Rapport annuel 2017

Tadjikistan

République du Tadjikistan
Chef de l’État : Emomali Rahmon
Chef du gouvernement : Qohir Rassoulzoda

L’espace permettant l’expression d’opinions dissidentes a continué de se réduire comme une peau de chagrin. Les autorités ont invoqué de possibles menaces pour la sécurité nationale, ainsi que la lutte contre le terrorisme, pour justifier l’imposition de restrictions de plus en plus draconiennes à la liberté d’expression et à la liberté d’association. Inculpés au titre de la législation contre le terrorisme, plusieurs membres du Parti de la renaissance islamique du Tadjikistan (PRIT), une formation d’opposition interdite, ont été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement (certains à la réclusion à perpétuité) à l’issue de procès qui se sont déroulés dans le plus grand secret et dans des conditions totalement inéquitables. Certaines allégations selon lesquelles des agents de l’État les auraient torturés pour leur extorquer des « aveux » n’ont pas donné lieu à une enquête approfondie et impartiale. Des avocats représentant des membres du PRIT ont été victimes d’actes de harcèlement, de détention arbitraire, de poursuites, voire de lourdes peines d’emprisonnement après avoir été jugés pour raisons politiques.

Contexte

Diverses modifications de la Constitution d’une portée considérable ont été adoptées en mai à l’issue d’un référendum national. La suppression de la limite du nombre de mandats présidentiels, permettant de fait à Emomali Rahmon de rester à la tête du pays au-delà des prochaines élections, et l’interdiction des partis politiques constitués sur des critères de religion ou de nationalité figuraient parmi les dispositions adoptées. Le fait « d’insulter le chef de la nation » est devenu une infraction au Code pénal en novembre.

Au moins 170 personnes ont été poursuivies, puis jugées et condamnées à des peines d’emprisonnement pour leur participation présumée à des affrontements armés entre les forces gouvernementales et des groupes armés survenus dans la capitale, Douchanbé, en septembre 2015. Ces violences avaient été présentées par les autorités comme une tentative de coup d’État menée par l’ancien vice-ministre de la Défense Abdoukhalim Nazarzoda. L’information étant presque totalement contrôlée par les pouvoirs publics, la version officielle des événements n’a guère été commentée de manière indépendante, d’où un certain nombre d’interrogations sur les procès intentés.

Des militants en exil du Parti de la renaissance islamique du Tadjikistan (PRIT), et du « Groupe 24 », un autre mouvement d’opposition, se sont rendus en septembre à la Réunion annuelle de l’OSCE sur la mise en œuvre des engagements concernant la dimension humaine, qui avait lieu à Varsovie. Ils ont organisé à cette occasion une manifestation. Selon certaines sources, la police et les services de sécurité ont menacé, arrêté arbitrairement, interrogé et, dans certains cas, brutalisé des proches de ces militants restés au Tadjikistan, en représailles de l’action pacifique menée dans la capitale polonaise. La délégation officielle tadjike a quitté la réunion plus tôt que prévu, en signe de protestation contre la décision d’autoriser une « organisation terroriste interdite au Tadjikistan » à participer à la rencontre en tant que membres de la société civile.

Procès inéquitables

Les autorités continuaient de rejeter catégoriquement les allégations selon lesquelles 14 responsables du PRIT auraient fait l’objet d’un procès politique et inéquitable et auraient été victimes d’actes de torture et d’autres mauvais traitements, en raison du rôle qu’ils auraient joué dans les affrontements de septembre 2015. Ce procès a eu lieu devant la Cour suprême en février. Il s’est déroulé dans le plus grand secret, à l’intérieur du centre de détention provisoire du Comité de sûreté de l’État. Tous les accusés ont été reconnus coupables en juin. Deux des vice-présidents du PRIT, Oumarali Khissaïnov (également connu sous le nom de Saïdoumour Khoussaïni) et Makhmadali Khaïtov (Moukhammadali Haït), ont été condamnés à la réclusion à perpétuité. Condamnée à deux ans d’emprisonnement, Zarafo Khoujaïeva (Rakhmoni) a été libérée le 5 septembre aux termes d’une mesure de grâce présidentielle. Les autres accusés ont été condamnés à des peines comprises entre 14 et 28 ans d’emprisonnement.

Les rares informations qui avaient été initialement diffusées par les autorités concernant le procès des dirigeants du PRIT, et notamment les chefs d’inculpation retenus contre eux, ont disparu dès fin 2015 des sources officielles sur lesquelles elles avaient été publiées (entre autres du site Internet des services du procureur général et des documents de l’agence de presse officielle Khovar). Aucune information nouvelle n’a été autorisée. Les avocats des prévenus ont été contraints de signer des accords de confidentialité concernant les détails de l’affaire et les procédures judiciaires. Le verdict et les procès-verbaux des audiences n’ont pas été publiés officiellement. Une copie du verdict obtenue grâce à une fuite a été publiée en ligne au mois d’août. Le parquet général a refusé de s’exprimer sur l’authenticité de ce document, mais la personne soupçonnée d’être à l’origine de cette fuite a fait l’objet de poursuites (voir plus loin).

« Les mesures drastiques prises à l’encontre du PRIT constituent une régression grave pour un environnement politique transparent », a indiqué en mars 2016 le rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, qui a fait part de sa préoccupation. « Le gouvernement accuse le PRIT et ses membres de crimes graves, mais refuse que le procès et les éléments de preuve soient rendus publics », a-t-il en outre constaté.

Des avocats victimes de harcèlement

Les avocats chargés de défendre les 14 dirigeants du PRIT ont fait l’objet d’actes de harcèlement et d’intimidation. Certains d’entre eux ont même été placés en détention de façon arbitraire et ont été poursuivis en justice. Le tribunal de la ville de Douchanbé a ainsi condamné Bouzourgmekhr Iorov et Nouriddine Makhkamov, deux avocats représentant plusieurs des accusés du procès du PRIT, à 23 et 21 ans d’emprisonnement, respectivement. Les deux hommes n’ont pas été jugés dans des conditions équitables. Seule la première audience, en mai, a été ouverte au public et à la presse. Toutes les autres se sont déroulées à huis clos. Les deux juristes ont été reconnus coupables d’avoir « suscité l’hostilité nationale, raciale, locale ou religieuse », de fraude, d’« appels publics à un changement violent de l’ordre constitutionnel de la République du Tadjikistan », et d’« appels publics à des activités extrémistes ». Bouzourgmekhr Iorov a en outre été reconnu coupable de faux et usage de faux. Ils ont tous deux rejeté les accusations portées contre eux et un appel était en cours à la fin de l’année. Ils ne pourront reprendre leur métier à leur libération que si le verdict prononcé contre eux en première instance est totalement invalidé.

Djamched Iorov, le frère de Bouzourgmekhr Iorov, lui aussi avocat de la défense dans l’affaire des dirigeants du PRIT, a été arrêté le 22 août pour « divulgation de secrets d’État ». Il était accusé d’être à l’origine de la fuite qui avait rendu public l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire du PRIT. Il a été remis en liberté le 30 septembre.

Un second procès contre Bouzourgmekhr Iorov s’est ouvert le 12 décembre, au sein du centre de détention provisoire no 1 de Douchanbé. L’intéressé était cette fois accusé d’outrage à magistrat et à des représentants de l’État, pour des propos tenus lors de sa déclaration finale devant le tribunal de la ville de Douchanbé.

Torture et autres mauvais traitements

Les garanties juridiques destinées à protéger les détenus contre la torture et les autres mauvais traitements ont été renforcées au mois de mai. Parmi les mesures adoptées figuraient : la limitation à trois jours de la durée maximale pendant laquelle une personne peut être maintenue en détention sans inculpation ; la définition de la détention comme prenant effet au moment de la privation de fait de liberté ; le droit du détenu d’avoir accès à un avocat, dans des conditions de confidentialité, dès l’instant où il est privé de liberté ; et l’obligation de procéder à un examen médical des suspects avant de les placer en détention provisoire.

Il n’existait toujours aucun mécanisme indépendant chargé d’enquêter sur les allégations de torture ou d’autres mauvais traitements. L’ONG Coalition contre la torture a recensé 60 plaintes pour torture. Elle estimait toutefois que ce chiffre ne reflétait qu’une toute petite partie de la réalité.

