LES PRINCIPAUX PARTIS QUI RECRUTENT ET UTILISENT DES ENFANTS SOLDATS

Cette partie s’intéresse au bilan en matière de recrutement, à l’utilisation et à la démobilisation d’enfants soldats d’un certain nombre de forces variées qui opèrent en RDC. Les forces auxquelles nous allons particulièrement nous intéresser sont : le RCD-Goma, l’armée du gouvernement congolais, les Maï maï, le RCD-ML et les groupes armée en Ituri. Les thèmes de chaque section diffèrent soulignant les multiples facettes du phénomène des enfants soldats en RDC et illustrant ses variations régionales. Ainsi par exemple, la section sur l’armée congolaise s’attache avant tout aux tentatives avortées du gouvernement de démobiliser les enfants soldats et la section sur l’Ituri aborde le contexte ethnique au sein duquel les enfants soldats sont recrutés et utilisés.

Ce chapitre ne prétend cependant pas être exhaustif ni s’attacher à la question de l’utilisation des enfants soldats par tous les groupes armés en opération à l’heure actuelle en RDC. L’intérêt pour un nombre choisi de groupes armés ne signifie pas non plus que la question du respect des droits humains, en particulier dans l’utilisation d’enfants soldats, par d’autres groupes armés opérant en RDC, est secondaire aux yeux d’Amnesty International.

3.1 LE RCD-GOMA

Peu de temps après le début de la guerre le 2 août 1998, un nouveau mouvement armé opposé au gouvernement de Kinshasa a été formé dans l’Est du pays : le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD). Puis, le mouvement s’est séparé en 3 factions : le RCD-Goma, le RCD-ML, le RCD-National. Les deux derniers groupes ont changé d’alliance politique et sont désormais opposés au RCD-Goma, ainsi nommé en raison de la ville du Nord-Kivu où est situé son quartier général. Dès le départ, ce groupe a été soutenu militairement par le gouvernement rwandais. Il contrôle de grandes portions de territoires dans la région orientale du Kivu ainsi que certaines parties de la province de Maniema. Dans le cadre du processus de paix de juillet 2003, le mouvement s’est vu accorder l’un des postes de vice-président dans le gouvernement national de transition de la RDC. Cette fonction est occupée par le président du RDC-Goma, Azarias Ruberwa.

Lorsque les chercheurs d’Amnesty International se sont rendus dans la région du Kivu en février 2003, ils ont pu voir de nombreux enfants soldats portant l’uniforme du RCD-Goma. Celui qui à l’époque occupait les fonctions de président du RCD-Goma, Adolphe Onusumba, n’a pas nié que son mouvement recrutait des enfants soldats. Il a déclaré à Amnesty International que les jeunes gens rejoignaient les gens du RDC-Goma volontairement et qu’ils recevaient une instruction et des soins de santé au sein de l’armée. Il a également présenté aux délégués d’Amnesty International un enfant soldat posté dans le couloir à l’extérieur de son bureau, indiquant qu’il s’agissait là d’un de ses gardes du corps. L’enfant, âgé de 13 ans, portait l’uniforme du RCD-Goma et un fusil AK-47.

Pour maintenir son contrôle sur les vastes étendues de territoire des régions du Kivu et de Maniema, le RCD-Goma dépend énormément des forces de l’armée rwandaise, supérieures en nombre et en armement. L’implication du Rwanda et sa responsabilité dans les cas d’atteintes aux droits humains en RDC, en particulier l’utilisation d’enfants soldats, est décrite plus en détail ci-dessous. Lorsque le Rwanda a commencé à retirer une partie de ses troupes de RDC, à la fin 2002, suite à un accord avec le gouvernement congolais négocié à Pretoria en Afrique du Sud le 30 juillet de cette même année, le RCD-Goma s’est retrouvé dans une position militaire vulnérable.

Face à une recrudescence des attaques par les milices maï maï, le RCD-Goma a lancé une campagne intensive de recrutement au cours de laquelle de nombreux enfants dont les plus jeunes avaient 8 ans, ont été enrôlés souvent contre leur gré. Conscient de la présence d’agences internationales dans les principaux centres urbains de Goma, Bukavu et Uvira, le RCD-Goma a lancé sa campagne de recrutement surtout dans les zones rurales : à Shabunda, Mwenga, Fizi et Idjwi dans le Sud-Kivu, à Walikale, Masisi et Rutshuru dans le Nord-Kivu et, enfin, à Kindu et Punia dans la province de Maniema.

Les écoles ont également été largement prises pour cibles. A Kalehe dans le Nord-Kivu, par exemples, les parents ont refusé d’envoyer leurs enfants à l’école après que deux responsables du RDC-Goma eurent enlevé de force des enfants d’une école locale en janvier 2003. A une autre occasion, un responsable du RDC-Goma s’est rendu dans plusieurs villages du Sud-Kivu en affirmant que la MONUC, la Mission de l’Organisation des Nations Unies au Congo, recrutait des chauffeurs locaux. Ceux qui se sont présentés volontairement ne sont jamais rentrés chez eux.

Lors d’un rassemblement le 14 mars 2003 à Katana dans le Sud-Kivu, les orateurs ont exhorté les participants à ’sensibiliser les jeunes gens’ et à les encourager à rejoindre le camp militaire local pour y suivre un entraînement. Lors de ce rassemblement aucun âge minimum requis n’a été mentionné par les responsables

Il y a plusieurs camps militaires dans la région du Kivu où les enfants et les adultes sont emmenés pour y suivre un entraînement. Selon une estimation des Nations Unies en 2001, 60 p. cent des 3000 soldats nouvellement formés au camp de Mushaki, à l’ouest de Goma, étaient âgés de moins de 18 ans. De nombreux enfants ont été torturés, maltraités et ont subi des violences sexuelles dans ces camps. Julie, 14 ans, a été envoyée à Mushaki en 2002 pour y suivre un entraînement : ’Je me suis retrouvée avec 5 autres filles, qui y sont toujours. Elles n’ont pas été démobilisées car elles servent de ’femmes’ aux soldats. La nuit, les soldats les violaient. Parfois, elles étaient violées par plusieurs soldats dans une même nuit.’

Des enfants ont également participé aux combats aux côtés des combattants du RCD-Goma lors de batailles au cours desquelles ont été perpétrées de graves atteintes aux droits humains. Dans une attaque menée contre Walungu en représailles à une offensive des Maï maï sur Bukavu au début d’avril 2003, le RDC-Goma a tué des dizaines de civils non armés et torturé des personnes qu’il accusait de collaboration avec les Maï maï. De nombreuses femmes et filles ont été violées. Une femme violée à Chibinda par des soldats du RCD-Goma était enceinte de 5 mois et a fait une fausse couche. De nombreux parents ont envoyé leurs filles chez des proches à Bukavu, craignant qu’elles aussi ne soient violées si elles restaient dans la région. Des milliers de civils ont fui la violence. Selon la MONUC, 20 p. cent des soldats du RDC-Goma qui ont participé à ces attaques étaient âgés de moins de 18 ans.

