MACEDOINE

Dix ans après le conflit armé de 2001, des poursuites pour crimes de guerre que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (le Tribunal) avait finalement confiées à la justice macédonienne ont été annulées. Le gouvernement a mis un certain nombre d’entraves à la liberté de la presse

EX-RÉPUBLIQUE YOUGOSLAVE DE MACÉDOINE
Chef de l’État : Gjorge Ivanov
Chef du gouvernement : Nikola Gruevski
Peine de mort : abolie
Population : 2,1 millions
Espérance de vie : 74,8 ans
Mortalité des moins de cinq ans : 10,5 ‰
Taux d’alphabétisation des adultes : 97,1 %

Contexte

Le respect des droits humains s’est dégradé tout au long de l’année. L’opposition ayant boycotté le Parlement, notamment en raison de ce qu’elle dénonçait comme des ingérences du gouvernement dans le travail des médias, des élections ont été organisées en juin. Celles-ci ont reconduit à la tête du pays la coalition constituée par, d’une part l’alliance entre l’Organisation révolutionnaire macédonienne interne et le Parti démocrate pour l’unité nationale macédonienne (VMRO-DPMNE), d’autre part l’Union démocratique pour l’intégration (BDI), implantée dans la communauté albanaise. Cette dernière formation a mis plusieurs conditions à sa participation au gouvernement, entre autre l’amnistie pour les crimes de guerre.
La construction de monuments nationalistes n’a fait qu’exacerber les tensions entre groupes ethniques. En février, des membres de la communauté albanaise, dont des représentants de la BDI, ont tenté d’arrêter le chantier de construction d’un musée en forme d’église, dans l’enceinte de la forteresse de Skopje. L’incident a fait huit blessés. En octobre, un recensement a été annulé peu après son démarrage, les différentes parties ne parvenant pas à s’entendre sur l’opportunité de tenir compte des Albanais de Macédoine vivant depuis plus d’un an à l’étranger – les règles de l’Union européenne sur la collecte de données prévoient la non-inclusion de ces personnes dans les statistiques.
La Commission européenne a de nouveau recommandé, en octobre, l’ouverture de négociations en vue de l’adhésion de la Macédoine à l’Union européenne. Le Conseil des ministres de l’Union a cependant de nouveau reporté le début des pourparlers, en partie parce que le contentieux avec la Grèce sur le nom officiel du pays n’avait toujours pas été réglé.

Crimes de guerre

Le Parlement a adopté en juillet une nouvelle interprétation de la Loi d’amnistie de 2002, qui exemptait de toute sanction les personnes impliquées dans le conflit armé de 2001, dès lors qu’elles n’étaient pas citées dans des affaires relevant de la compétence du Tribunal. Aux termes de cette interprétation de la loi, quatre affaires de crimes de guerre, renvoyées en 2008 par le Tribunal aux instances judiciaires macédoniennes, ne pouvaient être jugées que par le Tribunal et non par ces dernières, en violation des obligations internationales incombant à la Macédoine.
Ainsi, à la demande du parquet, le tribunal pénal de Skopje s’est dessaisi en septembre de l’affaire des ouvriers des ponts et chaussée de la société Mavrovo. Cette affaire concernait plusieurs ouvriers qui auraient été enlevés en 2001 par des membres de l’Armée de libération nationale (UÇK) albanaise, maltraités, soumis à des sévices sexuels et menacés de mort, avant d’être finalement relâchés. Le tribunal a cependant autorisé les victimes à intenter une action au civil pour obtenir des réparations.
Les poursuites dans les autres affaires ont été abandonnées fin octobre. Dans l’affaire dite de la « direction de l’Armée de libération nationale (UÇK) », l’un des accusés n’était autre qu’Ali Ahmeti, le dirigeant de la BDI, qui était à l’époque à la tête de l’UÇK. Une troisième affaire, dite de « Neprošteno », concernait l’enlèvement présumé de 12 membres de la communauté macédonienne slave et d’un Bulgare par des combattants de l’UÇK.
Les disparitions forcées, en 2001, de six membres de la communauté albanaise aux mains des autorités macédoniennes, demeuraient impunies.

Torture et autres mauvais traitements

Opérationnels à partir du mois d’avril, les services du médiateur national tenaient lieu de mécanisme national de prévention, au titre du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture [ONU]. Ils ne disposaient cependant ni de l’autorité ni de moyens suffisants pour s’acquitter de leur mission.

Les policiers responsables de mauvais traitements bénéficiaient toujours de l’impunité. Le parquet n’a pas enquêté sérieusement sur les allégations qui lui parvenaient. L’unité « Alpha » de la police a cette année encore été accusée de mauvais traitements.

Homicides illégaux

*Roué de coups le 6 juin, alors qu’il fêtait à Skopje les résultats des élections, Martin Neskovski est mort peu après des suites de blessures à la tête. La police a dans un premier démenti toute implication, mais un membre de la brigade des « Tigres » (une unité antiterroriste des forces de sécurité), Igor Spasov, a été arrêté le 8 juin. Plusieurs manifestations ont eu lieu pour dénoncer les retards pris dans cette enquête et exiger la mise en place d’un contrôle plus strict du pouvoir civil sur la police. Des poursuites pénales ont été ouvertes en novembre sur la mort de Martin Neskovski.

