Rapport annuel 2016

YÉMEN

République du Yémen
Chef de l’État : Abd Rabbu Mansour Hadi
Chef du gouvernement : Khaled Bahah

La situation des droits humains s’est fortement dégradée dans le cadre du conflit armé, qui s’est intensifié en mars et s’est poursuivi tout au long de l’année. Toutes les parties au conflit ont commis des crimes de guerre et d’autres violations graves du droit international, en toute impunité. Elles ont notamment procédé à des bombardements et à des tirs d’artillerie aveugles contre des zones civiles, tuant ou blessant des milliers de personnes et contraignant plus de 2,5 millions d’habitants à quitter leur foyer. Les Houthis, un groupe armé, ainsi que les forces de sécurité alliées ont également imposé des restrictions arbitraires aux droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Ils ont arrêté des journalistes et des dirigeants du parti Al Islah, entre autres, ont contraint des ONG à fermer et ont utilisé une force excessive, voire meurtrière, contre des manifestants pacifiques ; ils ont aussi eu recours à la torture. Les femmes et les filles continuaient de subir des discriminations et des atteintes à leurs droits fondamentaux, dont le mariage forcé et les mutilations génitales féminines. Des tribunaux ont prononcé des sentences capitales et des exécutions ont eu lieu.

CONTEXTE
Le processus de transition politique a échoué alors que le Yémen était enlisé dans le conflit armé. Après être entré dans la capitale, Sanaa, en septembre 2014, le groupe armé des Houthis, soutenu par les forces armées loyales à l’ancien président Ali Abdullah Saleh, a étendu son contrôle sur d’autres régions au début de 2015. En janvier, les Houthis ont attaqué des bâtiments gouvernementaux et des positions militaires, y compris le complexe présidentiel, obligeant le président Hadi et son gouvernement à démissionner et prenant le contrôle effectif de Sanaa et d’autres régions.

Les Houthis ont dissous le Parlement yéménite le 6 février et publié une déclaration constitutionnelle prévoyant la création d’un conseil présidentiel de transition chargé de gouverner le Yémen pendant une période de deux ans. Le 15 février, le Conseil de sécurité [ONU] a adopté la résolution 2201 qui déplorait vivement les actes des Houthis et exigeait qu’ils s’abstiennent de toute nouvelle action unilatérale susceptible de compromettre la transition politique et la sécurité du Yémen. Le président Hadi, qui était revenu sur sa démission, s’est installé avec son gouvernement dans la capitale saoudienne, Riyadh, vers la fin du mois de mars, lorsque la progression vers le sud des Houthis et des forces alliées à ce groupe armé a entraîné une intensification des affrontements entre d’une part les Houthis et ces forces, et d’autre part les groupes armés opposés aux Houthis et les unités de l’armée restées fidèles au président Hadi. Les combats dans le sud du Yémen ont été marqués par des attaques menées sans discrimination dans lesquelles les deux camps tiraient avec des armes imprécises en direction de zones habitées par des civils, faisant des morts et des blessés dans la population.

Le 25 mars, une coalition de neuf États emmenée par l’Arabie saoudite est intervenue dans le conflit du Yémen pour soutenir le gouvernement internationalement reconnu du président Hadi. La coalition a lancé une campagne de frappes aériennes sur des zones contrôlées – ou revendiquées – par les Houthis et leurs alliés, notamment les gouvernorats de Sanaa et de Saada ; elle a envoyé des troupes au sol dans le sud du pays et imposé un blocus aérien et maritime. De nombreuses attaques de la coalition ont visé directement des objectifs militaires, mais d’autres, menées sans discernement, étaient disproportionnées ou dirigées contre des habitations et des infrastructures civiles, notamment des hôpitaux, des écoles, desmarchés et des usines, ou des véhicules qui transportaient des civils et de l’aide humanitaire, et ont fait des milliers de morts et de blessés parmi les civils. Selon l’ONU, le bilan du conflit à la fin de l’année s’élevait à plus de 2 700 morts dans la population civile, dont plusieurs centaines d’enfants. Plus de 2,5 millions de personnes avaient été contraintes de quitter leur foyer, ce qui donnait lieu à une crise humanitaire.

