L’identité ethnique ouïghoure menacée en chine

L’identité ethnique des Ouïghours de l’ouest de la Chine est systématiquement battue en brèche par les politiques gouvernementales, notamment celles qui limitent l’usage de la langue ouïghoure, imposent de sévères restrictions à la liberté de religion. Elle est aussi victime de l’afflux permanent de migrants chinois Han dans la région. La destruction des coutumes des Ouïghours et la discrimination à l’embauche alimentent le mécontentement et les tensions ethniques. Le gouvernement a organisé une campagne agressive qui a mené à l’arrestation et à la détention arbitraire de milliers d’Ouïghours accusés de « terrorisme, séparatisme et extrémisme religieux » car ils avaient exercé, pourtant pacifiquement, leurs droits fondamentaux.
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Les Ouïghours sont un groupe ethnique de langue turque, héritier d’une longue tradition. Installés au cœur de l’Asie centrale, ce sont en majorité des musulmans sunnites. En Chine, ils sont concentrés dans la région occidentale du pays, zone revendiquée tout au long de l’histoire par des empires, des seigneurs de la guerre et des groupes ethniques rivaux. En 1949, la région a été intégrée à la République populaire de Chine.

En 1955, la République populaire de Chine a créé la région autonome ouïghoure du Xinjiang, reconnaissant ainsi la prédominance des Ouïghours dans la région. En vertu de la Constitution chinoise, ce statut confère aux minorités ethniques le droit d’instituer des organes de gouvernement indépendants afin d’exercer leur autonomie.

Selon le dernier recensement, qui a eu lieu en 2000, plus de 18 millions de personnes vivent dans le Xinjiang, dont 47 % d’Ouïghours, 40 % de Chinois Han et 12 % de membres d’autres groupes ethniques, notamment des Kazaks, des Kirghizes, des Tatars, des Ouzbeks et des Tadjiks. La population chinoise Han s’est accrue de manière significative – elle représentait environ 6 % en 1949 – en raison des politiques gouvernementales prévoyant des mesures d’incitation financière en faveur des Chinois Han qui émigrent dans la région.

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Répression au nom de la « guerre contre le terrorisme »

Dans les années 1980, l’ère post-maoïste a fait émerger des politiques de libéralisation appliquées à l’ensemble de la Chine, qui ont accordé aux citoyens davantage de libertés, notamment la liberté de religion et la liberté d’expression, et ont renforcé les protections juridiques. Ces politiques s’étendaient au Xinjiang. Cependant, dans la seconde moitié des années 1990, les Ouïghours de la région ont connu un net revirement politique car les autorités se sont engagées dans une campagne agressive contre les « trois maux » : « terrorisme, séparatisme et extrémisme religieux ». Par conséquent, de plus en plus de Ouïghours ont été soumis à des arrestations arbitraires, des procès iniques et leurs droits économiques, sociaux et culturels se sont progressivement amoindris. La situation s’est aggravée depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis car les autorités ont placé le mécontentement des Ouïghours dans le cadre du terrorisme international, ce que de nombreux universitaires et autres observateurs considèrent sans fondement.

En 2008, les autorités ont utilisé une série d’événements violents, qu’elles imputent à des groupes séparatistes ouïghours, pour justifier la mise en place de mesures de répression généralisées contre la population ouïghoure du Xinjiang. D’après les médias officiels, près de 1 300 personnes ont été arrêtées au cours de l’année 2008 pour des infractions liées à la sûreté de l’État, notamment le terrorisme, le séparatisme et l’extrémisme religieux, et 1 154 personnes ont été formellement inculpées et traduites en justice ou soumises à des sanctions administratives. Le 14 août, Wang Lequan, secrétaire du Parti communiste chinois du Xinjiang, a annoncé une lutte « sans merci » contre le « séparatisme » ouïghour.

Une identité linguistique et culturelle menacée

Langue : Les autorités chinoises continuent à mener une politique linguistique visant à rendre le système scolaire du Xinjiang « bilingue » mais qui, en réalité, fait du chinois la seule langue de l’enseignement. Cette politique a débuté dans les années 1990 par l’élimination de la langue ouïghoure en tant que véhicule de l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, à l’université du Xinjiang, seuls les cours de poésie ouïghoure sont dispensés dans cette langue. En 2006, les autorités ont pris des mesures qui font du chinois le principal véhicule de l’enseignement au niveau préscolaire.