Lutte contre le terrorisme et sécurité

Saisie par Khaled el Masri, qui accusait la Macédoine de s’être rendue complice de son enlèvement, de sa détention illégale et des mauvais traitements qu’il a subis pendant 23 jours en 2003 à Skopje, la Cour européenne des droits de l’homme n’avait toujours pas engagé la procédure dans cette affaire à la fin de l’année. Khaled el-Masri avait ensuite été remis illégalement aux autorités américaines, qui l’avaient transféré en Afghanistan, où il aurait été torturé et, plus généralement, maltraité. En février, dans le cadre d’une action intentée au civil, un expert a apporté, dans sa déposition, un certain nombre d’informations concernant les vols dits de « restitution » ayant permis le transfert de Khaled el-Masri de Skopje à Kaboul. L’affaire a cependant été ajournée en raison de l’absence d’une procédure autorisant Khaled el-Masri à témoigner par vidéoconférence depuis l’Allemagne.

Liberté d’expression

Les journalistes et les collaborateurs des médias indépendants ont vu leur liberté d’expression soumise à des restrictions croissantes en raison des ingérences du gouvernement, allant de manœuvres d’intimidation directes au contrôle des annonceurs. Au mois d’octobre, on comptait quelque 105 procès en diffamation intentés à des journalistes, souvent par des représentants de l’État. Jadranka Kostova, rédactrice de Focus, a été condamnée à une amende d’un million de denars (plus de 16 000 euros) pour diffamation présumée.
En janvier, les pouvoirs publics ont gelé les comptes bancaires de la chaîne de télévision A1 et des journaux du même groupe, Vreme, Shpic et Koha e Re, critiques à l’égard du gouvernement. Un mois plus tôt, en décembre 2010, le propriétaire de la chaîne A1 et 14 autres personnes, accusés de fraude et d’évasion fiscale, avaient été arrêtés et placés en détention. Le procès qui s’est déroulé par la suite a été hautement politisé ; des préoccupations ont par ailleurs été exprimées quant à la durée de la détention des prévenus.

En juillet, la chaîne A1 a fermé et les versions imprimées des journaux du groupe ont cessé de paraître. Des centaines de journalistes ont protesté contre cette fermeture et contre les licenciements qui l’avaient accompagnée au sein des rédactions. Une syndicaliste a été à son tour licenciée, selon toute apparence parce qu’elle avait participé aux manifestations. Plusieurs modifications de la Loi sur la radiotélédiffusion adoptées un peu plus tard en juillet ont renforcé le contrôle du gouvernement sur le Conseil du même nom, chargé de réguler les médias électroniques.

Des discussions ont commencé en octobre entre des représentants du gouvernement et des journalistes qui exigeaient la suppression du délit de diffamation. Dans une interview télévisée, le Premier ministre a accusé le journaliste Borjan Jovanovski de mettre en péril l’adhésion de la Macédoine à l’Union européenne.

Discrimination

La Loi de 2010 contre la discrimination est entrée en vigueur en janvier et la Commission pour la protection en matière de discrimination a commencé à recevoir des plaintes en avril. Plusieurs ONG se sont interrogées sur la compétence et l’indépendance de cette Commission, dans la mesure où ses membres élus n’avaient guère d’expérience en matière de droits humains et où trois d’entre eux étaient des fonctionnaires. La loi ne comportait pas de disposition garantissant les droits des lesbiennes, des gays, des personnes bisexuelles et des transgenres ; la Commission a néanmoins ordonné le retrait d’un manuel de psychologie à teneur homophobe.
La mise en œuvre de l’Accord-cadre d’Ohrid de 2001, qui couvrait notamment la question des discriminations à l’égard des membres de la communauté albanaise, suivait son cours. La décentralisation des pouvoirs au profit des municipalités avançait avec lenteur et la Loi sur les langues était partiellement appliquée. Dans l’enseignement, la ségrégation des élèves roms ou d’origine albanaise restait une réalité.
Les Roms
La Macédoine, qui a pris en juillet la présidence de la Décennie pour l’intégration des Roms, n’a pas consacré suffisamment de moyens à la mise en œuvre de ses propres plans d’action en ce domaine et de sa Stratégie nationale pour la promotion de la femme rom.
De nombreux Roms ne disposaient toujours pas des documents personnels leur donnant accès à l’éducation, à la santé, à l’emploi et à la protection sociale. L’ONG Centre national rom a aidé 1 519 Roms à déposer une demande de régularisation de leurs biens au titre d’une loi adoptée au mois de mars. Les quartiers précaires habités par les Roms n’ont généralement ni eau courante, ni électricité, ni assainissement ni voirie.
Le Centre européen pour les droits des Roms a indiqué en mai que les enfants roms représentaient 46 % des élèves des écoles spéciales et des classes d’enseignement primaire réservées aux enfants ayant des besoins particuliers.
Réfugiés et demandeurs d’asile
Il y avait encore en Macédoine 1 519 demandeurs d’asile, dont 1 100 Roms et Ashkalis originaires du Kosovo. Le ministère du Travail et de la Politique sociale ne leur apportait ni le soutien financier ni les possibilités de logement prévus par un accord de 2010 sur l’intégration locale. Un certain nombre de Roms, Ashkalis et « Égyptiens » (193 au total) sont retournés au Kosovo et 16 sont partis Serbie ; 185 étaient en instance de retour, tandis que 726 avaient choisi l’intégration locale.
Sous la pression de la Commission européenne, le gouvernement a renforcé les contrôles à ses frontières et mis en place des contrôles à la sortie du territoire qui limitaient la possibilité de se rendre à l’étranger et visaient bien souvent les Roms. Le ministre de l’Intérieur a indiqué que pour le seul mois de juin, 764 ressortissants macédoniens s’étaient ainsi vu refuser le droit de quitter le pays.

Visites et documents d’Amnesty International

  • Des déléguées d’Amnesty International se sont rendues en Macédoine en décembre.
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