3.1.1 Les forces de défense locales

En plus de ses principales forces, le RCD-Goma a sous ses ordres une autre force paramilitaire appelée les Forces de défense locales (FDL) qui revendique 10000 membres. Opérant sur le modèle de forces existantes depuis plusieurs années au Rwanda et en Ouganda, son rôle est en principe d’assurer la défense des villages et des collectivités contre les attaques des milices. Les membres des FDL, parmi lesquels on trouve des enfants, reçoivent une formation militaire rudimentaire avant de pouvoir porter une arme. Toutefois, ils sont rarement payés et s’attaquent fréquemment aux populations locales qu’ils sont supposés défendre. De nombreux civils non armées ont été tués par les FDL pour la seule raison qu’ils n’avaient pas d’argent, de nourriture ou d’autres biens à leurs donner.

Bien qu’étant en principe basés dans leur région d’origine, en pratique, les membres des FDL sont souvent envoyés au front aux côtés des soldats du RCD-Goma. L’enrôlement des enfants au sein des FDL, dans le but inavoué de les envoyer sur le front, est une tactique souvent employée par le RCD-Goma pour vaincre la réticence des enfants à s’engager dans l’armée. Des enfants recrutés dans les FDL, dont certains sont âgés d’à peine 10 ans, ont été envoyés au combat, sans avoir reçu une instruction adéquate, et ne sont jamais rentrés chez eux. Les familles qui s’opposent à l’enrôlement de leurs enfants dans les FDL font souvent l’objet de menaces de mort.

Au cours d’une rencontre avec Amnesty International en février 2003, Eugène Serufuli, alors gouverneur du Nord-Kivu, a reconnu que de nombreux membres des FDL emmenés au camp d’entraînement de Mushaki étaient automatiquement intégrés dans l’armée du RCD-Goma. Toutefois il a nié que des enfants fassent partie de cette armée. Ce démenti est faux. Guy, venant de la zone de Masisi dans le Nord-Kivu, est l’un des centaines d’enfants qui ont été enrôlés dans les FDL depuis janvier 2003. Il a été recruté à l’âge de 14 ans, avant de suivre un entraînement militaire pendant 3 mois. Puis il a été envoyé au combat : ’Ils, les ennemis, étaient bien mieux armés que nous. Tous les jours, je croyais que j’allais mourir. J’ai réussi à m’échapper mais dès que je suis rentré à la maison, j’ai été recruté de nouveau par les FDL. Comme beaucoup d’autres de mon village, j’ai été emmené dans le camp d’entraînement Mushaki. La plupart d’entre nous était âgé entre 12 et 17 ans.’

3.1.2 Le Sud-Kivu

Depuis janvier 2002, le RCD-Goma et les forces rwandaises luttent contre une rébellion lancée dans la zone de Minembwe par les tutsis du Sud-Kivu, connus sous le nom de Banyamulenge, dirigés par le commandant Patrick Masunzu, et leurs alliés des groupes maï maï. Les Banyamulenge sont des habitants tutsi des montagnes Mulenge du Sud-Kivu. Le gouvernement rwandais, à dominante tutsis, affirme avoir envahi la RDC en partie pour défendre les Banyamulenge contre les autres groupes congolais. En janvier 2002, le commandant Masunzu a fomenté une rébellion pour contraindre les forces rwandaises et celles du RCD-Goma à quitter les Hauts-Plateaux du Sud-Kivu, pour affirmer son identité congolaise et son souhait de prendre ses distances par rapport au Rwanda.

De nombreux enfants ont été utilisés par toutes les parties en conflit. Entre janvier et juillet 2002, les forces rwandaises ont occupé une partie de la région des Hauts-Plateaux pour réprimer une insurrection. Elles ont eu recours à un usage excessif de la force contre des civils non armés, en particulier contre des Tutsis banyamulenge accusés de soutenir Patrick Masunzu. De nombreux civils ont été tués pendant les combats et jusqu’à 30000 d’entre eux ont été déplacés. Entre le 18 juin et la mi-juillet 2002, les FDL ont utilisé des hélicoptères pour bombarder la région des Hauts-Plateaux, y compris des zones habitées par des civils.

En septembre 2002, alors que certaines des troupes rwandaises ont commencé à se retirer de RDC, de nouveaux combats ont éclaté dans le Sud-Kivu. Uvira, Fizi, Baraka, les Hauts-Plateaux, et la plaine de Rusizi ont été le théâtre de combats presque incessants entre octobre 2002 et janvier 2003. Le 13 octobre 2002, des troupes maï maï alliées aux forces dirigées par les commandants Patrick Masunzu et Aron Nyamusheba ont capturé la ville d’Uvira qui étaient sous le contrôle du RCD-Goma. Les combattants de toutes les parties ont tué des civils non armés et violé des femmes et des filles. Le RCD-Goma a arrêté de nombreux civils accusés de collaboration avec leurs ennemis. On estime à 20000 le nombre d’habitants qui ont fui la ville.

Les combats pour le contrôle du Sud-Kivu se poursuivaient à la fin 2002 et à partir du 31 décembre les combats ont englouti Uvira forçant des milliers de personnes à trouver refuge au Burundi. En réponse, depuis février 2003, le RCD-Goma a lancé une offensive importante contre les milices maï maï causant d’importantes vagues de personnes déplacées, des exactions contre des civils et une recrudescence des violences sexuelles Si le RCD-Goma officiellement contrôle Uvira, la plaine de Rusizi et Baraka, les Maï maï contrôlent les colline s’entourant la ville d’Uvira ainsi que des zones éloignées de la plaine de Rusizi, près de Baraka et de Fizi.. Toutes les parties ont commis des exactions systématiques et sur une grande échelle contre des civils souvent accusés de ’soutenir’ l’ennemi. La MONUC a signalé que les forces du RCD-Goma ont utilisé des enfants sur la ligne de front au cours des attaques du 5 janvier sur Uvira et que des dizaines d’enfants soldats ont été tués au combat dans la ville d’Uvira et le port de Kalundu.

Les délégués d’Amnesty International ont interviewé d’anciens enfants soldats du RCD-Goma qui ont pris part aux combats d’octobre 2002. Paul, 16 ans, originaire de Walungu dans le Sud-Kivu, qui s’est enrôlé dans le RCD-Goma en 2002, a participé aux combats : ’ Je me suis enrôlé parce qu’il y avait déjà beaucoup d’enfants là. Je n’ai suivi aucune formation. On m’a envoyé sur le front pour me battre à Uvira, Fizi, Baraka et Minembwe. On a attaqué Masunzu à Minembwe. J’ai quitté l’armée en janvier 2003 après la bataille de Minembwe. On a été battu par Masunzu. Depuis, j’ai été arrêté à trois reprises et accusé de désertion mais ma famille est intervenue et les soldats m’ont libéré. Maintenant j’ai besoin d’un ordre de démobilisation du RCD-Goma.’

