Pakistan

La tentative d’assassinat par les talibans pakistanais, en octobre, d’une adolescente qui militait en faveur des droits humains a mis en lumière les risques sérieux auxquels étaient exposés les défenseurs des droits fondamentaux et les journalistes. Les membres des minorités religieuses étaient victimes de persécutions et d’attaques, notamment d’assassinats ciblés perpétrés par des groupes armés ; des chefs religieux ont incité à la violence contre eux. Cette année encore, les forces armées et des groupes armés ont commis des atteintes aux droits humains – disparitions forcées, enlèvements, actes de torture et homicides illégaux – dans les zones tribales et au Baloutchistan. Les tribunaux ont obtenu que les autorités leur présentent quelques victimes de disparitions forcées, mais les responsables de ces agissements n’ont pas été déférés à la justice pour être jugés selon une procédure équitable. En novembre, les autorités militaires ont procédé à la première exécution signalée depuis 2008. Les attaques contre des agents de santé ont eu des répercussions importantes sur l’accès aux soins dans les régions isolées et en proie au conflit. Le Parlement a adopté des lois, respectivement en février et en mars, portant création de commissions nationales distinctes sur le statut des femmes et les droits humains.

RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE DU PAKISTAN
Chef de l’État : Asif Ali Zardari
Chef du gouvernement : Yousuf Raza Gilani, remplacé par Raja Pervez Ashraf le 22 juin

Contexte

Le Pakistan a connu plusieurs crises politiques, l’armée, les tribunaux et le gouvernement élu s’affrontant à propos d’un certain nombre de questions, notamment au sujet d’enquêtes sur la corruption. Le 19 juin, la Cour suprême a contraint le Premier ministre, Yousouf Raza Gilani, à la démission après l’avoir déclaré coupable d’outrage à magistrat. Cet épisode a mis en lumière le rôle croissant du pouvoir judiciaire. Dans une décision historique prononcée le 23 septembre, la Cour suprême a conclu qu’aux termes de la Constitution pakistanaise les transgenres disposaient des mêmes droits que les autres citoyens. Dans le cadre d’un vaste accord sur les relations consulaires signé en mai, plusieurs centaines de prisonniers ont été transférés entre l’Inde et le Pakistan, ce qui laissait entrevoir une amélioration des relations entre les deux pays. Un nombre non divulgué de civils, dont des enfants, ont été tués ou blessés à la suite d’« assassinats ciblés » commis par des tirs de drones américains dans les zones tribales (voir États-Unis). Les relations entre le Pakistan et les États-Unis, son principal allié étranger, s’étaient améliorées à la fin de l’année.
Le Pakistan, élu pour une période de deux ans au Conseil de sécurité de l’ONU, a commencé à siéger en janvier. Plusieurs experts de l’ONU dans le domaine des droits humains se sont rendus dans le pays pour la première fois depuis 13 ans : le rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats (en mai), la Haut-Commissaire aux droits de l’homme (en juin) et le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires (en septembre). La situation des droits humains au Pakistan a été examinée en octobre dans le cadre de l’Examen périodique universel de l’ONU. Plusieurs pays ont évoqué une série de questions, notamment la réforme des lois sur le blasphème, les progrès à accomplir en vue de l’abolition de la peine de mort et la nécessité de mettre un terme aux disparitions forcées. Le Pakistan a été élu pour la troisième fois au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, le 12 novembre.

Violations commises par les forces de sécurité

Comme les années précédentes, les forces de sécurité, qui bénéficiaient de l’impunité, ont été accusées de multiples violations des droits humains, notamment d’arrestations arbitraires, de disparitions forcées, d’actes de torture, d’exécutions extrajudiciaires et de la mort en détention de militants politiques, de journalistes et de membres présumés de groupes armés. Dans les zones tribales du Nord-Ouest, les forces armées exploitaient les lois (anciennes et nouvelles) relatives à la sécurité pour couvrir ces violations et échapper à la justice.
 Après qu’un complot présumé visant à assassiner Asma Jahangir eut été mis au jour en juin, les autorités ont fourni une protection renforcée à cette avocate spécialisée dans la défense des droits humains. Le gouvernement semblait toutefois incapable, ou peu désireux, d’enquêter sur les allégations selon lesquelles ce complot avait été autorisé par les autorités militaires « au plus haut niveau ».

