Russie— Des vies en suspens— Interview

Natalia Priloutskaïa, chargée de campagne d’Amnesty International sur la Russie, s’entretient avec Sacha Kounko, dont le petit-ami est emprisonné dans ce pays depuis deux ans. Il a été arrêté à la suite de la manifestation organisé en mai 2012 sur la place Bolotnaïa, à Moscou, lors de laquelle plusieurs dizaines de milliers de personnes avaient protesté contre les résultats très contestés de l’élection présidentielle.

Le café branché de Moscou est très animé quand j’arrive. Des tables et des chaises d’époque sont entassées entre des bibliothèques. Les gens fourmillent bruyamment en se servant de thé, de café et de biscuits gratuits – dans ce café, on paie seulement pour le temps qu’on reste sur place.

Je suis venue retrouver Sacha Kounko, 22 ans, dont le petit-ami, Stepan Zimine (qu’elle nomme Stepa), a été arrêté le 8 juin 2012, un mois après avoir participé à une manifestation sur la place Bolotnaïa.

« Cela fait deux ans que nous n’avons pas parlé au téléphone. »

Les souvenirs que garde Sacha de ce jour sont encore frais. « C’était l’été, il faisait très beau et nous avions de merveilleux projets pour la journée, me raconte-t-elle. À l’heure du déjeuner, une amie m’a envoyé un SMS me demandant : “Sais-tu ce qui est arrivé à Stepa ?” Elle m’a alors envoyé un lien vers une émission de télévision et j’ai vu que la police l’avait arrêté car elle le soupçonnait d’avoir eu recours à la violence contre des policiers et d’avoir participé à des manifestations de grande ampleur. Ils ne montraient pas sa photo, mais le nom, la date de naissance... Tout correspondait. Je n’en croyais pas mes yeux. J’ai téléphoné à Stepa, mais il n’a pas répondu. Et c’est tout – depuis ce jour, je n’ai pas parlé à Stepa au téléphone. Cela fait presque deux ans... » Elle baisse la tête.

Je demande à Sacha de me parler de Stepan et son visage s’éclaire. « Nous nous connaissions depuis deux ans avant qu’il ne soit arrêté. Nous étions bons amis. Nous nous sommes rencontrés à un cours de danse Lindy Hop [...]. Nous allions à des soirées dansantes et participions à des événements internationaux autour de la danse. C’est une personne très enthousiaste qui a de nombreuses passions, dont la culture orientale – Stepa a étudié l’arabe et a même fait un stage en Égypte. »
Elle revient sur le jour de son arrestation. « Je l’ai cherché jusque tard dans la nuit. Un coordinateur de l’association RosUznik m’a aidée à trouver un avocat et nous sommes allés à Loubianka [un centre de détention provisoire]. Ils nous ont dit qu’il s’y trouvait mais nous n’avons pas été autorisés à le voir. À ce moment-là, j’étais certaine qu’il s’agissait d’un simple malentendu qui cesserait rapidement. »

L’audience a eu lieu le lendemain. « Je n’ai pas été autorisée à y assister car je ne suis pas membre de sa famille proche. J’ai donc attendu plusieurs heures aux portes du tribunal. »

Stepan a été accusé d’avoir jeté sur un agent un morceau d’asphalte qui l’aurait blessé au doigt. Pourtant, un examen médical a démontré que le doigt s’était cassé à la suite d’une entorse. J’ai demandé à Sacha si le ministère public avait présenté d’autres éléments pour prouver sa culpabilité. « Il y a eu un témoignage de la “victime” et de son collègue... » Deux policiers. « Mais ils bredouillaient vraiment et n’étaient pas capables d’apporter des réponses claires aux questions posées par les avocats de Stepa. » Sa voix tremble d’indignation. « Alors, pour ce doigt soi-disant cassé, il a pris trois ans et demi de prison [...]. Je ne sais pas comment ils peuvent vivre avec cela sur la conscience. J’ignore s’ils ont compris ce qu’ils ont fait à Stepa.
« Cela n’aurait jamais dû nous arriver. » Elle marque une pause. « Il est difficile de croire que son vingtième anniversaire était en janvier et qu’il a été arrêté seulement six mois après. »

Le maintenir en contact avec l’extérieur

L’injustice peut rendre furieux, mais Sacha affirme que Stepan n’en est devenu que plus sage et calme. Elle s’étonne qu’il arrive à supporter tout ce stress, toute l’absurdité de la situation et à garder son calme.
Je lui demande si elle compte les mois restants jusqu’à la libération de Stepan. « Non, répond-elle, la vie continue. C’est plus facile ainsi. J’essaie de me concentrer sur ce qui est positif et de rester en contact avec Stepa en lui écrivant des lettres.

« Il est extrêmement important d’écrire des lettres lorsque quelqu’un est coupé du monde extérieur. Un jour il voit ses amis, il a un téléphone portable, il a accès à Internet, il sait ce qu’il a prévu [...] et le lendemain il se retrouve entre quatre murs, totalement isolé. Alors, les lettres l’aident à rester en contact. Tous les petits détails qu’il apprend du monde extérieur lui rappellent comment était la vie avant son arrestation. »

Sacha parle également des personnes qu’ils n’ont jamais rencontrées mais qui envoient toujours des lettres de soutien à Stepan. « Il est important pour Stepa de savoir qu’il n’est pas abandonné, qu’il est soutenu par de nombreuses personnes – même à l’étranger. Nous sommes énormément soutenus.

« Il y a beaucoup de gens emprisonnés dont personne ne connaît vraiment la situation [...]. Ils se retrouvent alors tout seuls face au système. »
Je termine en demandant à Sacha si elle danse toujours. « J’ai arrêté le cours. Sans mon partenaire, cela n’est plus amusant. »

Bien que l’espace accordé à la liberté d’expression diminue rapidement, de nombreuses personnes en Russie n’hésitent pas à dire ce qu’elles pensent. Du 6 au 12 octobre, des militants d’Amnesty International les soutiendront en manifestant leur solidarité durant une semaine d’action organisée afin que les dirigeants russes sachent que le reste du monde ne restera pas silencieux. Pour en savoir plus et passer à l’action, rendez-vous sur http://www.amnesty.be/donnezdelavoix

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