CONCLUSION

Si l’on veut appréhender la réalité de la tragédie du récent passé de la RDC, il faut aller au-delà des chiffres et écouter ce que racontent les gens ordinaires sur l’anéantissement de leur vie. Mais même lorsqu’on écoute le récit d’une femme violée en réunion par des miliciens devant les yeux de son époux et de ses enfants ; d’un homme qui a vu mourir son épouse et leurs enfants abattus à ses pieds par une volée de balles tirés par des miliciens ; ou lorsqu’on tente de comprendre cette adolescente qui explique les larmes aux yeux comment son père a été abattu à coups de hache dans le domicile familial ; ou lorsqu’on écoute un enfant soldat nous dire comment il a été contraint sous la menace d’une arme de tirer une roquette sur un bâtiment abritant des détenus civils ; ou l’histoire de cette orpheline enlevée par un groupe armé et exploitée comme un objet sexuel par des dizaines de soldats chaque nuit, même dans ce cas, il est difficile de comprendre toute l’étendue et les implications à long terme des souffrances endurées par les populations de RDC.

Depuis le début du conflit, Amnesty International a rassemblé des informations, rédigé des rapports et lancé des campagnes sur la crise des droits humains en RDC. Des exactions systématiques et sur une grande échelle ont été commises par toutes les parties au conflit. Dans ses rapports, Amnesty International a traité une large variété de préoccupations en matière de droits humains : exécutions illégales, homicides commis sans discrimination, violence visant des groupes ethniques particuliers, viols et autres actes de torture, ’disparitions’, déplacements forcés, détention arbitraire, justice sommaire et recours à la peine de mort.

Dans ses rapports récents, Amnesty International a pris soin d’expliquer le contexte politique dans lequel ces atteintes aux droits humains ont été commises et les facteurs sous-jacents qui perpétuent cette guerre. Les termes employés par ces responsables pour justifier la violence et dont ils se servent pour nommer leur mouvement (démocratie, libération, populaire) sonnent creux dans leur bouche. Peu de groupes armés opérant en RDC, voire même aucun de ces groupes, peuvent revendiquer de façon plausible une quelconque légitimité populaire ou politique, au-delà de ce qu’ils s’accordent eux-mêmes à la pointe du fusil. La grande majorité des Congolais n’a jamais voulu cette guerre et ne peut qu’en subir les conséquences. Son souhait le plus ardent, c’est que cette guerre prenne fin.

Dans ses précédents rapports, Amnesty International avait abordé d’autres aspects clefs du conflit en RDC. C’est pour cela que, dans le présent document, l’organisation a décidé de s’attaquer à la question des enfants soldats. L’étendue du phénomène est extraordinaire. Des dizaines de milliers d’enfants, à partir de l’âge de 7 ans, servent, volontairement ou non, dans les rangs des forces et des groupes armés. Et ce depuis 7 années. On ne saura sans doute jamais le nombre exact des milliers d’enfants morts sur les champs de bataille de la RDC, loin de chez eux et dont les corps criblés de balles ou découpés à coups de hache n’ont jamais été enterrés. Ce dont nous sommes certains c’est que l’exploitation sans scrupule des enfants du Congo par les dirigeants des forces armées pour satisfaire leurs objectifs matériels et politiques, est l’une des atteintes les plus monstrueuses aux droits humains de tout le conflit en RDC.

En dépit du nombre important d’instruments juridiques ratifiés par le gouvernement de Kinshasa et par les gouvernements étrangers impliqués dans le conflit, des enfants soldats continuent d’être envoyés sur le front. En contradiction totale avec les engagements publics donnés à la communauté internationale, en faveur de leur démobilisation, presque toutes les forces armées continuent de recruter des enfants ou recrutent de nouveau d’anciens enfants soldats qui viennent justes d’être démobilisés.

Le nouveau gouvernement de transition qui a été formé en juillet 2003 a déclaré son intention de tenir des élections nationales et démocratiques dans deux ans, d’entamer un projet de nouvelle constitution et de créer une armée future unifiée, au sein de laquelle seront incorporés tous les anciens soldats de toutes les parties au conflit. Mais alors même que ce long processus démarre, des enfants continuent d’être recrutés et utilisés illégalement par les mêmes forces représentées dans le processus de paix. De prime abord le gouvernement de transition doit veiller à ce qu’aucun enfant de moins de 18 ans ne soit incorporé au sein de la nouvelle armée unifiée.

Il est grand temps que les dirigeants militaires et politiques en finissent avec des exercices de relations publiques et qu’ils fassent preuve d’un engagement sincère à mettre fin à l’utilisation des enfants soldats en RDC. Quiconque est soupçonné de recruter et d’utiliser des soldats devrait être immédiatement démis de ses fonctions de commandement et de contrôle par des gouvernements et des dirigeants des groupes armés. Pour lutter contre la culture d’impunité autour du phénomène des enfants soldats, et pour décourager quiconque de recruter et d’utiliser des enfants, les recruteurs doivent être traduits devant des tribunaux nationaux ou internationaux. la communauté international a un devoir légal d’aider le gouvernement de la RDC à tenir les recruteurs pour responsables de leurs actes et à les traduire en justice au niveau international en cas d’échec de la justice nationale.

Au-delà de l’abolition du recrutement et de l’utilisation des enfants soldats, le gouvernement de transition doit également traiter les questions du développement économique et des efforts de paix, afin que la démobilisation et la réinsertion des anciens enfants soldats soient durables. Si ces questions ne sont pas traitées correctement, les répercussions de l’utilisation des enfants en tant que soldats, pour le pays entier et en particulier pour les enfants du Congo, seront profondes et durables.

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