La résolution 2216 adoptée le 14 avril par le Conseil de sécurité exigeait des Houthis qu’ils retirent leurs forces de Sanaa et d’autres zones et qu’ils déposent les armes saisies aux forces gouvernementales. Elle appelait par ailleurs les États à empêcher les transferts d’armes au profit de l’ancien président Saleh et du chef houthi Abdul Malik al Houthi, et demandait à toutes les parties au conflit d’appliquer les accords conclus précédemment, notamment les décisions de la Conférence de dialogue national et l’accord de partenariat national et de paix signé en septembre 2014.

En juillet, des forces opposées aux Houthis, soutenues au sol par des troupes des Émirats arabes unis et des frappes aériennes de la coalition, ont repris le contrôle d’Aden. Le gouvernement du président Hadi a quitté l’Arabie saoudite en septembre pour se réinstaller en partie à Aden.

Des pourparlers de paix organisés sous les auspices des Nations unies se sont déroulés à Genève (Suisse) entre le 15 et le 20 décembre, alors qu’un cessez-le-feu temporaire était en vigueur. Ils n’ont toutefois pas permis d’avancée majeure vers une solution.

L’armée américaine a poursuivi ses tirs de drones contre le groupe armé Al Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) dans le centre et le sud-est du Yémen, essentiellement dans les gouvernorats de Marib et de l’Hadramaout.

CONFLIT ARMÉ
Les Houthis et leurs alliés, ainsi que les différents groupes armés et les forces progouvernementales qui les combattaient, sesont rendus coupables d’atteintes aux droits humains et de violations graves du droit international humanitaire, dont certaines s’apparentaient à des crimes de guerre.

Attaques aveugles et disproportionnées
Les Houthis et des groupes armés qui les combattaient ont utilisé des armes explosives à large champ d’action, dont des obus de mortier et d’artillerie, et ont blessé et tué des civils lorsqu’ils ont attaqué des zones habitées par des civils dans le sud du pays et contrôlées ou revendiquées par leurs opposants. Lors des combats pour le contrôle d’Aden et de Taizz, les deux villes les plus peuplées du pays après Sanaa, les deux camps auraient tiré à maintes reprises des engins explosifs à large champ d’action en direction de zones civiles densément peuplées. Ils ont également mené des opérations militaires à partir de quartiers habités par des civils, lançant des attaques depuis des maisons, des écoles et des hôpitaux ou à proximité, ce qui mettait les civils en grand danger. Les Houthis et leurs alliés ont posé des mines terrestres antipersonnel interdites au niveau international, qui ont provoqué des pertes civiles. Plusieurs dizaines de civils ont été tués ou blessés par l’explosion de mines quand ils sont rentrés chez eux dans la deuxième partie de l’année, après la fin des combats à Aden et aux alentours.

Les Houthis et leurs alliés ont également mené à partir du nord du Yémen des attaques transfrontalières qui pourraient constituer des crimes de guerre, procédant à des tirs d’artillerie aveugles sur Najran et d’autres zones peuplées de civils dans le sud de l’Arabie saoudite.

Attaques contre des installations médicales et le personnel de santé
Les Houthis et leurs alliés, ainsi que leurs opposants progouvernementaux, ont attaqué des installations médicales, des professionnels de la santé et des patients ou les ont exposés à des risques graves en utilisant les installations médicales ou laproximité immédiate de ces bâtiments comme positions de tir ou pour d’autres activités militaires, tout particulièrement pendant les combats à Aden et à Taizz et aux alentours de ces villes. À Aden, des hommes armés non identifiés ont attaqué les locaux du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), obligeant le personnel à déménager.

Des combattants opposés aux Houthis ont tiré avec des fusils d’assaut depuis l’enceinte de l’hôpital Al Sadaqa, à Aden, et tiré des obus de mortier à proximité de cet hôpital, exposant le personnel et les patients au risque de représailles. À la fin du mois d’avril, l’hôpital Al Joumhouria d’Aden a été contraint de suspendre ses activités médicales à la suite d’actes similaires commis par des combattants.

