« Le policier qui m’a arrêté cinq fois et torturé à deux reprises est aujourd’hui mon meilleur ami »

Justine Ijeomah vit au Nigéria où la torture est pratiquée en toute impunité par les membres de la police et de l’armée et aboutit souvent à des aveux forcés. Il est directeur de l’HURSDEF, une organisation nigériane de défense des droits humains. Il se rend régulièrement dans les centres de détention et bureaux de police afin d’empêcher les actes de torture et d’obtenir la libération des individus sous caution dont beaucoup sont des enfants. De passage à Bruxelles, nous avons pu interroger ce défenseur des droits humains haut en couleurs qui a risqué sa vie à plusieurs reprises.

Qui sont les victimes de la torture au Nigéria ?

Les enfants des rues sont particulièrement visés par les policiers. Au Nigéria, les victimes de torture signent des aveux qui sont en permanence utilisés dans les tribunaux pour les condamner. Cela signifie que des innocents sont condamnés à mort. Le système est corrompu, aussi bien au niveau de la police qu’au niveau des tribunaux et des prisons. On voit aussi de plus en plus de cas dans lesquels des policiers augmentent l’âge des enfants sur les registres pour pouvoir les traiter comme des adultes. La police peut donc maintenir des enfants en garde à vue en prison au lieu de les laisser rentrer chez eux.

Comme Moses Akatukba, arrêté à 16 ans et condamné à mort pour le vol de trois téléphones ?

Oui, tout à fait. Moses Akatukba a été arrêté en novembre 2005 par l’armée nigériane pour vol de téléphones. Il a été amené dans une caserne où on lui a demandé d’identifier le corps d’un officier mort et d’avouer qu’il était le meurtrier. Il a répondu qu’il ne le connaissait pas et c’est là qu’ils ont commencé à le torturer. On l’a pendu par les mains et par les pieds. On lui répétait qu’il avait volé un téléphone et qu’il devait signer des aveux, mais lui répondait que ce n’était pas vrai. Ils ont alors commencé à lui arracher ses ongles et des morceaux de peau de ses doigts. Finalement, Moses n’a pas eu d’autre choix que de signer leur déclaration.

La torture, vous connaissez…

J’ai été torturé, oui. J’ai été arrêté vingt-cinq fois, j’ai survécu à deux tentatives d’assassinat et ma famille et moi avons été déplacés à deux reprises. Un jour, ils m’avaient arrêté, car je voulais défendre un enfant qui allait être torturé. Lorsqu’ils m’ont emmené, ils se sont mis à rire et m’ont dit : « Ah, on vous a enfin eu, Monsieur droits humains ! ». L’officier en charge, qui occupe toujours son poste actuellement, m’avait placé assis devant un mur. Il m’a demandé si j’étais bien Justine Ijeomah. Lorsque je lui répondis que oui, l’officier a enfoncé ses doigts dans mon œil gauche. Je ne pouvais plus rien voir. Il a ensuite pris fermement ma tête entre ses deux mains et l’a cognée contre le mur en béton à quatre reprises, jusqu’à ce que je m’évanouisse. On m’a ensuite conduit à l’hôpital où j’ai subi une opération. J’ai finalement été relâché grâce à l’aide d’Amnesty International et d’autres organisations, mais, aujourd’hui encore, je souffre de maux de tête.

Afin de protéger les enfants des rues, nous avons commencé à leur distribuer des « passeports des droits humains », un projet lancé par Amnesty International Belgique francophone


Quel est votre travail au quotidien ?

Nous allons dans les centres de détention pour obtenir la relaxe de détenus. Ceux-ci sont souvent des personnes très pauvres, qui n’ont pas les moyens de se payer les services d’un avocat. Régulièrement, la police arrête des individus pour leur extorquer de l’argent. Certaines personnes sont victimes de torture et les membres de leur famille doivent payer pour qu’elles soient relâchées. La police agit quasiment en toute impunité parce qu’il n’existe aucune loi qui criminalise la torture au Nigéria. Afin de protéger les enfants des rues, nous avons commencé à leur distribuer des « passeports des droits humains », un projet lancé par Amnesty International Belgique francophone lors du soixantième anniversaire de la Déclaration des droits de l’homme. Ces passeports sont très utiles, car je peux y mettre la photo de l’enfant, mon nom et mon numéro de téléphone. Lorsque des policiers l’arrêteront, ils verront qu’il est un « enfant des droits humains », comme on les appelle, et qu’ils ne pourront pas lui soutirer de l’argent. Lorsqu’ils m’appelleront, je leur répondrai que je connais cet enfant et eux savent que nous ne payons pas de pots-de-vin.

On a aussi des bénévoles secrets au sein de la police qui sont très actifs. Je suis d’ailleurs très heureux de vous dire que le policier qui m’a arrêté cinq fois et torturé à deux reprises est aujourd’hui mon meilleur ami

À l’heure actuelle, les choses ont-elles changé ?

Aujourd’hui, lorsqu’un enfant est arrêté, je n’ai plus besoin de me rendre sur place ; il suffit d’un coup de téléphone pour qu’il soit libéré. Il peut se présenter comme « l’enfant du défenseur des droits humains », c’est-à-dire mon enfant. Généralement, dans les commissariats, les policiers mettent en ligne les enfants qu’ils ont arrêtés et demandent que tous ceux qui me connaissent lèvent la main. Les policiers s’avancent vers ces enfants et leur disent alors : « Dis à ton père que je t’ai libéré ». On a aussi des bénévoles secrets au sein de la police qui sont très actifs. Je suis d’ailleurs très heureux de vous dire que le policier qui m’a arrêté cinq fois et torturé à deux reprises est aujourd’hui mon meilleur ami. Les policiers qui luttent pour notre cause ne défient pas directement les tortionnaires. Ils nous donnent les noms des victimes et nous pouvons ainsi appeler directement les bons numéros.

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