Plaintes belges contre les espions colombiens Espionnage Le service de renseignement colombien DAS a espionné et malmené plusieurs ONG implantées en Belgique

RÉCIT

L’homme s’appelle Luis Guillermo Pérez : citoyen colombien établi à Hoeilaart, il est un défenseur bien connu des Droits de l’homme et participe au collectif colombien d’avocats « Colectivo de Abogados José Alvear Restrepo ». En octobre dernier, alors que les espions du Département administratif de sécurité (DAS) colombien avaient reçu pour mission d’espionner et déstabiliser les associations critiques du gouvernement Uribe qui se trouveraient en Europe (Le Soir de mercredi), son domicile est cambriolé, trois ordinateurs y sont dérobés ainsi qu’un disque dur externe. Toutes les informations confidentielles que possédaient Luis se sont envolées.

Luis porte plainte à Hoeilaart, mais il sait qui se cache probablement derrière ce vol : partie civile dans une enquête judiciaire qui se développe en Colombie contre les espions du DAS, il a pris connaissance des ordres de mission que Bogotá a donnés à ses barbouzes. Il est suivi (y compris en Belgique), toutes ses conversations entre Belgique et Colombie sont enregistrées et transcrites (il a eu accès aux transcriptions) et Bogotá a dûment localisé tous les membres de sa famille. Car la mère de Luis habite Uccle – nous y reviendrons.

Alors que le scandale des écoutes et opérations illégales du DAS ne cesse de prendre de l’ampleur en Colombie, que même les Etats-Unis prennent leurs distances avec le DAS, Bogotá veut éviter que les ramifications européennes de l’opération d’espionnage ne fassent trop de bruit. Car, oui, le DAS espionne en Europe, notamment en Belgique : le Parlement européen, l’ONG flamande Broederlijk Delen ainsi que l’ONG Oxfam-Solidarité auraient fait l’objet de surveillances et d’actes malveillants, révèle ce mercredi le magazine flamand MO*. Luis, lui, en sait beaucoup sur ces coups tordus : il devient un élément gênant.

Un député belge comme témoin

Le 25 mars, sur proposition de l’ambassade de Colombie en Belgique, une rencontre est organisée à Bruxelles entre le grand patron du DAS, venu de Bogotá pour l’occasion, les représentants de l’ambassade, Luis Guillermo-Pérez et les ONG belges concernées. Mais pas en un lieu privé : la rencontre a lieu à la Maison des parlementaires en présence d’un témoin externe belge, le député Bruno Tuybens (SPa). Le message du patron de la DAS est simple : en substance, ses agents ne se livrent plus aux opérations d’espionnage dénoncées, la DAS a bien changé. Luis n’en croit rien, demande à la DAS de lui communiquer l’ensemble du dossier constitué à son encontre, ce que le patron de la DAS refuse. La réunion bruxelloise n’est pas un succès.

Quelques semaines plus tard, à Uccle, la mère de Luis reçoit un appel venu directement de Colombie : quelqu’un qui se dit proche du président Uribe, et menace. En substance : « Le président colombien est sur le départ, mais “nous”, “nous” serons toujours là, et “nous” saurons toujours comment votre fils et ses proches se sont conduits… » Cette menace, sans doute consécutive à la réunion avortée, vient de faire l’objet d’une seconde plainte, cette fois auprès de la police d’Uccle.

La question posée aujourd’hui par Luis est cinglante : en Colombie, les coups tordus de la DAS ont été justifiés par la lutte antiterroriste. Dans le même cadre, la coopération de la Belgique a-t-elle été sollicitée par Bogotá pour l’espionner ? Et la Belgique a-t-elle été obligée de prêter son assistance ?

Source : Alain Lallemand, Le Soir, jeudi 20 mai 2010

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