Mauritanie : « Personne ne veut de nous »

« À l’époque, quand les Blancs venaient en Afrique par la mer, on ne les traitait pas de clandestins ; pourquoi aujourd’hui, quand nous essayons d’aller par la mer en Europe, on nous traite de clandestins ». Graffiti écrit par un migrant au centre de rétention de Nouadhibou.

1. Introduction

Depuis 2006, des milliers de migrants, accusés de tenter de se rendre irrégulièrement aux Îles Canaries (en Espagne) depuis la Mauritanie, ont été arrêtés puis renvoyés vers le Mali ou le Sénégal sans aucun droit de recours pouvant remettre en cause cette décision devant un organe judiciaire. Un grand nombre d’entre eux ont été maintenus durant plusieurs jours dans un centre de rétention à Nouadhibou (au nord de la Mauritanie) où certains ont été victimes de mauvais traitements commis par les membres des forces de sécurité mauritaniennes. Des ressortissants d’Afrique de l’Ouest ont affirmé avoir été arbitrairement arrêtés dans la rue ou chez eux et accusés, apparemment sans élément de preuve, d’avoir l’intention de vouloir rejoindre l’Espagne. Certaines de ces personnes ont été rackettées et beaucoup ont été renvoyées par les autorités mauritaniennes vers le Mali ou le Sénégal. Ces arrestations, suivies presque automatiquement de renvois à la frontière, sont d’autant plus arbitraires que le fait de quitter la Mauritanie de manière irrégulière ne constitue pas une infraction au regard de la législation mauritanienne.

Cette politique d’arrestations et de renvois collectifs de la part des autorités mauritaniennes fait suite aux pressions intenses exercées sur ce pays par l’Union européenne (UE) et notamment l’Espagne qui cherchent à impliquer certains pays africains dans leur lutte contre les migrations irrégulières vers l’Europe. La Mauritanie, traditionnellement accueillante vis-à-vis d’un grand nombre de ressortissants des pays voisins, a ainsi accepté de signer, en 2003, un accord avec l’Espagne qui la contraint à réadmettre sur son territoire non seulement les citoyens mauritaniens mais également les ressortissants de pays tiers dont il est « vérifié » ou « présumé » qu’ils ont tenté de rejoindre l’Espagne à partir des côtes mauritaniennes. La Mauritanie a également accepté la présence sur son sol d’un avion et d’un hélicoptère déployés dans le cadre d’une opération menée par l’UE afin de contrôler ses frontières extérieures. Par ailleurs, des éléments de la Guardia Civil espagnole effectuent des patrouilles conjointes avec les autorités mauritaniennes le long des côtes de ce pays. La coopération entre l’UE et la Mauritanie a été présentée comme une opération sécuritaire et humanitaire visant à dissuader et à arrêter les migrants qui cherchent à rejoindre l’Europe et à sauver ceux qui, naviguant à bord d’embarcations de fortune, risquent de se noyer en mer. Les informations recueillies par Amnesty International montrent que cette coopération a entraîné, en Mauritanie, la violation de certains des droits essentiels des migrants.

Les raisons qui poussent des milliers de jeunes Africains à affronter de rudes épreuves et parfois la mort pour tenter de rejoindre l’Europe sont liées essentiellement à la pauvreté, à l’absence de perspectives d’avenir, à la pression de leur famille ainsi qu’à la violence politique et aux guerres civiles qui ont notamment touché le Libéria, la Sierra Leone et la Côte d’Ivoire. L’UE et ses États membres ont répondu à ces mouvements de migration irrégulière par un resserrement de leur politique de gestion des flux migratoires.

Amnesty International est, à cet égard, extrêmement préoccupée par la politique sécuritaire de l’UE et de ses États membres, notamment l’Espagne, qui sont dans un processus d’externalisation de leur politique de gestion des flux migratoires. L’UE et ses États membres ont ainsi poussé des pays d’origine ou de transit de migrants - et notamment certains pays du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne - à gérer eux-mêmes les flux de migrants qui cherchent, à partir de leur territoire, à rejoindre l’Europe. Ces pays sont ainsi devenus de facto les « gendarmes de l’Europe ».

De façon générale, Amnesty International s’oppose à ce que la détention soit utilisée comme outil de contrôle de l’immigration. Les migrants jouissent du droit à la liberté et du droit de ne pas être arrêtés arbitrairement. L’organisation considère que la détention de migrants n’est légitime que lorsque les autorités peuvent démontrer qu’elle est nécessaire et proportionnée à l’objectif ciblé, en l’occurrence, que les autres solutions ne seraient pas efficaces, qu’elle est fondée sur les motifs prévus par la loi et qu’il y a un risque objectif que la personne concernée prenne la fuite. Il faut notamment exiger que l’incarcération fasse l’objet d’un examen judiciaire et que sa durée soit aussi brève que possible. L’intéressé doit aussi avoir la possibilité de contester effectivement la décision en vertu de laquelle il est placé en détention [1].

Par ailleurs, les droits de certains réfugiés et demandeurs d’asile, venant pour la plupart des pays de l’Afrique de l’Ouest et notamment du Libéria et de la Sierra Leone sont également menacés et parfois niés en Mauritanie. Plusieurs réfugiés ont ainsi été arrêtés durant de courtes périodes de temps et au moins deux d’entre eux ont été expulsés vers le Mali. Une procédure d’asile a été créée en 2005 mais elle n’est pas encore en application. C’est encore le bureau du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) qui reconnaît le statut de réfugié mais ses décisions peuvent être remises en cause par les nouvelles institutions mises en place par les autorités mauritaniennes. En outre, aucun mécanisme de recours n’est prévu en cas de rejet [2].

Le présent rapport se fonde sur une mission de recherche effectuée par Amnesty International en Mauritanie, en mars 2008, au cours de laquelle les délégués de l’organisation ont pu s’entretenir notamment avec des personnes détenues dans le centre de rétention de Nouadhibou, avec des migrants qui ont tenté - ou cherchaient à tenter - de rejoindre l’Europe ainsi qu’avec des réfugiés venant, pour la plupart, des pays de l’Afrique de l’Ouest. Les délégués ont également rencontré de hauts responsables des autorités mauritaniennes dont le ministre de l’Intérieur de l’époque, M. Yall Zakaria, ainsi que des représentants diplomatiques de l’Espagne en Mauritanie. Ce texte présente les principales préoccupations d’Amnesty International relatives au traitement des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile en Mauritanie et adresse des recommandations aux autorités mauritaniennes ainsi qu’à l’UE et notamment au gouvernement espagnol, les appelant à veiller à ce que les droits de ces personnes soient respectés conformément aux normes internationales en vigueur.

2. Partir en Europe pour fuir la pauvreté et les conflits

Les flux migratoires en provenance des pays d’Afrique sub-saharienne à destination de l’Europe ont connu un accroissement substantiel depuis les années 1990. Ce phénomène est la conséquence des guerres civiles et de la crise économique qui ont touché nombre de ces pays, notamment en Afrique de l’Ouest. Porte d’entrée vers l’Europe, la côte nord-ouest de l’Afrique (notamment le Maroc et la Mauritanie) est devenue un point de transit privilégié pour les migrants sub-sahariens.

2.1. « J’ai promis à ma famille d’aller en Europe »

Les raisons qui poussent des milliers de jeunes Africains à affronter de rudes épreuves et parfois la mort pour tenter de rejoindre l’Europe sont liées essentiellement à la pauvreté, à l’absence de perspectives d’avenir, à la pression de leur famille ainsi qu’à la violence politique et aux guerres civiles qui ont notamment touché le Libéria, la Sierra Leone et la Côte d’Ivoire. Beaucoup de migrants rencontrés par Amnesty International ont souligné à quel point leurs parents comptaient sur eux pour les aider à sortir de la misère ou tout simplement à survivre dans un contexte de crise économique endémique et de taux élevé de chômage.

La plupart des migrants qui tentent de rejoindre les Îles Canaries depuis la Mauritanie sont des ressortissants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Une grande majorité d’entre eux sont Sénégalais ou Maliens mais Amnesty International a également rencontré des ressortissants gambiens, guinéens, ivoiriens, ghanéens, libériens et sierra léonais [3]. Si les ressortissants de la CEDEAO représentent l’immense majorité des migrants en Mauritanie c’est parce qu’ils peuvent entrer dans le pays sans visa s’ils sont munis de documents d’identité [4].

Un migrant sénégalais, rencontré par Amnesty International dans le centre de rétention de Nouadhibou, début mars 2008, a indiqué : « J’ai une vieille maman et deux sœurs et j’ai promis à ma famille d’aller en Europe pour gagner de l’argent. »

De nombreux migrants ont souligné que l’ensemble de la famille s’était cotisé pour leur permettre de quitter le pays et de tenter de rejoindre l’Europe. Un migrant ivoirien, rencontré par Amnesty International dans le centre de rétention de Nouadhibou, a raconté à Amnesty International :

« Je n’ai pas quitté le pays à cause de la guerre mais à cause de la misère. Mon père a vendu notre radio, notre télévision et presque tous nos biens pour que je puisse partir. Il m’a dit : ‘Fais un effort, mon fils, pour me donner une satisfaction’. C’est ce qui m’a donné du courage. ». Dès son arrestation par les autorités mauritaniennes, début mars 2008, cet homme a cherché à appeler son père par téléphone. « Mon père a pleuré quand il a appris que j’avais été arrêté. Il a dit que la chance était partie et il m’a demandé de ne pas me décourager et de réessayer. Je sais que je vais être refoulé vers le Sénégal, mais je vais travailler un peu là-bas pour gagner de l’argent et je vais revenir à Nouadhibou pour retenter ma chance.Je sais que sans moi, la famille n’existe pas. Le seul espoir de la famille, c’est moi. »

Un autre migrant ivoirien arrêté à Nouadhibou par les autorités mauritaniennes a dit à Amnesty International : « Maintenant qu’ils m’ont pris, je ne peux pas retourner chez moi sans argent. Peut-être que je vais vieillir ici, ça c’est dans la main de Dieu. Si la paix revient en Côte d’Ivoire, je suis prêt à rentrer mais uniquement dans un endroit où ma famille ne peut pas me voir car sinon c’est la honte ».

De nombreux migrants ont également souligné le rôle moteur joué par les migrants qui sont parvenus à rejoindre l’Europe et qui appellent tout de suite leurs familles pour leur annoncer qu’ils ont réussi. Un Mauritanien, qui a tenté à deux reprises de rejoindre les Îles Canaries, a indiqué à Amnesty International : « Dès qu’un migrant arrive aux Îles Canaries, il appelle sa famille sur son téléphone portable et cela donne du courage à beaucoup de jeunes qui partent à leur tour. »

Amnesty International a également rencontré des personnes qui ont fui leur pays en raison des conflits politiques et des guerres civiles sans pour autant toujours demander l’asile en Mauritanie car leur objectif était de rejoindre l’Europe. Un Libérien, rencontré par les délégués d’Amnesty International dans le centre de rétention de Nouadhibou, a ainsi raconté : «  J’ai quitté mon pays pour fuir la guerre civile, je suis allé en Côte d’Ivoire en 2004, puis suis venu ici afin de tenter de rejoindre l’Europe et vivre dans la sécurité ».

2.2 « Il m’a conseillé d’aller en Mauritanie car ce n’est pas loin de l’Europe »

C’est à partir de 2006 que la Mauritanie est devenue un lieu de départ particulièrement privilégié par les migrants désireux d’aller en l’Europe. Durant longtemps, la majorité des migrants ouest-africains tentaient d’atteindre l’Europe par le nord du Maroc en empruntant de petites embarcations de pêche permettant de franchir le détroit de Gibraltar, large de 15 km. À partir de 2002, le renforcement des contrôles le long de la Méditerranée a obligé les migrants désireux de gagner l’Europe à changer d’itinéraire, notamment en cherchant à accéder aux enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla, situées au nord du Maroc. Beaucoup sont partis à bord de pateras [5]à partir des villes portuaires de Dakhla et Layoune (dans le Sahara occidental) et de la ville marocaine de Tarfaya (située à moins de 100 km de l’île canarienne de Fuerteventura, soit 8 à 10 heures de navigation).

À la suite des événements d’octobre 2005 à Ceuta et à Melilla et de l’intensification des contrôles aux frontières du Maroc [6], notamment entre le Sahara occidental et la Mauritanie, les migrants ont été contraints d’emprunter d’autres routes plus périlleuses, car beaucoup plus longues, pour tenter de rejoindre l’Europe par mer via les Îles Canaries. Des milliers de personnes sont ainsi parties depuis la Mauritanie (qui se trouve à quelque 800 km des îles espagnoles) ou même du Sénégal (distant des Îles Canaries de quelque 2 000 km). Le trajet étant beaucoup plus long et dangereux, les migrants ont adopté de nouveaux moyens de transport en s’embarquant à bord de cayucos [7].

Un autre élément a poussé de nombreux migrants à choisir de rejoindre l’Europe à partir de la Mauritanie et plus particulièrement de Nouadhibou - la ville la plus au nord du pays et la moins éloignée des Îles Canaries : c’est l’ouverture fin 2005 de la nouvelle route reliant Nouadhibou à la capitale mauritanienne, Nouakchott, ce qui a considérablement réduit la durée et le caractère aléatoire de ce trajet [8].

Le durcissement des mesures prises par les autorités espagnoles et marocaines afin de dissuader les migrants de se rendre en Espagne et l’ouverture quasi-concomitante d’une route rendant l’accès à Nouadhibou plus facile et plus sûr ont fait de cette région un pôle d’attraction pour de nombreux migrants ouest-africains désireux de rejoindre l’Europe. Un migrant libérien a raconté à Amnesty International : « J’ai quitté le Libéria pour la Côte d’Ivoire en 2004. J’ai rencontré sur la route un chauffeur de camion qui m’a conseillé d’aller en Mauritanie car ce n’est pas loin de l’Europe et on peut y trouver du travail pour réunir l’argent nécessaire à la traversée. »

Dès la fin de 2005, le nombre de migrants quittant la Mauritanie par mer pour rejoindre les Îles Canaries a pris des proportions très importantes et a fait l’objet d’une très forte médiatisation de la part notamment des médias espagnols. Les chiffres les plus divers ont circulé quant au nombre de migrants arrivés aux Îles Canaries depuis la Mauritanie [9]. Face à l’afflux de migrants aux Îles Canaries, aux images diffusées par les médias internationaux montrant des cadavres flottant sur l’eau et des migrants à la dérive déshydratés et affamés, l’UE a réagi en cherchant les moyens de dissuader ces départs et de sauver des vies humaines. L’UE et ses États membres ont également fait pression sur la Mauritanie pour que ce pays participe de manière plus active au contrôle des flux migratoires vers l’Europe.

2.3 « Le passeur organise tout mais il ne part pas »

Afin de pouvoir quitter la Mauritanie par bateau et déjouer la vigilance des autorités mauritaniennes et espagnoles, les candidats à la migration doivent nécessairement faire appel à des passeurs et verser des sommes énormes pouvant aller jusqu’à plusieurs milliers d’euros. Les passeurs sont des personnes connaissant les lieux et les autorités à soudoyer ; il peut s’agir de pêcheurs ou de futurs ou d’anciens candidats à la migration. La migration irrégulière se fonde sur un réseau complexe de relations et de tractations qu’il est difficile d’appréhender dans sa totalité car il évolue en permanence en fonction de la réaction des autorités.

Selon les informations recueillies par Amnesty International, ce système complexe implique différents niveaux de responsabilité et de personnes : il y a tout d’abord le « passeur » chargé de l’ensemble de l’opération ; celui-ci travaille avec des rabatteurs ou « coxeurs » [10]qui doivent trouver les migrants désirant aller en Europe. Parfois des candidats à la migration peuvent eux-mêmes devenir des rabatteurs à la recherche d’autres migrants désireux rejoindre l’Europe de manière irrégulière. Il y a également les « capitaines » de pirogues qui reçoivent de fortes sommes pour effectuer ce type de traversées. Il y a finalement certains représentants des forces de sécurité mauritaniennes qui acceptent, moyennant de fortes sommes, de laisser partir des embarcations dont ils sont censés empêcher le départ. Cette activité est devenue de plus en plus lucrative à mesure que le nombre de candidats à la migration a augmenté.