3.1.3 L’île d’Idjwi

L’île d’Idjwi, qui se trouve au milieu du lac Kivu quelques 35km au nord de Bukavu, a été le théâtre d’intenses campagnes de recrutement depuis juin 2003 quand un bataillon de forces du RCD-Goma a été déployé dans la région. Le RCD-Goma a délibérément jeté son dévolu sur d’anciens enfants soldats d’Idjwi qui ont réussi à s’enfuir de l’armée ou qui ont été officiellement démobilisés. Robert, 17 ans, recruté par le RCD en 1998 mais qui plus tard s’est échappé de l’armée, se cache après que des soldats du RCD-Goma se furent rendus à plusieurs reprises chez lui pour le recruter de force. Il craint que les soldats s’en prennent maintenant à sa famille. Par ailleurs, des soldats ont pénétré en force dans la maison de George, un ancien enfant soldat de 16 ans, puis se sont livrées à des actes de pillage avant de l’emmener sous la menace des armes et alors que sa famille assistait impuissante à son enlèvement. D’autres enfants, pour la plupart âgés de moins de 15 ans, ont été recrutés dans les rues ou sur les places de marché. Des enfants soldats ont également été envoyés dans des villages, en uniforme et armés, pour tenter de persuader d’autres enfants de s’engager.

Les nouvelles recrues, enfants et adultes, sont emmenées à la base militaire de Kihumba pour y suivre une formation. Il y a des dizaines d’enfants soldats sur cette base ; la plupart ont été recrutés contre leur gré. Leur formation comprend entre autres des cours sur le maniement de fusils AK-47. Des enfants ont été battus pour avoir refusé de faire un exercice militaire et un enfant de 15 ans aurait été battu à mort après s’être enfui du camp.

Beaucoup d’enfants qui servent dans les unités des FDL à Idjwi ont également été intégrés dans les forces du RCD-Goma. Ce groupe leurs a fourni des fusils AK-47 rifles, tandis que leurs uniformes seraient venus du Rwanda. Les commandants rwandais auraient également effectué divers séjours à Idjwi et auraient ordonné le transfert d’enfants soldats pour l’île rwandaise voisine de Iwawa.

3.1.4 L’implication continue du Rwanda

En plus des opérations qu’elle mènerait à Idjwi, l’armée rwandaise, appelée désormais Forces de défense rwandaises (FDR, anciennement Armée patriotique rwandaise), continue d’être militairement impliquée dans d’autres parties de la RDC, en dépit d’un retrait officiel entamé à la fin 2002. En plus de certaines unités des FDR, qui semble-t-il, continuent d’être présentes en RDC, le Rwanda aurait mis sur pied une force de réaction rapide qui peut être redéployée selon les besoins sur le territoire est-congolais afin de répondre à n’importe quelle menace militaire contre le RCD-Goma. Des conseillers militaires et des soldats rwandais sont également intégrés au sein du RCD-Goma. Des signes de leur présence ont été notés par les chercheurs d’Amnesty International en février 2003 lorsqu’ils ont été arrêtés à la nuit tombée par une patrouille du RCD-Goma composée de toute évidence de soldats rwandais. Le second-vice président du RCD-Goma, Eugène Serufuli, a reconnu au cours d’une rencontre avec Amnesty International en février 2003 qu’il continuait de recevoir des armes et des uniformes directement du Rwanda.

Alors que le RCD-Goma affirme détenir l’autorité politique et militaire sur la région du Kivu et de Maniema, ce sont en fait les autorités rwandaises qui ont la main mise sur les pouvoirs administratif, politique et militaire de la région. Certains des décisions politiques et militaires sont prises à Kigali, la capitale rwandaise. En outre, des responsables congolais de l’administration locale de la région du Kivu auraient, à plusieurs reprises, été convoqués à Kigali pour y recevoir des quotas de recrutement et une formation militaire. On leur aurait ordonné de recruter des milliers de jeunes pour les FDL et l’armée.

Certains enfants ont été recrutés en RDC et formés au Rwanda avant d’être déployés en RDC, comme par exemple, Jacques, âgé de 15 ans : ’Je jouais à la maison avec ma soeur lorsqu’un commandant du RCD-Goma est arrivé dans notre village et m’a recruté pour aller combattre sur le front à Mwenga. J’ai reçu une formation de 6 mois à Kigali et j’ai appris à me servir d’armes. Pendant l’entraînement, de nombreux enfants sont morts. C’était horrible.’ Les FDR auraient également recruté des enfants des rues au Rwanda, qu’ils ont formés avant de les envoyer se battre en RDC.

Les troupes rwandaises ont également détenu et maltraité des enfants soldats congolais. Paul a 16 ans et il vient de la région du Kasaï. Il a été emprisonné pendant 5 mois de mai à octobre 2002 au Rwanda : ’J’ai été recruté par le RCD-Goma en 1999. Ils venaient régulièrement dans notre village et battaient les gens. Un jour, ils sont venus dans notre maison et ils ont tout pris. J’ai décidé de rejoindre leurs rangs afin de les empêcher de venir nous battre. Au Kasaï, on s’est battu contre des soldats du Zimbabwe. En 2001, on m’a envoyé à Minembwe près de Fizi pour lutter contre Masunzu. Puis quand nous sommes arrivés à Fizi, les Rwandais ont décidé de nous ramener au Rwanda pour nous empêcher de rejoindre les forces de Masunzu. Ils nous ont dit que nous allions être formés au Rwanda, mais quand nous sommes arrivés, ils nous ont mis en prison pendant 5 mois. On était environ 500, dont beaucoup d’enfants. On était enchaîné, même pour aller aux toilettes et parfois ils nous battaient sans raison apparente. Après ils nous ont ramenés à Bukavu. C’est un responsable du RCD-Goma qui a négocié notre retour. 3 mois plus tard, on était démobilisé par le RCD-Goma, mais je n’ai toujours pas d’ordre de démobilisation. Pour moi, la pire expérience a été le Rwanda. Je n’ai toujours pas de contact avec ma famille.’

3.1.5 La démobilisation

En décembre 2001, le RCD-Goma a signé un plan d’action avec l’UNICEF pour la démobilisation de 2600 enfants soldats de ses rangs. Il s’est également engagé à ne plus recruter ni utiliser des enfants de moins de 18 ans, un engagement qu’il n’a pas tenu depuis. Le 2 avril 2002, le RCD-Goma a remis aux mains de l’UNICEF et ses agences associées 104 enfants. Il est apparu que 60 p. cent des enfants appartenaient en fait à d’autres groupes et qu’ils avaient été capturés par le RCD-Goma ou ses alliés rwandais au cours des combats. Les enfants ont été installés dans 3 centres de démobilisation, où ils ont reçu des soins médicaux, de la nourriture, un soutien psychologique, des cours d’alphabétisation et des formations professionnelles avant d’être réunis avec leurs familles.