Homicides illégaux

Des centaines d’homicides illégaux – exécutions extrajudiciaires et cas de mort en détention – ont été signalés, le plus souvent dans les zones tribales du Nord-Ouest et dans les provinces du Baloutchistan et du Sind.
 La haute cour de Peshawar a ordonné à plusieurs reprises au cours de l’année l’ouverture d’enquêtes sur la centaine de corps retrouvés abandonnés dans la ville, capitale de la province de Khyber-Pakhtunkhwa.
 Muzaffar Bhutto, cadre d’un parti nationaliste sindhi, a été retrouvé mort le 22 mai dans le village de Bukhari, près de Hyderabad (Sind). Il avait été enlevé 15 mois plus tôt par des hommes en civil accompagnés de policiers. Le corps de cet homme présentait, selon les témoignages recueillis, des traces de torture et des blessures par balle, mais personne n’a été traduit en justice pour répondre de son enlèvement et de cet homicide.

Disparitions forcées

Fait sans précédent, la Cour suprême a obtenu la possibilité d’accéder à des victimes de disparition forcée, notamment sept survivants des « 11 d’Adiala », en février, et plusieurs autres prisonniers originaires du Baloutchistan, dans le courant de l’année. Le président de la Cour suprême a menacé d’ordonner l’arrestation de responsables de l’application des lois ayant procédé sans base légale à des arrestations et placements en détention dans la province du Baloutchistan. La haute cour de Peshawar a continué de faire pression sur les autorités pour qu’elles fournissent des renseignements détaillés sur toutes les personnes maintenues en détention pour des raisons de sécurité dans les zones tribales du Nord-Ouest. Des cas de disparition forcée continuaient toutefois d’être signalés dans tout le pays, tout particulièrement au Baloutchistan et dans les zones tribales du Nord-Ouest. Aucun membre actif ou en retraite des forces de sécurité n’a été déféré à la justice pour son implication présumée dans ces violations des droits humains ou dans d’autres atteintes aux droits fondamentaux. Le Groupe de travail de l’ONU sur les disparitions forcées ou involontaires a effectué sa première visite dans le pays en septembre. Des hauts responsables ont toutefois refusé de rencontrer la délégation, parmi lesquels le président de la Commission d’enquête sur les disparitions forcées, les présidents de la Cour suprême et de la plupart des hautes cours ainsi que des représentants de rang élevé de l’armée et des services de sécurité.
 Le corps de Sangat Sana, dirigeant du Parti républicain du Baloutchistan, a été retrouvé le 13 février à la périphérie de Turbat, au Baloutchistan. Des témoins avaient assisté plus de deux ans auparavant à son enlèvement par plusieurs hommes en civil à un barrage de police au col de Bolan, sur la route entre Quetta et le Sind.

Exactions perpétrées par des groupes armés

Les talibans pakistanais, le Laskhar-e Jhangvi, l’Armée de libération du Baloutchistan et d’autres groupes armés ont pris les forces de sécurité et des civils pour cible, notamment des membres des minorités religieuses, des employés d’organisations humanitaires, des militants et des journalistes. Ils ont perpétré des attaques aveugles avec des engins explosifs improvisés et ont commis des attentats-suicides.
 Les talibans pakistanais ont interdit aux agents de santé de travailler dans les zones tribales tant que les États-Unis n’auraient pas mis un terme à leur programme d’« assassinats ciblés » dans cette région. Un infirmier qui travaillait pour le CICR a été tué en avril. Sur une période de trois jours au mois de décembre, neuf agents de santé – des femmes pour la plupart – qui travaillaient pour la campagne de vaccination contre la polio ont été tués dans des attaques coordonnées à Peshawar, Nowshera et Charsadda, dans le nord-ouest du pays, ainsi que dans la ville méridionale de Karachi.
 Le Lashkar-e Jhangvi a revendiqué le massacre, perpétré le 28 juin dans des conditions évoquant une exécution, d’au moins 14 pèlerins chiites partis de Quetta et qui se rendaient en bus en Iran. Ce groupe a commis au moins huit autres attaques, qui ont coûté la vie à 49 personnes dans tout le pays.
 Alors qu’ils quittaient un rassemblement politique, Bashir Ahmed Bilour, un haut responsable du Parti national Awami (ANP), et huit autres hommes ont été tués dans un attentat-suicide perpétré par les talibans pakistanais à Peshawar, le 22 décembre.