Un migrant mauritanien ayant essayé à plusieurs reprises d’aller en Europe, a expliqué à Amnesty International la manière dont ce système fonctionne :

« Les migrants doivent d’abord trouver un ‘coxeur’ qui cherche les candidats au départ. Le ‘coxeur’ rabat les clients pour le passeur, lui ne part jamais ; il note sur un carnet ce qui a été payé par chacun ; le passeur organise tout mais il ne part pas non plus ; il cherche un capitaine, parmi les pécheurs qui rapportent le plus de poissons et puis il lui propose un marché. »

Dans certains cas, des « coxeurs » ou des passeurs trahissent, dénoncent ou escroquent les migrants, notamment les plus faibles d’entre eux, les femmes ou certains migrants anglophones (originaires notamment du Libéria, de la Sierra Leone et du Nigéria) qui connaissent mal la région et qui n’oseront pas aller se plaindre et réclamer leur dû. Amnesty International a recueilli les témoignages de plusieurs migrants qui se sont estimés trahis et dépouillés par des « coxeurs » ou des passeurs. Un Gambien, âgé de vingt-quatre ans, rencontré par les chercheurs de l’organisation au centre de rétention de Nouadhibou en mars 2008, a raconté :

«  J’ai quitté la Gambie en 2005 pour fuir la pauvreté. Cela fait deux ans que je suis ici, j’ai travaillé comme manœuvre pour réunir la somme requise pour prendre la pirogue. J’ai beaucoup souffert pour réunir ces 200 000 ouguiyas (environ 550 euros). J’ai donné l’argent à un ‘coxeur’ sénégalais en août 2006 qui m’a dit : ‘Tu n’as qu’à t’asseoir, ne t’inquiète pas, je vais te faire partir’. J’ai attendu longtemps mais le ‘coxeur’ m’a dit que le capitaine avait fui avec la pirogue et mon argent. Il m’a redemandé 50 000 ouguiyas (environ 140 euros). Je les lui ai donnés et hier soir [3 mars 2008], il m’a conduit à l’endroit où je devais embarquer avec mon groupe mais les policiers mauritaniens nous attendaient là. Je pense que le passeur nous a dénoncés. Depuis lors, son téléphone portable est fermé. Je serai refoulé dans quelques jours et je ne pourrai plus lui demander mon argent. J’ai tout perdu. »

Un migrant ayant essayé à plusieurs reprises d’aller en Europe a expliqué à Amnesty International que certains passeurs avaient l’habitude d’escroquer les candidats à la migration en promettant à un très grand nombre de personnes une place dans la même pirogue tout en sachant que certains ne pourront pas monter dans le bateau. « Certains font comme dans les avions, ils font du ‘surbooking’. Ils demandent de l’argent à 100 personnes mais ils savent que seulement 75, voire moins, pourront partir car il ne faut pas surcharger la pirogue. Alors, ils donnent à certains de fausses dates de départ ou ils les dénoncent aux autorités. » Questionnée sur les « critères » adoptés par les passeurs afin de déterminer qui allait réellement partir, cette personne a précisé : « En fait, ils prennent les migrants les plus déterminés, ceux qui pourraient leur causer des ennuis s’ils ne partaient pas. C’est pourquoi souvent les femmes ou les migrants de langue anglaise [qui ne comprennent pas les langues parlées localement] sont laissés en arrière ».

Amnesty International a rencontré dans le centre de rétention de Nouadhibou deux de ces femmes, des Ivoiriennes, qui s’estimaient « trahies » par leur passeur. L’une d’elles a raconté : « Le passeur nous a donné rendez-vous à un carrefour. Il est venu ensuite nous chercher en voiture pour nous emmener dans sa maison où se trouvaient d’autres personnes. Il nous a dit qu’il devait sortir et nous a demandé qu’on l’attende. Quelques instants après, les policiers au nombre de dix sont venus nous arrêter. Les policiers m’ont dit que j’allais être renvoyée au Mali. On est fatigué en Afrique, trop fatigué même. On n’est pas à l’aise, on n’a rien…. Comment on va faire maintenant, on va nous jeter à la frontière, on va mourir, on n’a rien pour retourner au Mali ».

Certaines personnes accusées de manière avérée ou présumée d’être des passeurs ont été arrêtées par les autorités mauritaniennes. La délégation d’Amnesty International a rencontré certaines de ces personnes dans les prisons de Nouakchott et de Nouadhibou. Quelques-unes avaient été condamnées tandis que d’autres étaient en attente de jugement. S’il semble qu’un grand nombre de passeurs parviennent à éviter d’être arrêtés, en raison apparemment de leurs liens avec des personnes influentes y compris, selon certaines allégations, au sein des forces de sécurité, d’autres, bénéficiant d’une protection moindre, ont été arrêtés et accusés d’être complices des passeurs. Pour Amnesty International, les témoignages recueillis auprès de certains détenus ont confirmé que le système existant pour tenter de gagner les Îles Canaries de manière irrégulière est complexe, qu’il implique des personnes à des niveaux de responsabilité fort différents et que les autorités doivent prendre des mesures afin d’éviter que des personnes se retrouvent détenues dans des conditions inhumaines suite à une simple dénonciation.

Amnesty International a eu notamment connaissance du cas d’un Ghanéen, arrêté le 27 octobre 2007 par la police de Nouadhibou. Cette arrestation est survenue suite à l’envoi d’informations par les autorités espagnoles indiquant qu’il avait été accusé d’être un passeur par des migrants arrêtés alors qu’ils tentaient de rejoindre les Îles Canaries. Cette personne a été détenue en garde à vue durant six jours au commissariat de police de Nouadhibou avant d’être envoyée au siège de la Sûreté nationale à Nouakchott. Le procureur devant lequel il a été présenté le 7 novembre 2007, a déclaré qu’il ne possédait pas assez d’éléments de preuve pour l’inculper et l’a laissé à la discrétion de la police. Bien que celle-ci aurait dû le relâcher au nom de la présomption d’innocence garantie par le droit mauritanien, elle l’a renvoyée au Sénégal via Rosso, la ville frontière entre le Sénégal et la Mauritanie. Depuis lors, il a pu retourner en Mauritanie mais il a perdu son travail et se trouve actuellement sans ressources.

Plusieurs personnes ont indiqué à Amnesty International que certains membres des forces de sécurité, chargés de surveiller les côtes, acceptaient, contre de fortes sommes d’argent, de laisser partir les migrants, quitte à les poursuivre un peu plus tard. Une personne qui a tenté à plusieurs reprises d’aller en Europe a indiqué à Amnesty International qu’à certains endroits de la côte, « la nuit, il n’y a que trois militaires qui font la garde de minuit à six heures du matin. Ils demandent 250 000 ouguiyas (environ 700 euros) pour fermer les yeux pendant une heure ; la migration est une grande source de revenus pour les militaires. Beaucoup ont des Mercedes à Nouadhibou malgré un salaire de 35 000 ouguiyas (environ 100 euros) ».

Amnesty International a également appris que certains éléments des forces de sécurité vendraient des moteurs ou de l’essence aux migrants. Ces moteurs proviendraient notamment des pirogues arrêtées et confisquées par les policiers. Il est évidemment impossible ou très dangereux pour les migrants de se plaindre de ces comportements. Amnesty International a ainsi appris qu’en janvier 2007, un migrant guinéen a été passé à tabac dans le camp de rétention de Nouadhibou pour avoir affirmé qu’un policier avait accepté de le laisser quitter la côte contre une somme de 200 000 ouguiyas (environ 550 euros) . Suite à ces coups, il a eu la main fracturée et a dû être transporté à l’hôpital.

2.4. « À l’approche de l’Europe, même les vagues se sont déchaînées contre nous »

Des migrants rencontrés par Amnesty International ont raconté les conditions dans lesquelles ils avaient navigué durant des jours, au péril de leur vie, pour tenter de rejoindre les Îles Canaries à bord de pirogues surchargées souvent sans aucun matériel de sauvetage en cas de naufrage et très peu de nourriture et de vêtements leur permettant d’affronter la pluie et le froid. Cette traversée est d’autant plus périlleuse que le courant de la mer vient du nord vers le sud. Il est donc plus facile pour un bateau ou une pirogue d’aller des Îles Canaries vers le continent africain que l’inverse. Un migrant sierra-léonais qui, en septembre 2007, a réussi à faire la traversée et à arriver aux Îles Canaries, avant d’être renvoyé en Mauritanie par les autorités espagnoles quelques jours plus tard, a raconté à Amnesty International : « Quand nous avons quitté le rivage mauritanien, la mer était calme mais à l’approche de l’Europe, même les vagues se sont déchaînées contre nous. Les vagues faisaient trois ou quatre mètres, c’était comme escalader une montagne. C’était très dangereux et j’avais peur car je ne sais pas nager. »

Un Ghanéen, âgé de vingt-quatre ans, rencontré dans le centre de rétention de Nouadhibou, a raconté à Amnesty International :

« Je suis arrivé en Mauritanie en 2004 et je travaille sur le port depuis cette date. En octobre 2007, vers 6 heures du matin, j’ai vu des personnes qui montaient dans une pirogue pour l’Espagne. Je les ai suivies et je suis monté à bord de l’embarcation, il y avait plus de cent personnes à bord. Le capitaine a menacé de me jeter à l’eau si je ne payais pas immédiatement. J’avais 1 400 euros sur moi et il m’a pris 1 000 euros. La traversée était très longue, elle a duré neuf jours, je n’avais qu’un pantalon et une chemise, le soir il faisait très froid. De plus, j’avais très peur de tomber, cela nous contraignait à être assis, la tête presque sur les genoux. Pour uriner, on utilisait une bouteille pendant que deux migrants nous tenaient. Pour les femmes (qui étaient au nombre de dix), c’était aussi difficile, on leur passait un seau. On pleurait durant la traversée, les vagues de plus de quatre mètres nous faisaient peur. On priait Dieu tout le temps. Au bout du quatrième jour, il n’y avait presque plus rien à manger, ni à boire. Nous avions épuisé toutes nos provisions, certains d’entre nous ont bu des petites quantités d’eau salée. Plusieurs personnes dont les dix femmes sont tombées malades. Au bout de neuf jours de voyage, nous sommes arrivés à Tenerife, la police espagnole nous attendait et nous a arrêtés. »

Au cours de ces traversées, un nombre important de personnes, impossible à évaluer, sont mortes noyées. Le ministre mauritanien de l’Intérieur de l’époque, M. Yall Zakaria, a ainsi indiqué, lors d’une audience officielle avec la délégation d’Amnesty International en mars 2008 : « Tous les jours que Dieu fait, nous découvrons des cadavres le long de nos côtes. Des milliers de personnes sont absorbées par l’Océan ». C’est ainsi qu’un migrant qui a effectué cette traversée à bord d’une pirogue en septembre 2006 a raconté à Amnesty International : « Le voyage a duré cinq jours, nous avons été repérés par un hélicoptère espagnol qui a appelé la Guardia Civil. Les policiers espagnols sont arrivés par bateau et nous ont arraisonnés en haute mer. Durant la traversée, l’un de nous a beaucoup vomi. C’était un Bissau-Guinéen. Il avait vingt-cinq ou vingt-six ans et il voyageait avec son grand frère. Nous, on croyait qu’il dormait car dans la pirogue, c’est chacun pour soi et Dieu pour tous. Je ne te connais pas et tu ne me connais pas. Les Espagnols ont voulu le réveiller. Ils ont constaté qu’il était mort. Ils l’ont mis dans un grand sac en plastique et l’ont emmené ».

3. La forteresse Europe repousse ses frontières extérieures vers le sud

Depuis une dizaine d’années, les États membres de l’UE ont considérablement durci leur politique de gestion des flux migratoires. L’objectif était de limiter le nombre de migrants arrivant de manière irrégulière sur leur territoire, en renforçant notamment le contrôle de leurs frontières extérieures. N’ayant pas réussi à endiguer ce phénomène migratoire, ils ont finalement choisi d’externaliser leur politique de lutte contre « la migration illégale ».

Les pays du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne ont ainsi été soumis à des pressions visant à les inclure dans cette lutte contre la migration irrégulière et à faire en sorte que ces pays deviennent de facto les « gendarmes de l’Europe ».

Au cours de ces dernières années, l’UE a développé sa politique de gestion des flux migratoires tout particulièrement autour de deux grands axes : les clauses de réadmission et les opérations conjointes de l’Agence Frontex.

3.1 Accords et clauses de réadmission

Les accords de réadmission ainsi que les clauses de réadmission insérées dans les accords de coopération et d’association sont alors devenus l’une des armes privilégiées de l’UE dans sa lutte contre la migration irrégulière. Ce type d’accords prévoit des engagements réciproques entre les deux parties signataires concernant le retour de tout ressortissant national ou de pays tiers entré de manière irrégulière sur le territoire de l’une des deux parties.

Amnesty International ne s’oppose pas par principe aux accords de réadmission qui ne sont pas illégaux en eux-mêmes. Cependant, l’organisation souligne que tout accord de réadmission doit pleinement respecter les obligations relatives aux droits humains qui incombent aux États parties à cet accord. Ces textes doivent contenir des dispositions claires garantissant les droits des migrants et des demandeurs d’asile et notamment leur droit à la liberté, leur droit à ne pas être soumis à une détention arbitraire ni à des actes de torture ou de mauvais traitements, leur droit d’avoir accès à une procédure d’asile équitable et satisfaisante ainsi que le droit de ne pas être renvoyés vers un pays ou un territoire où ces personnes risqueraient d’être victimes de graves violations de leurs droits fondamentaux.

Afin de lutter contre les flux migratoires, l’UE et ses États membres ont donc cherché à persuader les pays d’origine et de transit des migrants d’accepter de conclure des accords ou des clauses de réadmission dans le cadre de leur politique d’aide au développement.

Face aux résistances opposées par certains États - réticents à l’idée d’accepter de réadmettre sur leur territoire des ressortissants de pays tiers - l’UE a eu recours à ce que le Commissaire européen chargé de la Justice et des Affaires intérieures de l’époque, Franco Frattini, a clairement nommé, en mars 2006, des « leviers » ou des « carottes » [11].

Dans le cadre de la politique menée par l’UE afin de généraliser la signature d’accords de réadmission ou d’accords de coopération comprenant des clauses de réadmission avec des pays du Sud, l’accord de Cotonou, signé en 2000 avec les pays ACP (Afrique, Caraïbes et Pacifique), marque une date importante. L’article 13 de cet accord comporte en effet une clause standard de réadmission qui prévoit que tout État partie «  accepte le retour et réadmet ses propres ressortissants illégalement présents sur le territoire » d’un autre État partie « à la demande de ce dernier et sans autres formalités ». Ce texte prévoit également la possibilité d’adopter « si l’une des parties l’estime nécessaire, des dispositions pour la réadmission de ressortissants de pays tiers et d’apatrides » [12].

Lors du Conseil européen de Séville, en juin 2002, l’UE a fait un pas de plus en précisant que dorénavant elle inclurait systématiquement dans ses accords de coopération et d’association « une clause sur la gestion conjointe des flux migratoires ainsi que sur la réadmission obligatoire en cas d’immigration illégale » [13].

Ce dispositif est donc devenu, au niveau communautaire, une arme essentielle dans la lutte contre les migrations irrégulières. Cependant l’UE a rencontré des difficultés à conclure des accords de réadmission notamment avec les pays de transit qui ont résisté aux pressions de l’UE visant à leur imposer la réadmission sur leur territoire de ressortissants d’États tiers [14].

De leur côté, certains États membres, notamment la France et l’Italie mais aussi l’Espagne, sont déjà largement engagés dans cette voie et ont signé des accords de réadmission avec un certain nombre de pays de l’Europe orientale, du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest.

3.2 La mise en place de Frontex

Parallèlement à ces accords de réadmission, l’UE a créé en octobre 2004, une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’UE, appelée Frontex. Cette Agence a pour objectifs de renforcer la sécurité aux frontières extérieures de l’UE en assurant la coordination des actions des États membres et de faciliter l’application des mesures communautaires relatives à la gestion de ces frontières [15].

L’agence Frontex a ainsi conduit des opérations de contrôle des flux migratoires le long de toutes les frontières extérieures de l’UE (notamment dans les ports de la mer Baltique, aux frontières de l’Autriche, de la Hongrie, de la Slovaquie et de la Roumanie ou encore depuis les côtes libyennes, grecques et italiennes).

