Des retrouvailles émouvantes à l’issue d’un incroyable voyage

« Quand je ferme les yeux, je m’imagine de nouveau aux côtés de mon père », m’avait déclaré Alan Mohammad quand je l’avais rencontré pour la première fois dans un camp de réfugiés près d’Athènes, en juillet 2016. Lui et sa sœur, qui souffrent de dystrophie musculaire depuis leur naissance, pensaient que ce moment n’arriverait peut-être jamais.

Pourtant, jeudi 16 mars 2017 au soir, malgré tous les obstacles et après un périple qui leur a fait franchir quatre frontières et les a laissés bloqués pendant un an en Grèce, la famille a enfin été réunie.

Leurs retrouvailles émouvantes sont le point d’orgue d’un voyage qui paraissait impossible, et qu’ils ont entrepris ensemble en Syrie durant l’été 2014.

À l’époque, Alan et Gyan, qui sont en fauteuil roulant, vivaient à Hassaké avec leurs parents, leurs deux sœurs et leur frère. À l’approche du groupe armé se désignant sous le nom d’État islamique (EI), la famille n’a pas eu d’autre choix que de fuir la ville.

Après avoir tenté en vain de franchir la frontière avec la Turquie à trois reprises et s’être fait à chaque fois tirer dessus par la police, Alan, Gyan et les autres membres de leur famille sont parvenus à gagner l’Irak. Ils y sont restés un an et demi, jusqu’à ce que la progression de l’EI les pousse de nouveau à fuir. Le père a alors poursuivi le périple avec l’une de ses filles, et tous deux ont fini par atteindre l’Allemagne.

Le reste de la famille a une nouvelle fois tenté d’entrer en Turquie, mais cette fois par un chemin de montagne totalement impraticable pour les fauteuils roulants. En février 2016, Alan et Gyan ont fait le voyage chacun sanglé sur un flan du même cheval, guidé par leur jeune sœur. Leur mère et leur frère suivaient, poussant leurs lourds fauteuils roulants le long du sentier pentu et irrégulier.

Lorsque j’ai rencontré Alan cet été-là, il m’a dit : « Le voyage a été très difficile. Il l’est pour les “personnes normales”. Alors c’est un véritable miracle que des personnes handicapées y soient arrivées, parce que toutes les frontières entre les deux pays [Irak et Turquie] sont montagneuses. »

Une fois en Turquie, la famille a versé 750 dollars par personne à un passeur pour se rendre en Grèce et s’est retrouvée entassée avec 60 autres personnes sur une petite embarcation pneumatique. Alan et Gyan ont dû abandonner leurs fauteuils roulants car les passeurs voulaient faire de la place pour embarquer plus de monde.

Peu après leur départ pour la périlleuse traversée, le moteur du bateau est tombé en panne et ils ont dérivé dans les eaux turques pendant environ quatre heures. « C’était terrifiant, se souvient Alan. Chaque fois que je regardais autour de moi je voyais des bébés et des enfants pleurer [...] Ma mère était sur le point de s’évanouir, et à un moment ma sœur m’a dit qu’elle ne pouvait plus continuer.  »

Des passagers ont finalement réussi à redémarrer le moteur, et ils sont parvenus à atteindre les eaux territoriales grecques, où ils ont été secourus par les gardes-côtes. La famille a ensuite été transférée sur l’île de Chios, où Alan et Gyan ont pu bénéficier de fauteuils roulants.

Ils sont arrivés sur l’île le 12 mars, quelques jours avant l’entrée en vigueur de l’accord UE-Turquie. En conséquence, les frontières des autres pays européen étaient désormais fermées et leurs espoirs de retrouver leur père et leur sœur en Allemagne semblaient bien lointains.

La famille a été mise à bord d’un ferry vers la Grèce continentale, puis emmenée en bus jusqu’au camp de réfugiés de Ritsona. La vie dans ce camp, situé sur une base militaire abandonnée en pleine forêt, était très difficile. Le sol sablonneux et inégal rendait tout déplacement particulièrement compliqué pour Alan et Gyan, et la nourriture servie était si mauvaise qu’une grande partie était jetée, ce qui attirait des sangliers.

Après un premier entretien avec les services d’asile grecs fin septembre 2016, la famille a été transférée dans un hôtel de Khorithos, à une heure de route au nord d’Athènes, avec l’aide du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

Et puis, il y a une semaine, ils ont reçu la nouvelle qu’ils attendaient. Lors d’un rendez-vous avec les services en charge de l’asile, on leur a annoncé qu’un vol pour Munich les attendait et qu’ils devaient retourner à l’hôtel préparer leurs affaires. Jeudi soir, ils ont retrouvé leur père et leur sœur dans un centre pour réfugiés près de Hanovre.

Alan et Gyan sont maintenant prêts à entamer une nouvelle vie en Allemagne. Ils ont déjà commencé à apprendre la langue et sont conscients des difficultés de vivre dans un autre pays. Mais ils savent aussi quelle chance ils ont, et ils n’oublient pas tous ceux qui se morfondent toujours dans les camps en Grèce, après un hiver impitoyable.

« J’espère qu’ils trouveront une solution pour les gens qui sont coincés dans les îles […] Certains sont morts à cause de la neige il y a quelques semaines. C’est très dur pour eux. J’ai vu les photos des gens sur les îles et cela m’a fait mal de les voir dans des tentes sous la neige », m’a déclaré Alan.

En 2015, l’Union européenne s’est engagée à relocaliser 66 400 demandeurs d’asile présents sur le sol grec dans les deux ans. Or, au 10 mars 2017, seules 9 925 personnes avaient été transférées dans d’autres pays européens dans le cadre du programme de relocalisation.

De toute évidence, l’Europe peut et doit en faire plus pour accueillir les réfugiés qui se trouvent en Grèce, par le biais de la relocalisation, du regroupement familial ou des visas humanitaires.

Pour beaucoup, ces réfugiés ne sont que des statistiques. Mais pour Alan et Gyan, certains sont des amis et des compatriotes. Heureusement, Alan n’a plus besoin de fermer les yeux pour se voir aux côtés de son père, mais comme il m’a dit une fois : « Je me sens très triste pour tous mes amis et tous les réfugiés que j’ai laissés derrière moi. Il y a des enfants et des bébés là-bas et ils se trouvent dans une situation terrible. Je vous en prie, ne les oubliez pas. »

Monica Costa Riba

Cet article a d’abord été publié par TRT World  : http://www.trtworld.com/opinion/syrian-refugee-family-finally-makes-it-to-germany-wheelchairs-and-all-318569.

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit