Cour pénale internationale : 9 questions à propos de l’affaire {Le Procureur c. Germain Katanga}

1. Qui est Germain Katanga et pourquoi est-il jugé par la Cour pénale internationale (CPI) ?

En 2007, la CPI a émis un mandat d’arrêt concernant Germain Katanga (également connu sous le nom de « Simba »), l’accusant d’avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité lors d’une attaque menée début février 2003 contre Bogoro, un village dans le district de l’Ituri, en République démocratique du Congo (RDC). Il s’agit de la troisième décision rendue par la CPI ; les deux affaires précédentes concernaient également la situation en RDC. Le Procureur accuse Germain Katanga d’avoir participé à l’attaque en tant que chef des Forces de résistance patriotique en Ituri (FRPI).
Germain Katanga est poursuivi pour sept chefs de crimes de guerre et trois chefs de crimes contre l’humanité. L’attaque de Bogoro a fait au moins 200 victimes civiles, principalement de l’ethnie Hema. D’après un rapport de l’ONU, 100 rescapés de l’attaque affirment qu’« environ 260 personnes ont été tuées et 70 sont portées disparues. Parmi les victimes, 173 avaient moins de 18 ans. » Le Procureur affirme également que le village a été pillé par des membres des FRPI, que des femmes ont été enlevées et réduites à l’esclavage sexuel, que certains survivants de l’attaque ont été emprisonnés dans un bâtiment rempli de cadavres et que des enfants soldats ont été utilisés pour cette attaque.

2. Quelle importance l’affaire Le Procureur c. Katanga revêt-elle ?

En 2004, la RDC a demandé au Procureur de la CPI d’enquêter sur les crimes relevant de la compétence de la Cour commis sur le territoire de la RDC depuis le 1er juillet 2002. La décision dans l’affaire Katanga est la troisième rendue par la CPI en rapport avec ces crimes.
Depuis 20 ans, les provinces de l’est de la RDC sont touchées par des périodes successives d’instabilité et de conflit armé. Plusieurs groupes armés, des armées étrangères et les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC, l’armée nationale du Congo) se livrent une bataille violente pour le contrôle politique et militaire du territoire et de ses ressources. Malgré la fin officielle des hostilités en 2003, la violence dans l’est de la RDC se poursuit, alors que des groupes armés mènent des opérations sporadiques contre des civils, qui sont victimes de meurtre, de viol et de violences sexuelles, de déplacement forcé, de conscription et d’enrôlement d’enfants soldats et de pillage. Le travail de la CPI dans l’affaire Katanga et dans les autres affaires dont elle est saisie vise à donner aux victimes du long conflit qui secoue la RDC l’espoir de faire respecter leurs droits à la justice, la vérité et la réparation.
La décision sera également importante en ce sens qu’elle portera sur des chefs de violence sexuelle et de violences liées au genre, y compris de viol et d’esclavage sexuel. Germain Katanga est également accusé d’avoir utilisé des enfants de moins de 15 ans et de les avoir fait participer à l’attaque à la fois en tant que combattants et en tant qu’escortes de l’accusé. Ces crimes ont été commis à très grande échelle et en toute impunité. Les victimes de violences sexuelles et les anciens enfants soldats sont souvent stigmatisés au sein de leur communauté. Or, cette affaire pourrait remettre en question contre cette stigmatisation et établir un précédent important que les tribunaux de RDC pourraient suivre pour punir efficacement ces crimes.

3. Quelles autres actions la CPI a-t-elle entreprises pour enquêter et poursuivre les auteurs présumés de crimes dans le conflit en RDC ?