RECOURS EXCESSIF À LA FORCE, TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS
L’expansion des zones sous contrôle des Houthis a suscité des protestations massives à Taizz et dans d’autres villes auxquelles le groupe armé et les Forces centrales de sécurité (pro-Houthis) ont réagi en utilisant une force excessive, notamment en tirant à balles réelles. Des protestataires ont également été arrêtés et torturés.

Dans la ville d’Ibb, les Houthis et leurs alliés ont tiré à balles réelles en direction de manifestants pacifiques le 16 février, blessant trois personnes, puis le 21 février, tuant Nasr al Shuja, un manifestant.

À Taizz, les Forces centrales de sécurité ont eu recours à une force excessive, notamment du gaz lacrymogène et des tirs à balles réelles, pour disperser des manifestations pacifiques entre le 22 et le 25 mars ; huit manifestants au moins ont été tués et 30 autres, peut-être davantage, ont été blessés. Près de 300 protestataires et personnes qui se trouvaient sur place ont dû recevoir des soins médicaux après avoir inhalé du gaz lacrymogène.

À Sanaa, les Houthis et leurs alliés ont arrêté trois manifestants le 11 février et les ont torturés pendant les quatre jours suivants.Salah Aawdh al Bashri est mort des suites des blessures occasionnées par plusieurs heures de torture.

Homicides illégaux
Les forces anti-Houthis ont exécuté sommairement des combattants Houthis qu’elles avaient capturés ainsi que des civils soupçonnés de soutenir ces derniers. Elles ont mis en ligne des vidéos pour faire connaître certains de ces homicides perpétrés à Aden et à Taizz, en présentant les victimes comme des « espions » ou des « partisans des Houthis ».

Enlèvements, arrestations et détentions arbitraires
Les enlèvements et les arrestations et détentions arbitraires de partisans du gouvernement, de journalistes et de défenseurs des droits humains, entre autres, imputables aux Houthis et aux forces loyales à l’ancien président Saleh, ont fortement augmenté. De nombreux prisonniers ont été détenus dans des lieux multiples et souvent non officiels, y compris des habitations privées, sans être informés des motifs de leur détention et sans avoir la possibilité d’en contester la légalité. Alors qu’ils assistaient à une réunion dans un hôtel d’Ibb le 13 octobre, au moins 25 hommes, dont des militants politiques, des défenseurs des droits humains et des journalistes, ont été arrêtés par des hommes armés en civil qui affirmaient appartenir à Ansarullah, la branche politique des Houthis. La plupart ont été libérés, après avoir été torturés selon certaines informations. Antar al Mabarazi et Ameen al Shafaq, respectivement ingénieur et professeur d’université, étaient maintenus en détention au secret à la fin de l’année.

Liberté d’association
Les Houthis ont restreint la liberté d’association. Ils ont fermé au moins 27 ONG à Sanaa et menacé les responsables et les employés de ces organisations.

Exactions perpétrées par l’État islamique
Le groupe armé État islamique (EI) a revendiqué des attentats à l’explosif visant essentiellement des mosquées de Sanaa considérées comme pro-houthis ; des civils ont été tués ou blessés. L’attaque la plus meurtrière, perpétrée le 20 mars, a frappé les mosquées Al Badr et Al Hashoosh à Sanaa. Cent quarante-deux personnes, des civils pour la plupart, ont trouvé la mort, et 351 autres ont été blessées. Le 6 décembre, le gouverneur d’Aden et plusieurs de ses collaborateurs ont trouvé la mort dans un attentat à l’explosif perpétré par l’EI.

Violations perpétrées par la coalition dirigée par l’Arabie saoudite
À partir du 25 mars, une coalition militaire de neuf États emmenée par l’Arabie saoudite a entamé une campagne de frappes aériennes dans tout le Yémen contre les Houthis et leurs alliés. Certaines attaques visaient des objets militaires qui ont été détruits ; d’autres étaient disproportionnées ou aveugles, ou semblaient viser directement des personnes ou des biens civils, et ont fait de nombreux morts et blessés parmi la population.

Certaines de ces attaques constituaient des crimes de guerre.

