Rapport annuel 2016

ZIMBABWE

République du Zimbabwe
Chef de l’État et du gouvernement : Robert Gabriel Mugabe

La disparition forcée, en mars, d’un militant pro-démocratie connu, Itai Dzamara, n’était toujours pas élucidée à la fin de l’année.
Les libertés d’expression, d’association et de réunion ont continué de faire l’objet de restrictions et plusieurs journalistes ont été arrêtés. Les expulsions forcées se sont poursuivies tout au long de l’année ; des milliers de petits vendeurs ont été expulsés de force du centre de Harare par la police municipale, ce qui a entraîné des affrontements et des arrestations. La lenteur de la réforme juridique visant à harmoniser la législation avec la Constitution de 2013 a limité l’accès aux droits garantis par la Constitution. Un arrêt de la Cour suprême rendu en juillet a permis à l’État et aux employeurs privés de licencier des milliers de personnes après un simple préavis de trois mois. Aucune exécution n’a eu lieu pour la 10e année consécutive.

CONTEXTE
La situation restait tendue entre différentes factions du parti au pouvoir du présidentRobert Mugabe, l’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (ZANU-PF). Des dissensions ont également agité le principal parti d’opposition, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC-T), dirigé par l’ancien Premier ministre Morgan Tsvangirai. Les dirigeants des deux principaux partis politiques en proie à des guerres intestines ont renvoyé plusieurs parlementaires, ce qui a conduit à des élections partielles dans plus de 20 circonscriptions. Le 14 novembre, un responsable local de la ZANU-PF a tué à la hache deux autres responsables locaux à Chitungwiza, après une querelle liée à la restructuration du parti. Le meurtrier présumé est mort dans des circonstances suspectes dans les locaux de la police quelques jours après son arrestation.

En juillet, le Comité d’évaluation de la vulnérabilité du Zimbabwe a indiqué qu’environ 1,5 million de personnes auraient besoin d’une aide alimentaire pendant la période difficile de 2015-2016 qui précédera les prochaines récoltes. Le taux de chômage officiel a dépassé 80 % et 72 % de la population vivaient sous le seuil de pauvreté national, fixé à 1,25 dollar des États-Unis par jour.

DISPARITIONS FORCÉES
Le 9 mars, cinq hommes ont enlevé le journaliste et militant pro-démocratie Itai Dzamara. Bien qu’un tribunal ait ordonné aux agents des services de sécurité de l’État d’enquêter sur cette disparition, à la fin de l’année aucun élément indépendant n’indiquait que l’État aurait mené une enquête avec la diligence requise. En 2014, Itai Dzamara avait fondé le groupe protestataire Occupy Africa Unity Square (OAUS), critique à l’égard du régime de Robert Mugabe1.

LIBERTÉ D’EXPRESSION, D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION
Le droit à la liberté d’expression des journalistes et des défenseurs des droits humains a cette année encore été restreint aumoyen d’arrestations arbitraires, de placements en détention et de poursuites engagées pour réprimer l’exercice pacifique de ce droit2.

Au moins 10 journalistes travaillant pour des médias contrôlés par l’État ou des médias privés ont été arrêtés pour avoir rédigé des articles critiquant des responsables gouvernementaux. Ils ont été inculpés notamment de publication de « fausses informations » en vertu de la Loi de réforme et de codification du Code pénal.

Le 2 novembre, Mabasa Sasa, rédacteur en chef du journal The Sunday Mail, contrôlé par l’État, ainsi que Brian Chitemba, chef du service enquêtes, et Tinashe Farawo, journaliste, ont été arrêtés après avoir affirmé que plusieurs hauts responsables de la police faisaient partie d’un groupe impliqué dans l’abattage d’éléphants dans le parc national de Hwange. Tous trois ont passé deux nuits en détention au poste de police central de Harare et ont été inculpés de « publication de fausses informations ». Ils ont été remis en liberté après le versement d’une caution fixée par le tribunal à 100 dollars des États-Unis chacun. Ils ont nié les accusations. Leur procès devait s’ouvrir le 29 février 2016.

Takunda Maodza, chef adjoint du service actualités du journal Herald, contrôlé par l’État, a été arrêté le 3 novembre à Harare alors qu’il enquêtait sur des allégations selon lesquelles un homme d’affaires de Harare finançait un groupe d’opposition, People First, composé d’anciens membres de la ZANU-PF. La police a affirmé que le journaliste avait demandé un pot-de-vin à l’homme d’affaires, tandis que d’autres journalistes ont indiqué que leur collègue avait refusé d’accepter l’argent. Takunda Maodza a été inculpé de tentative d’extorsion aux termes de la Loi de réforme et de codification du Code pénal et sa caution a été fixée à 50 dollars. Il a nié les faits qui lui étaient reprochés. Son procès devait se poursuivre en 2016.