Des enfants et des enseignants ouïghours d’une ville du sud du Xinjiang ont indiqué qu’on leur infligerait une amende s’ils prononçaient un mot en ouïghour dans l’enceinte de l’école, ce qui est contraire au principe de véritable « bilinguisme ».

Les Ouïghours ont pleinement conscience de l’impact considérable de cette politique sur la capacité des jeunes Ouïghours à parler leur propre langue et, par conséquent, de l’impact sur leur identité culturelle et ethnique. Selon un jeune Ouïghour d’une vingtaine d’années :

« Si les enfants n’apprennent pas la langue [ouïghoure], ils ne connaîtront pas la culture, ils ne connaîtront pas la religion, donc ils ne seront pas ouïghours. Ils seront devenus chinois. Ils [les autorités chinoises] nous détruisent par le biais de la langue. »

Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a appelé la Chine à « veiller à ce que tout les supports d’enseignement et d’apprentissage pour le primaire et le secondaire soient également disponibles dans les langues des minorités ethniques et que le contenu tienne compte de leurs cultures ».

Des lois et des normes violées

En tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), la Chine est tenue de protéger les droits de toute personne qui prend part à la vie culturelle et de prendre des mesures, notamment celles nécessaires à la conservation, au développement et à la diffusion de la culture, afin de permettre l’entière réalisation de ce droit. La Chine est également signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui garantit le droit à la liberté d’expression et à la liberté d’avoir des convictions religieuses et de les manifester. L’article 27 du PIDCP dispose que les minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue.

Le droit chinois, y compris la Constitution, et la Loi relative à l’autonomie régionale ethnique de 1984 accordent également aux minorités ethniques le droit de protéger, de préserver et de promouvoir leur culture. La Loi relative à l’autonomie régionale ethnique dispose que « les écoles et autres organismes éducatifs où s’inscrivent principalement des élèves qui appartiennent à des minorités ethniques doivent, quand cela est possible, utiliser des manuels dans les langues de ceux-ci et utiliser ces langues comme véhicule de l’enseignement ». L’article 4 de la Constitution chinoise dispose que « l’autonomie régionale est pratiquée dans des zones où les personnes appartenant à des groupes ethniques minoritaires vivent dans des communautés compactes [...]. Tous les groupes ethniques ont la liberté d’utiliser et de développer leur propre langue, à l’oral comme à l’écrit, et de préserver ou de réformer leurs propres us et coutumes ».

Religion : Les autorités maintiennent un contrôle strict sur les mosquées et les religieux, en intervenant dans la nomination des imams de la région, en déployant des forces de police à l’intérieur et à l’extérieur des mosquées, et en surveillant étroitement les activités religieuses. Les employés du gouvernement en poste dans le Xinjiang, notamment les enseignants, les policiers, les personnes travaillant dans des entreprises d’État ou les fonctionnaires, risquent de perdre leur emploi s’ils s’engagent dans une activité religieuse. Les autorités chinoises compliquent également les démarches des Ouïghours qui tentent d’effectuer le pèlerinage à La Mecque, le Hadj, qui est une obligation pour tous les musulmans pratiquants.

Les enfants âgés de moins de dix-huit ans ne sont pas autorisés à entrer dans les mosquées ni à recevoir une quelconque forme d’éducation religieuse. De nombreux jeunes Ouïghours craignent d’être exclus de l’école s’ils entrent dans une mosquée ou si on les voit prier à leur domicile. Certains expliquent aussi que c’est uniquement le vendredi, jour de prière le plus important de la semaine pour les musulmans, que les écoles obligent les élèves à rester sur place pour le déjeuner afin de les empêcher de rentrer chez eux pour prier.

