Algérie — Culture de l’impunité

À quelques jours de l’élection présidentielle algérienne, Amnesty International a appelé le prochain président à faire face aux séquelles des atteintes aux droits humains commises lors du conflit interne dans les années 1990 et à prendre en compte les milliers de victimes trahies par les autorités.
Téléchargez le rapport en anglais (PDF) en cliquant ICI

Selon les autorités, quelque 200 000 personnes ont été tuées durant ce conflit. Les forces de sécurité et les milices armées par l’État ont commis des violations massives des droits fondamentaux, en particulier des exécutions extrajudiciaires et d’autres homicides illégaux. Elles ont également causé des disparitions forcées, détenu au secret et de façon arbitraire, et soumis à la torture et à d’autres types de mauvais traitements des milliers de membres ou de sympathisants avérés ou présumés de groupes armés.

Les groupes armés se sont eux aussi rendus responsables de très nombreuses atteintes aux droits des personnes, dont des homicides de civils, des enlèvements, des actes de torture et des viols.

La plupart des crimes perpétrés n’ont jamais fait l’objet d’enquêtes et les auteurs présumés n’ont jamais été tenus de rendre des comptes.

« Le prochain président de l’Algérie doit saisir l’occasion de ce nouveau mandat pour s’attaquer à la culture de l’impunité qui règne depuis les années 1990, a déclaré Philip Luther, directeur par intérim du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International. Comment peut-il y avoir une réconciliation nationale sincère si les autorités doivent encore faire émerger la vérité concernant les crimes passés et présents et rendre justice aux victimes ? »

Dans un nouveau rapport intitulé A Legacy of Impunity : A Threat to Algeria’s Future, Amnesty International expose ses préoccupations quant à l’absence persistante d’enquêtes sur les atteintes aux droits humains passées et présentes, et à l’impunité dont jouissent les auteurs présumés de celles-ci.

Rendu public le 30 mars, ce rapport soutient que les mesures d’amnistie engagées et mises en œuvre par le président Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999, empêchent les victimes et leurs familles d’obtenir vérité, justice et réparation. En outre, une loi adoptée en 2006 bâillonne les voix qui critiquent la gestion du conflit interne par le gouvernement en les menaçant de peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans.

« Les amnisties générales octroyées successivement aux groupes armés et plus tard aux membres des services de sécurité infligent une nouvelle blessure aux victimes et à leurs familles, a indiqué Philip Luther. Au lieu d’accorder l’impunité aux responsables, encourageant par là même de nouvelles violences, les autorités doivent rendre aux victimes leur dignité en faisant savoir fermement que de tels crimes ne seront plus tolérés. »

Le rapport souligne que les autorités s’efforcent activement de museler le débat et la critique, et d’oblitérer les souvenirs du conflit interne sans se préoccuper de ses conséquences sur les victimes et sur la situation générale des droits humains.

Pourtant, les familles des victimes et les militants réclament énergiquement, parfois au risque d’être harcelés, que des enquêtes soient menées sur les atteintes aux droits humains et que les auteurs soient traduits en justice.

Louisa Saker, qui n’a pas revu son mari depuis qu’il a été arrêté en 1994 et ignore quel sort lui a été réservé, a été reconnue coupable en 2008 d’avoir participé à un défilé non autorisé parce qu’elle a manifesté avec des familles de « disparus » à Constantine, dans le nord-est du pays. Elle est cependant déterminée à poursuivre son combat afin de connaître la vérité et de savoir ce qu’il est advenu de son époux.

« Tant que leurs souffrances continuent d’être ignorées, les familles des victimes de disparitions forcées ne peuvent pas faire leur deuil ni trouver l’apaisement, a affirmé Philip Luther. Elles subissent des pressions pour accepter des certificats de décès et une aide financière alors qu’elles réclament la vérité et la justice. »

Les autorités algériennes reprennent désormais l’argument des menaces à la sécurité et de la lutte contre le terrorisme déjà invoqué lors du conflit interne pour justifier les violations persistantes des droits fondamentaux. Les forces de sécurité, et particulièrement le Département du renseignement et de la sécurité (DRS), continuent à détenir au secret des personnes soupçonnées d’activités terroristes dans des lieux tenus secrets, parfois pendant des semaines, voire des mois, de les torturer et de les juger dans le cadre de procès iniques, dans un climat d’impunité quasi totale.

Amnesty International rappelle aux autorités algériennes que les homicides de civils commis par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), qu’elle condamne sans réserve, ne doivent pas servir à justifier les violations des droits fondamentaux commises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Le fait que l’Algérie soit devenue un allié de poids dans le cadre de la soi-disant « guerre contre le terrorisme » signifie que des violations des droits humains s’y sont produites sans que les pays européens ou les États-Unis ne fassent grand cas de celles-ci. En outre, ces dernières années, des pays européens tels que la France et le Royaume-Uni ont remis à l’Algérie des personnes représentant selon eux une menace à leur sécurité nationale, en dépit d’éléments prouvant que ces personnes risquaient d’être victimes, à leur retour, de graves violations des droits fondamentaux, notamment d’actes de torture et d’autres types de mauvais traitements.

Amnesty International a formulé une série de recommandations à l’attention du prochain président algérien qui, si elles étaient suivies, aideraient à faire en sorte que les victimes de tous types de violations des droits humains reçoivent réparation, et que ces agissements ne se reproduisent plus.

L’organisation préconise ainsi que les autorités abrogent les lois qui consacrent l’impunité et veillent à ce que nul ne bénéficie d’une immunité de poursuites, qu’il s’agisse des membres des forces de sécurité, des milices armées par l’État ou des groupes armés.

Elle demande aussi que des enquêtes impartiales et indépendantes soient menées sur toutes les allégations de violations des droits humains, que les auteurs présumés soient déférés à la justice et que les victimes et leur famille reçoivent réparation.

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