Le 3 juin, les frappes aériennes de la coalition ont détruit un groupe de neuf maisons dans le village d’Al Eram, au nord- ouest de la ville de Saada. Au moins 35 enfants, 11 femmes et neuf hommes ont été tués, et neuf autres personnes ont été blessées. Les villageois ont affirmé que les frappes avaient continué pendant les opérations de recherche et de secours alors qu’ils tentaient de localiser des corps et des survivants dans les décombres. Les autorités de la coalition et le gouvernement du président Hadi n’ont cependant mené aucune enquête et n’ont pas amené les responsables de ce bombardement, entre autres attaques illégales, à rendre compte de leurs actes.

Les forces de la coalition ont utilisé des munitions imprécises, dont de grosses bombes de fabrication américaine oubritannique ayant un grand rayon d’action et qui provoquent des pertes humaines et des destructions au-delà de leur point d’impact. À Saada et à Hajja, la coalition a également utilisé des bombes à sous-munitions de fabrication américaine, armes non discriminantes par nature dont l’utilisation est interdite, qui projettent de petites bombes sur une vaste zone et représentent un risque permanent pour les civils car, le plus souvent, elles n’explosent pas à l’impact.
Certaines attaques de la coalition ont visé des infrastructures stratégiques, comme des ponts et des routes principales. En juillet, des attaques ont notamment détruit quatre ponts sur une route reliant le gouvernorat de Saada à Sanaa. D’autres frappes aériennes de la coalition ont endommagé des ponts sur les routes reliant Sanaa à Hodeida et Marib, et Taizz à Aden.

Des frappes de la coalition ont atteint des hôpitaux et d’autres installations médicales dans le gouvernorat de Saada ; des patients et des professionnels de la santé ont été blessés. Le 26 octobre, la coalition a détruit un hôpital soutenu par Médecins sans frontières (MSF) à Saada ; sept professionnels de la santé ont été blessés. MSF a indiqué qu’une autre de ses structures de santé, une clinique à Taizz, a été touchée le 2 décembre par une frappe aérienne de la coalition qui a fait neuf blessés, dont deux employés de l’organisation. Selon certaines informations, des avions de la coalition ont bombardé l’hôpital Al Shaara de Razih (gouvernorat de Saada) le 4 septembre. Des membres de MSF qui se sont rendus sur les lieux peu après ont déclaré qu’aucun élément n’indiquait que cet hôpital était utilisé à des fins militaires. Ils ont précisé que six patients avaient été tués et plusieurs autres blessés.

La coalition a imposé un blocus aérien et maritime partiel pour empêcher l’approvisionnement des Houthis et de leurs alliés. Ce blocus a considérablement réduit l’importation et la fourniture de carburant et autres produits de première nécessité, entravant l’accès à la nourriture, à l’eau, à l’aide humanitaire et au matériel médical, cequi a exacerbé une crise humanitaire déjà très grave.

IMPUNITÉ
Toutes les parties au conflit ont commis de graves atteintes aux droits humains en toute impunité.

Les autorités n’ont pas mené d’enquêtes approfondies et indépendantes sur les violations des droits humains commises dans le passé, notamment les homicides illégaux et les autres violations graves perpétrés par les forces gouvernementales dans le cadre des mouvements de protestation populaires massifs de 2011.

En septembre, le président Hadi a institué par décret une commission nationale chargée d’enquêter sur toutes les violations des droits humains commises depuis le début de 2011.

DROITS DES FEMMES
Les femmes et les filles ont continué de faire l’objet de discriminations dans la législation et dans la pratique. Elles n’étaient pas suffisamment protégées contre les violences, sexuelles et autres, notamment les mutilations génitales féminines et le mariage forcé.

PEINE DE MORT
La peine de mort a été maintenue pour toute une série de crimes. Cette année encore, les tribunaux ont prononcé des sentences capitales et des exécutions ont eu lieu. Parmi les prisonniers sous le coup d’une condamnation à mort figuraient, semble-t-il, plusieurs dizaines de mineurs délinquants condamnés pour des crimes commis alors qu’ils avaient moins de 18 ans.

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