Le décret wallon sur les armes et l’ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale

Décret wallon
Ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale

Décret wallon

Chaque année, au moins 500 000 personnes sont tuées par balle dans le monde et, en moyenne, la mort de 200 000 autres hommes, femmes et enfants est indirectement liée aux violences et aux conflits armés, souvent amplifiés par l’absence de contrôle sur la circulation d’armes légères.

À ces personnes tuées dans les conflits armés viennent s’ajouter maintes autres victimes qui sont blessées et torturées, violées, agressées, soumises à une disparition forcée, prises en otage ou déplacées.

Amnesty souligne que les premières victimes de la prolifération des armes légères sont les populations civiles, particulièrement dans ses composantes les plus fragiles, à savoir les femmes et les enfants.

Un contrôle efficace des transferts d’armes est donc indispensable, surtout dans les pays producteurs d’armes, comme la Belgique, et en particulier en Wallonie.

Le 21 juin 2012, le gouvernement wallon a adopté un décret relatif à l’importation, au transit et au transfert d’armes civiles et de produits liés à la défense [1].

Ce décret a pour but de transposer la directive 91/477/CEE du Conseil européen du 18 juin 1991 modifiée le 21 mai 2008 [2] et de réformer la procédure d’octroi des licences en matière de commerce extérieur des armes.

Le décret adopté constitue un élément positif puisqu’il démontre que le pouvoir politique est conscient des faiblesses du système ayant conduit parfois à des scandales, notamment la crise des exportations vers la Libye en 2009.

Il est donc salutaire que le pouvoir politique se soit penché sur cette problématique avec comme ambition annoncée de rendre le système plus efficace et transparent.

Ainsi, plusieurs critères d’octroi des licences d’armes viennent renforcer les critères déjà rendus obligatoires par la Position commune européenne de 2008 qui définit un cadre pour l’exportation d’armes vers un pays qui n’est pas membre de l’Union européenne (et qui incluait déjà le respect des droits humains et du droit international humanitaire dans le pays de destination finale).

À cet égard, Amnesty salue le critère interdisant l’exportation vers un pays utilisant des enfants-soldats.

Le décret institue également une procédure obligatoire d’information préalable écrite et définit le rôle de la « Commission d’avis sur les licences d’exportations d’armes » chargée de formuler, à la demande du gouvernement, ou d’initiative, des avis motivés et confidentiels à la seule attention du gouvernement dans le cadre de l’analyse des demandes d’exportation de produits liés à la défense.

Cela étant, à côté de ces éléments positifs, et en écho à la volonté de transparence initialement annoncée, plusieurs éléments auraient pu être renforcés, en vue d’éviter, par exemple, la présence d’armes fabriquées en Wallonie et retrouvées en Syrie.

Dans le cadre des débats ayant mené au décret adopté, Amnesty International et diverses organisations non gouvernementales avaient régulièrement interpellé les partis politiques wallons et les parlementaires pour que ce décret soit le plus précis possible en vue d’éviter que des armes ne soient vendues et puis réexportées dans d’autres pays, où elles pourraient être utilisées pour violer des droits fondamentaux, comme celui de manifester pacifiquement.

L’avis du Conseil d’État rendu le 14 mars 2012 a donné raison à plusieurs revendications portées par le monde associatif.

À ce jour, il est trop tôt pour se prononcer sur l’application du décret wallon qui doit permettre d’améliorer le processus d’octroi des licences, et de renforcer le contrôle rigoureux des actes relevant de la compétence du gouvernement wallon en matière de transfert d’armes, d’autant que des arrêtés d’exécution doivent encore être pris et mis en œuvre.

Recommandations

Amnesty International souhaite que plusieurs éléments du décret soient renforcés, voire revus :

1. Il est nécessaire de considérer les licences prévues par le décret comme des actes administratifs au sens et pour l’application du décret du 30 mars 1995 relatif à la publicité de l’administration et de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs.

En effet, les licences sont des actes administratifs, comme l’avait rappelé le Conseil d’État. La précision demandée permettrait d’augmenter le contrôle et, par là, de renforcer la transparence des actes adoptés.

2. Les dispositions prévues pour le rapportage et l’information par le gouvernement wallon devant le parlement wallon sont totalement insuffisantes.

À nouveau, seul un contrôle parlementaire et public permettrait un exercice satisfaisant de la compétence.

Les informations que l’on retrouve dans les rapports doivent être plus précises afin de permettre de connaître la nature, le volume et la destination des exportations octroyées. Elles doivent ainsi être accessibles de façon plus régulière, pour ceux qui souhaitent en prendre connaissance et pour les parlementaires en particulier.

3. La Wallonie doit introduire dans ce décret une procédure permettant de mettre en cause un pays à qui elle aurait accepté d’accorder une licence d’exportations d’armes, avec une clause de non-réexportation, mais dont des preuves viendraient révéler que la clause n’a pas été respectée.