En ce qui concerne l’Afrique de l’Ouest, c’est en août 2006 que Frontex a mis en place une opération de contrôle de la migration irrégulière ouest-africaine à destination des Îles Canaries. Ces opérations, appelées HERA I, II et III ont été mises en œuvre à la demande de l’Espagne et visent deux objectifs principaux : le déploiement de groupes d’experts d’autres États membres chargés d’apporter leur soutien aux autorités espagnoles dans les Îles Canaries qui interrogent les migrants arrivant sur ces îles ainsi que la mise en place de patrouilles maritimes conjointes le long des côtes de l’Afrique de l’Ouest. Le premier objectif vise à identifier le pays ou l’origine des migrants concernés afin de faciliter leur retour et devrait dans le même temps fournir des informations relatives à l’identification des personnes qui facilitent ces traversées en mer. Les patrouilles maritimes conjointes sont organisées près des côtes de l’Afrique de l’Ouest afin d’empêcher des embarcations qui ne sont pas en état de naviguer de continuer leur dangereux périple.

Sous l’égide de l’Espagne, plusieurs pays européens ont participé à cette opération notamment l’Allemagne, la France, l’Italie, le Luxembourg et le Portugal. L’opération comprenait l’envoi d’experts aux Îles Canaries et la mise à disposition de navires, d’hélicoptères ou d’avions ainsi que de personnel sur place. L’opération a été mise en œuvre en collaboration avec la Mauritanie, le Cap-Vert et le Sénégal (accords signés entre l’Espagne et ces pays). Initialement prévue pour une durée limitée, l’opération a été renouvelée plusieurs fois et est toujours active à ce jour. C’est ainsi que dans le cadre de Frontex, le Luxembourg a mis un hélicoptère à disposition de la Mauritanie. Cet hélicoptère est basé à Nouakchott et il effectue des patrouilles aériennes le long des côtes mauritaniennes.

La France a également contribué à cette opération. Le directeur de la Direction centrale de la Police aux frontières (DCPAF), auprès du ministère français de l’Intérieur, a indiqué à Amnesty International que la France « fournissait des heures de vol d’un Falcon depuis Marseille ainsi qu’une expertise des faux documents ». Il a précisé : « En raison de notre connaissance de l’Afrique de l’Ouest, de la langue française et de notre expertise des faux documents de ces pays ; nos représentants vont sur place passer un ou deux mois, ils assistent les Espagnols, procèdent aux interviews des migrants, cherchent à identifier les filières et à dénoncer les responsables [16] ».

L’Agence Frontex considère les Opérations HERA comme un succès. Le rapport annuel 2006 de Frontex souligne que : « Pendant la phase opérationnelle d’HERA II, 3 887 immigrants clandestins ont été interceptés et détournés à bord de 57 cayucos (petits bateaux de pêche) à proximité des côtes africaines. Au cours des opérations HERA I et II, l’embarquement de près de 5 000 clandestins pour un dangereux périple, susceptible de leur coûter la vie, a pu être empêché ». Le rapport ne contient pas d‘informations indiquant le lieu vers lequel ces 3 887 migrants ont été renvoyés et ne précise pas si ces personnes avaient besoin d’une protection internationale [17].

Les Opérations HERA menées dans les Îles Canaries visaient également à identifier les passeurs par le biais d’interrogatoires des migrants arrivés sur ce territoire. Le rapport annuel 2006 de Frontex a signalé que les experts de Frontex et les autorités espagnoles ont identifié 100% des migrants clandestins et a souligné que : « Grâce aux informations recueillies lors des entretiens, il a été possible d’interpeller plusieurs passeurs, essentiellement au Sénégal, et d’éviter le départ de plus d’un millier de personnes ». Le rapport n’a pas précisé les bases sur lesquelles avait été calculé ce chiffre d’un millier de personnes dont le départ avait été évité.

4. Violations des droits humains des migrants

Plusieurs migrants rencontrés par Amnesty International dans le centre de rétention de Nouadhibou ont raconté que les forces de sécurité les avaient brutalisés ou insultés au moment de leur arrestation. La plupart ont été dépouillés de certains de leurs biens et plusieurs ont affirmé avoir été arbitrairement arrêtés dans la rue ou chez eux alors qu’ils ne s’apprêtaient pas à tenter de rejoindre de manière irrégulière l’Europe. Il est possible que certaines de ces personnes aient été en situation irrégulière en Mauritanie mais d’autres ont affirmé avoir leurs papiers d’identité en règle et avoir vu ces documents confisqués ou déchirés par les forces de sécurité au moment de leur arrestation.

Quelles que soient les circonstances de ces arrestations, la détention de migrants uniquement accusés de vouloir rejoindre de manière irrégulière l’Europe n’a pas de fondement légal. En effet, la sortie du territoire mauritanien de manière irrégulière n’est ni un crime ni un délit au regard du code pénal national. La seule référence à cette sortie du territoire figure dans le décret 64-169 du 15 décembre 1964 portant régime de l’immigration en Mauritanie et vise uniquement les étrangers immigrants ordinaires qui, lorsqu’ils désirent quitter le territoire mauritanien, doivent « faire viser [leur] carte d’identité d’étranger par l’autorité administrative du lieu de sortie ». La non observation de cette formalité ne peut être qualifiée d’infraction. Cet élément de droit est connu des responsables de la Sûreté nationale chargés du centre de rétention de Nouadhibou. L’un des responsables a clairement indiqué aux délégués d’Amnesty International que le fait de chercher à quitter le pays clandestinement « n’est pas un délit incriminé par la loi ». Cela a également été reconnu par le procureur de Nouadhibou qui a déclaré aux délégués d’Amnesty International : « Ces migrants n’ont commis aucune faute car ce n’est pas, du moins pour le moment, un délit de quitter illégalement le pays ».

Le fait de sanctionner une personne pour un délit qui n’est pas prévu par la loi constitue une violation d’un des principes essentiels du droit national et international. Cela est rappelé notamment dans l’article 6 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples qui précise que : « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminées par la loi ; en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement. »

4.1. « Nous ne sommes pas des voleurs et les policiers nous frappent et nous dépouillent »

Plusieurs migrants ont indiqué à la délégation d’Amnesty International avoir été frappés et dépouillés par les forces de sécurité mauritaniennes au moment de leur arrestation. Aucune enquête n’a été menée par les autorités afin de vérifier ces allégations.

Trois Maliens, rencontrés dans le centre de rétention de Nouadhibou ont affirmé avoir été victimes de coups et s’être vus dérober leurs biens au moment de leur arrestation. L’un d’eux a raconté :

« Le soir du 4 mars [2008], j’ai marché durant deux heures pour aller prendre le bateau non loin du Sahara. J’ai mis trois pantalons, trois pulls et une veste et j’attendais mon tour sur la plage pour monter dans la navette et prendre la plus grande pirogue qui nous attendait au large quand les militaires [18]sont arrivés. Ils nous ont demandé de nous coucher par terre sur le sable et, à chaque fois que je relevais la tête, j’ai reçu des coups. Les militaires ont fouillé les migrants et leur ont pris de l’argent et des objets dont leur portable.  »

D’autres migrants ont été dépouillés de leurs biens dans le commissariat de police où ils avaient été emmenés. Un Sénégalais, originaire de Kaolack et âgé de dix-neuf ans, a raconté que, le 3 mars 2008, il attendait sur la plage avec une vingtaine d’autres migrants une pirogue qui devait les emmener en Espagne lorsque :

« Soudain, quatre militaires sont arrivés. J’ai couru, ils m’ont vu, deux d’entre eux ont tiré en l’air une fois, puis une deuxième, nous nous sommes arrêtés au bord de la mer. Ils nous ont emmenés au camp de l’armée en voiture. Durant le trajet, ils nous ont frappés, giflés et donné des coups de ceinture. Arrivés au camp, ils nous ont déshabillés et fouillés. Ils m’ont pris 25 000 ouguiyas (environ 70 euros) et mon portable. Nous sommes des êtres humains, des travailleurs, nous cherchons des moyens pour aider nos parents, nous avons des droits. Nous ne sommes pas des voleurs et les policiers nous frappent et nous dépouillent, ça fait mal au cœur ».

Certains éléments des forces de sécurité mauritaniennes auraient également insulté et humilié les migrants qu’ils arrêtaient. Un groupe de Sénégalais, rencontré par Amnesty International dans le centre de rétention de Nouadhibou, ont raconté : « La police nous a arrêtés sur la plage alors que nous nous apprêtions à monter sur une pirogue. Ils nous ont insultés en langue mauritanienne, ils ont dit du mal de notre père et nous ont obligés à rester couchés par terre durant un certain temps, menottés, mais ils ne nous ont pas frappés ».

La torture et les mauvais traitements sont interdits de manière générale par tous les instruments internationaux relatifs aux droits humains qui protègent notamment les droits des migrants (voir partie 7 : Normes internationales relatives à la protection des migrants).

4.2. « Ils m’ont arrêté mais ce n’est pas juste parce que je n’ai pas encore tenté d’aller en Espagne »

Des informations concordantes indiquent que certains éléments des forces de sécurité procèdent à des arrestations arbitraires d’étrangers, notamment des ressortissants de la CEDEAO. Ces personnes, arrêtées dans la rue ou chez elles, seraient accusées, apparemment sans aucun élément de preuve, d’avoir l’intention de quitter de manière irrégulière le territoire mauritanien pour rejoindre l’Europe. Certaines de ces personnes, détenues au centre de rétention de Nouadhibou dans l’attente d’être renvoyées vers le Mali ou le Sénégal, ont affirmé à la délégation d’Amnesty International qu’elles se trouvaient en situation régulière en Mauritanie et que, lors de leur arrestation, les forces de sécurité avaient déchiré leur carte de résidant. Amnesty International craint que ces arrestations arbitraires ne soient un des effets pervers des pressions exercées par l’UE sur le gouvernement mauritanien.

Certaines personnes détenues au centre de rétention de Nouadhibou ont affirmé avoir été arrêtées chez elles en pleine nuit. Un Malien, âgé de quarante et un ans, qui était installé à Nouadhibou depuis deux ans a raconté : « On m’a arrêté hier, dans ma chambre. Je ne sais pas pourquoi. J’ai dormi par terre dans le commissariat et suis arrivé ici [dans le centre de rétention] ce matin ; pourtant je travaille, j’ai un pousse-pousse, je ne suis pas clandestin. Je vis ici depuis deux ans et j’ai tous mes papiers en règle ; je ne cherche pas à partir en Europe, je suis chef de famille ; je ne sais pas ce qui va se passer, on ne nous a rien dit. Qu’est-ce qui va m’arriver à moi et à ma famille si on me renvoie au Mali ? Mon pousse-pousse vaut 20 000 ouguiyas (environ 55 euros) et je risque de le perdre ».

D’autres personnes arrêtées puis envoyées au centre de rétention de Nouadhibou ont affirmé à Amnesty International qu’elles avaient été arrêtées dans la rue uniquement parce qu’elles portaient deux vestes ou deux pantalons. Ce simple fait semble être interprété par les forces de sécurité mauritaniennes comme la preuve d’une préparation au départ vers l’Europe, alors même qu’il peut faire froid à Nouadhibou, surtout le soir. Un Malien, né en 1987, a ainsi raconté : « J’habite ici chez des amis et je fais des petits métiers, je lave notamment des voitures. Hier nuit [2 mars 2008], je me promenais seul, j’avais froid et je portais deux pantalons et une veste quand j’ai été arrêté par la police. Je ne parle pas leur langue mais j’ai compris qu’ils m’accusaient de vouloir partir en Europe. Ils ont saisi ma carte d’identité et m’ont emmené ici.Je sais que je vais être renvoyé au Mali mais ce n’est pas juste parce que je ne voulais pas prendre la mer ».

Amnesty International a également recueilli, dans le centre de rétention de Nouadhibou, le témoignage d’un Ivoirien qui a affirmé avoir été arrêté 1er mars 2008 alors qu’il se trouvait à bord d’un taxi. « J’ai été arrêté dans un taxi par des policiers qui cherchaient des migrants. Les policiers m’ont demandé de l’argent pour me libérer. J’ai refusé et j’ai été conduit au commissariat de police. Je leur ai dit que je vendais des portables mais ils m’ont accusé de me préparer pour le départ. Si je gagne de l’argent et je peux partir, j’accepte d’être arrêté comme clandestin. Mais on ne m’a pas attrapé sur la route, ça me fait mal. Je reconnais que j’avais l’intention de partir, mais je ne l’ai pas encore fait car je n’en ai pas encore les moyens. ».

D’autres personnes ont fait part à Amnesty International de ce sentiment d’injustice et d’impuissance face à une arrestation qui n’était pas justifiée par une tentative de départ vers l’Europe. Un ressortissant guinéen a déclaré à Amnesty International : « J’ai été arrêté hier soir [dimanche 2 mars]. J’étais à la maison, je suis sorti pour manger, la police m’a arrêté, j’avais oublié ma pièce [d’identité]. Ils m’ont arrêté mais ce n’est pas juste parce que je n’ai pas encore tenté d’aller en Espagne. Je n’en ai pas les moyens, et maintenant ils vont me renvoyer au Sénégal. »

Les informations recueillies par Amnesty International montrent également que les forces de sécurité mauritaniennes ont parfois arrêté des ressortissants de la CEDEAO afin tout simplement de les racketter. Ceux qui ont refusé de verser de l’argent se sont retrouvés dans le centre de rétention puis ont été expulsés. C’est ce qui semble être arrivé à un Malien, âgé de dix-huit ans, qui a raconté à Amnesty International :

« Je n’ai pas envie d’aller en Europe. Je suis venu à Nouadhibou pour acheter du poisson séché et aller le revendre au Mali. Le samedi 1er mars, vers 23 heures, je rentrais du port où j’avais passé une commande de poisson séché. Je portais un maillot de FC Barcelone et un survêtement quand les policiers m’ont arrêté. Ils m’ont demandé ce que je faisais là, je leur ai répondu que je venais de passer une commande de poisson séché. Ils m’ont demandé de l’argent, je leur ai répondu que je n’en avais pas. Ils ont pris ma carte d’identité et mon carnet de vaccinations. Puis ils m’ont envoyé ici et ils m’ont dit que j’allais être renvoyé au Mali. »

Il est certes possible que certains de ces détenus étaient en situation irrégulière lors de leur arrestation car de nombreux migrants entrent en Mauritanie par des points de passage non officiels et ne se font pas enregistrer auprès des autorités, ce qui constitue une infraction pénale [19].

Il n’empêche que des éléments de preuve indiquent que des ressortissants de pays africains, notamment de la CEDEAO, qui étaient en situation régulière ont été arrêtés de manière arbitraire au prétexte qu’ils tentaient de rejoindre l’Europe de manière irrégulière. Le caractère arbitraire de ces arrestations a été dénoncé par le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire qui, à l’issue d’une mission en Mauritanie en février 2008, a indiqué : « Le Groupe a fait le constat que des étrangers en situation régulière en Mauritanie sont parfois arrêtés par la police et détenus sans base légale, notamment lorsqu’ils sont soupçonnés de tenter d’émigrer en Europe [20] ».

4.3. « Nous sommes comme dans une prison, ce n’est pas normal, nous ne sommes pas des criminels »

Les migrants arrêtés dans la région de Nouadhibou pour avoir, de manière avérée ou présumée, tenté de rejoindre l’Europe de manière irrégulière sont retenus dans un centre régi par la Sûreté nationale en dehors de tout contrôle légal des autorités judiciaires (Voir ci-après l’encadré « Guantanimito », un centre de rétention sans nom officiel).

La délégation d’Amnesty International a pu visiter à deux reprises, en mars 2008, le centre de rétention de Nouadhibou. Lors de leur première visite, 62 personnes y étaient retenues y compris deux femmes qui se trouvaient dans une salle séparée. Tous les hommes se trouvaient dans deux anciennes salles de classe devenues de facto des cellules et ils étaient retenus dans des conditions de surpopulation et d’hygiène ne répondant pas aux normes internationales relatives aux personnes privées de liberté. En outre, plusieurs mineurs étaient présents dans cette salle, mêlés aux adultes.

De nombreux migrants se sont plaints de leurs conditions d’enfermement. Un groupe de 35 personnes renvoyées par le Maroc se trouvaient ainsi dans une pièce de 8 m sur 5 m ayant des grilles aux fenêtres et comprenant 17 lits à deux étages. Un Malien, âgé de vingt-sept ans, a indiqué : « On ne peut pas sortir de ce lieu. On doit uriner sur place dans un seau. Pour nos autres besoins, on est obligé de frapper à la porte et de supplier les gardes de nous laisser aller aux toilettes. Parfois, ils nous font attendre 20 à 30 minutes avant de nous ouvrir la porte ».