La libération de ces 104 enfants a coïncidé avec les pourparlers de paix qui se tenaient à Sun City en Afrique du Sud entre le gouvernement, l’opposition armée et la société civile congolaise. Il semble que cette initiative de démobilisation était avant tout un exercice de relations publiques visant à renforcer la position du RCD-Goma au cours des négociations. A ce jour, le RCD-Goma n’a toujours pas démobilisé les 2600 enfants qu’il avait promis de faire à la fin 2001. Un ancien responsable de l’ONU a même déclaré Amnesty International que la plupart des 104 enfants démobilisés en avril 202 ont été tout simplement recrutés de nouveau aussitôt qu’ils étaient rentrés dans leurs villages.

Alme a été enrôlé par le RCD-Goma à Kindu. Après sa démobilisation officielle il a de nouveau été recruté de force :’J’étais enfin à la maison quand un soldat est venu me recruter. Il a pris mon ordre de démobilisation et l’a détruit. On m’a de nouveau envoyé au combat contre les Maï maï. Pendant la bataille, j’ai vu l’ennemi tuer un de mes amis et le couper en morceaux. Je ne sais pas combien de gens j’ai été contraint de tuer. Maintenant je suis de nouveau démobilisé. Mais je préfère reste ici plutôt que de retourner à Kindu. J’ai peur qu’on me recrute de nouveau.’

Au début de 2003, on comptait environ 320 anciens enfants soldats dans les centres de démobilisation de Goma et de Bukavu, centres qui ont reçu le soutien de l’UNICEF, Don Bosco, Save the Children et d’autres ONG locales. Environ 176 d’entre eux avaient servi dans le RCD-Goma alors que les autres étaient principalement d’anciens enfants soldats maï maï dont certains avaient été intégrés dans le RCD-Goma. Le processus de démobilisation est déséquilibré car il concerne peu d’enfants soldates par rapport à leurs camarades masculins. Les filles qui ont été démobilisées ont pratiquement toutes été violées ou exploitées sexuellement par l’armée. Le tabou qui entoure le viol en RDC rend difficile la réinsertion des filles dans leur région d’origine. Des ONG locales ont donc lancé des campagnes de sensibilisation pour faciliter le retour dans ces régions des filles qui ont été victimes de violences sexuelles.

La démobilisation des enfants âgés de 17 ans est freinée par le refus du RCD-Goma de leur délivrer leur ordre de démobilisation. Les enfants au sein des FDL se voient refuser leur ordre de démobilisation au motif fallacieux qu’ils ne font pas partie du RCD-Goma. Les jeunes adultes qui viennent d’avoir 18 ans ne sont pas inclus dans ces opérations de démobilisation. Le coordinateur de la démobilisation du RCD-Goma, Eraston Sabani, a déclaré à Amnesty International en février 2003, que ceux âgés de 18 ans ne seraient pas démobilisés quelque soit l’âge auquel ils avaient été initialement recrutés.

L’un des principaux défis à relever en matière de démobilisation dans l’Est du Congo est la lutte contre les tentatives faites pour recruter de nouveau les enfants. Plusieurs ONG internationales et locales dans les provinces du Kivu et de Maniema sont en train d’examiner la possibilité de développer un réseau de protection des enfants au niveau communautaire conjointement avec des organisations religieuses locales, en particulier l’église catholique. L’implantation fortement marquée d’organisations religieuses dans la région et le respect qu’elles inspirent aux gens du cru, sont des atouts potentiels non négligeables pour promouvoir et surveiller la réinsertion durable et réussie des anciens enfants soldats au sein de leur entourage. De plus, les ONG organisent également des ateliers avec les commandants militaires sur les droits des enfants, sur la protection des enfants et sur leur démobilisation, afin de permettre aux commandants de mieux apprécier les droits des enfants, les possibilités de leur démobilisation et l’importance qu’il y a à mettre un terme au recrutement des enfants.

Les ONG et les agences de l’ONU cherchent aussi à obtenir un accès plus grand aux camps d’entraînement du RCD-Goma pour pouvoir jouer un rôle plus important dans l’identification des enfants afin d’assurer leur démobilisation, y compris celle des enfants qui ont été de nouveau recrutés. En outre, cela leur permettrait d’organiser des campagnes de sensibilisation dans les camps à propos des opérations de démobilisation. En mars 2003, par exemple, un conseiller de la MONUC en matière de protection de l’enfance et des ONG locales ont été autorisés à se rendre au camp militaire du RCD-Goma à Nyamunyunye/Kavumu dans le Sud-Kivu. Ils ont supervisé un atelier de sensibilisation, remis au commandant du camp des formulaires d’identité de pré-démobilisation de l’UNICEF. Ils ont en outre identifié 26 enfants soldats maï maï âgés de 11 à 16 ans. En août 2003, 37 enfants ont été relâchés du camp de Nyamunyunye/Kavumu, dont 5 filles âgées de moins de 15 ans.

Mais ce travail crucial est malheureusement enrayé par l’attitude hostile de certains commandants du RCD-Goma concernant les opérations de démobilisation. Certains activistes sur le terrain ont reçu des menaces de mort pour s’être exprimés en public contre le recrutement des enfants. Ils ont également été accusés de trahison ou de connivence avec l’ennemi pour avoir tenté d’obtenir la démobilisation d’enfants soldats. En août 2003, à Uvira dans le Sud-Kivu, les autorités du RCD-Goma ont annoncé publiquement à la radio que les ONG n’étaient plus autorisées à participer au processus de démobilisation des enfants soldats. De plus, le RCD-Goma a indiqué qu’il refuserait toute demande de transfert supplémentaire d’anciens enfants soldats vers des centres de démobilisation. Le 19 juillet 2003, un activiste local des droits humains d’Uvira a été brièvement détenu. On lui a ordonné de refuser tout nouvel enfant dans le centre de démobilisation dont son ONG a la charge. Il a reçu des menaces et on lui a fait comprendre que s’il n’obéissait pas, son centre serait alors fermé.

3.2 LE RCD- ML

Le quartier général du RCD-ML se trouve à Beni dans le Nord-Kivu et ses activités militaires se concentrent dans des zones dans le nord du Kivu et dans le sud de l’Ituri. C’est à l’origine une faction dissidente du RCD soutenu par le gouvernement rwandais. Aujourd’hui le RCD-ML reçoit un soutien militaire direct du gouvernement de Kinshasa et est engagé dans une guerre contre le RCD-Goma dans le Kivu, ainsi que contre l’UPC, le PUSIC dans l’Ituri. La plupart des membres du RCD-ML appartiennent au groupe ethnique des Nande. Son chef est Mbusa Nyamwisi, qui est lui-même un Nande. Il a reçu un portefeuille ministériel dans le gouvernement de transition nationale formé en juillet 2003 dans le cadre du processus de paix en cours.

Au cours de plusieurs entretiens à Beni, avec Amnesty International en juillet 2003, les autorités du RCD-ML ont tenu à clairement souligner les efforts de leur mouvement pour démobiliser les enfants soldats. Mbusa Nyamwisi a ainsi affirmé que tous les enfants soldats avaient été démobilisés au cours des différentes opérations de démobilisation et qu’il n’y avait plus aucun enfant dans les rangs du RCD-ML. Toutefois, deux heures avant cet entretien, les chercheurs d’Amnesty International s’étaient entretenus avec deux enfants soldats du RCD-ML, dont l’un était un garçon de 12 ans, blessé au combat.

