et de l’Afrique du Sud, restent fermement engagés à soutenir la justice internationale. Les moyens de la CPI doivent être augmentés afin qu’elle puisse punir les crimes où qu’ils soient commis ; et il faut lutter contre les actions menaçant l’indépendance de la Cour ou sa capacité à rendre justice aux victimes.

L’impunité est un problème d’ordre mondial. Nous avons besoin de la CPI et du soutien de tous les États pour le combattre.

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