Liberté d’expression

Les journalistes étaient toujours menacés par les forces de sécurité et des groupes armés d’opposition, entre autres, tout particulièrement dans les provinces du Baloutchistan et du Sind et dans les zones tribales du Nord-Ouest. Huit journalistes au moins ont été tués au cours de l’année. Plusieurs journalistes se sont plaints d’avoir été menacés parce qu’ils rendaient compte des activités de l’armée, des partis politiques ou des groupes armés.
 Mukarram Aatif a été abattu pendant la prière du soir dans une mosquée de Charsadda le 17 janvier. Ce journaliste originaire de l’agence tribale de Mohmand s’était installé à Charsadda après avoir été menacé de mort à cause de ses articles par les talibans pakistanais. Ces derniers ont revendiqué son assassinat.
 Le 19 mai, le corps criblé de balles de Razzaq Gul, correspondant de la chaîne de télévision Express News, a été retrouvé à la périphérie de Turbat, au Baloutchistan. Il avait été enlevé la veille. Les autorités n’ont pas traduit en justice les responsables de sa mort.
 Hamid Mir, un journaliste chevronné qui travaille pour une chaine de télévision, a échappé en novembre à une tentative d’assassinat qui a été revendiquée par les talibans pakistanais ; la bombe placée sous sa voiture n’a pas explosé.
Le gouvernement a bloqué par intermittence des sites Internet, notamment YouTube et Facebook, sans donner d’explications ou à cause d’un contenu jugé offensant pour les sentiments religieux. Des tribunaux ont menacé d’entamer des procédures pénales pour outrage à magistrat contre des journalistes qui critiquaient le pouvoir judiciaire.

Discrimination – minorités religieuses

En raison de leurs croyances religieuses, les ahmadis, les hindous et les chrétiens étaient toujours très exposés aux violences et aux actes d’intimidation. Au moins 79 attaques contre des musulmans chiites ont été signalées, soit le nombre le plus important d’agressions contre un groupe religieux dans le pays. Les membres des minorités religieuses étaient surreprésentés dans les affaires où des particuliers essayaient de se prévaloir des lois sur le blasphème formulées de manière vague.
 La région de Gilgit-Baltistan, dans le nord du pays, a été le théâtre de violences à motivation religieuses d’une ampleur sans précédent. Les autorités n’ont pratiquement rien fait pour déférer à la justice les auteurs de plus de 70 homicides commis lors de heurts entre sunnites et chiites, en avril.
 Le 4 juillet, à Channigoth (province du Pendjab), une foule a lynché un sans-abri détenu dans un poste de police, avant de brûler son corps. On reprochait à cet homme d’avoir brûlé un Coran.
 Le 20 novembre, la haute cour d’Islamabad a acquitté Rimsha Masih, une jeune fille chrétienne qui avait été accusée de blasphème par la police en août sous la pression publique, pour avoir, affirmait-on, brûlé des pages du Coran. Le religieux qui l’avait mise en cause a été inculpé en septembre aux termes des mêmes lois pour avoir fabriqué des éléments de preuve contre elle. La remise en liberté de Rimsha Masih était un cas rare, dans le sens où l’acquittement a été prononcé sans délai et où l’accusation de blasphème a été remise en cause publiquement devant le tribunal.
 Les autorités ont autorisé des groupes religieux à empêcher des ahmadis d’entrer dans des lieux de culte. Les tombes de plus de 100 ahmadis ont été profanées dans un cimetière de Lahore le 3 décembre.
 L’État n’a rien fait pour protéger la communauté chiite hazara du Baloutchistan contre les attaques de groupes armés, et ce malgré une forte présence militaire dans la province ; de ce fait, 84 personnes au moins ont trouvé la mort au cours de l’année.