Environ une semaine avant la visite d’Amnesty International à Beni, le RCD-ML aurait mis sur pied un organisme pour superviser la démobilisation des enfants. Cependant, les responsables du RCD-ML ont été bien incapables d’indiquer à Amnesty International le nom précis de cet organisme. Ce dernier serait dirigé par le colonel Kakolele Bwambale du RCD-ML, un gouverneur adjoint local, et deux chefs traditionnels. Lorsque Amnesty International s’est rendu au domicile du colonel Kakolele pour discuter de cet organisme, les portes de sa résidence ont été ouvertes par un enfant soldat de 13 ans qui est l’un des gardes du corps personnel du colonel. Tous les chiffres concernant les enfants soldats doivent être traités avec circonspection car bien souvent, il n’est pas possible de les recouper de manière précise. Toutefois, un activiste local bien informé, estime à plus d’un millier le nombre d’enfants soldats qui sont dans les rangs du RCD-ML à l’heure actuelle.

Nombre de ces enfants continuent d’être utilisés dans des batailles. Christian, 12 ans, avec qui Amnesty International s’est entretenu juste avant de rencontrer le président du RCD-ML, a été blessé au bras pendant un accrochage avec les troupes du MLC de Jean-Pierre Bemba, à la fin de l’année 2002. Il est légèrement handicapé en raison de sa blessure. Il est souvent réduit à faire l’aumône pour de la nourriture dans les rues de Beni, car l’armée ne lui donne pas assez à manger. Il a passé 5 ans de sa jeune existence comme soldat. A 7 ans, il a été recruté de force par les Maï maï à Mambasa en 1996. Ils lui ont affirmé qu’il était recruté pour défendre le président Mobutu, alors qu’en réalité il était enrôlé pour aller combattre aux côtés des forces de l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila pour renverser le président Mobutu.

Ayant vu des civils rassemblés avant d’être exécutés à Mambasa, et craignant de subir le même sort, Christian s’est échappé de son unité maï maï à leur retour à Beni. Malheureusement, quelques temps plus tard, il a rencontré par hasard le colonel Kakole qui l’a de nouveau recruté : ’On m’a emmené au camp d’entraînement de Nyaleke. Là ils m’ont tondu la tête avec un morceau de verre cassé. Sur le terrain d’entraînement ils tiraient à balles réelles pour nous apprendre à ne pas avoir peur. Parfois ils me fouettaient. J’ai combattu sur le front à Bunia, Mambasa, Beni et Butembo, et j’ai tué des gens avec mon fusil. Une fois, accrochée au fusil que j’avais, il y avait une grand chaîne de munitions. Il était si lourd que je devais m’agenouiller pour m’en servir. Quand je me battais à Bunia, les combattants ennemis ont coupé la tête de mon commandant juste devant moi. J’ai reçu une balle dans le bras alors que nous nous battions contre les ’effaceurs’ [les combattants du MLC]. J’ai pu me défendre et j’ai tiré contre le soldat qui m’avait tiré dessus. Je l’ai touché au cou et il est mort. On ne m’a pas bien soigné et j’ai toujours mal à ma blessure. L’armée n’a pas de temps pour les blessés. Je ne suis pas payé et il n’y a ni nourriture ni savon. Quand j’irai mieux, je veux aller à l’école.

Bien que les autorités du RCD-ML aient exagéré la portée de leurs initiatives de démobilisation, le mouvement a cependant fait des efforts limités mais concrets pour retirer les enfants de ses rangs. Il existe 2 centres de démobilisation dans les territoires sous contrôle du RCD-ML. Ces centres sont supervisés par une ONG locale appelée Let’s Protect the Children. L’un est situé à Musyenene, au nord de Butembo, et fonctionne depuis octobre 2001. Depuis, environ 380 enfants soldats démobilisés sont passés par ce centre. Au début la plupart des enfants étaient d’anciens combattants maï maï mais à la fin de 2002 le nombre d’anciens enfants soldats maï maï et le nombre d’anciens combattants du RCD-ML dans le centre étaient à peu prés équivalents. Un autre centre se trouve à Boikene près de Beni. Il a ouvert en mars 2003. A ce jour, 80 enfants sont passés par ce centre, pour la plupart des anciens soldats du RCD-ML.

Lorsque Amnesty International a visité le centre de Boikene en juillet 2003, il y avait environ 20 garçons dans le centre, dont le plus jeune avait 11 ans. Une dizaine d’autres enfants étaient en visite dans leur famille dans la région d’Oicha au Nord-Est de Beni. Ils étaient accompagnés par des employés du centre en vue de leur éventuel retour à la maison. L’ONG a réinséré avec succès 33 enfants dans leur entourage et, en général, les familles ont répondu positivement à ces initiatives de démobilisation. Le centre propose également des cours sur l’agriculture, l’élevage et la mécanique. D’une manière générale les enfants de ce centre semblent contents, heureux d’être démobilisés et impatients de retourner à la vie civile. Cela contraste vivement avec la démobilisation purement formelle des enfants maï maï qui semblent avoir subi un lavage de cerveau et qui se trouvent dans le camp militaire de Mangangu près de Beni, dont la situation est décrite dans la section suivante.

Le centre de Musyenene bénéficie d’un financement à court terme de la MONUC. Le centre de Boikene ne reçoit aucun financement et le personnel fait un travail remarquable dans des conditions financières difficiles. S’il est vrai que le RCD-ML montre sa volonté de coopération en libérant un nombre limité d’enfants, il ne contribue en rien au fonctionnement du centre ou aux autres aspects du processus de démobilisation. Comme l’a déclaré un des employés : ’Les autorités ne nous ont même pas envoyé un kilo de haricots..’ Lors d’une rencontre avec Amnesty International en juillet 2003, le directeur des Communications du RCD-ML, Soudain Museme, a démontré le peu de cas que le RCD-ML faisait de sa responsabilité pour promouvoir la réhabilitation et la réinsertion sociale réussie des enfants après leur départ de l’armée : ’Nous laissons les enfants aux ONG et après ce n’est plus à nous de se soucier de ce qui leur arrive.’

Le RCD-ML a parfois nuit activement au processus de démobilisation. Quand le RCD-Goma a attaqué Kanyabayonga en mars 2003, un certain commandant Jeff du RCD-ML serait arrivé au centre de démobilisation de Musyenene avec des armes et des uniformes et aurait de nouveau recruté les 19 enfants qui se trouvaient dans le centre. En juin 2003, les enfants du centre ont été placées en sécurité lorsque les hostilités ont repris contre le RCD-Goma près de Lubero. Pendant leur retrait des lignes de front, les membres du RCD-ML ont totalement pillé le centre.

