Préface d’Irene Khan : des promesses sans lendemain

En ce soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), les dirigeants mondiaux feraient bien de présenter des excuses pour six décennies de manquements aux droits humains ; ils doivent s’engager de nouveau à agir en faveur d’améliorations concrètes.
En 1948, témoignant d’une volonté politique extraordinaire, les Nations unies ont adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme. Aujourd’hui, cette promesse ne représente qu’un chiffon de papier pour des millions de gens dans le monde entier.

Le Rapport 2008 d’Amnesty International dresse un tableau effrayant de l’état des droits humains dans 150 pays du monde. Dans les pays en proie à des conflits de longue durée, les forces gouvernementales ainsi que les groupes armés considèrent les civils comme des cibles légitimes. La violence contre les femmes sévit dans toutes les régions du monde. De plus en plus, l’interdiction absolue de la torture et des autres formes de mauvais traitements est bafouée. Dans de nombreux pays, la répression s’abat sur la dissidence politique. Les journalistes et les militants subissent des attaques et sont réduits au silence. Des centaines de milliers de réfugiés, de migrants et de demandeurs d’asile ne bénéficient d’aucune protection. La planète connaît une prospérité sans précédent, mais des millions de personnes sont dans le dénuement. Les grandes entreprises ne tiennent guère compte des conséquences de leur conduite en termes de droits humains.

Ce triste tableau doit être complété par les points névralgiques en matière de droits humains que constituent le Darfour, le Zimbabwe, Gaza et le Myanmar. La nécessité urgente d’agir est évidente – mais où sont la capacité de direction et la volonté politique ?

2007 a été caractérisé par l’impuissance des États occidentaux et l’attitude ambiguë ou irrésolue des puissances émergentes, face aux crises en matière de droits humains.

Les gouvernements occidentaux ont perdu leur autorité morale de défenseurs mondiaux des droits humains parce qu’ils n’ont pas su mettre en pratique les principes qu’ils demandaient aux autres pays de respecter. Le gouvernement des États-Unis a foulé aux pieds les droits humains les plus fondamentaux au nom de la « guerre contre le terrorisme ». Des centaines de prisonniers à Guantánamo et à Bagram, et des milliers d’autres en Irak, sont toujours détenus sans inculpation ni jugement. En juillet dernier, le président américain a autorisé les services de renseignements (CIA) à continuer à pratiquer la détention et les interrogatoires secrets, au mépris du droit international.

Au long de l’année qui vient de s’écouler, des éléments nouveaux ont montré qu’un certain nombre d’États membres de l’Union européenne avaient prêté main-forte à la CIA pour enlever, détenir secrètement et transférer illégalement des personnes vers des pays où elles ont été maltraitées, voire torturées. Malgré les demandes répétées du Conseil de l’Europe, aucun gouvernement européen n’a ouvert d’enquête exhaustive sur ces agissements, ni fait amende honorable, ni mis en place des mesures adéquates afin d’empêcher une utilisation ultérieure des territoires européens pour ces détentions secrètes et ces « restitutions ».

Ces pratiques n’ont nullement contribué à faire avancer la lutte contre le terrorisme ; en revanche, elles ont grandement nui à la capacité de ces États à exercer une influence sur d’autres pays dans le domaine des droits humains.

Au Myanmar, quand la junte a violemment réprimé les manifestations pacifiques impulsées par des moines, les États-Unis et l’Union européenne ont condamné l’action du pouvoir militaire dans les termes les plus forts, et renforcé leurs embargos sur le commerce et les armes, mais ces mesures n’ont eu que des conséquences limitées, pour ne pas dire nulles, sur la situation des droits humains sur le terrain.

Au Darfour, les pays occidentaux n’ont pas non plus joué un rôle décisif. Si l’indignation internationale et une vaste mobilisation publique ont gravé le nom du Darfour dans la conscience mondiale, elles n’ont pas réellement allégé les souffrances de son peuple.

Dans le contexte du Darfour comme dans celui du Myanmar, le monde s’est tourné vers la Chine dans l’espoir de la voir passer à l’action. Ce pays, qui est le premier partenaire commercial du Soudan et le deuxième du Myanmar, peut exercer l’influence politique et économique indispensable. Sous les pressions de la communauté internationale, la Chine a changé de position sur le Darfour au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, et elle est intervenue auprès de la junte du Myanmar en vue de l’ouverture d’un dialogue avec les Nations unies. Mais la Chine, depuis longtemps, estime que les droits humains relèvent de la politique intérieure de chaque État souverain et ne constituent pas une question de politique étrangère. Cette position est d’ailleurs conforme à ses intérêts politiques et commerciaux.

Comme la Chine, la Russie – autre acteur essentiel de la scène mondiale – n’est pas intervenue avec vigueur en faveur des droits humains. La dissidence politique, dénoncée comme « antipatriotique », a été réprimée, les médias indépendants ont subi de fortes pressions et les ONG ont dû se plier à un carcan législatif. L’impunité règne en Tchétchénie, ce qui incite certaines victimes à demander justice à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.

Dans un contexte de profondes transformations de l’ordre géopolitique, certaines anciennes puissances se désinvestissent de la question des droits humains. Quelles perspectives s’ouvrent pour les nouveaux leaders ?

L’Inde jouit d’une démocratie progressiste solide, s’appuyant sur un héritage juridique fort en matière de droits humains et un système judiciaire indépendant. Toutes ces caractéristiques peuvent lui conférer une fonction de modèle. Mais elle doit faire preuve de plus de dynamisme dans l’application des droits fondamentaux au niveau national, et adopter une ligne plus claire à leur sujet au niveau international. Des pays comme le Brésil ou le Mexique ont défendu activement les droits humains à l’échelon mondial, mais ne les ont pas mis en œuvre de manière convaincante à l’intérieur de leurs frontières. Quant à l’Afrique du Sud, sa capacité à jouer un rôle dirigeant dans le domaine des droits humains est mise à l’épreuve, car elle ne semble pas prête à regarder en face les problèmes posés par le Zimbabwe. L’Australie, elle, s’est dotée récemment d’un gouvernement qui se montre très désireux de définir un nouveau programme de défense des droits humains.

Le chemin qui s’ouvre devant nous est cahoteux, mais l’espoir n’a pas disparu.

Il existe à l’échelle mondiale un mouvement d’hommes et de femmes qui se dressent pour défendre leurs droits et pour exiger que les États rendent compte de leurs actes. Parmi les images frappantes de 2007, on retiendra les manifestations de moines du Myanmar, d’avocats du Pakistan, ou de militantes en Iran. Partout dans le monde, ceux et celles qui ont été abandonnés à un triste sort parce que les promesses d’hier sont restées sans lendemain exigent la justice, la liberté et l’égalité.

De nouveaux dirigeants accèdent au pouvoir dans des pays importants. De nouvelles puissances apparaissent sur la scène mondiale. Elles ont la possibilité sans précédent d’instaurer un nouveau modèle de direction.

La Déclaration universelle des droits de l’homme constitue un guide pour l’action aussi pertinent aujourd’hui qu’en 1948.

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