Rapport annuel 2016

MEXIQUE

États-Unis du Mexique
Chef de l’État et du gouvernement : Enrique Peña Nieto

L’impunité persistait pour de graves atteintes aux droits humains, tels que des cas de torture et d’autres mauvais traitements, de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires. Plus de 27 000 personnes étaient toujours portées disparues. Des défenseurs des droits humains et des journalistes continuaient d’être menacés, harcelés ou tués. Le nombre de détentions, d’expulsions et de plaintes pour violences commises par les autorités contre des migrants en situation irrégulière a augmenté de manière significative. Les violences contre les femmes restaient très répandues. De grands projets d’aménagement et d’exploitation des ressources étaient mis en œuvre sans cadre juridique garantissant le consentement libre, préalable et éclairé des populations indigènes concernées. La Cour suprême a confirmé les droits des couples de personnes de même sexe à se marier et à adopter des enfants.

CONTEXTE
Élu pour six ans, le président Peña Nieto est parvenu à la moitié de son mandat. Le Parti révolutionnaire institutionnel, au pouvoir, a conservé la majorité des sièges lors des élections qui visaient à renouveler la chambre basse du Congrès national. Plusieurs États ont élu leur gouverneur et d’autres représentants locaux.

Promulguée en mai, la Loi générale sur la transparence a renforcé la protection du droit d’accéder à l’information.

Confronté à des manifestations de grande ampleur des syndicats d’enseignants et des mouvements sociaux, le gouvernement a défendu ses réformes en matière d’éducation. Il a engagé des poursuites contre des membres de syndicats d’enseignants dans le cadre de procédures apparemment motivées par des considérations politiques ; en octobre, il a ordonné le transfert dans une prison de sécurité maximale de quatre des personnes poursuivies.

Dans le cadre du plan de sécurité en 10 points annoncé en novembre 2014 par le président Peña Nieto à la suite de manifestations de masse contre la disparition forcée de 43 étudiants, un certain nombre de gouvernements d’États ont pris le contrôle des polices municipales ; un projet de loi visant à créer des zones économiques spéciales dans les régions pauvres du sud du pays a par ailleurs été présenté au Congrès. D’autres mesures annoncées dans le cadre de ce programme, comme de nouvelles lois sur la torture et les disparitions, n’avaient pas encore été mises en œuvre.

La part des personnes vivant dans la pauvreté est passée de 45,5 % à 46,2 % entre 2012 et 2014, selon des chiffres officiels publiés en juillet. Dans le même temps, la part de la population qui vivait dans une extrême pauvretéa baissé, passant de 9,8 % à 9,5 %.

En avril, la Cour suprême a jugé que les 40 jours de détention provisoire (arraigo) étaient constitutionnels pour les infractions graves, alors que cette pratique a été condamnée par plusieurs organes de suivi des traités.

POLICE ET FORCES DE SÉCURITÉ
La violence liée au crime organisé restait une source de préoccupation majeure. Des chiffres officiels ont fait état d’une légère augmentation du nombre d’homicides, qui serait passé de 35 930 pour la période janvier-décembre 2014 à 36 126 en 2015. Cependant, comme ils englobaient les homicides involontaires et les meurtres, ils ne reflétaient pas le fait que le nombre de meurtres, rapporté à une moyenne mensuelle, avait augmenté de 7 %. Malgré la baisse du nombre de soldats déployés lors d’opérations de maintien de l’ordre, de nombreuses violations des droits humains étaient toujours imputées aux forces armées. Un renforcement de la présence de soldats de la marine lors de missions de maintien de l’ordre était à l’ordre du jour.

Les violations des droits humains commises par les forces armées et la police restaient courantes, en particulier dans les États du Tamaulipas, du Michoacán et de Guerrero, où se sont déroulées des opérations de sécurité de grande ampleur.

En avril, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a jugé que la réforme de 2014 du Code de justice militaire n’était pas pleinement conforme à plusieurs de ses arrêts précédents, car elle n’excluait pas de la compétence des juridictions militaires les atteintes aux droits humains visant des membres des forces armées. Le Congrès n’a pas modifié le Code pour le mettre en conformité avec les arrêts de la Cour.

EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES
Les auteurs d’exécutions extrajudiciaires continuaient de jouir d’une impunité quasi absolue. Pour la deuxième année consécutive, les autorités n’ont publié aucune statistique concernant le nombre de personnes tuées ou blessées lors de heurts avec la police et les forces militaires dans le cadre de la lutte contre le crime organisé.