Des dizaines d’enfants soldats ont combattu dans les rangs du RCD-ML pendant les combats de juin et du début juillet 2003 à Lubero. Floribert, un ancien enfant soldat, a été blessé pendant les combats. Agé aujourd’hui d’une vingtaine d’années, il a été recruté à l’âge de 16 ans par l’AFDL et explique comment il a été blessé : ’Alors que j’essayais de sauver des camarades qui étaient soignés à l’hôpital de Lubero, on m’a tiré dessus. Les Rwandais avaient encerclé l’hôpital et tiraient. J’ai réussi à m’enfuir et je suis arrivé à Musyenene juste quand le cessez-le-feu a été négocié. Je pense qu’il y avait environ 40 enfants qui combattaient dans mon unité. Le plus jeune devait avoir environ 15 ans.’

Des milliers de personnes qui avaient déjà été déplacées dans la zone de Lubero à la suite de heurts précédents dans la région du Kivu, ont une nouvelle fois été déplacées, affectant de manière considérable la capacité des agences humanitaires à continuer leur assistance à ces déplacés. Ces combats constituaient une violation grave du cessez-le-feu officiel et sont intervenus quelques jours avant la prestation de serment du nouveau gouvernement de transition à Kinshasa pour soi-disant marquer la fin de 5 années de guerre en RDC.

3.3 Les MAÏ MAÏ

Maï maï est un terme collectif donné à une alliance de circonstances de plusieurs groupes de milices congolaises indigènes. Ils sont surtout actifs dans les provinces orientales de Maniema, Katanga et du Kivu. Leur nom, qui signifie eau, vient de la coutume traditionnelle de leurs soldats qui ont l’habitude de s’asperger d’eau avant de livrer bataille, croyant que cela les rendra invulnérable aux balles ennemies. En général, les maï maï reçoivent un soutien militaire direct du gouvernement de Kinshasa et sont opposés au RCD-Goma soutenu par le Rwanda. Mais la situation est complexe et en constante évolution. Certains unités maï maï ont signé des alliances opportunes et temporaires avec leurs ennemis en échange le plus souvent d’argent ou d’armes. Les maï maï sont également responsables de terribles exactions contre les villes et les villages qu’ils prétendent défendre, comme des exécutions illégales, des viols et autres actes de torture.

Faisant la guerre dans les profondes forêts congolaises et sur les collines, les Maï maï sont en général inaccessibles aux chercheurs sur les droits humains. Il a donc été difficile d’obtenir des informations substantielles et précises pour la rédaction de ce rapport, sur leur utilisation d’enfants soldats. L’espace accordé dans ce document aux Maï maï n’est pas en rapport avec le nombre d’enfants qu’ils recrutent dans leurs rangs. Dans certaines unités, on pense que la moitié des combattants sont des enfants.

En juillet 2003 Amnesty International s’est entretenu avec des enfants soldats maï maï au camp militaire de Mangangu, situé à quelques kilomètres de la ville de Beni dans le Nord-Kivu, zone contrôlée par le RCD-ML. Il y avait à l’époque 26 enfants et une centaine d’adultes dans le camp. Tous étaient officiellement en train d’être démobilisés de leurs unités maï maï. Toutefois, le régime du camp continuait d’être un régime militaire : lors de leur visite au camp, les chercheurs d’Amnesty International ont pu voir les enfants accomplir sur ordre d’un commandant maï maï des manoeuvres sur le terrain d’exercice du camp. La majorité des enfants continuait de revêtir leur tenue de camouflage, la même qui habille souvent les soldats en service. En dépit des affirmations des autorités locales du RCD-ML selon lesquelles les enfants seraient bientôt envoyés vers des centres de démobilisation, leur présence continue dans la structure militaire du camp de Mangangu les mettait dans une position ambiguë : en effet, ils pouvaient être de nouveau recrutés et envoyés au front. A noter également dans ce camp, l’absence de traitement médical pour les enfants malades, comme l’a souligné le commandant maï maï : ’Vous ne trouverez même pas un seul médicament dans tout le camp.’ Au cours de l’année écoulé, 5 enfants seraient morts de maladies qui auraient pu être soignées.

Jérôme est âgé de 13 ans. Il est au camp de Mangangu depuis 6 mois. Il s’est enrôlé de son plein gré dans les unités maï maï après avoir entendu que le RCD-Goma avançait sur sa ville natale de Kasaphu. Il s’est engagé avec 26 autres enfants. Au cours de leur formation, on leur a enseigné à démonter et remonter un fusil. Ensuite Jérôme a été envoyé sur le front à Kanyabayonga : ’Au cours de la bataille, j’ai tué des Tutsis avec ma Kalachnikov. J’avais pris des substances pour me rendre fort et invincible. J’ai vu des adultes se faire tuer, mais aucun kadogos. Je n’aimais pas l’armée parce que vous devez coucher dans la brousse et il n’y a jamais assez à manger. Mais je n’ai aucun intérêt pour la vie civile. En cas d’attaque ennemie, il faudrait fuir avec les autres civils. Je préfère être un soldat pour me défendre. Mes parents sont quelque part à Beni, mais je ne me souviens plus d’eux.’

Ce qu’il y avait de particulièrement frappant dans les témoignages de ces enfants soldats, c’est le niveau d’endoctrinement qu’ils ont apparemment reçu, y compris dans le camp Mangangu. Pour ces enfants, leur avenir appartient à l’armée et bien que nombre d’enfants n’aient pas rejoint les rangs des maï maï avant fin 2002, début 2003, aucun de ceux qu’Amnesty International a pu rencontrer ne semblait se souvenir de ses parents. Ils ont affirmé que ces derniers ne leur manquaient pas, ni qu’ils souhaitaient rentrer chez eux. André, 12 ans, s’est engagé volontairement dans l’unité maï maï de chef Muduoho, au début de 2003 : ’Je n’ai jamais participé à des combats. Je suis venu à Mangangu peu de temps après mon recrutement. J’y ai reçu une formation. J’aimerais bien quitter le camp pour étudier avant de redevenir un soldat. Je ne me souviens pas de mes parents et je n’au aucune envie de les revoir.’

Matthieu, 12 ans, vient de l’Ituri. Il se trouve dans le camp de Mangangu depuis le début 2003. Il s’est enrôlé dans l’unité maï maï de Vital Kitambala en 2002, après que les forces du MLC de Jean-Pierre Bemba eurent tué ses parents : ’J’étais à l’école à Mongbwalu quand la ville a été attaquée par les troupes de Bemba. Ma mère et mon père ont été tués pendant les combats. J’ai joint un groupe de civils qui s’enfuyaient vers Erengeti. Les ’effaceurs’ [les forces du MLC] ont causé beaucoup de souffrances. A Erengeti, j’ai rejoint les maï maï et nous avons pourchassé l’ennemi aussi loin que Mambasa. J’avais un AK-47 et j’ai tué des ’effaceurs’. J’aimerais quitter Mangangu pour étudier avant de redevenir un soldat.’

Divers groupes maï maï ont continué à recruter des enfants depuis le début 2003. Le groupe maï maï du Mundundu-40, ou M-40, dont près de la moitié des soldats sont des enfants, a été pendant plusieurs mois intégré à l’armée du RCD-Goma, avec la bénédiction apparente du gouvernement rwandais. Au cours de cette alliance, les M-40 ont activement recruté de force des enfants au nom du RCD-Goma. La moitié des enfants recrutés avait moins de 15 ans, et certains n’avaient que 7 ans. De nombreux enfants ont été recrutés de force alors qu’ils étaient en classe.

