Libye : la campagne de disparitions forcées doit prendre fin

Les forces libyennes loyales au colonel Mouammar Kadhafi ont lancé une campagne de disparitions forcées visant à écraser l’opposition croissante à son autorité, écrit Amnesty International dans une nouvelle synthèse rendue publique mardi 29 mars.

Intitulé Libya : detainees, disappeared and missing, ce document revient en détail sur plus de 30 cas de personnes ayant disparu avant même que les actions de protestation ne débutent, et parmi lesquelles figurent des militants politiques et des personnes soupçonnées d’être des combattants rebelles ou des sympathisants de ceux-ci.

« Il semble y avoir des consignes systématiques pour l’arrestation de quiconque est soupçonné d’être opposé au régime du colonel Kadhafi, ainsi que pour leur détention au secret et leur transfert vers un de ses bastions dans l’ouest de la Libye », a déclaré Malcolm Smart, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

« Compte tenu des circonstances de leur disparition forcée, tout porte à croire que ces personnes risquent fortement d’être torturées et soumises à d’autres formes de mauvais traitements.

« Le colonel Kadhafi doit mettre un terme à cette campagne scandaleuse et ordonner à ses forces de respecter le droit international. »

Les « disparitions » ont commencé avant même que les manifestations contre le colonel Kadhafi ne se muent en révolte armée.

Atef Abd al Qader Al Atrash, blogueur influent et père de deux enfants, a été vu pour la dernière fois à un rassemblement près du port de Benghazi le 17 février, date à laquelle il aurait été capturé par les forces loyales au colonel. Un membre de sa famille a dit à Amnesty International :

« Nous avons essayé à de très nombreuses reprises de le joindre par téléphone mais n’y sommes jamais arrivés, jusqu’à ce qu’un homme s’exprimant avec un accent de l’ouest [de la Libye] ne réponde quelques jours plus tard et ne nous dise : " Voilà ce qui arrive à ceux qui nous jettent des pierres ". Mais Atef n’a même pas jeté de pierres, à aucun moment. »

Au moment de la prise de Benghazi par les forces rebelles et du repli des forces pro-Kadhafi, il semble que ces dernières aient appréhendé un certain nombre de manifestants, dont des mineurs. Amnesty International a recueilli des informations sur plusieurs personnes vues pour la dernière fois à l’intérieur ou à proximité de l’enceinte militaire de Kateeba al Fadheel le 20 février.

Un parent de Hassan Mohammad al Qatani, un collégien de 14 ans, a déclaré à Amnesty International :

« Je ne dors pas depuis qu’il a disparu, personne dans ma famille n’arrive à dormir ; nous sommes tellement inquiets. Ce n’est qu’un gamin ; nous ne savons pas quoi faire, où le chercher, à qui nous adresser pour obtenir de l’aide. »

L’amplification du conflit est allée de pair avec de nouvelles disparitions. Plusieurs personnes ont disparu à l’intérieur ou aux alentours de la ville de Ben Jawad, qui se trouve en première ligne. Il s’agirait de combattants, de civils qui s’étaient rendus sur place afin d’aider les blessés et peut-être également de simples badauds.

Une source a signalé à Amnesty International qu’un membre de sa famille a été fait prisonnier par les forces du colonel Kadhafi tôt le 6 mars à Ben Jawad, mais qu’il avait pu téléphoner alors qu’il était transféré en compagnie de dizaines d’autres vers l’enceinte militaire de Kateeba al Saidi, à Sirte.

Par la suite, un frère du détenu a été joint par téléphone par des membres des forces du colonel Kadhafi utilisant le portable du détenu ; ils auraient tenu des propos menaçants, déclarant notamment : « Nous allons te bruler avec toute ta famille, ta mère et tes frères et sœurs. »

Amnesty International a exhorté le colonel Kadhafi et son entourage : à permettre sans délai à des instances indépendantes de se rendre auprès des détenus afin de vérifier qu’ils sont en sécurité et d’aider à les protéger de la torture ; et à informer de toute urgence leur famille du lieu où ils se trouvent.

L’organisation a par ailleurs engagé les personnes sous la responsabilité desquelles se trouvent ces détenus à faire en sorte que tous les combattants présumés ou avérés ayant été capturés soient traités avec humanité, conformément au droit international, et à permettre immédiatement au Comité international de la Croix-Rouge de se rendre auprès d’eux.

« Le colonel Kadhafi est susceptible d’être déclaré responsable par un tribunal international des éventuels crimes commis par ses forces durant le conflit.

« Toutes les personnes détenues simplement pour avoir mené des activités pacifiques dans le but de soutenir les manifestations doivent être immédiatement libérées et pouvoir rentrer chez elles en toute sécurité. »

Le document Libya : Detainees,disappeared and missing s’appuie sur le travail effectué par l’équipe d’Amnesty International dans l’est de la Libye.

Les cas dont Amnesty International fait état ne représenteraient qu’une petite proportion du nombre total de personnes ayant été arrêtées ou ayant disparu sous la garde des forces du colonel Kadhafi ces dernières semaines. Le nombre exact est impossible à établir, car les autorités à Tripoli ne divulguent généralement pas d’informations relatives aux personnes placées en détention sous leur responsabilité et parce que de nombreuses zones du pays ne sont pas accessibles et ne peuvent donc pas faire l’objet d’un compte-rendu indépendant. Par ailleurs, les parents de certains détenus ne souhaitent pas que leur nom soit rendu public, par craintes d’éventuelles représailles.

Des journalistes étrangers placées en détention par les forces du colonel Kadhafi ont indiqué avoir été frappés, agressés et menacés d’exécution, et même dans certains cas soumis à un simulacre d’exécution, et ont exprimé des inquiétudes quant aux Libyens qu’ils ont vus être maltraités en détention.

Des milliers de cas non élucidés de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires ont été recensés au cours des années au pouvoir du colonel Mouammar Kadhafi.

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