Les enquêtes de la CPI sur les crimes commis en RDC ont commencé peu après la création de la Cour ; elles se sont concentrées sur les crimes commis dans l’est du pays, dans le district de l’Ituri et dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.
À ce jour, la CPI a ouvert deux autres affaires en rapport avec des crimes commis en RDC. Le 14 mars 2012, Thomas Lubanga Dyilo a été reconnu coupable du crime de guerre de conscription et d’utilisation d’enfants soldats dans les Forces patriotiques pour la libération du Congo, un groupe armé présent dans plusieurs localités autour du Bunia et dans le reste du district de l’Ituri en 2002 et 2003. Il a été condamné à un total de 14 ans d’emprisonnement ; l’appel de la décision et de la peine est en cours. Mathieu Ngudjolo Chui a été acquitté le 18 novembre 2012 de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, qu’il était accusé d’avoir commis au cours de l’attaque contre Bogoro, pour laquelle Germain Katanga est poursuivi. Le procureur a interjeté appel de cette décision.
Une autre affaire contre Bosco Ntaganda est à l’étape préliminaire. Bosco Ntaganda, ancien chef adjoint présumé de l’état-major général responsable des opérations militaires des Forces patriotiques pour la libération du Congo, est accusé de sept chefs de crimes de guerre pour l’enrôlement, la conscription et l’utilisation d’enfants soldats pour commettre des hostilités, des meurtres, des attaques contre une population civile, des viols et des actes de réduction à l’esclavage sexuel et des pillages, commis en Ituri en 2002 et 2003. Il est, en outre, accusé de trois chefs de crimes contre l’humanité : meurtre, viol et réduction à l’esclavage sexuel et persécution. Un autre accusé, Sylvestre Mudacumura, est en fuite. Commandant suprême présumé des Forces démocratiques de libération du Rwanda, il est recherché par la CPI pour des crimes qui auraient été commis dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, notamment neuf chefs de crimes de guerre, commis entre le 20 janvier 2009 et septembre 2010. Un sixième accusé dans les affaires impliquant des crimes commis en RDC, Callixte Mbarushimana, a été libéré en décembre 2011, après que les juges ont refusé de confirmer les charges portées contre lui par le Procureur de la CPI, faute de preuves suffisantes.
La CPI continue à enquêter sur les crimes commis dans le pays et le Procureur pourrait ouvrir de nouvelles affaires.

4. Qu’a fait la CPI pour les victimes et les communautés touchées par l’affaire Katanga ?

Au moins 363 victimes participent à l’affaire contre Germain Katanga. Elles sont représentées par des avocats qui font valoir leur point de vue devant la Cour. Ces victimes sont divisées en deux groupes. Un groupe est composé de victimes « générales » ; l’autre, plus restreint, comprend les anciens enfants soldats.
Si Germain Katanga était reconnu coupable, la Cour pourrait le condamner à indemniser les victimes pour les souffrances auxquelles elles ont dû faire face en conséquence des crimes. Le cas échéant, si l’accusé n’a pas les fonds suffisants pour respecter une décision de réparation, le Fonds au profit des victimes de la CPI pourra intervenir pour indemniser les victimes.
Depuis 2008, le Fonds au profit des victimes de la CPI a déjà apporté une « aide générale » aux victimes de l’Ituri, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Grâce aux contributions volontaires de donateurs, principalement des États, il offre une aide physique et psychologique, ainsi qu’un appui matériel à des dizaines de milliers de victimes directes et indirectes du conflit dans l’est de la RDC. Par exemple, le Fonds au profit des victimes a financé des conseils et une formation à des victimes de torture et de mutilation au Sud-Kivu, ainsi qu’un soutien matériel et psychologique à des victimes de violences sexuelles et de violences liées au genre en Ituri. La différence qu’a déjà faite le Fonds au profit des victimes de la CPI dans la vie des victimes montre l’importance de la présence de la CPI en RDC, sans compter les efforts de la justice.

5. Que signifierait une condamnation de Germain Katanga ? Et un acquittement ?

Dans cette affaire, une condamnation ne signifierait pas le succès et un acquittement ne serait pas synonyme d’échec. Un verdict de « coupable » ou « non coupable » reflète la capacité de l’accusation à présenter des preuves admissibles suffisantes pour prouver, au-delà du doute raisonnable, que Germain Katanga a commis les crimes dont il est accusé. La défense et l’accusation peuvent toutes deux interjeter appel de la décision, qu’il s’agisse d’une condamnation ou d’un acquittement.