Des parents ont également indiqué que les milices du M-40 entraient brutalement dans leur maison pour recruter de force leurs enfants. Un père, qui a été menacé, a du regarder impuissant son fils se faire frapper à la tête par les miliciens parce qu’il refusait de les suivre. Séraphine, une mère de Kavimvira, a déclaré à Amnesty International en février 2003 : ’Quand les soldats sont venus chez moi, ils m’ont dit que mon fils de 9 ans devait les rejoindre. Mon fils pleurait. J’ai essayé de m’opposer à eux mais ils étaient trop forts. Ils m’ont battue sur le visage’. Les traces des coups étaient toujours visibles.

Les groupes maï maï de M-40 qui ont forgé une alliance avec le RCD-Goma étaient dirigés par les commandants Safari, Kilolo, et Dilolo. Il y avait beaucoup d’enfants dans les rangs de ces groupes. Dans les forces du commandant Dilolo, intégrées le 14 janvier 2003 dans l’armée du RCD-Goma, environ un quart des combattants était âgé entre 7 et 16 ans. Il y avait au moins 30 enfants dans les forces du commandant Safari. En février la plupart de ces enfants subissaient ’une rééducation politique’ et un entraînement militaire dans les camps de Kiliba et de Luvungi près d’Uvira. La MONUC, l’UNICEF et d’autres organisations internationales et locales ont tenté en vain d’aider le RCD-Goma à démobiliser les enfants soldats de Luvungi. Quatre enfants qui avaient tenté de fuir pendant ce processus d’intégration, ont été de nouveau recrutés par le RCD-Goma.

Lorsqu’un autre groupe maï maï du Sud de Kindu s’est rendu au RCD-Goma en janvier 2003, 20 enfants de leurs rangs se sont spontanément portés volontaires pour être démobilisés. Le problème est que bien souvent il n’y a ni structure ni procédure adéquates pour les démobiliser. A l’heure actuelle, on ne sait toujours pas qui est responsable de la délivrance des ordres de démobilisation des enfants maï maï. C’est pour ces raisons que les enfants soldats qui veulent quitter les rangs des unités maï maï doivent le faire en s’enfuyant de leur propre initiative. Parfois, ils le font après une bataille particulièrement traumatisante comme l’explique Arsène, 12 ans, originaire de la région de Masisi. Il a été recruté par les maï maï quand il avait 10 ans et a participé à l’attaque d’Uvira d’octobre 2002 qu’il a décrite en détails à la page 19 : ’ J’ai été formé par les maï maï à Kamituga et ils m’ont tatoué le bras pour me protéger. Nous avons marché pendant des jours. La nuit on pillait les villages pour prendre de la nourriture. En octobre 2002, j’ai participé à l’attaque d’Uvira. C’était horrible. J’avais peur et je ne voulais ni tuer quelqu’un, ni être tué. Après l’attaque, j’ai jeté mon fusil et j’ai décidé de m’enfuir.’

Bonou, 16 ans, est un ancien enfant soldat de Kalundu. Il a également pris part à l’offensive contre Uvira, mais en 2003, il a entendu parler d’une rare initiative de démobilisation : ’J’ai été recruté pour libérer Uvira. Je n’ai pas reçu de formation. On m’a simplement donné une arme. J’étais à Uvira avant l’attaque comme agent infiltré. A l’aube, les maï maï sont descendus. Le RCD-Goma a été pris par surprise et a fui la ville. On est resté avec les habitants d’Uvira et il n’y a pas eu de problèmes. Il y a avait beaucoup d’enfants comme moi. La plupart sont repartis dans les collines avec les Maï maï, mais moi, j’ai décidé de retourner à Uvira en janvier 2003. J’avais entendu parler d’une ONG impliquée dans la démobilisation. J’y suis allé pour être emmené à Bukavu. Ca a été une chance pour moi car je n’aime pas les combats.’

Toutefois, il faut relativiser le succès de la fuite d’Arsène et de Bonou des rangs des maï maï : en effet comme beaucoup d’autres enfants dans leur cas, ils risquent constamment d’être recrutés de nouveau par des groupes maï maï ou par d’autres groupes armés opérant dans la région, y compris le RCD-Goma. Ils seront véritablement protégés de tout risque d’un retour à une existence de brimades et d’exactions dans les forces armées, seulement lorsque les dirigeants militaires et politiques de leur pays mettront un point final au recrutement et à l’utilisation des enfants soldats.

3.4 Les enfants soldats de l’Ituri

En juin 2003, une force muliti-nationale de maintien de la paix sous commandement français a été déployée à Bunia. C’est alors que la ville et la région de l’Ituri ont attiré l’attention des médias internationaux à la mesure de l’intensité de la crise qui frappait la région. Jusqu’alors les médias ne s’étaient guère intéressés à cette crise qui touchait l’une des pires zones de conflit au monde dominée par le spectre du génocide.

Les journalistes du monde entier ont été surtout choqués par la prépondérance des enfants soldats dans les rues de Bunia. A l’époque, la majorité des soldats de l’UPC – le groupe armé dirigé par Thomas Lubanga qui contrôlait Bunia avant l’arrivée de la force multi-nationale – étaient de jeunes enfants, dont beaucoup semblait avoir moins de 15 ans.

L’utilisation d’enfants soldats est largement répandue en RDC depuis 1996. La région de l’Ituri se caractérise par le nombre très élevé d’enfants soldats dans les différents groupes armés. Dans plusieurs cas, la majorité des soldats engagés dans une unité combattant sont âgés de moins de 18 ans. C’est le cas par exemple de l’UPC et de son allié du PUSIC, dominés par les groupes ethniques Hema et Gegere, ainsi que de leurs adversaires, le FNI et le FRPI qui eux sont dominés par les groupes ethniques Lendu et Ngiti. Le 18 juillet 2003, un convoi sous commandement de la MONUC a été stoppé à environ 30 kilomètres au Sud de Bunia par une petite unité lendu d’une dizaine de soldats. Le chef et le plus vieux des combattants de cette unité avait 16 ans. Le plus jeune qui portait un poignard avait 8 ans.

L’autre caractéristique remarquable de l’Ituri, est le niveau élevé du recrutement volontaire. Bien qu’il y ait eu et qu’il continue d’y avoir de nombreux cas de recrutements forcés, beaucoup d’enfants soldats de l’Ituri se sont enrôlés volontairement dans les groupes armés. Pour nombre d’entre eux, leur décision a été prise après que des proches eurent été tués. Claude a décidé de rejoindre les rangs d’un groupe de miliciens lendu à l’âge de 12 ans après que sa tante, son grand-père et son frère aîné eurent été tués par des combattants hema lors d’une attaque contre leur village, près de Zumbe en 2002. Il s’est enrôlé avec deux camarades de classe, en dépit des tentatives de sa famille pour l’en dissuader. Après une période de formation, il a été envoyé au front, où sa tâche initiale était la récupération des armes de soldats de l’UPC tués pendant les combats.