Un autre migrant a raconté les conditions de vie que ses compagnons et lui étaient contraints de supporter :

« Nous sommes comme dans une prison, ce n’est pas normal, nous ne sommes pas des criminels, tu dois tenter ta chance. Parfois tu échoues, il faut nous laisser partir, il y a des aventuriers partout dans le monde. Les portes de notre salle sont tout le temps fermées à clé, il fait chaud, certains y fument. La Croix-Rouge apporte à manger, c’est tout, nous mangeons sur les lits ; on urine dans un grand seau, caché dans l’ancien placard de la maîtresse. On ne nous dit rien, ils vont nous refouler, Inch Allah ! Tu as échoué, tu dois être tranquille, pourquoi ils nous traitent comme des prisonniers, ils nous fatiguent, on ne peut pas dormir ».

De nombreux migrants ont exprimé leur étonnement de se voir traités ainsi par les autorités mauritaniennes. Un Malien a dit aux délégués d’Amnesty International : « On ne comprend pas pourquoi ils nous traitent ainsi. Nous ne sommes pas des criminels. Les gardes ne nous donnent aucune explication sur la suite. Je sais qu’ils vont me renvoyer au Mali. Si la Mauritanie te refoule ainsi, c’est parce qu’ils sont soutenus par l’Europe ».

Les migrants qui osent se plaindre risquent d’être frappés par les gardes. Le jour même de la première visite de la délégation d’Amnesty International dans ce centre, le 3 mars 2008, deux Maliens avaient ainsi été passés à tabac. L’un d’eux a raconté :« Je suis ici depuis quatre jours. Ce matin, mon compagnon et moi avons demandé à la police de nous laisser partir parce qu’on n’avait rien fait de mal. Les policiers nous ont attachés l’un à l’autre avec des menottes puis cinq policiers nous ont allongés par terre et l’un d’eux nous a donné des coups de pied et de ceinture. »

Contraints au silence, les migrants ont laissé éclater leur colère et leur frustration sur les murs de leurs « cellules ». Voici quelques-uns des graffitis que la délégation d’Amnesty International a pu lire sur les murs de ces « cellules » :

«  Libérez-nous s’il vous plait ; Dieu nous donne la chance de ne plus revenir ici  ».

«  À l’époque, quand les Blancs venaient en Afrique par la mer, on ne les traitait pas en clandestins ; pourquoi aujourd’hui, quand nous essayons d’aller par la mer en Europe, on nous traite de clandestins  ».

«  Fatigue de vivre mais peur de mourir que faire ?  »

«  La vie est un risque. Mais qu’est ce que le risque ?  »

Ces conditions de détention sont contraires à l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement et notamment le Principe 6 de ce texte qui précise que : « Aucune personne soumise à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement ne sera soumise à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Aucune circonstance quelle qu’elle soit ne peut être invoquée pour justifier la torture ou toute autre peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ». Le Principe 11 de ce texte précise pour sa part : « Une personne ne sera pas maintenue en détention sans avoir la possibilité effective de se faire entendre sans délai par une autorité judiciaire ou autre. Une personne détenue a le droit d’assurer sa propre défense ou d’être assistée d’un conseil conformément à la loi [21] ». Or, toutes les informations recueillies par Amnesty International montrent clairement que les migrants, arrêtés et maintenus dans le centre de rétention de Nouadhibou dans l’attente d’une expulsion, n’ont eu, à aucun moment, la possibilité de contester la légalité de leur détention ni de faire appel des décisions d’expulsions collectives prises à leur encontre.

« Guantanamito », un centre de rétention sans nom officiel

Le centre de rétention de Nouadhibou a été ouvert en avril 2006 [22]. Il s’agit d’une ancienne école réhabilitée par les autorités espagnoles au début de l’année 2006. Celles-ci avaient installé dans la cour de l’école de grandes tentes ainsi qu’une salle à manger. Cependant, dès que les autorités mauritaniennes ont commencé à l’utiliser comme centre de rétention, les tentes et la salle à manger ont disparu ne laissant que les anciennes salles de classe devenues de facto des « cellules ». Ces anciennes salles de classe contiennent actuellement 216 lits superposés mais lorsque la délégation d’Amnesty International a visité ce centre, début mars 2008, seules trois salles étaient utilisées ce qui entraînait un grave problème de surpopulation et des conditions d’hygiène déplorables. La gestion du centre dépend des autorités mauritaniennes mais les frais et la livraison des repas sont assurés par la Croix-Rouge espagnole et le Croissant-Rouge mauritanien. Ces deux organisations donnent également la possibilité aux migrants d’appeler leurs parents par téléphone.

Ce centre de rétention semble avoir été mis en place dans le cadre des décisions prises lors d’une réunion de haut niveau qui s’est tenue à Nouakchott le 16 mars 2006 et qui a réuni les Secrétaires d’État aux Affaires étrangères et à la Sécurité espagnols et leurs homologues mauritaniens chargés de l’Intérieur et des Affaires étrangères et de la Coopération. Un communiqué commun, publié à l’issue de cette rencontre, précise notamment que :

« La partie mauritanienne a informé la partie espagnole de son intention d’ouvrir des centres d’accueil, pour recevoir les immigrants en instance de rapatriement.

Pour sa part, la partie espagnole s’engage à appuyer la Mauritanie dans la construction et la gestion de ces centres » [23].

Ce centre, qui n’est régi par aucun règlement applicable aux centres de détention mauritaniens, ne semble pas non plus avoir de nom officiel. Le Directeur régional de la Sûreté nationale de Nouadhibou a indiqué à Amnesty International que les autorités mauritaniennes désignaient ce lieu sous le nom de « Centre d’accueil pour migrants clandestins ». Le Consul d’Espagne à Nouadhibou a indiqué, quant à lui, que les Espagnols appelaient ce lieu « Centre d’internement ou centre de rétention » (Centro de internamiento o centro de retención). Les migrants détenus dans ce centre le désignent sous le nom de « Centre Croix-Rouge » tandis que d’autres habitants de Nouadhibou et certains migrants l’appellent « Guantanamito » [24]. Cette incertitude quant au nom de ce centre constitue un signe supplémentaire de l’absence de tout caractère légal de ce lieu de rétention.

De source officielle, ce centre accueille entre deux et trois cents personnes par mois. Selon des statistiques fournies à Amnesty International par la Sûreté nationale de Nouadhibou, pour l’année 2007, 3 257 personnes ont été retenues dans ce centre de rétention - dont 1 381 Sénégalais et 1229 Maliens - avant d’être expulsées vers le Sénégal ou le Mali. Ce centre n’étant régi par aucune législation, il n’y a aucune limite relative à la durée de cette rétention. Celle-ci peut aller de un à deux jours jusqu’à une semaine ou le temps nécessaire pour que la police puisse organiser le transport de ces personnes.

Dès qu’elles arrêtent des personnes soupçonnées de chercher à rejoindre de manière irrégulière l’Espagne, les autorités mauritaniennes les interrogent afin de connaître leur nationalité et le lieu par lequel elles sont entrées en Mauritanie (dans la quasi-totalité des cas, ces personnes sont entrées par voie terrestre soit par le Sénégal, soit par le Mali). Cette tâche peut s’avérer difficile car les migrants, qui embarquent sur des pirogues, se débarrassent de leurs documents d’identité. Certains migrants affirment être d’une nationalité autre que la leur dans le but d’éviter d’être expulsés vers des pays où ils ne désirent pas aller. C’est notamment le cas de certains migrants sénégalais rencontrés par la délégation d’Amnesty International dans le centre de rétention de Nouadhibou. Ces migrants avaient été arrêtés au Maroc, puis expulsés vers l’Algérie par le poste frontière d’Oujdah dans des conditions très difficiles [25]. Arrêtés à nouveau par les autorités marocaines après une nouvelle tentative de traversée vers les Îles Canaries, ils ont affirmé être Mauritaniens afin d’être expulsés vers ce pays et non vers l’Algérie [26].

4.4. « Personne ne voulait de nous » : les conditions de renvoi

Si la Mauritanie a accepté de coopérer avec l’Espagne afin de traiter la question des migrations irrégulières, elle a parallèlement adopté la politique d’expulser vers le Sénégal ou le Mali les migrants de pays tiers renvoyés d’Espagne et ceux arrêtés en Mauritanie alors qu’ils tentaient de manière avérée ou présumée de rejoindre de manière irrégulière l’Espagne. Les expulsions sont organisées dans les plus brefs délais sans aucune procédure officielle et sans que les personnes puissent contester l’ordre l’expulsion. Un responsable mauritanien a ainsi indiqué à Amnesty International que le nombre de migrants reconduits à la frontière s’était élevé à 11 600 en 2006 et 7 100 en 2007. Tous les migrants maliens ou ceux censés être entrés en Mauritanie par le Mali sont renvoyés à Gogui (village malien proche de la frontière avec la Mauritanie). Tous les autres migrants arrêtés, de quelque nationalité qu’ils soient, sont envoyés à Rosso, sur le fleuve Sénégal, d’où ils sont expulsés par barque vers le Sénégal.

Les autorités mauritaniennes n’offrent aux migrants aucun recours face à la décision de renvoi. Seules quelques personnes bénéficiant du statut de réfugié et arrêtées parce que soupçonnées de vouloir rejoindre de manière irrégulière l’Espagne ont pu être remises en liberté lorsque le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ou ses partenaires opérationnels au niveau local ont pu être en mesure de confirmer que ces personnes étaient bien reconnues comme réfugiés par le HCR. Amnesty International a eu connaissance d’un cas au moins d’un réfugié ivoirien libéré du centre de rétention de Nouadhibou après que son statut a été confirmé par le partenaire opérationnel du HCR dans cette ville.

Le directeur régional de la Sûreté nationale de Nouadhibou, chargé de la gestion du centre de rétention de cette ville, a clairement reconnu devant la délégation d’Amnesty International que l’objectif des autorités était d’expulser au plus vite les migrants non mauritaniens vers le Sénégal ou le Mali. « Nous louons des bus privés qui vont jusqu’à Nouakchott. Là, le siège national de la Sûreté nationale se charge de les acheminer soit vers Gogui [au Mali], soit vers Rosso [à la frontière avec le Sénégal]. Pour assurer un convoi, il faut au moins qu’il y ait 19 personnes afin que le bus soit rempli, c’est ce qui explique que certains migrants peuvent rester quelques jours dans le centre de rétention » [27]. Les frais de transport de reconduite à la frontière sont onéreux et, selon un responsable de la Sûreté nationale de Nouadhibou, ce sont les autorités mauritaniennes qui prennent en charge ce coût « en collaboration avec des partenaires internationaux » [28].

Mis à part les migrants arrêtés dans la région de Nouadhibou, des centaines d’autres migrants sont régulièrement expulsés vers le Mali ou le Sénégal à partir de Nouakchott après avoir été renvoyés par avion des Îles Canaries par les Espagnols aux termes de l’accord de réadmission de 2003. L’un des ces migrants, un Ghanéen, né en 1984, a raconté à Amnesty International les conditions de rétention dans les Îles Canaries et les modalités de son renvoi vers la Mauritanie :

« La police espagnole nous a arrêtés alors que notre pirogue s’approchait de Tenerife. Ils nous ont emmenés dans un commissariat de police où nous avons été interrogés séparément pour qu’on ne puisse pas se concerter. La police a pris nos empreintes digitales et a enregistré nos noms. Nous sommes restés la plupart du temps sur des matelas disposés dans la cour du commissariat. Après trois jours, on nous a emmenés dans un camp. Nous étions très fatigués, je suis resté couché tout le temps. Au bout de 28 jours, la police est venue nous chercher. Ils nous ont mis une bande verte sur le bras comme celle qu’on met aux bébés qui viennent de naître. On nous a tous réunis et on nous a conduits dans des bus. Pour moi, c’était positif, on nous amenait en ville. Je me suis dit : ‘J’ai réussi. Ils vont nous emmener à Madrid ou à Barcelone’. Dans ma tête, j’avais mémorisé des numéros de téléphone de proches que j’ai en Espagne. C’est en arrivant à l’aéroport que j’ai compris. La police nous a mis des menottes aux mains et nous nous sommes retrouvés à Nouakchott. Là, les Espagnols nous ont donné à chacun 50 euros et nous ont remis aux Mauritaniens. »

Plusieurs migrants ont raconté à Amnesty International que les autorités espagnoles n’indiquaient pas aux migrants qu’ils allaient être expulsés vers la Mauritanie, vraisemblablement pour éviter des mouvements de protestation.

La délégation d’Amnesty International s’est rendue à Rosso, au bord du fleuve Sénégal, par où sont expulsés les migrants censés être entrés par le Sénégal, quelle que soit leur nationalité. Les délégués ont rencontré le chef de la police des frontières de Rosso qui a indiqué qu’une dizaine de migrants environ étaient expulsés chaque jour vers le Sénégal. Il a ajouté : « Nous n’avons pas de statistiques, parfois il peut y en avoir beaucoup. S’ils refusent de partir, on se débrouille, on arrive à les convaincre. » Amnesty International a obtenu des informations selon lesquelles les migrants expulsés vers le Sénégal ou le Mali se retrouvaient la plupart du temps sans beaucoup de nourriture et sans aucun moyen de transport.

Dans certains cas, ces expulsions collectives ont créé des conflits entre les autorités sénégalaises et mauritaniennes locales, chacune des deux parties cherchant à se débarrasser de ces migrants. Un migrant ghanéen a ainsi raconté à Amnesty International qu’en décembre 2007 : « Les Mauritaniens nous ont conduits à Rosso, nous sommes montés dans le bac pour traverser le fleuve accompagnés par des policiers mauritaniens. À notre arrivée sur la rive sénégalaise, les militaires sénégalais n’ont pas accepté de nous recevoir et on nous a renvoyés au point de départ. Nous avons fait quatre allers / retours entre la Mauritanie et le Sénégal. Personne ne voulait de nous. À la fin, les Sénégalais ont accepté de nous prendre. Au bout d’une semaine au Sénégal, je suis revenu en Mauritanie et je cherche à repartir vers l’Espagne. »

« Kandahar », un no man’s land miné situé entre le Maroc et la Mauritanie

Plusieurs migrants rencontrés par Amnesty International à Nouadhibou ont signalé qu’ils avaient été expulsés du Maroc vers une zone désertique de cinq kilomètres de long située entre le sud du Sahara occidental et la Mauritanie. Cette zone, considérée par les deux pays comme un no man’s land, est surnommée « Kandahar » en raison des mines qui y ont été posées lors du conflit entre la Mauritanie et le Front Polisario [29].

Des migrants se sont ainsi retrouvés prisonniers durant des semaines dans cette zone minée. C’est le cas de cinq migrants subsahariens, arrêtés le 28 juin 2006 au large de Dakhla (au Maroc), qui se sont retrouvés abandonnés durant vingt-deux jours dans la zone de Kandahar sans qu’aucun des deux États marocain ou mauritanien ne veuille les admettre sur leur territoire. Ils ont pu survivre grâce notamment à l’assistance apportée par Médicos del Mundo, une ONG espagnole qui a un bureau à Nouadhibou. Cette ONG a publiquement dénoncé cette situation. Finalement, la Mauritanie a accepté de les admettre sur son territoire.

Au mois d’août 2006, un autre groupe de 53 personnes échouées sur les côtes du Sahara occidental ont été refoulées par le Maroc vers « Kandahar » sans eau ni nourriture. Il s’agissait d’un groupe de migrants originaires du Sénégal, de la Gambie, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée et du Mali qui étaient partis de Mauritanie afin de rejoindre les Îles Canaries. Une équipe de Médicos del Mundo s’est rendue sur place pour leur porter assistance. Ils y ont trouvé le cadavre d’un migrant malien ainsi que deux autres personnes qui souffraient d’un état avancé de déshydratation. Le Coordinateur de Médicos del Mundo à Nouadhibou, qui faisait partie de cette mission, a indiqué que ces « deux personnes malades étaient si épuisées que leurs compagnons ont dû les aider à boire et à manger » [30].

Un migrant mauritanien refoulé à « Kandahar » en mai 2007, avant de pouvoir rentrer en Mauritanie, a raconté à Amnesty International : « Les migrants se trouvent là à ‘Kandahar’ sans pouvoir sortir. Tu ne peux ni revenir au Maroc car tu viens d’être refoulé et tu ne peux pas rentrer en Mauritanie car tu n’as pas de papiers, parce que tous les candidats au départ se délestent de leurs papiers avant de monter dans la pirogue. Les gens peuvent rester là des semaines et des mois, ils sont nourris par le Croissant-Rouge et dorment dans des tentes données par le Croissant-Rouge. Souvent c’est Médicos del Mundo, basé à Nouadhibou qui parvient à les faire réintégrer la Mauritanie. »

Amnesty International rappelle que le droit des travailleurs migrants à ne pas être soumis à des arrestations arbitraires ni à des expulsions collectives est affirmé dans de nombreux instruments internationaux notamment aux termes de l’article 22 de la Convention des Nations unies sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille. Ces expulsions collectives ne respectent pas non plus les normes prévues par la Recommandation générale no. 30 du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale. (voir la partie 7 relative aux normes internationales relatives à la protection des migrants).