Le 12 novembre, le journaliste indépendant Shadreck Andrison Manyere a été arrêté par la police à Harare pendant qu’il filmait des affrontements entre manifestants et policiersdans le centre de la ville. Il a été détenu plus de quatre heures et inculpé en vertu de l’article 37(1)(a) de la Loi de réforme et de codification du Code pénal pour « participation à un rassemblement avec l’intention d’encourager la violence publique, les atteintes à l’ordre public ou le sectarisme ». Il a nié les faits dont il était accusé.

Le 23 octobre, la police de Rusape a arrêté les journalistes Sydney Saize, journaliste indépendant, Bernard Chiketo, du Daily News, et Kenneth Nyangani, correspondant de Newsday, alors qu’ils couvraient une manifestation du MDC-T devant le tribunal de première instance de Rusape. Tous trois ont été libérés sans inculpation après avoir été fouillés et interrogés par la police, qui a relevé leur identité.

Le 18 septembre, deux journalistes, Andrew Kunambura, de la Financial Gazette, et Emison Haripindi, un indépendant, ont été arrêtés par la police municipale de Harare pendant qu’ils photographiaient l’arrestation de vendeurs à la sauvette par des policiers municipaux. Ils ont été détenus au poste de police central de Harare pendant environ quatre heures, puis libérés sans inculpation.

Le 11 décembre, le pasteur Patrick Philip Mugadza, de l’Église du reste, à Kariba, a été arrêté par la police sur le site touristique des chutes Victoria après avoir manifesté pacifiquement. Il était l’unique manifestant et brandissait une pancarte sur laquelle était écrit : « M. le Président, le peuple souffre. Proverbes 21.13. » La manifestation s’est déroulée lors du Congrès annuel du parti au pouvoir, la ZANU-PF. Le pasteur a été inculpé de nuisance publique au titre de l’article 46 de la Loi de réforme et de codification du Code pénal. Sa caution a été fixée à un montant exceptionnellement élevé (500 dollars) et il est resté en détention plus de deux semaines, faute d’avoir pu réunir cette somme. Il a finalement été libéré le 31 décembre après que ses avocats eurent réussi à ramener sa caution à 50 dollars.

Le 30 novembre, cinq militants ont été arrêtés par la police devant l’hôtel RainbowTowers de Harare pour avoir organisé une manifestation pacifique contre le fait que le vice-président, Phelekezela Mphoko, résidait à cet hôtel depuis près d’un an. Tous les cinq Tendayi Mudehwe, Dirk Frey, Irvin Takavada, Elvis Mugari et Tonderai Chigumbu – ont été libérés le 2 décembre, après avoir passé deux nuits au poste de police central de Harare. Ils ont été inculpés de nuisance publique sur la base de l’article 46 de la Loi de réforme et de codification du Code pénal.

Le 25 juillet, six militants de la société civile appartenant à la coalition Crise au Zimbabwe, à l’Association des résidents de Chitungwiza et à l’OAUS ont été arrêtés au centre de détention provisoire de Harare. Ils ont été remis à la police et inculpés, en vertu de l’article 5(2) du chapitre 11:12 de la Loi relative aux zones et lieux protégés, pour ne pas avoir obtempéré à l’ordre d’un agent autorisé réglant les déplacements et les comportements. Tous faisaient partie de la cinquantaine de militants venus rendre visite à 16 vendeurs à la sauvette placés en détention provisoire après que leur libération sous caution eut été refusée. Le 2 octobre, Mfundo Mlilo et Nixon Nyikadzino, de la coalition Crise au Zimbabwe, et Dirk Frey, de l’OAUS, ont été relaxés faute de preuves. Les procès des trois autres militants, Edgar Gweshe, Donald Makuwaza et Charles Chidhakwa, se poursuivaient à la fin d’année.

Le gouvernement a continué d’imposer des restrictions aux militants qui faisaient campagne pour que les radios locales obtiennent une licence. Les autorités n’ont pas accordé une seule licence à une radio locale depuis l’adoption, en 2001, de la Loi relative aux services de radiotélédiffusion. Au moins 28 initiatives locales ont été lancées pour obtenir une autorisation de diffusion dans des zones rurales comme urbaines. La police a empêché des réunions en vertu de la Loi relative à l’ordre public et à la sécurité, et des agents de sécurité ont effectué des descentes dans des bureaux, où ils ont saisi du matériel et des équipements appartenant aux associations locales. Les militants qui semobilisaient pour l’attribution de licences aux radios locales ont fait l’objet de fréquents interrogatoires de la police et de l’Organisation centrale de renseignement à la suite de réunions et d’autres activités destinées à créer des radios locales3.