Si Germain Katanga est condamné, sa peine sera prononcée lors d’une étape séparée, au cours de laquelle les juges étudieront les circonstances aggravantes et atténuantes ; le processus de réparation pourra commencer.

S’il est acquitté, les juges demanderont que Germain Katanga soit envoyé le plus rapidement possible vers un pays souhaitant l’accueillir. Toutefois, si le Procureur fait appel de la décision, les juges peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, et en considérant le risque concret de fuite, la gravité des chefs d’accusation et la probabilité de succès de l’appel, ordonner que l’accusé reste en détention dans l’attente de l’appel.

6. Quel impact ce jugement devrait-il avoir en RDC ?

Alors que l’arrivée à son terme du procès de Germain Katanga est une nouvelle étape importante de la lutte contre l’impunité en RDC, cette affaire ne porte que sur une fraction minime des crimes relevant du droit international commis en RDC ces dernières années. L’affaire Katanga devrait inciter les autorités de RDC à combler l’immense « espace d’impunité » dont bénéficient les auteurs de crimes odieux commis contre leur peuple.
Depuis deux ans, des chercheurs d’Amnesty International signalent les nombreuses graves violations des droits humains et du droit humanitaire commises par des groupes armés dans le Nord-Kivu et appellent le gouvernement congolais à respecter son engagement à enquêter et poursuivre les auteurs présumés de violations des droits humains. Dans son discours du 23 octobre 2013, le président Joseph Kabila a déclaré que le gouvernement s’engageait à identifier et à poursuivre les personnes organisant des groupes armés. [« Il y a lieu d’identifier et de traduire en justice les personnes qui entretiennent les groupes armés. »]
Pourtant, le système judiciaire continue à délaisser les victimes de violations des droits humains : le personnel et les ressources manquent cruellement, les installations de détention sont inadaptées et il n’y a pas suffisamment de programmes de protection des victimes. Amnesty International appelle régulièrement les autorités de la RDC à éliminer les entraves à la justice pour les victimes en prenant toutes les mesures nécessaires pour adopter une stratégie exhaustive de réforme de la justice pénale sur le long terme.

7. D’après Amnesty International, qu’est-ce qui devrait être fait pour mettre un terme à l’impunité en RDC ?

La CPI ne peut pas mettre un terme à l’impunité de façon globale toute seule. Concrètement, elle ne pourra traiter que quelques affaires. Ainsi, en parallèle des enquêtes menées et des affaires ouvertes par la CPI, les autorités de la RDC doivent faire plus, à la fois en matière de droit et en pratique, pour faire régner l’état de droit et faire respecter les droits des victimes de violations passées et actuelles. Les autorités de la RDC doivent éliminer les entraves à la justice pour les victimes et s’efforcer de garantir la justice au sein du système national en prenant toutes les mesures nécessaires pour adopter une stratégie exhaustive de réforme de la justice pénale sur le long terme.
L’impunité doit cesser. Les autorités doivent prendre des mesures plus efficaces pour enquêter sur les milliers d’autres crimes relevant du droit international, y compris des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, commis dans le pays. Lorsque des preuves suffisantes existent, les personnes soupçonnées de ces crimes doivent être traduites en justice, selon des procédures conformes aux règles d’équité des procès. La création de systèmes de justice et de sécurité robustes en RDC implique non seulement de poursuivre les membres de groupes armés, mais aussi d’enquêter et de poursuivre les membres des services de sécurité nationaux qui seraient responsables de crimes graves, indépendamment de leur statut politique ou militaire. Les autorités de la RDC doivent également coopérer pleinement dans toutes les affaires de la CPI, notamment en arrêtant et en remettant à la CPI Sylvestre Mudacumura, toujours en fuite.
De plus, la sécurité durable pour les populations de l’est de la RDC reste toujours un objectif lointain. Aujourd’hui, l’échelle des crimes relevant du droit international dans le district de l’Ituri est moindre qu’il y a dix ans. Toutefois, des groupes armés continuent à opérer dans le district de l’Ituri et dans l’est de la RDC, où ils mènent des attaques et terrorisent les populations locales. Par exemple, dans le district de l’Ituri, des membres des FRPI auraient commis de nouveaux enlèvements de civils début 2014. D’autres groupes armés, tels que l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), les Forces démocratiques alliées (ADF) et les FDLR, continuent également à opérer dans la province orientale, au Nord-Kivu et au Sud-Kivu.

