L’impunité continue d’être au centre de la crise des droits humains en Colombie

Le quotidien espagnol El Pais publiait un article le 29 octobre présentant le Rapport "Laissez-nous en paix" de Amnesty International, paru la veille.

« Le 26 mai 2008, des membres du groupe paramilitaire « Autodefensas Unidas Campesinas » de Nariño ont tué par balles Willinton Riascos, dans le hameau de Bocas del Canal, municipalité de Olaya Herrero, departement de Nariño, après qu’il ait désobéi à l’ordre donné par les paramilitaires lorsqu’ils sont entrés dans le hameau : « tout le monde par terre, que personne ne bouge… ». Ensuite ils se sont mis à frapper son camarade, un homme connu sous le nom de « El Pipe » avec la crosse de leurs armes. Les paramilitaires ont ensuite emporté « El Pipe » sur un bateau en direction d’un campement paramilitaire situé à cinq minutes de distance d’un poste permanent de l’armée tenu par le bataillon fluvial d’infanterie de marine 70. Depuis, et c’était toujours le cas lorsque ce rapport fut rédigé, plus de traces de « El Pipe ».

Celui-ci n’est qu’un des dizaines de cas présenté par Amnesty International, dans ce que l’organisation a qualifié du rapport « le plus exhaustif en matière de droits humains » réalisé à ce jour à propos de la Colombie. Ce rapport, intitulé « Laissez nous en paix » reflète une partie de la situation endurée par la population civile face au conflit militaire qui secoue le pays depuis plus de 40 décennies.

D’après AI, si l’on peut constater une amélioration de certains indicateurs (tels que la prise d’otages et les homicides de civils), les déplacements forcés, les disparitions et les menaces contre les défenseurs des droits humains de la part des groupes guérilleros et des paramilitaires ont empiré.

« Le gouvernement colombien refuse de reconnaître l’existence du conflit armé, et transmet une image optimiste, selon laquelle le pays a laissé derrière lui son passé sanglant » a déclaré Marcelo Pollack, chercheur du Secrétariat International d’AI pour la Colombie. « L’impunité reste au centre de la crise des droits humains dans le pays, puisque la majorité des responsables n’ont pas été traduits devant la justice ». M. Pollack dénonce le fait que malgré le processus de démobilisation des « Autodefensas Unidas de Colombia », il y a encore de nombreux groupes paramilitaires qui intimident et traquent la population dans de nombreuses régions du pays.

Une image dénaturée

« Le 14 juin 2008, des membres des « Autodefensas Campesinas de Nariño » sont retournés au hameau de San José de Turbia. Ils ont séparé les hommes des femmes et les ont obligé à rester debout, près de l’église. Il les ont prévenu que la marine colombienne était proche, et travaillait avec eux. Puis, ils ont prononcé le nom d’un membre de la communauté, Tailor Ortiz. Lorsqu’il a levé la main, les paramilitaires ont dit : « lui, on le tue tout de suite ». Ils l’ont attaché, et après avoir ordonné aux femmes (dont la femme de Tailor Ortiz) de rentrer chez elles, ils lui ont tiré trois coups de feu dans la tête. Puis, ils se sont adressés aux présents : « Ca, c’est pour que voyiez que ceci n’est pas un jeu, nous sommes sérieux. Chaque fois que nous reviendrons, nous serons à la recherche de quelqu’un d’autre ». Le 15 juin la majorité des 111 familles qui habitaient San José de la Turbia ont quitté la région, craignant pour leur sécurité. Au moment où ce rapport était rédigé, aucune d’entre elles n’avait pu rentrer chez elle ».

Certains des chiffres dévoilés par AI sont décourageants : pendant la première moitié de l’année 2008, environ 270.000 personnes ont été victimes de déplacement forcé, 41% de plus que pendant la même période en 2007, entre janvier et mai de cette année188 personnes ont été enlevées, en 2007 il y a eu 884 victimes de mines terrestres, dont 193 mortelles. Selon des rapports internationaux, la Colombie est le pays avec le plus de victimes de mines terrestres antipersonnelles au monde.