Il s’agit d’une violation grave d’un accord commercial dont les conséquences sont très lourdes pour les populations civiles et aussi pour la sécurité intérieure du pays. Il importe donc que la Wallonie puisse sanctionner un État ou un particulier qui ne respecte pas les clauses prévues dans la licence octroyée.

ACTUALISATION :

Le 19 décembre 2013, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt qui annule 2 dispositions du décret de la Région wallonne.

Le recours en annulation avait été introduit en janvier 2013 par la Ligue des Droits de l’Homme.

Dans son arrêt, la Cour a considéré que, contrairement à ce que souhaitait le Gouvernement wallon, les décisions de licence d’exportation devaient être soumises, à l’instar de tout acte administratif, à la loi sur la motivation formelle des actes administratifs et à la loi relative à la publicité de l’administration.

Concrètement, cela oblige le Gouvernement à motiver ses décisions et à les rendre accessibles à tout citoyen qui le demanderait.

L’arrêt de la Cour confirme le bien-fondé des recommandations d’Amnesty International.

Reste à espérer que le gouvernement wallon prendra les dispositions qui s’imposent.

Ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale

20 JUIN 2013 - Ordonnance relative à l’importation, à l’exportation, au transit et au transfert de produits liés à la défense, d’autre matériel pouvant servir à un usage militaire, de matériel lié au maintien de l’ordre, d’armes à feu à usage civil, de leurs pièces, accessoires et munitions (Ordonnance sur les armes) [3]

Le texte de l’ordonnance bruxelloise ressemble beaucoup au décret flamand sur le commerce des armes. L’ordonnance distingue le commerce d’armes à feu à usage civil du commerce de matériel à usage militaire (y compris les munitions), pour le maintien de l’ordre ou tout autre usage militaire. Il s’oriente surtout sur l’implémentation des directives européennes. Le contrôle sur les transactions sensibles y est prévu, entre autres par un contrôle de l’usage final et une clause fourre-tout.

Cependant, le décret devrait définir, au moins dans les grandes lignes, sur quels critères les licences générales vont être octroyées, pour quelles catégories de produits (par exemple, pas pour les composants sensibles) et quelles catégories de produits vont en être exclues (par exemple, systèmes d’armes complets, produits de défense avec mécanisme de mise à feu, etc.).

Amnesty International tient à souligner que le préambule contient une clause fourre-tout à laquelle il peut être fait appel, au cas par cas, lorsque des mesures de sécurité spécifiques la rendent nécessaire. Cela suppose la possibilité pour le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale d’établir sa propre liste de produits lorsque cela est nécessaire, en complément de la liste européenne de matériel militaire, notamment lorsqu’il s’agit de commerce avec un pays non européen. Cette possibilité n’est pas prévue dans l’ordonnance (art 21). Sans une liste propre, tous les contrôles qui ne sont pas repris sur la liste européenne disparaissent.
Amnesty International demande que la Région de Bruxelles-Capitale ait la compétence de dresser sa propre liste.

Le contrôle de l’usage final est une phase cruciale de la procédure d’agrégation. Il faut connaître la destination et l’usage final de la transaction afin d’estimer si l’importation, l’exportation, le transit ou le transfert comportent un risque pour la sécurité. Dans le texte de l’ordonnance, plusieurs articles se concentrent sur le contrôle de l’usage final. De plus, dans le nouveau système de licence, la possibilité de lier des restrictions sur l’usage final à des licences spécifiques est toujours présente. Le texte requiert une obligation absolue d’information sur la destination et l’usage final pour les entreprises ou les particuliers qui sollicitent une licence. C’est une condition fondamentale pour que les autorités puissent examiner sérieusement toute demande de licence.

Indépendamment de l’objet de la licence, des documents complémentaires concernant l’usage ou l’utilisateur final peuvent être exigés et le gouvernement peut toujours solliciter des informations ou des vérifications complémentaires sur l’utilisateur final. Des garanties supplémentaires (par exemple une clause de non-réexportation) peuvent aussi être demandées.
Amnesty International regrette toutefois que la plupart de ces dispositions ne soient pas obligatoires.

L’efficacité de l’ordonnance dépendra donc de la volonté du gouvernement bruxellois d’effectuer des contrôles complémentaires ou pas.

Les critères d’évaluation suivent la position commune de l’UE 2008/944/GBVB avec en plus, des critères propres (voir art 36), et Amnesty International se félicite de leur formulation précise. La transparence est aussi nettement améliorée par rapport à la loi du 5 août 1991.

Conclusion

Il faut attendre les arrêtés d’application, vu que la mise en œuvre de l’ordonnance (comme le décret wallon) est tributaire de ceux-ci. L’attention que le gouvernement bruxellois et son parlement accorderont à cette problématique sera déterminante pour la bonne mise en œuvre de l’ordonnance.

Version du 7/02/2014

Pour tout renseignement complémentaire, contactez Mme Montserrat CARRERAS, chargée de relations avec les autorités politiques :
 Tél : +32 2 538 81 77
 Email : mcarrerasATamnestyPOINTbe (remplacez AT par « @ » et POINT par « . »)
 Twitter : twitter.com/AmnestyLobby


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