Selon des journalistes, 16 personnes ont été tuées en janvier par des policiers fédéraux et d’autres membres des forces de sécurité à Apaztingán, dans le Michoacán. La Commission nationale des droits humains a ordonné l’ouverture d’une enquête sur ces homicides. Plus de 40 personnes ont été tuées en mai lors d’une opération policière à Tanhuato, dans le Michoacán. À la fin de l’année, les enquêtes menées sur ces crimes n’avaient pas été rendues publiques et aucune poursuite n’avait été engagée contre les auteurs présumés.

En juin, l’ONG Centro Prodh a révélé qu’une ordonnance militaire appelant à « abattre les criminels » était à l’origine des opérations menées en 2014 à Tlatlaya, dans l’État de Mexico, au cours desquelles
22 personnes soupçonnées d’appartenir à un gang avaient été tuées par des soldats. Les autorités ont affirmé qu’il s’agissait d’un échange de coups de feu avec des hommes armés, mais la Commission nationale des droits humains (CNDH) et la commission d’enquête spéciale du Congrès ont conclu séparément que la plupart des victimes avaient été abattues alors qu’elles ne représentaient plus de menace. Sept soldats ont été arrêtés, mais à la fin de l’année seuls trois d’entre eux étaient toujours détenus, dans l’attente de leur procès. Les services du procureur général de la République n’ont pas ouvert d’enquête sur des militaires ou d’autres personnes exerçant des fonctions de commandement qui n’auraient pas fait le nécessaire pour prévenir ou empêcher ces crimes.

TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
Les cas de torture et d’autres mauvais traitements aux mains des fonctionnaires chargés de l’application des lois ou des enquêtes restaient courants, et peu de progrès ont été faits en vue d’éradiquer cette pratique. Les autorités niaient l’ampleur du problème, alors que des plaintes continuaient de faire état de torture à l’échelle fédérale comme au niveau des États. Le gouvernement n’était pas en mesure de citer des cas d’inculpations ou de peines prononcées au niveau fédéral. Trois policiers ont été inculpés de torture dans l’État de la Basse-Californie en avril. Ces charges ont ensuite été rejetées par un juge. Le parquet a fait appel.

Des mesures législatives et politiques pour lutter contre la torture ont été annoncées. Les services du procureur général de la République ont notamment publié des directives pour les enquêtes sur les cas de torture. Le 10 décembre, le président Peña Nieto a déposé devant le Congrès un projet de loi générale sur la torture. Il résultait d’une réforme constitutionnelle qui a donné au Congrès le pouvoir de légiférer sur la torture et les disparitions à l’échelle fédérale comme au niveau des États.

Comme les années précédentes, la procédure spéciale d’examen médical prévue par les services du procureur général de la République en cas d’allégations de torture n’a pas été appliquée dans la plupart des cas.
Plus de 1 600 requêtes étaient en attente1. Les fonctionnaires n’appliquaient généralement pas la procédure conformément aux principes du Protocole d’Istanbul. Dans de nombreux cas, les enquêtes sur les cas de torture ou d’autres mauvais traitements n’avançaient pas sans l’intervention d’un examen en bonne et due forme. Les experts médicaux indépendants se heurtaient toujours à des obstacles lorsqu’ils essayaient de faire leur travail et d’obtenir que leurs examens soient retenus à titre de preuves pendant les procès au pénal.

Dans sa première décision concernant le Mexique, le Comité contre la torture [ONU] a établi en septembre que les tortures infligées par des soldats en 2009 à quatre hommes accusés d’enlèvement et d’autres crimes était contraire à la Convention contre la torture.

Les quatre hommes ont été acquittés de toutes les charges à la suite cette décision ; à la fin de l’année cependant, les soldats n’avaient pas été inculpés.

DISPARITIONS FORCÉES
Les disparitions forcées impliquant l’État et les disparitions imputables à des acteurs non étatiques restaient très répandues. Des chiffres officiels faisaient état de 27 638 personnes (20 203 hommes et 7 435 femmes) portées disparues à la fin de l’année, mais les autorités n’ont pas précisé combien étaient victimes de disparitions forcées. Les quelques enquêtes pénales menées sur ces affaires étaient en général faussées, et les autorités ne recherchaient pas les victimes. Pour tous ces crimes, l’impunité restait quasi absolue. En octobre, la procureure générale a créé un service spécial chargé de la gestion des cas de personnes portées disparues ou victimes de disparition forcée.