« Le président de la Colombie déclare que le paramilitarisme n’existe plus, mais des recherches faites par AI dans les départements du Chocó, d’Arauca, d’Antioquia, du Meta et du Putumayo nous montrent le contraire », a assuré Esteban Beltrán, directeur d’AI en Espagne. « Le gouvernement de Colombie dénature la situation des droits humains et transmet une image excessivement optimiste » insiste-t-il.

Aide Internationale
« Le 7 novembre 2007, les FARC ont enlevé Bonifacio Caicedo Valores, de la communauté de Tanguí, sur les rives du fleuve Atrato, dans le département du Chocó. L’enlèvement s’est produit suite à l’enlèvement de deux dirigeants de la même communauté par les FARC, en août 2007, qui ont été libérés quelques jours plus tard. Le 11 novembre, en réponse à ces enlèvements, 674 personnes de Tanguí et 82 de la communauté voisine de colombiens afro-descendants de Paina (dont 300 mineurs) ont quitté leurs communautés (déplacement forcé) pour se rendre dans la ville de Quibdó.

AI demande que la communauté internationale, et en particulier le gouvernement espagnol, exige de la Colombie qu’elle respecte la feuille de route des Nations Unies visant à l’amélioration de la situation des droits humains. Certaines de ces recommandations ont été émises il y a plus d’une décennie, et n’ont pas encore été mises en œuvre. Il est également demandé au gouvernement espagnol qu’il contribue (et pas qu’il bloque) le fait que l’Union Européenne puisse réaliser une analyse de la situation colombienne, afin de déterminer si le pays doit se trouver ou pas sur la liste des pays qui violent ces droits, et afin qu’elle continue de soutenir le travail des défenseurs et des syndicalistes qui luttent pour ces droits.

D’après Pollack, « le gouvernement espagnol ne remet pas en question la situation des droits humains en Colombie, il doit changer de position ». « Si le problème n’est pas reconnu, il est difficile qu’il puisse trouver une solution ». Consulté par El Pais à propos de la réaction du gouvernement Uribe après la publication du rapport d’AI, Pollack a indiqué que le rapport avait été envoyé la semaine dernière au président, à son ministre de la défense, Juan Manuel Santos, au ministre des affaires étrangères, Jaime Bermudez, mais qu’il n’y avait pas eu encore de réponse officielle.

En Espagne, a-t-il indiqué, une réunion prochaine est en préparation avec de hauts responsables du gouvernement, et une campagne de solidarité nationale de sensibilisation aux recommandations sera également mise en place.

DONNEES D’UN CONFLIT SANS FIN

 ? Pendant les 20 dernières années, plus de 70.000 personnes, pour la plupart des civils, sont morts en raison du conflit armé en Colombie
 ? En 2007, on compte au moins 1400 homicides de civils aux mains des paramilitaires, des forces de sécurité et des groupes de guérrilla. 2002 avait connu un chiffre record de 4000.
 ? Pendant les 20 dernières années, entre 3 et 4 millions de colombiens ont été obligés de fuir leurs foyers. L’indice de déplacements intérieurs de la Colombie est le second au monde, après le Soudan.
 ? Près de 305.000 personnes ont du se déplacer en 2007. Pendant la première moitié de l’année 2008, le chiffre atteint 270.000 personnes, c’est à dire 41% de plus qu’à la même époque en 2007.
 ? L’année dernière, au moins 190 personnes ont été victimes de disparitions forcées au mains des forces de sécurité et des paramilitaires, ou se trouvent en lieu introuvable depuis leur enlèvement par la guérrilla.
 ? En 2007, il y a eu 884 victimes de mines terrestres, dont 193 sont décédées de suite de leurs blessures.
 ? On estime qu’il y a en Colombie entre 8000 et 13000 enfants soldats, recrutés aussi bien par les groupes de guérrilla (FARC + ELN) que par les paramilitaires.
 ? Près de 90% des paramilitaires démobilisés ont bénéficié d’amnisties de fait, grace au décret 128 qui gracie les membres des groupes armés illégaux qui ne fassent pas l’objet de poursuites pour des abus contre les droits humains.

(Source : El Pais, 29 octobre 2008. Traduction Claudio Guthmann, Coordination Colombie, Amnesty International Belgique)

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