5.Pressions de l’Espagne sur la Mauritanie

Il n’est pas possible de comprendre la politique adoptée par la Mauritanie envers les migrants qui tentent de rejoindre de manière irrégulière l’Europe via les Îles Canaries sans examiner les pressions exercées par l’Espagne sur le gouvernement mauritanien [31].

5.1 L’Accord en matière d’immigration de juillet 2003

La présence de forces espagnoles sur le sol mauritanien entre dans le cadre de la politique de coopération de plus en plus étroite qui lie l’Espagne et la Mauritanie afin de lutter contre le flux de migrants tentant de rejoindre l’Espagne et notamment les Îles Canaries depuis les côtes mauritaniennes. Cette coopération trouve l’un de ses principaux fondements juridiques dans l’Accord en matière d’immigration signé par les deux pays en juillet 2003. Cet accord contient une clause de réadmission incluant les migrants des pays tiers. Il prévoit également que l’Espagne s’engage à fournir une assistance technique à la Mauritanie.

L’Espagne s’est appuyée de manière croissante sur cet accord, à partir de 2006, lorsque le flux de migrants venant de Mauritanie s’est considérablement accru et ce, afin de demander à ce pays de réadmettre sur son territoire non seulement les migrants mauritaniens mais également et surtout les ressortissants de pays tiers qui auraient tenté de rejoindre l’Espagne depuis les côtes mauritaniennes.

C’est ainsi que très régulièrement le gouvernement espagnol envoie aux autorités mauritaniennes des courriers leur demandant de réadmettre sur leur territoire des migrants ayant rejoint, de manière avérée ou présumée, les Îles Canaries à partir des côtes mauritaniennes. Au cours de sa mission, Amnesty International a ainsi appris qu’entre le 28 février et le 6 mars 2008, les autorités mauritaniennes avaient reçu trois demandes de réadmission concernant 274 migrants y compris 14 mineurs qui, selon les autorités espagnoles, auraient reconnu être partis de Nouadhibou. La quasi-totalité de ces migrants étaient des ressortissants de la CEDEAO. La base légale sur laquelle l’Espagne se fonde afin de demander à la Mauritanie de réadmettre sur son territoire les migrants mauritaniens et les ressortissants des pays tiers est l’article IX de l’accord signé en 2003. L’alinéa I de cet article précise que :

« Chaque Partie Contractante doit réadmettre sur son territoire, à la demande de l’autre Partie Contractante, le ressortissant d’un tiers État qui n’accomplit pas ou n’accomplit plus les conditions d’entrée ou de séjour applicables sur le territoire de l’autre Partie Contractante requérante s’il est vérifié [souligné par Amnesty International] que le ressortissant d’un État tiers a effectivement transité par le territoire de la Partie Contractante requise. »

L’alinéa 2 reprend le texte de l’article avec une seule modification dont la portée est considérable puisqu’il permet la réadmission sur le territoire d’une des deux parties d’un ressortissant d’un État tiers « s’il est présumé [souligné par Amnesty International] que le ressortissant d’un État tiers a transité par le territoire de la Partie Contractante requise après un accord sur son cas. ».

Cet alinéa 2 a permis au gouvernement espagnol de demander à la Mauritanie de réadmettre sur son territoire des migrants sans éléments de preuve irréfutables indiquant que ceux-ci étaient partis des côtes mauritaniennes. Amnesty International a appris que le gouvernement mauritanien a souvent contesté le fait que les migrants arrêtés en Espagne soient partis des côtes mauritaniennes afin de ne pas être obligé de les réadmettre sur son territoire. Dans ce cas, les accords prévoient que des représentants des autorités mauritaniennes se rendent aux Îles Canaries afin de mener des enquêtes contradictoires dans le but de déterminer si ces migrants sont effectivement partis de Mauritanie. Cependant, les capacités d’enquête dont disposent les autorités mauritaniennes ne peuvent rivaliser avec les moyens mis en œuvre par les autorités espagnoles avec l’appui de Frontex. C’est ce qu’a confié à Amnesty International un représentant des autorités mauritaniennes : « Les Espagnols utilisent des photos satellites pour dire au gouvernement mauritanien que tel groupe de migrants est parti de Mauritanie et qu’ils doivent y être refoulés et nous, nous n’avons pas les moyens techniques de contredire ces informations ». Un autre responsable mauritanien a admis que le gouvernement mauritanien acceptait très souvent, sous la pression des plus hauts représentants du gouvernement espagnol, de réadmettre des migrants de pays tiers « tout en sachant qu’ils n’étaient pas passés par la Mauritanie ». Ce responsable a indiqué qu’une telle politique n’était pas sans créer des problèmes avec les populations des pays voisins. Il a ainsi indiqué qu’à une occasion, lors d’une expulsion collective d’un groupe de migrants vers le Mali, « la population malienne a pris à partie les policiers mauritaniens qui ramenaient les migrants en leur disant : ‘Vous êtes des policiers des Blancs’ ».

Un autre responsable mauritanien a confié à Amnesty International : « Nous sommes obligés de distraire nos maigres ressources pour reconduire les migrants vers le Sénégal ou le Mali. Cette situation met notre gouvernement mal à l’aise face aux populations des pays voisins. Frontex ne règle pas notre problème à nous. La réplique sécuritaire n’est pas la plus efficace, il faut promouvoir le développement en Afrique, or nos interlocuteurs européens sont obnubilés par les aspects sécuritaires ».

En ce qui concerne ces renvois de migrants en situation irrégulière, Amnesty International estime que toutes les personnes renvoyées d’Espagne vers la Mauritanie doivent avoir accès, le cas échéant, à des procédures d’asile équitables et satisfaisantes en Espagne. Outre l’obligation de respecter le principe de non refoulement, l’Espagne doit respecter le droit de tout individu de choisir son pays de destination. C’est ainsi que les migrants de pays tiers ne doivent pas être contraints de retourner en Mauritanie mais doivent, au contraire, pouvoir choisir leur pays de destination, à condition que ce pays les accepte.

5.2 Accord de mars 2006

L’Espagne a également signé avec la Mauritanie des accords de coopération afin de mener des opérations conjointes de surveillance des côtes mauritaniennes. L’Espagne s’est ainsi engagée à fournir des équipements et une formation aux autorités mauritaniennes afin de leur permettre de renforcer notamment le contrôle de leurs frontières maritimes. C’est ce qui ressort du communiqué conjoint publié à l’issue d’une réunion de haut niveau qui s’est tenue à Nouakchott, le 16 mars 2006, et qui a réuni les Secrétaires d’État aux Affaires étrangères et à la Sécurité espagnols et leurs homologues mauritaniens chargés de l’Intérieur et des Affaires étrangères et de la Coopération. Ce texte précise notamment que : « Conscientes de l’importance exprimée par la Mauritanie, des moyens matériels et techniques pour le contrôle des frontières, les autorités espagnoles s’engagent à doter la gendarmerie mauritanienne de quatre (4) patrouilleurs en parfait état, et d’assurer la formation du personnel chargé de leur utilisation ». En matière de formation, les autorités espagnoles se sont engagées à offrir « à la Mauritanie la formation appropriée, pour assurer le perfectionnement des forces de sécurité dans les domaines de l’investigation, de la recherche des réseaux de passeurs, de la traite des personnes, de l’analyse et du traitement de l’information, du contrôle des frontières, de la recherche de faux documents et de la formation des équipages mauritaniens chargés de la surveillance maritime, et toutes autres demandes formulées par la partie mauritanienne » .

5.3 Cas du Marine I

Si ces accords visaient à mettre en place une étroite coopération entre l’Espagne et la Mauritanie afin de contrôler les flux migratoires, ils ne pouvaient pas répondre à une crise humanitaire telle que celle survenue, le 30 janvier 2007, suite à l’interception en mer par le service espagnol de sauvetage du bateau, le Marine I, qui transportait à son bord 369 personnes. Les passagers, semble-t-il originaires d’Asie et d’Afrique subsaharienne, se rendaient aux Canaries. Avec l’aide du service de sauvetage espagnol, le bateau a pu gagner un point situé à environ 12 milles des côtes mauritaniennes, où il est resté bloqué pendant près de quinze jours, jusqu’à ce que les autorités mauritaniennes et espagnoles parviennent à un accord. Le 12 février, le bateau a été autorisé à accoster en Mauritanie. En vertu de l’un des volets de l’accord, les autorités espagnoles pouvaient assurer la prise en charge des migrants et des demandeurs d’asile en Mauritanie et traiter leur dossier. Elles ont accepté de traiter les demandes d’asile de 10 Sri-Lankais qui se trouvaient à bord et les ont transférés aux Canaries avec 25 autres personnes. Malgré un avis favorable du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), leurs demandes n’ont toutefois pas été jugées recevables, et les 10 Sri-Lankais ont tous été renvoyés vers leur pays le 25 mars.

La plupart des autres migrants ont finalement accepté d’être rapatriés fin mars 2007 dans leurs pays d’origine [32]mais vingt-trois personnes sont restées détenues durant trois mois dans un hangar à Nouadhibou sous le contrôle effectif des autorités espagnoles, dans des conditions de détention non conformes au droit espagnol. Amnesty International a reçu des allégations selon lesquelles ces personnes ont été détenues dans une pièce de 25 m2. Ces personnes auraient été empêchées de sortir de cette pièce par les membres de la Guardia Civil espagnole et auraient été contraintes de demander la permission pour aller aux toilettes. Des informations indiquent que leur état de santé physique et mentale se serait sérieusement dégradé et qu’elles auraient montré des symptômes de grave anxiété et de stress. De plus, ces personnes n’ont pas eu accès à un avocat afin de contester devant un tribunal la légalité de leur détention. Le 18 mai 2007, 17 de ces personnes ont été transférées dans un centre de détention relevant des autorités mauritaniennes, avant d’être renvoyées au Pakistan en juin. Les six autres, ayant besoin d’une prise en charge psychologique en raison de leur placement en détention, ont été transférées à Melilla (Espagne).

Bien que ces détentions n’aient pas eu lieu sur le territoire espagnol, Amnesty International estime que les autorités espagnoles ont exercé de facto un contrôle sur ces migrants. Par conséquent, aux termes du droit international, le gouvernement espagnol se devait de veiller à ce que leurs droits soient respectés, y compris leur droit à la liberté, leur droit à ne pas être soumis à une détention arbitraire ni à des actes de torture ou de mauvais traitements, leur droit d’avoir accès à une procédure d’asile équitable et satisfaisante ainsi que le droit de ne pas être renvoyés vers un pays ou un territoire où ces personnes risqueraient d’être victimes de graves violations de leurs droits fondamentaux.

Amnesty International a fait part de ses préoccupations au gouvernement espagnol. Celui-ci dans un courrier daté du 20 juillet 2007, a répondu en précisant que : « L’intervention du gouvernement de l’Espagne, bien que n’ayant pas de compétence en la matière, s’est déroulée dans le seul but de respecter le devoir humanitaire de venir au secours du bateau [Marine I] et de sauver ses passagers et son équipage. C’est la raison pour laquelle on ne peut mettre en doute sa conduite en exigeant de lui des responsabilités et des actions qui échappent au champ de sa compétence ».

Les informations recueillies par la délégation d’Amnesty International lors de sa mission en Mauritanie en mars 2008 confirment cependant que les autorités espagnoles ont exercé des pressions psychologiques importantes sur les 23 demandeurs d’asile se trouvant à Nouadhibou et les ont maintenus dans des conditions de détention très éprouvantes visant apparemment à briser leur résistance physique et morale.

6. Demandeurs d’asile et réfugiés

La situation des demandeurs d’asile et des réfugiés en Mauritanie est précaire. La procédure nationale de demande d’asile créée en 2005 n’est pas encore réellement fonctionnelle et, à ce jour, c’est encore le HCR qui examine la quasi-totalité des demandes d’asile. Seuls quelques dizaines de dossiers de réfugiés reconnus ces dernières années par la délégation du HCR ont fait l’objet en 2007 d’un examen par la Commission nationale consultative sur les réfugiés.

La plupart des réfugiés rencontrés en mars 2008 à Nouakchott étaient préoccupés par leur situation en Mauritanie, beaucoup ont insisté sur le manque d’accès à l’éducation pour leurs enfants. Certains ont essayé de quitter le pays pour l’Europe, d’autres envisagent de le faire. Le désespoir peut mener à des situations tragiques. Les délégués d’Amnesty International ont ainsi rencontré à Nouakchott une famille au sein de laquelle l’un des parents envisageait de tenter sa chance sur les flots vers les Îles Canaries tandis que l’autre ne voulait pas faire courir ce risque à ses enfants. Les Sierra Léonais, rencontrés par Amnesty International ont affirmé qu’ils avaient été priés de rentrer dans leur pays en 2004 et que leur attestation de réfugié n’avait pas été renouvelée ; certains de ceux qui ont été rapatriés sont revenus et vivent en Mauritanie sans autorisation.

La question de l’examen des demandes d’asile et de la protection des réfugiés se trouve actuellement dans une phase de transition en Mauritanie. Jusqu’en 2005, aucun texte ne donnait compétence aux autorités mauritaniennes de connaître des questions relatives aux réfugiés. Cette question était traitée par le bureau de Nouakchott du HCR. Celui-ci examinait les demandes d’asile et accordait aux personnes reconnues réfugiés une attestation de six mois renouvelable [33]. Cette attestation n’a pas la forme d’une carte d’identité et consiste en une simple feuille de papier verte. Les réfugiés ne reçoivent pas de carte de réfugié ni de titre de séjour ou de voyage leur permettant d’aller à l’étranger.

Par ailleurs, bien qu’une copie de l’attestation du HCR soit envoyée au ministère de l’Intérieur, Amnesty International a recueilli le témoignage de plusieurs réfugiés qui ont affirmé que certains éléments des forces de sécurité ne semblaient pas connaître l’existence de ce document ou en contestaient l’authenticité. Dans certains cas, il semble même que certaines de ces attestations ont été déchirées par des policiers de manière arbitraire.

Amnesty International a appris, en outre, que, régulièrement, des réfugiés sont arrêtés et ne sont en général libérés qu’en cas d’intervention du HCR ou d’un tiers se portant garant de leur statut. L’un des réfugiés a confié à Amnesty International : « Les policiers nous arrêtent souvent et nous conduisent à la Sûreté nationale pour interrogatoire. Nous leur montrons notre attestation de réfugié mais ils nous répondent qu’ils doivent vérifier auprès du HCR car il existe de nombreuses fausses attestations ».

Dans un autre cas, plusieurs réfugiés ont été arrêtés, le 25 février 2008, à l’intérieur et aux abords d’un restaurant de Nouakchott, et ils n’ont été remis en liberté que le lendemain, suite à l’intervention de l’employeur de l’un d’eux. Un membre de ce groupe de personnes, d’origine sierra léonaise, a raconté à Amnesty International :

« Vers 13 heures 15, je me trouvais à l’intérieur de mon restaurant lorsque trois policiers ont fait irruption. Ils m’ont demandé mes papiers qu’ils n’ont pas regardés et m’ont demandé de les accompagner à la Sûreté nationale, près du ministère de l’Intérieur. D’autres réfugiés ont été arrêtés dans les environs de mon restaurant ou en ville. À notre arrivée, l’un des réfugiés a appelé l’officier de protection du HCR qui nous a demandés d’être patients et nous a dit que nous serions bientôt libérés. La police nous a dit que le HCR devait venir certifier que nous étions bien des réfugiés. Le lendemain, l’employeur d’un de mes camarades est venu et a confirmé qu’il connaissait l’un d’entre nous. Nous avons alors été libérés. »

Dans un cas, au moins, deux réfugiés sierra-léonais, reconnus comme tels par le HCR, ont été arrêtés et expulsés par les forces de sécurité mauritaniennes vers le Mali en décembre 2004. L’un d’entre eux, nommé Alpha Koroma, est décédé en cours de route vers le Mali des suites d’une maladie. Amnesty International a rencontré le compagnon de route d’Alpha Koroma, refoulé avec lui et qui est revenu en Mauritanie. Celui-ci a raconté :

« Je suis allé rendre visite à Alpha qui était détenu au commissariat du Vème arrondissement de Nouakchott. Tous les réfugiés s’étaient mobilisés pour obtenir sa libération et on avait appelé le HCR. On s’était cotisé pour obtenir sa libération mais les policiers ont déclaré que cette somme n’était pas suffisante. Au cours d’une de ces visites, j’ai été arrêté et refoulé avec Alpha avant que le HCR n’intervienne. Alpha était malade et il est mort en route entre Kayes et Bamako ».