Le Conseil des droits de l’homme [ONU] a adopté en septembre les conclusions de l’Examen périodique universel (EPU) sur le Tadjikistan. Le gouvernement a rejeté les recommandations du Conseil qui l’enjoignaient de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et de mettre en place un mécanisme national de prévention. Il a en revanche accepté celles concernant l’abolition totale de la peine capitale et la ratification du Deuxième Protocole facultatif se rapportant au PIDCP.

Liberté d’association

Le ministère de la Justice a fait part d’un projet de décret d’application de la Loi sur les associations publiques, telle que modifiée. Ce texte ne précisait cependant pas les délais précis dans lesquels devaient être rendues les décisions sur les déclarations obligatoires, par les ONG, des financements provenant de l’étranger. Il n’indiquait pas non plus si une subvention pouvait être utilisée avant sa déclaration officielle. Ce projet de décret limitait les inspections des ONG à une tous les deux ans, tout en laissant une large place à l’interprétation quant aux modalités et aux motifs desdites inspections.

Un tribunal de district a invalidé en janvier la procédure de liquidation entamée par la Commission fiscale contre le cercle de réflexion Nota Bene, organisation reconnue se consacrant aux questions touchant aux droits humains et à la démocratie.

Liberté d’expression

Les autorités ont continué d’intensifier la répression de la liberté de la presse et de réduire les possibilités d’accès à une information indépendante. Le gouvernement a pris en août un décret valable pour cinq ans l’autorisant à « réguler et contrôler » les contenus de tous les réseaux radiotélévisés via la Commission d’État de radiotélédiffusion.

Les organes de presse et les journalistes indépendants ont fait l’objet d’actes d’intimidation et de harcèlement de la part de la police et des services de sécurité dans le cadre de la couverture du procès des dirigeants du PRIT et d’autres questions politiques sensibles. Un certain nombre de journalistes ont été contraints de partir à l’étranger. Le journal indépendant Nigoh et le site Internet indépendant Tojnews ont annoncé en novembre qu’ils cessaient leurs activités, « les conditions permettant l’exercice d’un journalisme libre et indépendant n’étant plus réunies ». Nigoh avait notamment couvert le procès de Bouzourgmekhr Iorov.

Les pouvoirs publics ont cette année encore exigé des fournisseurs de services en ligne qu’ils bloquent l’accès à certains sites d’information et à certains réseaux sociaux, sans toutefois le reconnaître publiquement. Les particuliers et les groupes touchés par ces mesures n’ont pas eu la possibilité de les contester effectivement devant les tribunaux. Un décret gouvernemental obligeait en outre les fournisseurs d’accès à Internet et les opérateurs de télécommunications à faire transiter tous leurs services par un nouveau centre de communications unique, placé sous l’autorité de la société publique Tajiktelecom. Le rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression a déploré en mars le blocage très fréquent des sites et des réseaux, y compris des services mobiles, qu’il jugeait abusif et incompatible avec les normes internationales.

Droits à l’eau et à l’assainissement

Le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’eau potable et à l’assainissement a publié en juillet son rapport sur le Tadjikistan. Il constatait notamment qu’environ 40 % de la population (près de 50 % dans les zones rurales) dépendaient d’un approvisionnement en eau souvent insuffisant ou non conforme aux normes de qualité. Cette situation avait des conséquences particulièrement lourdes pour les femmes et les enfants, dont certains consacraient en moyenne de quatre à six heures par jour à la corvée d’eau. Le rapporteur spécial notait que le manque d’eau et d’installations sanitaires dans les établissements publics avait des répercussions néfastes directes sur d’autres droits, tels que les droits à la santé, à l’éducation, au travail ou à la vie. Il priait instamment le gouvernement de faire disparaître les inégalités en matière d’accès à l’eau et à l’assainissement et de répondre aux besoins des catégories les plus vulnérables, notamment des femmes et des filles en zone rurale, des personnes réinstallées, des réfugiés, des demandeurs d’asile et des apatrides.

Le gouvernement a accepté les recommandations formulées à l’issue de la procédure d’Examen périodique universel qui l’invitaient à améliorer l’accès à l’eau potable. Il a toutefois rejeté la recommandation qui l’enjoignait de ratifier le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).

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