Des groupes de victimes et de familles de victimes, ainsi que des organisations de défense des droits humains, ont pris part à un débat national et proposé une série de dispositions pour la loi générale sur les disparitions. Le président Peña Nieto a déposé devant le Congrès le 10 décembre un projet de loi dont les dispositions n’étaient pas conformes aux normes internationales.

En janvier, le procureur général de la République a affirmé une nouvelle fois que les 43 étudiants d’un institut de formation d’enseignants à Ayotzinapa (État de Guerrero) qui ont été victimes de disparition forcée en septembre 2014 et étaient toujours portés disparus avaient été tués, et que leurs corps avaient été brûlés et jetés dans une rivière. La dépouille de l’un des étudiants a été identifiée, mais on ignorait toujours ce qu’il était advenu des 42 autres.

En septembre, le Groupe interdisciplinaire d’experts indépendants (GIEI) nommé par la Commission interaméricaine des droits de l’homme a déterminé que l’enquête présentait de graves lacunes et a conclu que, au vu des caractéristiques du site, il était impossible de brûler les corps selon la méthode décrite par les autorités. Le GIEI a confirmé que des agents du renseignement militaire en civil avaient suivi et observé les étudiants pendant les attaques et les détentions, et que les autorités municipales, étatiques et fédérales étaient au courant de ces attaques. Une centaine de personnes avaient été arrêtées à la fin de l’année et leur procès était en cours, mais aucune d’entre elles n’avait été inculpée de disparition forcée.

DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS ET JOURNALISTES
Les défenseurs des droits humains et les journalistes continuaient d’être menacés, harcelés, attaqués ou tués. Ceux qui défendaient l’environnement et les droits fonciers restaient particulièrement exposés à ces risques. Plusieurs journalistes travaillant sur des questions liées à l’État de Veracruz ont été tués. En raison du manque de ressources du Mécanisme fédéral de protection des défenseurs des droits humains et des journalistes, et de l’absence de coordination au sein de cette structure, les défenseurs des droits humains et les journalistes n’étaient pas suffisamment protégés. L’Unité de prévention, de surveillance et d’analyse a été mise en place trois ans après la création du Mécanisme. Le nombre de demandes de protection au titre du Mécanisme est resté stable et 90 % environ des demandes ont été acceptées. Les menaces et agressions restaient impunies.

En juin, le journaliste maya Pedro Canche a été libéré après avoir passé neuf mois en détention provisoire sur la base d’accusations de sabotage non fondées, portées contre lui parce qu’il exerçait pacifiquement son droit à la liberté d’expression. D’autres journalistes continuaient d’être harcelés par les autorités. Certains parmi eux ont dû quitter leur ville ou interrompre leur travail par peur des représailles. En juillet, le photographe de presse Rubén Espinosa Becerril, la militante Nadia Dominique Vera Pérez et trois autres femmes ont été retrouvés morts dans un appartement de Mexico. Rubén Espinosa et Nadia Vera avaient quitté l’État de Veracruz quelques mois plus tôt en raison de menaces qu’ils avaient reçues.

LIBERTÉ DE RÉUNION
La Cour suprême continuait d’examiner un recours judiciaire formé contre la Loi sur la mobilité adoptée en 2014 par la ville de Mexico. Cette loi menace la liberté de réunion pacifique : elle impose notamment un système d’autorisation préalable pour les manifestations, ne prévoit pas de dispositions sur les manifestations spontanées et donne au gouvernement le pouvoir d’interdire les mouvements de protestation dans certains lieux spécifiques. Amnesty International et d’autres organisations internationales ont soumis à la Cour un mémoire conjoint faisant valoir que certaines dispositions de la loi étaient contraires aux normes du droit international.

VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES
Les violences à l’égard des femmes et des filles – homicides, enlèvements et violences sexuelles, notamment – restaient endémiques. Le Système national pour la prévention, la répression et l’éradication de la violence à l’égard des femmes a annoncé pour la première fois l’activation d’un mécanisme d’alerte liée au genre, dans l’État de Morelos et dans certaines parties de l’État de Mexico. Ce mécanisme vise à mobiliser les autorités dans la lutte contre le phénomène généralisé de la violence liée au genre et à apporter une réponse efficace et officielle à ce problème.