6.1 La législation mauritanienne en matière d’asile

Ce n’est que depuis 2005 que la Mauritanie dispose de procédures nationales pouvant statuer sur les demandes d’asile et de protection des réfugiés. Les deux textes applicables en la matière sont le Décret n°2005.022 du 3 mars 2005 du Premier ministre « fixant les modalités d’application des Conventions relatives aux réfugiés » [34]et la circulaire n°0007 du 2 mai 2006 du ministre de l’Intérieur relative aux « modalités d’enregistrement des demandes d’asile et de statut de réfugié ».

Le Décret du 3 mars 2005 se réfère aux deux définitions du réfugié contenues dans l’article 1er de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et dans l’article 1er de la Convention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique.

Aux termes de ce Décret, une demande d’admission au statut de réfugié doit être adressée au ministère de l’Intérieur par le requérant ou par le HCR ; le requérant reçoit un récépissé tenant lieu de titre de séjour provisoire, de trois mois renouvelables, ouvrant droit à l’emploi et à l’accès aux services sociaux. Les demandes sont transmises à la Commission nationale consultative sur les réfugiés (CNCR) qui examine les dossiers et donne un avis au ministre de l’Intérieur qui décide d’octroyer ou non le statut de réfugié.

Cette Commission « est placée auprès du ministre chargé de l’Intérieur. Elle a pour attributions de donner un avis consultatif sur les demandes d’admission au statut de réfugié et, en général, sur toute question relative aux réfugiés soumise à son examen » ; elle est présidée par un représentant du ministère chargé de l’Intérieur et est composée d’un représentant de chacun des ministères suivants : Affaires étrangères et la Coopération, Défense nationale et Justice ainsi que d’un représentant de la Direction générale de la Sûreté Nationale et du Commissariat aux droits de l’homme, à la lutte contre la pauvreté et à l’insertion.

En cas de reconnaissance du statut de réfugié, l’article 13 du Décret du 3 mars 2005 précise que « Le bénéficiaire du statut de réfugié reçoit le même traitement qu’un national en ce qui concerne l’accès aux soins médicaux, au marché du travail, à la sécurité sociale et à l’éducation. ». L’article 12 de ce même texte précise que : « Le bénéficiaire du statut de réfugié, désireux de se rendre à l’étranger, obtient, sur sa demande, un titre de voyage ».

En revanche, en cas de rejet de la demande d’asile, aucune procédure de recours n’est prévue par les textes. Le décret prévoit les clauses de cessation et d’exclusion de la Convention de Genève mais, pour les décisions prises sur les demandes, la circulaire se contente de préciser qu’elles seront communiquées aux autorités locales.

En dépit de tous ces textes, la législation mauritanienne en matière d’asile n’est pas encore réellement appliquée et, en l’absence du fonctionnement régulier de la CNCR, c’est encore le HCR qui examine les demandes d’asile et statue sur les nouveaux dossiers.

Cependant, suite à l’adoption de ce décret et à la mise en place de la CNCR, la responsabilité en matière d’examen des demandes d’asile est en train d’être progressivement transférée du HCR vers les autorités mauritaniennes. C’est ainsi que le HCR est en train de soumettre les dossiers des réfugiés reconnus au ministère de l’Intérieur qui est habilité à confirmer ce statut ou à le refuser.

Selon les informations recueillies par Amnesty International au cours de sa mission, à ce jour, 950 réfugiés se trouvent sous la protection du HCR. En mars 2008, sur 80 dossiers transmis par le HCR au ministère de l’Intérieur, 38 statuts ont été confirmés. Il est donc possible et même tout à fait probable que des personnes dont le statut de réfugié a été reconnu par le HCR se voient refuser la confirmation de leur statut ce qui peut constituer à l’avenir une source de violations des droits des réfugiés.

Amnesty International estime que l’actuel système régissant l’examen des demandes d’asile en Mauritanie ne garantit pas un accès équitable et satisfaisant aux procédures d’asile, notamment en termes de droit de recours en cas de rejet de la demande d’asile. Ces garanties sont essentielles afin d’assurer le respect du droit qu’a tout individu « de chercher asile et de bénéficier de l’asile dans d’autres pays » en cas de persécution [35]. Ces garanties sont également indispensables afin de faire en sorte que la Mauritanie respecte ses obligations aux termes de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et de la Convention de l’OUA de 1969 régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique.

7.Normes internationales relatives à la protection des migrants

Un certain nombre de textes internationaux et de rapports des Nations unies ont affirmé et précisé les droits essentiels des migrants. La Convention des Nations unies sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille, qui est entrée en vigueur en juillet 2003 et a été ratifiée par la Mauritanie le 22 janvier 2007, constitue l’instrument de protection le plus complet des droits des migrants.

En ce qui concerne les conditions d’arrestation et de détention des migrants, l’Article 16 de cette Convention précise notamment que :

« Les travailleurs migrants et les membres de leur famille ne peuvent faire l’objet, individuellement ou collectivement, d’une arrestation ou d’une détention arbitraire ; ils ne peuvent être privés de leur liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi ». (paragraphe 4)

« Les travailleurs migrants et les membres de leur famille qui sont arrêtés sont informés, au moment de leur arrestation, si possible dans une langue qu’ils comprennent, des raisons de cette arrestation et ils sont informés sans tarder, dans une langue qu’ils comprennent, de toute accusation portée contre eux ». (paragraphe 5)

« Les travailleurs migrants et les membres de leur famille qui se trouvent privés de leur liberté par arrestation ou détention ont le droit d’introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de leur détention et ordonne leur libération si la détention est illégale. Lorsqu’ils assistent aux audiences, les intéressés bénéficient gratuitement, en cas de besoin, de l’assistance d’un interprète s’ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue utilisée ». (paragraphe 8) [36]

Par ailleurs, les expulsions collectives de migrants sont interdites par la Convention des Nations unies sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille qui précise que « Les travailleurs migrants et les membres de leur famille ne peuvent faire l’objet de mesures d’expulsion collective. Chaque cas d’expulsion doit être examiné et tranché sur une base individuelle » [37].

L’interdiction des expulsions collectives de migrants est également affirmée par la Recommandation générale no. 30 du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale qui précise, en ses paragraphes 25-28, que les États parties à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale prennent des mesures afin de :

« 25. Veiller à ce que les lois relatives au refoulement ou à toute autre mesure tendant à soustraire des non-ressortissants à la juridiction de l’État partie ne causent pas, par leur but ou par leurs effets, une discrimination entre les non-ressortissants, fondée sur la race, la couleur ou l’origine ethnique ou nationale, et à ce que les non-ressortissants aient un accès égal à des recours efficaces, notamment le droit de contester une mesure d’expulsion, et qu’ils soient autorisés à utiliser ces recours effectivement ;

26. Veiller à ce que les non-ressortissants ne fassent pas l’objet d’une expulsion collective, en particulier lorsqu’il n’est pas établi de façon suffisante que la situation personnelle de chacune des personnes concernées a été prise en compte ;

27. Veiller à ce que les non-ressortissants ne soient pas renvoyés ou rapatriés dans un pays ou un territoire où ils risquent d’être soumis à des violations graves des droits de l’homme, notamment à la torture et à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

28. S’abstenir de procéder à toute expulsion de non-ressortissants, en particulier de résidents de longue date, qui se traduirait par une atteinte disproportionnée au droit à la vie familiale [38]. »

Le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des travailleurs migrants, Jorge Bustamante, a, pour sa part, dénoncé, dans un rapport soumis au Conseil des droits de l’homme, le 25 février 2008, la tendance à criminaliser les migrants qui tentent de rejoindre d’autres pays de manière irrégulière. Le Rapporteur spécial a ainsi précisé que certains États ont « des réglementations sur l’immigration qui pénalisent et punissent les migrants afin de décourager les migrations clandestines. Les migrants sans papiers sont alors particulièrement exposés aux procédures pénales, qui sont par définition de nature punitive, pour des infractions qui sont souvent les mêmes que celles visées par l’internement administratif, comme le franchissement illégal de la frontière, l’abandon de résidence, sans autorisation, le non-respect des conditions de séjour ou le dépassement des délais de séjour autorisés [39] ».

Le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des travailleurs migrants a également souligné les risques des méthodes visant à « externaliser » le contrôle des frontières vers les pays d’origine et de transit des migrants. « Le problème est que ces politiques [d’externalisation] , tout en visant légitimement à réduire les migrations irrégulières et en étant souvent intégrées à des accords bilatéraux qui peuvent comporter des aspects positifs non négligeables pour les pays bénéficiaires de l’aide, ont contribué à la criminalisation des migrations irrégulières en traitant les infractions à la législation sur l’immigration comme des infractions pénales plutôt qu’administratives sans garantir les protections légitimes des droits de l’homme prévues pour les migrants [40] ».

Par ailleurs et, de manière plus générale, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, qui a été ratifiée par la Mauritanie en décembre 1988, souligne l’obligation des États parties à traiter avec égalité les personnes qui ne sont pas des ressortissants nationaux. La Recommandation générale 30 du Comité des Nations unies sur l’élimination de la discrimination raciale souligne que les États parties doivent « veiller à ce que les non ressortissants jouissent d’une protection et d’une reconnaissance égales en vertu de la loi. » Ce texte précise, en outre, que les États parties doivent « combattre les mauvais traitements et la discrimination contre les non-ressortissants du fait de la police, d’autres organes chargés de l’application des lois et des fonctionnaires publics, en appliquant strictement les lois et les dispositions pertinentes » [41].

8. Réactions des autorités mauritaniennes et des représentants diplomatiques espagnols en Mauritanie

Au cours de sa mission, Amnesty International s’est entretenue avec des responsables mauritaniens ainsi qu’avec des représentants diplomatiques espagnols en Mauritanie afin de leur faire part de ses préoccupations quant aux atteintes aux droits humains dont étaient victimes certains migrants et réfugiés.

8.1 Réactions des autorités mauritaniennes

L’organisation a notamment rencontré le directeur régional de la Sûreté nationale de Nouadhibou à qui elle a exposé ses préoccupations quant aux conditions d’arrestation et de rétention des migrants dans le centre de Nouadhibou.

Amnesty International s’est notamment fait l’écho des plaintes exprimées par les migrants détenus au centre de rétention de Nouadhibou quant au fait qu’ils n’étaient quasiment jamais autorisés à quitter leurs « cellules ». Le directeur régional de la Sûreté nationale a reconnu que ces conditions étaient «  loin d’être idéales », mais, a-t-il précisé, « le séjour des migrants dans ce lieu ne dure pas plus d’une semaine et, normalement, ils sont autorisés à faire une promenade par groupes de quelques-uns ». Il a cependant ajouté, que suite à une série d’évasions ou de tentatives d’évasion, les gardes pouvaient être amenés à refuser aux migrants le droit de sortir librement de leurs « cellules ». Il a notamment cité le cas de « personnes qui demandent à aller aux toilettes pour tenter de s’évader ». En ce qui concernait le fait qu’une soixantaine de personnes étaient alors retenues dans deux « cellules » de 40 m2 chacune, il a expliqué qu’il y avait « d’autres pièces avec des lits mais les serrures ne marchent pas ».

Amnesty International a également fait part de ses inquiétudes quant au risque d’arrestations arbitraires de migrants accusés sans éléments de preuve de tenter de quitter le pays de manière irrégulière. Le directeur régional de la Sûreté nationale de Nouadhibou a précisé que :

«  L’entrée en Mauritanie doit se faire de manière légale, par un point d’entrée officiel, conformément aux normes de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Certains migrants entrent en Mauritanie par des points de passages non officiels et sans documents d’identité. D’autres se dessaisissent de leurs papiers d’identité avant de s’embarquer pour l’Europe. Toute personne qui n’a pas ses papiers ou s’en est dessaisie est considérée comme un clandestin et doit être refoulée  ».

Parmi les catégories de personnes arrêtées, retenues au centre de rétention de Nouadhibou puis expulsées vers le Sénégal ou le Mali, le directeur régional de la Sûreté nationale a cité :

  • Les personnes qui sont retrouvées en groupe la nuit sur la plage, sur le point de s’embarquer sur des pirogues ou sur des bateaux, lorsque ces personnes ne sont pas des pêcheurs. « Ces personnes sont arrêtées ‘en flagrance’ parfois avec l’aide de la Guardia Civil espagnole dans le cadre de patrouilles mixtes se trouvant à bord d’une vedette ».
  • Des migrants se trouvant en ville, notamment dans une maison où ils se préparent pour le départ « lorsque nous avons des informations indiquant qu’ils s’apprêtent à quitter le territoire de manière illégale » [42].

Amnesty International a également fait part des allégations de mauvais traitements à l’encontre de migrants détenus dans le centre de rétention. Le Directeur régional de la Sûreté nationale de Nouadhibou a affirmé que les migrants n’étaient pas maltraités tout en évoquant la possibilité de problèmes lorsque les gardes se trouvent confrontés à des « groupes indisciplinés ». Il a ajouté qu’en cas de problèmes, la police appelait la Croix-Rouge qui réglait la situation. Il n’a cependant pas exclu des « bavures individuelles » tout en assurant que, si ce type d’incident parvenait à sa connaissance, il prendrait des sanctions administratives à l’encontre du responsable de ces actes.

Lors de sa rencontre avec le ministre mauritanien de l’Intérieur, M. Yall Zakaria, Amnesty International a rappelé que, contrairement aux normes internationales en la matière, la Mauritanie renvoyait tous les migrants vers le Mali ou le Sénégal quelle que soit leur nationalité. Tout en reconnaissant la réalité de ce problème, le ministre de l’Intérieur a précisé que : « Le gouvernement mauritanien n’a pas les moyens de renvoyer des Ivoiriens en Côte d’Ivoire, des Congolais en RDC etc.… »

Concernant le centre de rétention, de manière générale, le directeur régional de la Sûreté nationale de Nouadhibou a reconnu que ce centre « avait été construit à la va-vite » et a indiqué qu’il y avait un projet de construction d’un nouveau centre qui répondrait aux normes internationales en matière de détention. Il a ajouté :

« Ce centre ne répond pas au statut du régime carcéral et il a une ‘vocation sociale’. Notre action est purement humanitaire et non sécuritaire. Notre rôle est de faciliter les départs et non de maintenir les migrants dans ce centre. Le but c’est de les renvoyer le plus vite possible à la frontière et non d’instaurer un système punitif. Puisque l’Europe n’accepte pas ces migrants, un clandestin doit être refoulé par son point d’arrivée dans le pays ».

Amnesty International a également soulevé avec les autorités mauritaniennes le cas des réfugiés ou de demandeurs d’asile qui pouvaient se trouver enfermés dans ce centre de rétention et de leur impossibilité de déposer un recours avant d’être expulsés. Le directeur régional de la Sûreté nationale de Nouadhibou a affirmé qu’il y avait « rarement des gens ayant le statut de réfugié. En cas de doute, nous demandons à l’APEAH [le partenaire opérationnel du HCR à Nouadhibou] ».

Lorsqu’ils se sont rendus à Rosso, les délégués ont également demandé au chef de la police des frontières de cette ville si des personnes renvoyées vers le Sénégal avaient fait état d’une demande d’asile. Celui-ci a répondu : « Si une personne invoquait des menaces en cas de renvoi, nous en informerions nos responsables en haut lieu, mais cela ne s’est jamais produit ».

8.2 Réaction des représentants diplomatiques espagnols en Mauritanie

Amnesty International n’a pas rencontré l’ambassadeur d’Espagne en Mauritanie, en dépit de plusieurs demandes, mais les délégués de l’organisation ont pu s’entretenir avec les consuls d’Espagne à Nouakchott et à Nouadhibou.

Le consul d’Espagne à Nouadhibou a précisé à la délégation d’Amnesty International qu’il y avait dans cette ville environ 15 éléments de la Guardia Civil. Le consul a ajouté qu’un « hélicoptère et un bateau appuyaient l’opération Frontex à Nouadhibou » tout en précisant que « les policiers espagnols ne remplissent pas de fonction de police, ils apportent un soutien technique, ils montent dans les bateaux de patrouille conjointe mais ils ne sont pas armés et leur présence nécessite l’autorisation des Mauritaniens. » Il a également mis l’accent sur l’aspect « humanitaire » de leur action en précisant que les autorités espagnoles n’abandonnaient pas les pirogues en perdition en haute mer mais partaient à leur secours et les ramenaient en Mauritanie.