Ablikim Abdiriyim, fils de la défenseure des droits humains et ancienne prisonnière d’opinion Rebiya Kadeer, purge actuellement une peine de neuf ans d’emprisonnement pour « séparatisme » à la prison n° 4 du Xinjiang. Malgré des informations indiquant qu’il avait été arrêté initialement pour des irrégularités financières présumées dans son entreprise, les médias officiels chinois ont déclaré qu’Ablikim Abdiriyim avait avoué au cours de son procès, en janvier 2007, qu’il avait « diffusé des documents à caractère sécessionniste sur Internet, monté la population contre le gouvernement chinois et rédigé des articles donnant une image faussée de la politique chinoise en matière de droits humains et de minorités ethniques ». Certains éléments suggèrent fortement que ses aveux ont été extorqués sous la torture.
Nurmuhemmet Yasin, écrivain et poète ouïghour de trente-deux ans, purge actuellement une peine de dix ans d’emprisonnement pour avoir publié une nouvelle intitulée Le pigeon sauvage. Les autorités chinoises considèrent cet ouvrage comme un réquisitoire déguisé contre leur autorité dans le Xinjiang. Le Pigeon sauvage (Yawa Kepter en langue ouïghoure) raconte à la première personne l’histoire d’un jeune pigeon pris au piège – le fils d’un roi pigeon – qui se suicide en captivité. Il se tue plutôt que de sacrifier sa liberté. « Maintenant, enfin, je peux mourir librement. J’ai la sensation que mon âme est en flammes – s’élevant en liberté. »
Amnesty International considère Nurmuhemmet Yasin et Ablikim Abdiriyim comme des prisonniers d’opinion et demande leur libération immédiate et sans condition.

Un mécontentement alimenté

L’État chinois ne protège pas les Ouïghours contre la discrimination à l’embauche, ce qui a engendré des taux de chômage particulièrement élevés chez les Ouïghours du Xinjiang et alimenté le mécontentement. De nombreux Ouïghours disent avoir vu des panneaux indiquant « Pas de candidatures ouïghoures » affichés par des employeurs dans des forums de l’emploi, ce qui démontre l’inaction de l’État en ce qui concerne l’application des lois contre la discrimination. Même des personnes diplômées de l’université et parlant couramment le chinois ont des difficultés à trouver un emploi.

Le Xinjiang est la seule région de Chine où la population dans son ensemble (sans compter les prisonniers) est systématiquement soumise à une politique gouvernementale de travaux forcés. En vertu d’un système appelé hashar, les familles paysannes se voient infliger une amende si elles n’envoient pas un de leurs membres, parfois plusieurs fois par an, effectuer des travaux agricoles, d’infrastructure ou d’autres travaux publics pendant une période qui peut aller jusqu’à deux à trois semaines d’affilée. Ces personnes ne bénéficient d’aucune rétribution pour leur travail, ne sont ni logées ni nourries, et doivent payer elles-mêmes leurs frais de transport. Beaucoup expliquent qu’elles dorment dehors, sans aucun abri, et qu’elles ne mangent rien d’autre que des nouilles instantanées pendant des jours alors qu’elles accomplissent un travail pénible. Les familles qui ne peuvent envoyer un jeune homme robuste ne sont pas exemptées – selon des Ouïghours, des hommes et des femmes parfois âgés de soixante-dix ans, ainsi que des enfants à partir de douze ans auraient participé à ces travaux.

L’affaiblissement systématique de l’identité ethnique ouïghoure par les autorités chinoises est caractérisé par des mesures de répression et des atteintes aux droits humains. Les autorités chinoises doivent immédiatement abandonner les politiques limitant l’utilisation de la langue ouïghoure et restreignant gravement la liberté de religion ainsi que la capacité des Ouïghours à jouir de leur culture et à la perpétuer.

Recommandations

Recommandations au gouvernement chinois :

  • libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression et à la liberté de religion ou, en d’autres termes, pour avoir exercé pacifiquement leurs droits fondamentaux ;
  • respecter et protéger le droit des Ouïghours d’avoir leur propre vie culturelle, de pratiquer leur propre religion, et d’employer leur propre langue ;
  • abolir dans les meilleurs délais la pratique du hashar, une forme de travail forcé ;
  • établir clairement la distinction entre, d’une part, les activités qui ne constituent que l’exercice pacifique des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels et, d’autre part, celles qui seraient universellement considérées comme des infractions pénales.
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