8. L’affaire Katanga confirme-t-elle que la CPI vise les Africains de façon injuste ?

Très clairement, non. Au contraire, l’affaire Katanga confirme l’immense demande de justice internationale en Afrique. Les États et les personnes africains ont été sensibilisés aux mécanismes de la justice internationale en raison de l’impunité dont bénéficient les auteurs de graves violations des droits humains et de crimes relevant du droit international dans de nombreux pays d’Afrique. Cela est fortement lié au fait que des millions d’Africains exigent le droit à la justice, à la vérité et à la réparation pour les victimes. C’est ainsi que des États africains ont demandé à des tribunaux pénaux internationaux de les aider à traduire en justice les auteurs présumés de crimes relevant du droit international. C’est précisément ce qu’a fait la RDC, qui a été le premier État à demander à la CPI d’enquêter sur des crimes relevant de sa compétence.

En réalité, pour toutes les situations dans lesquelles la CPI enquête actuellement sauf trois, ce sont des États africains eux-mêmes qui ont demandé à la CPI d’intervenir, car ils ne pouvaient pas traduire en justice les auteurs présumés de tels crimes (RDC, RCA, Ouganda, Côte d’Ivoire et Mali). Deux autres situations ont été renvoyées devant la CPI par le Conseil de sécurité de l’ONU avec le soutien de ses membres africains. Enfin, le Procureur a lancé une enquête sur la situation au Kenya après avoir donné au gouvernement toute la latitude pour ouvrir des enquêtes et lancer des poursuites nationales, en vain.

Amnesty International rappelle par ailleurs que la Cour pénale internationale mène des enquêtes préliminaires dans de nombreuses situations en dehors d’Afrique, notamment en Afghanistan, en Colombie, en Géorgie, au Honduras et en République de Corée.

9. Pourquoi Amnesty International soutient-elle la CPI ?

Amnesty International fait campagne pour la justice, la vérité et la réparation pour les victimes de crimes relevant du droit international sur tous les continents du globe sans distinction de race, de religion, de nationalité, d’ethnie, de genre, d’orientation ou d’identité sexuelle ou de handicap.

La CPI est au centre du nouveau système de justice internationale. C’est un mécanisme crucial qui incite les autorités nationales à prendre leurs responsabilités en enquêtant et en poursuivant les auteurs présumés des crimes et qui intervient lorsqu’elles ne le font pas. Amnesty International a fermement soutenu la création de la CPI en 2002. Plus de dix ans plus tard, notre organisation milite pour que tous les pays du monde signent son Statut (122 pays ont déjà signé) et pour que tous les gouvernements coopèrent pleinement à son précieux travail, en particulier en arrêtant et en remettant à la Cour les suspects en vue de leur procès.

Toutefois, la CPI est un tribunal de dernier recours, qui n’intervient qu’en cas de manque de volonté ou d’incapacité de l’État de mener à bien des poursuites contre les auteurs présumés de crimes relevant du droit international. Amnesty International exhorte les États à remplir les obligations qui pèsent sur eux en vertu du droit international et à lutter contre l’impunité au niveau international en créant des mécanismes nationaux efficaces permettant d’apporter justice, vérité et réparation aux victimes.

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