Répondant aux préoccupations de l’organisation quant aux conditions de rétention des migrants à Nouadhibou, le consul espagnol basé dans cette ville a précisé que le gouvernement espagnol insistait auprès de la Mauritanie pour que toutes les formes de détention de migrants « respectent les normes internationales en matière de détention ». Il a souligné que ce centre avait été mis en place dans le cadre d’un accord entre l’Espagne et la Mauritanie : « Il y avait une vieille école dont les murs s’effondraient, nous l’avons réhabilitée mais nous ne sommes pas autorisés à y aller. Nous ne savons donc pas ce qui s’y passe. Ce centre est géré par les autorités mauritaniennes mais la présence de la Croix-Rouge espagnole et du Croissant-Rouge mauritanien me semblent constituer une garantie de respect des droits humains. » Le consul espagnol de Nouadhibou a lui aussi évoqué le projet de créer un nouveau centre de rétention.

9. Conclusions et recommandations

Les informations recueillies par Amnesty International lors de sa mission en Mauritanie en mars 2008 montrent que les droits des migrants et de certains réfugiés sont violés par les forces de sécurité mauritaniennes qui procèdent parfois à des arrestations arbitraires, à des rackets et à des mauvais traitements à l’encontre de personnes accusées de vouloir rejoindre l’Europe de manière irrégulière.

L’organisation est particulièrement inquiète des conditions de rétention dans le centre de Nouadhibou qui accueille les personnes accusées, de manière avérée ou présumée, d’avoir tenté de rejoindre l’Espagne de manière irrégulière. Ce centre de rétention n’est régi par aucun cadre légal et n’est soumis à aucun contrôle judiciaire. La durée de rétention n’est ainsi soumise à aucune limite et les décisions de renvoi ne sont susceptibles d’aucun appel. Amnesty International est également préoccupée par le fait que les personnes soient renvoyées vers le Mali ou le Sénégal quelle que soit leur nationalité. Ces personnes se retrouvent ainsi reconduites à la frontière souvent sans beaucoup de nourriture et sans aucun moyen de transport. Amnesty International s’inquiète particulièrement des conditions dans lesquelles certains migrants ont été abandonnés sans eau ni nourriture à la frontière entre le Maroc et la Mauritanie, dans un no man’s land surnommé « Kandahar ».

L’organisation est également extrêmement préoccupée par les effets pervers des pressions exercées sur la Mauritanie par l’UE et notamment l’Espagne afin que la Mauritanie participe de manière active à la lutte de l’UE contre la migration irrégulière. Il semble que certaines des violations commises à l’encontre des migrants concourent d’une volonté de montrer à l’UE et à ses États membres que la Mauritanie « remplit son contrat », même si cela implique la négation de certains droits fondamentaux tels que celui de ne pas être soumis à une détention arbitraire ou à des mauvais traitements.

Amnesty International rappelle que, dans le droit international, la détention doit être l’exception et non la règle ; les normes internationales restreignent expressément le recours à la détention et exigent que les personnes incarcérées, lorsqu’il y a lieu, soient traitées humainement, dans le respect de leurs droits fondamentaux ; elles affirment aussi qu’une attention spéciale doit être accordée à certains groupes particulièrement vulnérables, notamment les femmes et les enfants. Dans sa lutte pour la protection des droits des personnes déracinées, Amnesty International a pris position sur plusieurs questions liées aux droits fondamentaux des migrants et des réfugiés. Toute personne placée en détention doit être ainsi promptement traduite devant une autorité judiciaire et avoir la possibilité de contester la légalité de la décision en vertu de laquelle elle est incarcérée. En Mauritanie, le droit de pouvoir contester la légalité de sa détention est systématiquement refusé aux migrants accusés de vouloir rejoindre l’Europe de manière irrégulière et il semble évident que les pressions intenses exercées par l’UE et notamment l’Espagne sur le gouvernement mauritanien contribuent à la violation de ce droit essentiel.

Recommandations

A) Recommandations au gouvernement mauritanien

En ce qui concerne les migrants :

Amnesty International s’oppose à ce que la mise en détention soit utilisée comme outil de contrôle de l’immigration. La détention de migrants n’est légitime que lorsque les autorités peuvent démontrer qu’elle est nécessaire et proportionnée à l’objectif ciblé, en l’occurrence, que les autres solutions ne seraient pas efficaces, qu’elle est fondée sur les motifs prévus par la loi et qu’il y a un risque objectif que la personne concernée prenne la fuite. L’intéressé devrait aussi avoir la possibilité de contester effectivement la décision en vertu de laquelle il est placé en détention.

Les migrants jouissent du droit à la liberté et du droit de ne pas être arrêtés arbitrairement. Par conséquent, des restrictions devraient être imposées à tout placement en détention ; il faut notamment exiger que l’incarcération soit légale, qu’elle soit justifiée à titre de mesure nécessaire et proportionnée conforme au droit international, qu’elle fasse l’objet d’un examen judiciaire et que sa durée soit aussi brève que possible.

Si les autorités mauritaniennes continuent à détenir les migrants par principe, Amnesty International les exhorte, au moins, à suivre les recommandations suivantes  :

  • les migrants ne devraient être placés en détention que si, dans chaque cas, il est démontré qu’il s’agit d’une mesure nécessaire et proportionnée conforme au droit international ;
  • les critères de détention doivent être clairement définis dans la loi ;
  • des mesures de substitution non privatives de liberté, telles que l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités, doivent toujours être envisagées avant de placer une personne en détention ;
  • la décision relative à la mise en détention doit toujours reposer sur une évaluation détaillée et personnalisée de la situation, y compris des antécédents de l’intéressé et du risque qu’il prenne la fuite. Cette évaluation doit tenir compte de la nécessité et du bien-fondé de l’incarcération, en déterminant notamment si elle est proportionnée à l’objectif à atteindre ;
  • la légitimité, la nécessité et le bien-fondé de chaque placement en détention doivent être automatiquement et régulièrement examinés au cours d’une audience devant un tribunal ou autre organe compétent, indépendant et impartial ; dans ce cas, le prévenu doit bénéficier d’une assistance juridique appropriée ;
  • les détenus ont le droit d’être informés par écrit du motif de leur placement en détention dans une langue qu’ils comprennent ;
  • la détention doit toujours être aussi brève que possible ; elle ne doit être ni prolongée ni indéfinie ;
  • la loi doit prévoir une durée maximale raisonnable de détention, à l’issue de laquelle l’intéressé sera automatiquement libéré ;
  • les migrants doivent bénéficier des services d’un avocat, de fonctionnaires consulaires (s’ils le souhaitent), d’un interprète et d’un médecin et être autorisés à recevoir l’aide des membres de leur famille, de leurs amis, des représentants de leur religion et des services sociaux ;

-*la loi doit interdire la détention d’enfants non accompagnés ;

  • toute allégation de racisme, de mauvais traitement et d’autres exactions dont aurait été victime une personne placée en détention doit entraîner l’ouverture immédiate d’une enquête conformément aux normes internationales applicables et des mesures appropriés, y compris disciplinaires ou pénales s’il y a lieu, doivent être prises à l’égard des responsables ;
  • la détention des migrants souffrant de problèmes psychologiques et des migrants appartenant aux groupes vulnérables, qui ont besoin d’une assistance spéciale, ne doit être autorisée qu’en tout dernier ressort ;
  • une assistance médicale et un soutien psychologique appropriés doivent être dispensés aux détenus.

En ce qui concerne le droit des réfugiés :

Amnesty International s’oppose à ce que les réfugiés et demandeurs d’asile soient placés en détention, sauf dans les circonstances très exceptionnelles prévues par le droit et les instruments internationaux. La détention n’est légale que lorsque les autorités peuvent démontrer qu’elle est nécessaire et proportionnée à l’objectif visé, en l’occurrence, qu’elle est fondée sur les motifs prévus par la loi et qu’elle survient pour l’une des raisons jugées légitimes en vertu des normes internationales et régionales applicables aux demandeurs d’asile.

Amnesty International s’oppose également au placement en détention de personnes qui ont demandé asile et dont la requête a été rejetée par les autorités, sauf, notamment, si les autorités responsables de la détention peuvent démontrer que la personne concernée risque effectivement de s’enfuir et que l’application d’autres mesures moins contraignantes (exiger, par exemple, que l’intéressé se présente régulièrement aux autorités) ne serait pas suffisante. Toute personne placée en détention doit être promptement traduite devant une autorité judiciaire et avoir la possibilité de contester la légalité de la décision en vertu de laquelle elle est incarcérée. La détention doit en outre être aussi brève que possible.

Si les autorités gouvernementales décident de continuer à mettre les demandeurs d’asile en détention, Amnesty International les exhorte, au moins, à suivre les recommandations suivantes  :

  • Les procédures nationales relatives à l’asile qui permettent d’identifier toutes les personnes ayant besoin de protection doivent fournir des informations afin d’assurer le droit fondamental de non-refoulement ;
  • Tous les demandeurs d’asile de quelque manière qu’ils pénètrent dans la juridiction d’un Etat doivent être référés à l’organe chargé de se prononcer sur les demandes d’asile.
  • L’organe chargé de se prononcer sur les demandes d’asile doit être un organisme indépendant et spécialisé ayant pour responsabilité unique et exclusive d’examiner les demandes d’asile et de se prononcer à leur égard.
  • Les membres de cet organe indépendant doivent être experts en matière de droit international des réfugiés et de législation internationale des droits de l’homme. Leur statut et la durée de leur mandat doivent offrir les garanties les plus solides possibles de compétence, d’impartialité et d’indépendance.
  • Les membres de cet organe indépendant doivent bénéficier des services d’un bureau de documentation qui doit être chargé de rassembler de façon impartiale, pour les leur fournir, des renseignements objectifs et indépendants sur la situation des droits de l’homme dans les pays d’origine des demandeurs d’asile ou dans tous pays où ils pourraient être envoyés.
  • Tous les demandeurs d’asile, à tous les échelons de la procédure, doivent pouvoir bénéficier d’un conseil juridique et de services d’interprètes ainsi que du droit d’entrer en relation avec le HCR.
  • Les demandes d’asile doivent être examinées en première instance au moyen d’une audience personnelle de chacun des demandeurs d’asile par les membres de l’organe indépendant chargé de se prononcer sur les demandes d’asile, au cours de laquelle les circonstances de chaque cas sont examinées à fond.
  • En cas de rejet de la demande, tous les demandeurs d’asile doivent en recevoir les raisons par écrit et ont le droit de faire appel d’une décision négative. L’appel doit normalement être de nature judiciaire et doit dans tous les cas avoir un effet suspensif sur l’expulsion.

B) Recommandations au gouvernement espagnol


En ce qui concerne les conditions de rétention de migrants en Mauritanie, Amnesty International appelle les autorités espagnoles à :

  • S’assurer auprès du gouvernement mauritanien que les droits des personnes détenues dans le centre de rétention de Nouadhibou réhabilité par le gouvernement espagnol sont respectés et notamment que les personnes se trouvant dans ce centre ne sont soumises à aucune forme de mauvais traitements ni d’humiliation.
  • S’assurer que l’accord de réadmission signé avec la Mauritanie n’entraîne pas des arrestations arbitraires de personnes accusées, sans preuves, de vouloir rejoindre illégalement l’Espagne.
  • S’assurer que les migrants illégaux rapatriés d’Espagne ou arrêtés parce que soupçonnés de vouloir rejoindre ce pays de manière illégale ne soient pas l’objet d’expulsions collectives, et que le renvoi des personnes n’ayant pas besoin d’une protection internationale soit organisé en tenant compte de leur dignité et de leur sécurité.
  • En ce qui concerne le traitement des migrants et des demandeurs d’asilequi parviennent en Espagne et notamment aux Îles Canaries, Amnesty International appelle les autorités espagnoles à :
  • Veiller à ce que les demandeurs d’asile ne soient pas renvoyés vers un pays où ils ne pourraient pas bénéficier de procédures d’asile équitables et satisfaisantes ;
  • Veiller à ce que les migrants et demandeurs d’asile aient librement et immédiatement accès aux avocats et aux ONG afin de pouvoir bénéficier de conseil juridique et d’une assistance humanitaire et d’un interprète ;
  • Veiller à ce que ces personnes aient rapidement accès à une autorité judiciaire notamment afin de pouvoir contester la légalité de leur détention ;
  • Veiller à ce que les personnes concernées aient immédiatement accès à des procédures d’asile équitables et satisfaisantes y compris des conseils juridiques et une assistance en matière d’interprétariat ainsi qu’un accès effectif à un droit de recours indépendant afin qu’ils puissent exprimer leur besoin de protection ;
  • Veiller à ce que personne ne soit renvoyé de force et ne se retrouve dans une situation où il encourrait le risque d’être soumis à des actes de torture ou d’autres mauvais traitements ;
  • Veiller à ce que les personnes concernées soient détenues conformément aux normes garantissant que les détenus sont traités avec humanité et que cela ne remette pas en cause la santé des personnes concernées.

C) Recommandations à l’Union européenne (UE)

Amnesty International appelle l’UE et ses États membres à :

  • Veiller à ce que la coopération entre la Mauritanie et l’UE en matière de migration, que ce soit dans le cadre de l’article 13 de l’Accord de Cotonou, d’accords de travail conclus dans le cadre de Frontex ou de coopération dans le cadre de conférences ministérielles sur la migration et le développement réunissant l’UE et des pays africains telles que celles organisées à Rabat et à Tripoli, soit fermement ancrée dans le respect des droits des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés et soit conforme au droit et aux normes internationaux relatifs aux droits humains.
  • Veiller à ce que les projets élaborés par l’UE et la Mauritanie afin de traiter des flux migratoires mixtes soient mis en œuvre dans le plein respect des droits fondamentaux des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés et qu’ils comprennent une surveillance efficace et indépendante des droits humains.
  • Soulever notamment la question de la détention arbitraire et du mauvais traitement des migrants et demandeurs d’asile ainsi que les conditions dans les centres de détention de Nouakchott et de Nouadhibou, dans le cadre des divers forums de discussion et de coopération entre l’UE et la Mauritanie. Cela doit comprendre le fait d’investir dans des projets garantissant un examen judiciaire approprié des décisions relatives à la détention et au renvoi de ces personnes et traiter de la question de l’absence d’assistance judicaire.
  • Faire en sorte que la politique actuelle et future de l’UE en matière de migration et d’asile respecte les droits des migrants, des demandeurs d’asile et des réfugiés, et que ces droits soient effectivement protégés, particulièrement en prenant les mesures ci-dessous.
  • Faire en sorte que les personnes qui, au sein de mouvements migratoires mixtes, ont besoin d’une protection internationale soient identifiées et véritablement protégées.
  • Veiller à ce que les demandeurs d’asile aient accès à des procédures équitables et efficaces, celles qui sont insuffisantes et inadaptées ne doivent pas être utilisées pour accélérer le renvoi des demandeurs d’asile.
  • Veiller à ce qu’aucun réfugié ou demandeur d’asile ne soit renvoyé dans un pays où il ne bénéficiera pas d’une véritable protection.
  • Veiller à ce que les personnes ayant besoin d’une protection internationale ne soient pas détenues arbitrairement ou inutilement et puissent bénéficier de l’ensemble de leurs droits aussi longtemps qu’elles sont sur le territoire de l’UE.
  • Veiller à ce que les migrants en situation irrégulière ne soient pas l’objet d’expulsions collectives, et que le renvoi des personnes n’ayant pas besoin d’une protection internationale soit organisé en tenant compte de leur dignité et de leur sécurité.
  • S’impliquer pleinement dans l’élaboration d’une stratégie concrète pour aborder les causes profondes des migrations.