DROITS DES TRAVAILLEURS
Un arrêt de la Cour suprême rendu le 17 juillet a confirmé qu’en vertu de la common law un employeur était en droit de mettre fin à un contrat de travail à condition de donner un préavis de trois mois. À la suite de cette décision, le gouvernement et des entreprises privées et d’État ont procédé à des licenciements massifs. Des milliers de travailleurs ont perdu leur emploi dans les jours qui ont suivi le prononcé de l’arrêt, les employeurs ayant recours à ce texte pour éviter d’avoir à suivre la procédure formelle prévue dans le Code du travail lors de compressions du personnel. En août, le gouvernement a fait adopter précipitamment par le Parlement des modifications au Code du travail visant à fixer une indemnisation minimum pour les travailleurs licenciés. Les syndicats et les employeurs se sont plaints de ne pas avoir été consultés en bonne et due forme. Les syndicats ont avancé que les garanties prévues pour les employés par cette indemnisation étaient insuffisantes.

EXPULSIONS FORCÉES
Les vendeurs à la sauvette ont été expulsés de force du centre de Harare et d’autres villes. En juin, le gouvernement a fixé un ultimatum pour qu’ils soient chassés des villes, avec le soutien de l’armée. En juillet, des affrontements dans le centre de Harare ont opposé la police municipale à des petits vendeurs qu’elle tentait d’éloigner du quartier central des affaires. Plusieurs dizaines de ces derniers, dont des dirigeants du Syndicat national des vendeurs du Zimbabwe, ont été arrêtés et détenus. Seize ont été inculpés de violence publique. Ils ont été libérés sous caution et leur procès se poursuivait à la fin d’année.

Des milliers de personnes ont étéexpulsées de force dans tout le pays. Certaines ont saisi les tribunaux pour obtenir une protection. Le 12 janvier, à Harare, la Haute Cour a suspendu l’expulsion de quelque 150 familles établies à Arnold Farm, dans le district de Mazowe. Le 7 janvier, la police avait démoli sans distinction les logements de ces familles, les laissant à la rue, sans aucun abri pour se protéger des intempéries alors que c’était la saison des pluies. Ces expulsions forcées avaient eu lieu alors même que la Haute Cour avait rendu une décision, en août 2014, protégeant les résidents d’Arnold Farm contre toute expulsion arbitraire en vertu de l’article 74 de la Constitution.

En juillet, le Conseil municipal de Harare a ordonné la destruction de logements dans des zones qu’il a qualifiées de « campements illégaux », sans avoir obtenu les décisions de justice nécessaires. Des démolitions ont eu lieu dans les banlieues de Warren Park et Westlea, qui faisaient partie de campements créés par des coopératives de logement. Les opérations se sont poursuivies en décembre, avec la démolition totale de 200 structures près de la banlieue de Kambuzuma par la municipalité de Harare.

ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, CONSTITUTIONNELLES OU INSTITUTIONNELLES
Le 28 octobre, pour la première fois dans son histoire, la Cour constitutionnelle a ordonné l’incarcération, pour une période de 30 jours, d’un procureur général, Johannes Tomana, pour violation de l’article 164(3) de la Constitution. Johannes Tomana était accusé d’avoir enfreint à maintes reprises des décisions de la Haute Cour et de la Cour suprême ayant autorisé des acteurs privés à engager des poursuites pour fraude et viol dans deux affaires très médiatisées. La Cour constitutionnelle a jugé que le procureur général aurait dû, dans les deux cas, délivrer les certificats autorisant les poursuites privées en vertu de l’article 16 de la Loi sur la procédure pénale et les preuves. La peine de 30 jours a été assortie d’un sursis de 10 jours à la condition que le procureur général se conforme, dans ce laps de temps, aux décisions de justice antérieures. Le 4 novembre, la procureure générale adjointe a délivré pour le compte du procureur général les certificats autorisant les poursuites privées.

La procédure de révision visant à harmoniser les lois du pays avec la Constitution de 2013 s’est poursuivie, mais à un rythme très lent. En conséquence, les garanties constitutionnelles en matière de droits humains étaient compromises par le recours persistant de la police et d’autres services de l’État à d’anciennes lois. Des militants ont ainsi été arrêtés et inculpés sur la base de dispositions juridiques clairement inconstitutionnelles et certains ont dû saisir la Cour constitutionnelle pour obtenir réparation.

PEINE DE MORT
En juillet, cela faisait 10 ans qu’aucune exécution n’avait eu lieu au Zimbabwe, à la connaissance d’Amnesty International.

Zimbabwe : Open letter : Investigate and resolve the circumstances around the enforced disappearance of Itai Dzamara
(AFR 46/2423/2015)
Zimbabwe. Ne tirez pas sur les messagers (nouvelle, 10 novembre)
Beyond tokenism : The need to license community radio stations in Zimbabwe (AFR 46/1613/2015)

Toutes les infos
Toutes les actions
2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit