Rapport annuel 2017

Tchad

République du Tchad
Chef de l’État : Idriss Déby Itno
Chef du gouvernement : Albert Pahimi Padacké (a remplacé Kalzeubé Pahimi Deubet en février)

Cette année encore, le groupe armé Boko Haram a commis des atrocités dans la région du lac Tchad, où il s’est rendu coupable d’homicides, des pillages et de destructions de biens. Ces violences et la réaction des pouvoirs publics ont entraîné le déplacement de dizaines de milliers de personnes, qui se sont retrouvées dans des conditions déplorables avec un accès extrêmement limité à l’eau et aux installations sanitaires. L’élection présidentielle d’avril s’est déroulée sur fond de restrictions de la liberté d’expression, de recours excessif ou injustifié à la force contre des manifestants pacifiques et de disparitions forcées. Plus de 389 000 réfugiés vivaient toujours péniblement dans des camps surpeuplés. Les Chambres africaines extraordinaires (CAE), siégeant au Sénégal, ont condamné l’ancien président Hissène Habré à la réclusion à perpétuité pour des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et des actes de torture commis au Tchad entre 1982 et 1990.

Exactions perpétrées par des groupes armés

Au cours de l’année, Boko Haram a mené des attaques contre des civils et contre les forces de sécurité, se rendant coupable d’homicides, de pillages et de destructions de biens privés et d’installations publiques.

Le 31 janvier, deux attentats-suicides perpétrés par Boko Haram dans les villages de Guié et de Miterine, près du lac Tchad, ont fait au moins trois morts, dont un membre d’un groupe d’autodéfense, et au moins 56 blessés.

Liberté d’expression et de réunion

Les droits à la liberté d’expression et de réunion ont été bafoués. Cette année encore, des défenseurs des droits humains ont été victimes de menaces et de manœuvres d’intimidation, et l’accès aux réseaux sociaux a été régulièrement restreint. Le 19 mars, l’État a interdit toutes les manifestations sans lien avec la campagne électorale.

Le 6 février, 17 manifestants pacifiques ont été arrêtés à N’Djamena, la capitale. Ils ont été détenus pendant deux jours au siège de la police judiciaire ; ils y ont été battus et du gaz lacrymogène a été répandu dans leur cellule. Au moins deux d’entre eux ont dû être admis à l’hôpital en soins intensifs.

Entre le 21 et le 23 mars, quatre militants ont été arrêtés et inculpés de « trouble à l’ordre public » et de « désobéissance à un ordre légitime » parce qu’ils projetaient d’organiser une manifestation pacifique. Ils ont été détenus à la maison d’arrêt d’Amsinene, à N’Djamena, du 24 mars au 14 avril. Le 14 avril, ils ont été condamnés à une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis, assortie d’une interdiction de prendre part à des activités « subversives ». Le 4 avril, Albissaty Salhe Alazam, un autre militant, a été inculpé de « provocation à un attroupement non armé », « trouble à l’ordre public » et « désobéissance à un ordre légitime » parce qu’il avait organisé une manifestation pacifique prévue pour le lendemain afin de réclamer la libération des quatre militants susmentionnés. Il a été condamné à quatre mois de prison avec sursis.

À la mi-avril, deux défenseurs des droits humains ont fui le pays après avoir reçu des menaces de mort par SMS et lors d’appels téléphoniques anonymes ; ils avaient participé, avant le scrutin, à des manifestations contre la réélection d’Idriss Déby.

Le 17 novembre, 11 militants de l’opposition ont été arrêtés pendant une manifestation non autorisée contre la crise économique et inculpés de participation à un « rassemblement non armé ». Les poursuites ont été abandonnées et ces personnes ont été libérées le 7 décembre.

Recours excessif à la force

Les forces de sécurité ont eu recours à une force excessive ou injustifiée pour disperser des manifestations à N’Djamena et dans d’autres villes, et ce en toute impunité.

En février et mars, les forces de sécurité ont dispersé violemment plusieurs manifestations pacifiques organisées dans tout le pays afin de réclamer justice au nom de Zouhoura Ibrahim, une lycéenne de 16 ans violée le 8 février. Les auteurs présumés de ce crime sont cinq jeunes hommes entretenant des liens avec les autorités et les forces de sécurité. Le 15 février, la police a tué un lycéen de 17 ans lors d’une manifestation pacifique à N’Djamena et, le 22, les forces de sécurité ont abattu un élève de 15 ans et ont blessé au moins cinq autres personnes dans la ville de Faya-Largeau.

Le 7 août, la police a utilisé des armes à feu pour disperser une manifestation pacifique organisée à N’Djamena afin d’empêcher la réélection d’Idriss Déby, tuant un jeune homme et faisant plusieurs blessés graves.

Arrestations et détentions arbitraires – journalistes

Cette année encore, des journalistes ont été la cible de manœuvres d’intimidation et beaucoup ont été arrêtés de manière arbitraire et placés en détention pendant de courtes périodes parce qu’ils avaient exercé leur droit à la liberté d’expression.

Le 28 mai, un présentateur d’une station de radio nationale a été interrogé par des agents de la Direction des renseignements généraux à la suite d’un lapsus sur le nom du président, qu’il avait appelé Hissène Habré au lieu d’Idriss Déby pendant une émission. Il a été libéré sept heures plus tard et suspendu de cette émission.

Le 30 août, Stéphane Mbaïrabé Ouaye, directeur de la publication du journal Le Haut Parleur, a été arrêté, interrogé par des agents de la Direction des renseignements généraux et inculpé de « tentative d’escroquerie et chantage » après s’être entretenu avec le directeur de l’hôpital Mère-Enfant de N’Djamena au sujet d’allégations de corruption. Relaxé, il a été libéré le 22 septembre.

Le 9 septembre, Saturnin Bemadjiel, un journaliste de la station de radio FM Liberté, a été arrêté pendant qu’il couvrait une manifestation, alors même qu’il était en possession de sa carte de presse. Il a été interrogé au commissariat central et libéré au bout de quatre heures.

Disparitions forcées

Le 9 avril, au moins 64 militaires ont été victimes de disparition forcée après avoir refusé de voter pour le président sortant. Des témoins ont expliqué que les forces de sécurité avaient identifié les militaires soutenant des candidats de l’opposition, leur avaient fait subir des mauvais traitements dans les bureaux de vote et les avaient enlevés, avant de les torturer dans des centres de détention aussi bien officiels qu’officieux. Quarante-neuf de ces militaires ont été libérés mais, à la fin de l’année, on ignorait toujours ce qu’il était advenu des 15 autres. Sous la pression de la communauté internationale, le procureur de la République a ouvert une enquête concernant cinq de ces militaires, mais l’affaire a été classée sans suite après leur libération. Aucune enquête n’a été menée sur les allégations de torture et les autres disparitions.

Réfugiés et personnes déplacées

Plus de 389 000 réfugiés venus de République centrafricaine, du Nigeria et du Soudan vivaient toujours dans des camps, où les conditions étaient déplorables.

Les attaques et les menaces de Boko Haram, ainsi que les opérations de sécurité de l’armée tchadienne, ont entraîné le déplacement à l’intérieur du pays de 105 000 personnes, ainsi que le retour dans le bassin du lac Tchad de 12 000 autres qui avaient trouvé refuge au Nigeria et au Niger. La dégradation des conditions de sécurité dans les zones frontalières proches du lac Tchad à partir de la fin du mois de juillet a eu des répercussions sur l’accès à l’aide humanitaire et la protection des populations en danger. Les personnes déplacées dans la région du lac Tchad vivaient dans des conditions déplorables et n’avaient qu’un accès extrêmement limité à l’eau et à des installations sanitaires, en particulier à Bol, Liwa et Ngouboua, près de Baga Sola.

Droit à un niveau de vie suffisant, à l’éducation et à la justice

Cette année encore, la population de la région du lac Tchad a tenté d’échapper à l’escalade de la violence, qui a perturbé l’agriculture, le commerce et la pêche, avec de lourdes conséquences économiques et sociales. L’instabilité n’a fait qu’exacerber l’insécurité alimentaire. En septembre, l’ONU a estimé à 3,8 millions le nombre de personnes vivant dans l’insécurité alimentaire, dont un million au-delà du seuil de crise ou d’urgence.

Les retards dans le versement des salaires ont déclenché des grèves régulières dans le secteur public, ce qui a restreint l’accès à l’éducation et à la justice.

En août, l’État a adopté 16 réformes d’urgence destinées à endiguer la crise économique liée à la chute des cours du pétrole ; il a en particulier supprimé les bourses qui permettaient aux étudiants des zones rurales de poursuivre leurs études. En réaction, des étudiants ont organisé des manifestations – certaines pacifiques, d’autres violentes – dans les principales villes du pays, notamment à N’Djamena, Sarh, Pala et Bongor.

Droits sexuels et reproductifs

Bien que le droit national dispose que chaque personne, en couple ou non, doit pouvoir décider librement d’avoir ou non des enfants, du moment où ils sont conçus, de leur nombre et de l’intervalle entre les naissances, gérer sa santé reproductive et avoir accès à l’information et aux moyens nécessaires pour ce faire, de nombreuses personnes ne bénéficiaient d’aucun renseignement ni soin en la matière, en particulier dans les zones rurales. Le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) estimait que seules 3 % des femmes utilisaient un moyen de contraception. Selon les chiffres de 2014 de l’Institut national de la statistique, des études économiques et démographiques (INSEED), seules 5 % des femmes mariées avaient recours à des moyens de contraception modernes.

En décembre, l’Assemblée nationale a adopté une réforme du Code pénal portant de 16 à 18 ans l’âge légal du mariage pour les filles.

Justice internationale

Le 30 mai, l’ancien président Hissène Habré a été condamné à la réclusion à perpétuité par les CAE, une juridiction créée dans le cadre d’un accord entre l’Union africaine et le Sénégal. Il a été déclaré coupable de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et d’actes de torture commis au Tchad entre 1982 et 1990. Ses avocats ont interjeté appel.

Le 29 juillet, les CAE ont accordé 20 millions de francs CFA (33 880 dollars des États-Unis) à chacune des victimes de viols répétés et d’esclavage sexuel, 15 millions de francs CFA (25 410 dollars) à chacune des victimes de détention arbitraire et d’actes de torture, ainsi qu’à chacun des prisonniers de guerre et rescapés de massacres, et 10 millions de francs CFA (16 935 dollars) à chacune des victimes indirectes.

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