En juillet, cinq hommes ont été condamnés à plusieurs peines de réclusion à perpétuité pour l’enlèvement, l’exploitation sexuelle et le meurtre de 11 femmes dans la ville de Ciudad Juárez, située à la frontière avec les États-Unis. Les dépouilles des victimes avaient été retrouvées en 2012 dans le désert qui borde la ville. Le tribunal a reconnu la nature endémique des violences liées au genre dans cette région et a ordonné de nouvelles investigations concernant d’autres responsables présumés.

DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES MIGRANTS
Les migrants et les demandeurs d’asile qui transitaient par le Mexique continuaient d’être victimes d’enlèvements de masse, d’extorsions, de disparitions et d’autres violences commises par des groupes criminels organisés, souvent avec la complicité d’agents de l’État. La majorité des enlèvements signalés ont eu lieu dans l’État du Tamaulipas. Les attaques massives menées contre des migrants par des bandes criminelles ont persisté dans tout le pays. Ces actes ne faisaient pas l’objet d’enquêtes sérieuses et les victimes n’avaient pas accès à la justice ni à des réparations.

En juin, des hommes armés ont attaqué un groupe d’environ 120 migrants d’Amérique centrale dans l’État de Sonora. À la fin de l’année, aucune enquête n’avait été menée sur cette affaire. La commission d’experts médicolégaux établie en 2013 pour identifier les dépouilles de migrants massacrés à San Fernando, dans l’État du Tamaulipas, et dans des municipalités alentour, a informé les proches des victimes des progrès de ses travaux. Ceux-ci étaient entravés par l’attitude des autorités, qui refusaient de donner certaines informations et compliquaient la remise des restes des migrants à leurs familles respectives.

Le nombre de réfugiés et migrants venant d’Amérique centrale, dont beaucoup quittaient leur pays en raison des violences, a continué d’augmenter.
Avec la mise en œuvre du plan Frontière Sud, le nombre de renvois et de placements en détention de migrants entrant dans le pays a augmenté. En novembre, 178 254 migrants en situation irrégulière avaient été arrêtés et placés en détention par l’Institut national des migrations, contre 127 149 en 2014. Le nombre de réponses positives aux demandes d’asile n’avait, lui, pas augmenté. Le Mexique a expulsé davantage de migrants d’Amérique centrale que les États-Unis. Des plaintes dénonçant des opérations conjointes brutales des services de l’immigration, de la police et de l’armée le long de la frontière sud du Mexique ont été déposées.

DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES
Le pays n’avait toujours pas de cadre juridique sur le droit des peuples autochtones à un consentement libre et éclairé avant la mise en œuvre de projets de développement ayant un impact sur leurs terres et leur mode de vie traditionnel. Deux dirigeants de la communauté indigène yaqui qui avaient été emprisonnés pour avoir protesté contre la construction d’un aqueduc ont été libérés, faute de preuves. L’ouvrage était cependant toujours exploité, alors même qu’une autorité nationale du domaine de l’anthropologie avait établi qu’il représentait une menace pour la survie de cette communauté indigène.

SURVEILLANCE INTERNATIONALE
Le gouvernement a réagi avec hostilité aux critiques internationales de son bilan en matière de droits humains. En mars, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture a été publiquement mis en cause après son rapport indiquant que la torture était courante dans le pays. Le gouvernement s’est exprimé sur un rapport du Comité des disparitions forcées [ONU] sur le Mexique, affirmant qu’il « n’apportait aucun élément nouveau » permettant de remédier au problème.

En mai, la Cour suprême a décidé que le pays n’était pas contraint de se conformer aux arrêts de la Cour interaméricaine des droits de l’homme relatifs aux restrictions des droits humains prévues par la Constitution. Cette décision était contraire au droit international et risquait de perpétuer des violations des droits humains telles que l’arraigo.

Pour la première fois depuis 1996, la Commission interaméricaine des droits de l’homme s’est rendue au Mexique en septembre pour évaluer la situation des droits humains dans le pays. Dans ses observations préliminaires, la Commission a souligné, entre autres, les problèmes de torture, de disparitions forcées, de violence à l’égard des femmes et d’exécutions extrajudiciaires, et a exprimé ses préoccupations concernant l’impunité dont jouissent les auteurs de ces crimes. Le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, qui s’est rendu dans le pays dans un but similaire, a déclaré qu’il « existe un large consensus à l’échelle nationale, régionale et internationale sur la gravité de la situation des droits humains au Mexique aujourd’hui ».

1. Des promesses de papier, l’impunité au quotidien. L’épidémie de torture se poursuit au Mexique (AMR 41/2676/2015)

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