Violences faites aux femmes et aux filles

Les femmes et les filles ainsi que les personnes qui faisaient campagne pour leurs droits continuaient de subir des discriminations et étaient victimes de violences au sein de la famille et dans l’espace public. Des organisations de défense des droits humains ont recensé des milliers de cas de violences contre les femmes et les filles, dans tout le pays mais en majorité dans la province du Pendjab, qui est la plus peuplée. Des meurtres, des viols et des cas de violence domestique ont été signalés. Ils ne représentaient probablement qu’une partie de tous les cas, ces agissements étant peu dénoncés.
 En mai, des notables tribaux auraient ordonné de tuer quatre femmes qui avaient chanté et tapé dans leurs mains, en compagnie de deux hommes affirmait-on, à l’occasion d’un mariage dans le district du Kohistan (province de Khyber-Pakhtunkhwa). La Cour suprême, qui avait ordonné en juin l’ouverture d’une enquête sur cette affaire, a conclu que les femmes étaient probablement toujours en vie. Les investigations menées présentaient toutefois de graves déficiences.
 Le 4 juillet, Fareeda Afridi, une militante des droits des femmes, a été abattue d’une balle tirée depuis une voiture en marche alors qu’elle quittait son domicile de Peshawar pour rejoindre son lieu de travail, dans l’agence tribale de Khyber. Selon des groupes de la société civile locale, cette femme a été prise pour cible car elle défendait les droits fondamentaux des femmes. Les autorités n’ont rien fait pour traduire en justice les auteurs de cet assassinat.
 Les talibans pakistanais ont revendiqué la tentative d’assassinat perpétrée le 9 octobre contre Malala Yousafzai, une adolescente de 15 ans. Ils ont juré qu’ils s’en prendraient de nouveau à elle car elle défendait le droit à l’éducation des femmes et des filles. En réponse à cette déclaration, le président a promulgué le 20 décembre une loi garantissant l’éducation gratuite et obligatoire pour les garçons et les filles de cinq à 16 ans.

Peine de mort

Plus de 8 300 personnes étaient toujours sous le coup d’une sentence capitale, dans certains cas depuis 20 à 30 ans ; 242 condamnations à mort ont été prononcées au cours de l’année. En novembre, les autorités militaires ont exécuté Muhammad Hussain, reconnu coupable du meurtre d’un officier supérieur et de deux autres personnes, commis dans le district d’Okara, au Pendjab. Des recours en grâce avaient été rejetés par le chef d’état-major de l’armée de terre et le président. Il s’agissait de la première exécution signalée au Pakistan depuis 2008. Le gouvernement a pris ses distances par rapport à la décision d’appliquer la sentence – qui relevait des autorités militaires. Des militants craignaient toutefois que cela n’ouvre la porte à une reprise des exécutions.
En juillet, le gouvernement a entamé des consultations sur un avant-projet de loi parlementaire visant à commuer toutes les condamnations à mort en peines de réclusion à perpétuité.

Visites et documents d’Amnesty International

 Des délégués d’Amnesty International se sont rendus au Pakistan en février-mars, juillet-août et décembre. Des consultants de l’organisation maintenaient une présence constante dans le pays.
 Pakistan : Human rights and justice – the key to lasting security : Amnesty International submission to the UN Universal Periodic Review (ASA 33/003/2012).
 Open Letter : Pakistan must resolve the crisis of enforced disappearances (ASA 33/012/2012).
 “The hands of cruelty” : Abuses by Armed Forces and Taliban in Pakistan’s tribal areas (ASA 33/019/2012).

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