Légende photo page de garde :

© AFP- Migrants interceptés en mer par les garde-côtes espagnols à Tenerife, dans les Iles Canaries (Espagne), le 10 septembre 2006

Notes

[1Pour un aperçu général de la position d’Amnesty International en ce qui concerne la
détention de migrants, de réfugiés et de demandeurs d’asile, voir le document : Amnesty
International : Détention et migration. La détention des migrants, demandeurs d’asile ou
réfugiés au regard des normes en matière de droits humains. Guide du chercheur,
novembre 2007, Index AI : POL 33/005/2007. Ce document précise la définition que donne
Amnesty International des termes de migrants, demandeurs d’asile et réfugiés : « Le terme
migrant » ne désigne pas les demandeurs d’asile ou les réfugiés, mais les personnes qui
quittent un endroit pour aller vivre et, généralement, travailler ailleurs, de manière
temporaire ou durable. À l’instar des demandeurs d’asile et des réfugiés, les migrants sont
parfois contraints d’abandonner leur pays, par exemple par manque de nourriture, d’eau
ou de logement, ou pour fuir un danger et protéger leur famille. Ils partent aussi pour
trouver un emploi ou pour rejoindre leurs proches. Beaucoup migrent pour plusieurs de ces
raisons à la fois.
Les termes « réfugié » et « demandeur d’asile » ont (…) le sens qui leur est donné par les
instruments internationaux visant à protéger les personnes qui fuient la persécution, les
conflits ou des atteintes à leurs droits fondamentaux. Outre les normes (…) qui
s’appliquent à tous les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile sont expressément
couverts par une série de normes spécifiques. »

[2Le présent rapport ne traite pas de l’actuel retour des Mauritaniens qui s’étaient réfugiés
dans les pays voisins et notamment le Sénégal, suite aux exactions commises à l’encontre
des Négro-Mauritaniens à la fin des années 1990.

[3Des migrants originaires d’autres régions d’Afrique, notamment de l’Afrique centrale,
mais également d’Asie ont tenté de rejoindre l’Europe via la Mauritanie.

[4Bien que la Mauritanie se soit retirée de la CEDEAO en 1999, ce pays continue de
respecter les dispositions relatives à la liberté de circulation au sein de cet ensemble sousrégional.

[5Le terme espagnol patera désigne une petite embarcation en bois à fond plat, utilisée par
les pêcheurs. Ce terme est généralement utilisé pour désigner les embarcations de fortune
utilisées par les migrants qui tentent de rejoindre l’Espagne par la mer.

[6En août et en septembre 2005, des centaines de migrants, qui tentaient de franchir la
frontière entre le Maroc et les enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla, ont essuyé les
tirs des forces de sécurité marocaines et espagnoles. Une dizaine d’entre eux ont été tués.
Ces événements ont conduit les autorités espagnoles et marocaines à renforcer les
mesures visant à dissuader les migrants de franchir la frontière. Amnesty International a
publiquement condamné à plusieurs reprises cet usage de la force illégal et
disproportionné. Voir notamment, Amnesty International, Espagne/Maroc. Les droits des
migrants pris entre deux feux, 3 octobre 2005, Index AI : EUR 41/011/2005 et
Espagne/Maroc. Les pressions exercées au sein de l’Union européenne pour ‘ne laisser entrer personne’ engendrent de graves violations des droits des migrants, 26 octobre
2005, Index AI : EUR 41/017/2005.

[7Les cayucos sont des embarcations plus robustes que les pateras. Ils mesurent entre 14
et 18 mètres et, en moyenne, 50 à 70 personnes peuvent s’y entasser. Ce type
d’embarcation est notamment utilisé par les pêcheurs de Nouadhibou pour aller pêcher en
mer.

[8Cette route, longue de 470 km, a été inaugurée en novembre 2005. Avant la construction
de cette route, il fallait emprunter une piste d’environ 500 km. Dans le meilleur des cas, le
voyage pouvait prendre une quinzaine d’heures, voire plusieurs jours. Sur une centaine de
kilomètres notamment, la piste suivait la côte atlantique. Mais pour rouler au ras des
vagues, il fallait souvent attendre que la marée se retire.

[9Selon une étude de deux universitaires français, « pour le seul mois de janvier 2006,
3 500 migrants débarquent aux Canaries. En février, mars et avril de la même année, pas
moins de cinq tentatives ont lieu chaque nuit. En mars, le Croissant-Rouge mauritanien
estime entre 700 et 800 le nombre de personnes qui partent quotidiennement de
Nouadhibou pour rallier les Canaries », voir Armelle Choplin et
Jérôme Lombard, Destination Nouadhibou pour les migrants africains, Revue Mappemonde, n° 88 (4-2007), http://mappemonde.mgm.fr/num16/lieux/lieux07401.html, consulté le 18
avril 2008.

[10Mot utilisé dans divers pays d’Afrique et notamment au Sénégal pour désigner la
personne qui réunit un certain nombre de voyageurs pour remplir des taxis brousse ou des
bus. Comme le précise un journaliste sénégalais : « [Les coxeurs] sont les intermédiaires
incontournables pour charger à plein les voitures des chauffeurs, qui se mènent une rude
concurrence pour trouver des passagers ». Voir Mamadou Mbengue, Sénégal : le petit
business des démarcheurs de passagers, sur le site d’Afrik.com,
http://www.afrik.com/article7941.html (consulté le 12 avril 2008).

[11Mot utilisé dans divers pays d’Afrique et notamment au Sénégal pour désigner la
personne qui réunit un certain nombre de voyageurs pour remplir des taxis brousse ou des
bus. Comme le précise un journaliste sénégalais : « [Les coxeurs] sont les intermédiaires
incontournables pour charger à plein les voitures des chauffeurs, qui se mènent une rude
concurrence pour trouver des passagers ». Voir Mamadou Mbengue, Sénégal : le petit
business des démarcheurs de passagers, sur le site d’Afrik.com,
http://www.afrik.com/article7941.html (consulté le 12 avril 2008).

[12L’Accord de Cotonou l’UE aux pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et
remplace le système des Conventions de Lomé, initié en 1975, qui avait mis en place la
politique communautaire de coopération entre les pays membres de l’UE et les pays ACP.

[13Lors du Conseil européen de Séville, les 21 et 22 juin 2002, les chefs d’État et de
gouvernement de l’UE ont décidé que : « Le Conseil européen demande instamment que,
dans tout futur accord de coopération, accord d’association ou accord équivalent que
l’Union européenne ou la Communauté européenne conclura avec quelque pays que ce
soit, soit insérée une clause sur la gestion conjointe des flux migratoires ainsi que sur la
réadmission obligatoire en cas d’immigration illégale. », Conclusions de la Présidence du
Conseil européen de Séville, paragraphe 33, 22 juin 2002.

[14L’Accord de réadmission entre l’UE et le Maroc, en discussion depuis plusieurs années,
n’est toujours pas signé à ce jour car les autorités marocaines refusent de réadmettre des
ressortissants d’États tiers. Néanmoins, les négociations se poursuivent.

[15Aux termes de l’article 2 du Règlement portant création de l’Agence Frontex, celle-ci a
six tâches principales : 1) coordonner la coopération opérationnelle entre les États
membres en matière de gestion des frontières extérieures ; 2) assister les États membres
pour la formation des garde-frontières nationaux ; 3) effectuer des analyses de risques ; 4)
suivre l’évolution de la recherche dans les domaines présentant de l’intérêt pour le
contrôle et la surveillance des frontières extérieures ; 5) assister les États membres dans
les situations qui exigent une assistance technique et opérationnelle renforcée aux
frontières extérieures ; 6) fournir aux États membres l’appui nécessaire pour organiser des
opérations de retour conjointes. (Voir Règlement (CE) n° 2007/2004 du Conseil du 26
octobre 2004 portant création d’une Agence européenne pour la gestion de la coopération
opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne, JO L
349 du 25.11.2004). Le budget de Frontex comprend notamment une subvention de la
Communauté inscrite au budget général de l’Union européenne, une contribution financière
des pays associés à la mise en oeuvre, à l’application et au développement de l’acquis de
Schengen, les redevances perçues en rémunération de services et toute contribution
volontaire des États membres. Ce budget n’a cessé d’augmenter. Il était de 14 millions
d’euros en 2005 et de 32 millions d’euros en 2006. En décembre 2007, le Parlement
européen a accepté la proposition de la Commission de doubler ce budget en affirmant que
« Compte tenu de l’urgence des problèmes d’immigration, le Parlement … a décidé de
doubler les montants affectés à l’Agence [Frontex]. Le budget prévu pour Frontex s’élève
donc à 70 millions d’euros au total », voir Le Parlement adopte le budget de l’Union
européenne pour 2008, voir le site du Parlement européen :
http://www.europarl.europa.eu/news/expert/infopress_page/034-15283-344-12-50-905-
20071213IPR15281-10-12-2007-2007-true/default_fr.htm, consulté le 20 avril 2008. Les
moyens matériels et humains sont, quant à eux, mis à disposition par les États membres.
Les activités de l’Agence dépendent donc de la volonté des Etats à débloquer les fonds et
le matériel nécessaire à telle ou telle opération.

[16Informations recueillies par Amnesty International lors d’une rencontre le 28 avril 2008.

[17Voir le Rapport annuel 2006 de Frontex, p. 13.
http://www.frontex.europa.eu/gfx/frontex/files/justyna/microsoft_word_-_frontex-2008-
0001-00-00-enfr.pdf.
Par ailleurs, le contrôle par le gouvernement espagnol des flux migratoires irréguliers vers
les Îles Canaries semble avoir atteint une bonne partie de ses objectifs. Selon les chiffres
publiés par le ministère espagnol de l’intérieur en janvier 2008, le nombre de migrants
arrivant par bateau de manière irrégulière aux Iles Canaries était passé de 31 678 en 2006
à 12 478 en 2007 soit une réduction de 60,6%. Voir Balance de la Lucha contre la
Inmigración ilegal, sur le site www.mir.es, consulté le 29 janvier 2008.

[18Les forces de sécurité désignées par les migrants comme des « militaires » semblent, en
fait, être plutôt des gendarmes mauritaniens. C’est ce qui a été précisé à Amnesty
International par le Directeur régional de la Sûreté nationale de Nouadhibou : « « Sur les
plages, c’est la gendarmerie qui est compétente, c’est elle qui est chargée d’arrêter les
migrants, de ramasser les cadavres rejetés par la mer et d’agir en faveur de ceux qui sont
en détresse ».

[19Ainsi, aux termes de la Loi n° 65.046 du 23 février 1965 portant dispositions pénales
relatives au régime de l’immigration, tout étranger qui aurait omis ou négligé de remplir la
fiche de renseignement prévue dans la loi ou qui y aurait inscrit sciemment des
renseignements faux, incomplets ou inexacts ainsi que les voyageurs qui auraient refusé
de donner à leurs logeurs les renseignements d’identité requis ou qui auraient fourni des
renseignements inexacts et ceux qui auraient omis de viser leur carte d’identité, soit à
l’occasion de leur changement de résidence dans les conditions fixées par la loi ou à
l’occasion de leur sortie du territoire national mauritanien, sont passibles d’une amende
pénale et/ou d’une peine d’emprisonnement de deux à six mois. Pour plus de détails sur
les conditions légales d’accès au territoire mauritanien, voir le Mémorandum du Professeur
Haimoud Ould Ramdam, Droit des étrangers et protection des réfugiés en Mauritanie,
Revue juridique de droit mauritanien, avril 2007.

[20Communiqué de presse du Groupe de travail sur la détention arbitraire, Le groupe de
travail sur la détention arbitraire conclut sa mission en Mauritanie, 1er mars 2008. Ce
groupe de travail n’a pas encore publié son rapport.

[21Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme
quelconque de détention ou d’emprisonnement, adopté par l’Assemblée générale des
Nations unies dans sa résolution 43/173 du 9 décembre 1988.

[22Avant l’ouverture de ce centre de rétention, les migrants arrêtés par la police étaient
notamment détenus au commissariat No 6 de Nouadhibou.

[23Réunion mauritano-espagnole sur l’immigration, Communiqué conjoint, Nouakchott, 16
mars 2006.

[24Tout au long de ce texte, Amnesty International désigne ce lieu sous le nom de « centre
de rétention ».

[25Les expulsions collectives de migrants vers l’Algérie, effectuées par le Maroc, ont été
dénoncées par Amnesty International. Voir notamment : Amnesty International. Espagne et
Maroc. Un an après Ceuta et Melilla - les droits des migrants sont toujours en danger, octobre 2006, Index AI : EUR 41/009/2006.

[26Voir Annexe 1, l’intégralité du témoignage d’un de ces migrants qui donne une idée du
périple et des souffrances endurées par les migrants à travers plusieurs pays.

[27Lors d’une rencontre, le 3 mars 2008, avec le Directeur régional de la Sûreté nationale
de Nouadhibou, celui-ci a indiqué à la délégation d’Amnesty International que deux renvois
étaient prévus pour le lendemain [4 mars]. Deux bus comprenant chacun 20 migrants et 2
policiers devaient se rendre respectivement à Rosso et à Gogui. Ce renvoi coûtait en tout
352 000 ouguiyas (environ 975 euros). La location du bus coûtait 190 000 ouguiyas
(environ 526 euros) pour Gogui, et 90 000 ouguiyas (environ 249 euros) pour Rosso. Le
Directeur régional de la Sûreté nationale a expliqué cette différence de coût par le fait que
l’expulsion vers le Sénégal était moins chère, la distance à parcourir étant moindre.

[28Interrogé par Amnesty International sur l’identité de ces partenaires internationaux, le
consul d’Espagne à Nouadhibou a affirmé que le gouvernement espagnol ne participait en
aucun cas aux frais de ces expulsions

[29Le Front Polisario appelle à la mise en place d’un État indépendant au Sahara occidental,
que le Maroc et la Mauritanie ont administré dès 1975 suite au retrait des Espagnols de ce
territoire. Un conflit a opposé le Front Polisario au Maroc et à la Mauritanie. En 1979, la
Mauritanie a signé un accord de paix avec le Front Polisario en déclarant « renoncer à
toutes ses revendications territoriales et sortir définitivement de la guerre ». Le Maroc a
annexé la zone laissée vacante par l’armée mauritanienne. La confrontation armée entre le
Maroc et le Front Polisario, qui a constitué un gouvernement en exil autoproclamé dans des
camps de réfugiés du sud-ouest de l’Algérie, s’est poursuivie jusqu’en 1988, date à laquelle
les deux parties ont accepté un plan de résolution du conflit préparé par les Nations unies.
La mise en oeuvre de ce plan continue de faire l’objet de négociations entre les parties sous
l’égide des Nations unies.

[30Voir le communiqué de presse de Médicos del Mundo, Médicos del Mundo denuncia el
abandono de 53 inmigrantes en el desierto entre Sahara Occidental y Mauritania, 29 août
2006.

[31Pour une analyse générale de la politique espagnole envers les migrants et les réfugiés,
voir notamment le document d’Amnesty International : Spain : The Southern Border. The
State turns its back on the human rights of refugees and immigrants, 20 juin 2005, Index
AI : EUR 41/008/2005.

[32On a appris en avril 2007 que sur les 369 personnes qui se trouvaient à bord du Marine I,
35 auraient été renvoyées en Guinée, 161 en Inde et 115 au Pakistan

[33Le HCR collabore avec des partenaires opérationnels locaux qui sont chargés de recevoir
les demandeurs d’asile, de recueillir leur demande d’admission au statut de réfugié et de
leur fournir une certaine assistance. Lorsque la délégation d’Amnesty International s’est
rendue en Mauritanie, deux ONG locales collaboraient avec le HCR : l’Association
mauritanienne de lutte contre la pauvreté (ALPD) et l’Association pour la Protection de l’Environnement et Action Humanitaire (APEAH), présentes respectivement à Nouakchott et
à Nouadhibou.

[34Il s’agit de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et de la Convention de
l’O.U.A. régissant les aspects propres aux problèmes de réfugiés en Afrique de 1969.

[35Article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

[36Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et
des membres de leur famille, Adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution
45/158 du 18 décembre 1990.

[37Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et
des membres de leur famille, article 22.

[38Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Recommandation générale no. 30 :
recommandation générale concernant la discrimination contre les non-ressortissants, 1
octobre 2004

[39Rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des travailleurs migrants, 25
février 2008, Doc. ONU A/HRC/7/12, paragraphe 42.

[40Rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des travailleurs migrants,
paragraphe 19.

[41Comité des Nations unies sur l’élimination de la discrimination raciale. Recommandation
générale 30 : recommandation générale concernant la discrimination contre les nonressortissants,
CERD/C/64/Misc.11/rev.3, 46e session, paragraphes 19 et 21.

[42Un autre responsable de la Sûreté nationale de Nouadhibou a admis que ses services
procédaient parfois à des arrestations dans des domiciles privés lorsque des migrants s’y trouvaient réunis avec leurs valises. Il a indiqué que ce type de rassemblement était
considéré comme une preuve de préparation au départ pour l’Europe. Ce responsable a
qualifié ce type d’arrestation de « flagrant délit ».

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