Minerais de conflit : les entreprises continuent à fermer les yeux sur les atteintes aux droits humains Par Iverna McGowan, directrice du Bureau européen d’Amnesty International

Seule une législation obligatoire de l’UE sur les minerais de conflit empêchera les entreprises de continuer à fermer les yeux sur les atteintes aux droits humains. Un nombre énorme d’articles fabriqués à partir de minerais vendus pour financer de violents conflits – et extraits par des enfants ou dans des conditions dangereuses – se retrouvent sur le marché européen chaque année

Les magasins branchés vendant des téléphones et ordinateurs dernier cri ne sont pas des endroits que l’on a tendance à associer aux conflits armés, au travail des enfants et autres atteintes odieuses aux droits humains. Les consommateurs européens s’attendent à pouvoir acheter ces produits – au même titre que des bijoux, voitures et ampoules – avec la certitude que des enfants n’ont pas dû peiner dix-huit heures par jour sous terre pour extraire les minéraux essentiels à leur fabrication.

Ce n’est tragiquement pas le cas.

Amnesty International a récemment dévoilé que de grandes marques électroniques comme Apple, Samsung et Sony, n’effectuent pas les contrôles élémentaires afin de vérifier que la fabrication de leurs produits n’intègre pas de cobalt extrait dans les mines par des enfants travaillant dès l’âge de sept ans dans des conditions périlleuses.

Ces produits sont vendus à travers l’Union européenne (UE). En tant que principal bloc commercial du monde, un nombre énorme d’articles fabriqués à partir de minerais vendus pour financer de violents conflits – et extraits par des enfants ou dans des conditions dangereuses – se retrouvent sur le marché européen chaque année.

L’UE est aussi le deuxième importateur de téléphones et ordinateurs portables au monde, et trois des cinq entreprises principales important ces produits y ont leur siège.

Cette influence commerciale immense place l’UE dans une position de choix pour veiller à ce que les entreprises vendant des produits en son sein ne tirent pas profit d’atteintes aux droits humains. Une nouvelle régulation axée sur les minerais dits « de conflits », à savoir l’étain, le tungstène, le tantale et l’or, comblerait les fissures à travers desquelles les minerais de conflit s’infiltrent en Europe.

Mais cette nouvelle régulation est actuellement dans l’impasse.

En mai 2015, le Parlement européen a marqué son soutien pour une législation obligatoire qui forcerait les entreprises important des minerais bruts et les produits en contenant à vérifier que les minerais utilisés ne proviennent pas de régions affectées par des conflits, ou d’endroits présentant des risques élevés de violations de droits humains.

Malgré cela, le Conseil européen a proposé un système entièrement facultatif, s’appliquant à une poignée seulement d’entreprises important des minerais et métaux dans l’UE, et abandonnant complètement toute obligation pour les entreprises de réduire le risque que des téléphones et ordinateurs portables et d’autres produits contenant des minerais ne soient entachés par les conflits armés ou l’exploitation.

Cela a assez duré. Depuis le vote du Parlement il y a un an, de nouvelles preuves sont apparues et ont montré que de l’or extrait par des enfants au Burkina Faso est utilisé pour financer des groupes armés et criminels en Amérique latine.

La loi faible et facultative avancée par le Conseil n’empêcherait pas ces minerais d’être commercialisés dans l’UE.

Si l’UE renonce à obliger les compagnies qui opèrent en son sein à mettre en place des mesures afin d’empêcher que les minerais qu’elles extraient et utilisent n’alimentent des atteintes aux droits humains, elle deviendra un maillon faible parmi les tentatives globales visant à rendre les chaînes d’approvisionnement plus responsables, transparentes et durables. Cela signifie aussi que les consommateurs européens pourraient acheter des produits extraits par des enfants en République Démocratique du Congo ou finançant des organisations terroristes en Colombie.

Une étude de 2014 de la Commission européenne a démontré que 93 % des compagnies interrogées ne faisaient aucune mention de politique régulant leur chaîne d’approvisionnement en « minerais de conflit » sur leurs sites, ou dans leurs rapports annuels. Et cela malgré le fait que des lignes directrices facultatives sont à leur disposition depuis des années, ce qui montre que seul un système obligatoire pourra susciter de vrais changements.

Une législation obligatoire doit également couvrir la chaîne d’approvisionnement dans son entièreté, et ne peut se limiter aux minerais ou métaux importés dans l’UE à l’état brut. Des minerais liés à des conflits et atteintes aux droits humains entrent dans le marché européen par le biais d’une foule de produits – pas seulement des minerais – et seules les compagnies traçant leurs minerais de manière responsable peuvent empêcher que l’on continue à tirer profit des atteintes aux droits humains d’autres personnes.

Si c’était fait correctement, cela permettrait aux compagnies non seulement d’exercer des pressions sur d’autres entreprises pour qu’elles tracent leurs minerais de manière responsable, mais aussi de créer des programmes conjoints à l’échelle de l’ensemble de l’industrie pour faciliter et rendre plus efficace la détection par toutes les entreprises d’atteintes aux droits humains dans leurs chaînes d’approvisionnement. Il n’y a pas de raison pour que la diligence raisonnable ne soit pas obligatoire. L’idée n’est pas neuve, et fait déjà partie d’autres législations de l’UE, telle que la Directive relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux. Cette approche a été conçue pour être souple et adaptable à des compagnies de toute taille et à différents points de la chaîne d’approvisionnement. Il s’agirait d’un mécanisme continu permettant aux entreprises de montrer une amélioration continuelle au fil du temps.

Parfois, les actions sont plus éloquentes que les mots. Jeudi passé (le 12 mai), le Conseil a déclaré son intention de promouvoir des chaînes de valeur mondiales responsables, et s’est à nouveau engagé à s’assurer que la croissance économique globale inclusive aille de pair avec la justice sociale et le respect des droits humains. L’UE a fait les promesses qui s’imposaient, mais n’est pas encore passée aux actes en ce qui concerne les minerais de conflit.

La nouvelle loi sur les minerais de conflit doit être obligatoire, et doit se concentrer sur la chaîne d’approvisionnement tout entière, de la mine au marché. Faute de cela, aucun d’entre nous ne pourra faire des achats en Europe et avoir la certitude que le téléphone portable de notre choix n’a pas coûté la vie de quelqu’un d’autre.

L’article a été originellement publié en anglais sur le site de New Europe : https://www.neweurope.eu/article/mandatory-eu-conflict-minerals-law-will-stop-companies-overlooking-human-rights-abuses/

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