De même, Alexandre s’est enrôlé de son plein gré dans l’UPC à l’âge de 12 ans après que des combattants lendu eurent tué sa soeur aînée, à Bunia en septembre 2003. Il a suivi une formation militaire de 5 semaines dans le camp de Katoto, où selon lui, le nombre d’enfants de 10 à 12 ans est supérieur à celui des soldats adultes. Lorsque les miliciens lendu ont attaqué Katoto, on lui a donné une arme et il a pris part au combat au cours duquel il a vu de nombreuses personnes se faire tuer. Il est par la suite devenu l’un des gardes du corps personnel de Thomas Lubanga. Le 11 mai, dans le district de Bunia, ses supérieurs lui ont ordonné de tuer plusieurs civils considérés comme des ennemis. Il a dû exécuter l’ordre sans poser de questions.

Le désir des enfants de venger leurs proches tués ou de rechercher une protection auprès des groupes armés est compréhensible. Toutefois, le phénomène du recrutement volontaire dans l’Ituri doit également être compris dans le contexte plus large des divisions ethniques qui déchirent la province. Depuis 1999, un conflit foncier qui opposent les groupes hema et lendu du territoire de Djugu, s’est envenimé. Les dirigeants politiques et les responsables des milices, avec l’aide de leurs commanditaires rwandais et ougandais, ont exploité et attisé sans scrupule ces tensions ethniques dans l’Ituri pour leur propre avantage politique et économique.

La conséquence de ces 4 dernières années d’un conflit violent et âpre, au cours duquel des dizaines de milliers de personnes ont été tuées, c’est une province aujourd’hui profondément divisée en fonction des lignes ethniques. La peur et la haine de l’autre dominent de nombreux groupes ethniques. Inévitablement, les enfants sont influencés et marqués par les émotions et les préjugés extrêmes de leurs parents. Pour de nombreux enfants et adultes, leur appartenance ethnique n’est plus seulement une question d’identité mais implique un devoir actif de défendre et d’affirmer les valeurs de leur groupe contre celles des groupes adverses, par la force si nécessaire. L’héritage culturel de ce conflit est, dans beaucoup de provinces de l’Ituri, une société dans laquelle il est considéré légitime qu’un Lendu, quel que soit son âge, cherche à dominer son voisin hema et vice vera. Dans un tel environnement, les nombreux enfants qui s’enrôlent dans les groupes armés croient, comme leurs parents, qu’ils accomplissent ce qu’on attend d’eux.

Toutefois, même s’il est vrai que le recrutement des enfants soldats en Ituri se fait sur une base volontaire, cela n’exonère en rien les responsabilités des dirigeants politiques et des chefs de milices. Bien au contraire : ce sont eux qui ont encouragé et manipulé impitoyablement les rivalités ethniques, en brutalisant les groupes à un point tel que l’utilisation des enfants soldats est désormais considérée comme pratiquement normale. Ce sont eux qui ont également autorisé les enfants à s’enrôler, sans tenir compte du droit international qui qualifie de crime de guerre l’utilisation d’enfants soldats de moins de 15 ans. Ce sont eux qui ont obligé des enfants à commettre contre leur gré des crimes affreux à l’encontre de la population civile. Ce sont eux qui ont envoyé à la mort d’innombrables enfants.

Pour l’instant les dirigeants des milices n’ont pris que peu de mesures pour mettre un terme aux exactions dont sont victimes les enfants de l’Ituri. Le FNI de Njabu Ngabo, le FRPI de Mathieu Ngodjolo et le PUSIC de chef Kahwa Mandro n’ont pris aucune mesure sérieuse pour démobiliser les enfants soldats. Pire, ils continuent de recruter des enfants. La réponse du dirigeant de l’UPC Thomas Lubanga aux pressions internationales après que les enfants soldats de l’UPC firent la une des médias du monde entier suite au déploiement de la force mutlti-nationale de maintien de la paix à Bunia, a été de signer début juin un décret ordonnant la démobilisation de tous les enfants présents dans les rangs de l’UPC.

A l’origine, l’UPC avait exigé la présence des caméras de télévision pour couvrir la démobilisation d’environ 80 enfants à Bunia. Lorsque les agences humanitaires se sont opposées à cette requête, craignant qu’il s’agisse là d’un simple exercice de relations publiques, l’UPC a semble-t-il perdu tout intérêt dans cette initiative. Au début de juin, environ 40 enfants soldats, la moitié des enfants promis, ont été tout simplement abandonnés dans les rues, laissant le soin à la MONUC et aux ONG locales de tenter de retrouver les enfants. Plus tard dans le courant de juin, des ONG ont ouvert 2 centres de démobilisation à Bunia, pour accueillir les enfants. A la fin juillet, ces centres abritaient un total de 40 enfants.

Certes la démobilisation de ces enfants est la bienvenue. Mais ils ne représentent qu’une petite fraction des milliers d’enfants qui sont toujours dans les rangs de l’UPC. Au cours d’une rencontre avec les délégués d’Amnesty International à Bunia à la fin de juillet 2003, Thomas Lubanga a affirmé qu’il n’y avait plus aucun enfant soldat dans les rangs de l’UPC. Il a de plus affirmé que les enfants démobilisés en juin étaient en fait des enfants qui avaient été laissés par les troupes ougandaises qui quittaient la région en mai et qu’ils s’étaient alors intégrés eux-mêmes et sans autorisation à des unités de l’UPC. Enfin, il a aussi affirmé que ni ces enfants, ni d’autres, ont été impliqués dans des hostilités ou utilisés comme combattants par l’UPC. Lorsque Amnesty International lui a présenté les témoignages d’enfants soldats de l’UPC, Thomas Lubanga les a qualifiés de ’mythomanie’, affirmant que les enfants ont tendance à raconter des histoires pour endosser le prestige d’être soldat. Toutes ces affirmations sont fausses.

Le petit nombre d’enfants soldats démobilisés à Bunia bénéficient d’une assistance en vue de reconstruire petit à petit leur existence après le traumatisme militaire qu’ils ont subi. Certains souffrent de cauchemars et d’attaques de panique résultants de leur expérience au combat. D’autres ne semblent plus avoir aucune émotion après avoir tenté d’enterrer le plus profondément possible les souvenirs des crimes dont ils ont été témoins. Comme dans les cas des autres enfants soldats dans toute la RDC, leur avenir est incertain et les perspectives de trouver des moyens d’existence dans une économie ravagée par la guerre, sont lointaines. En dépit des souffrances endurées au front, certains d’entre eux considèrent que la vie militaire demeure la seule option viable.

Joseph, 14 ans, a rejoint les rangs de l’UPC en 2001. Sa mère a été tuée par des miliciens lendu en 1999. Il a pris part à de nombreuses batailles aux côtés d’autres enfants et vu de nombreuses personnes mourir. Au cours d’une bataille, alors qu’il avait perdu son arme, il a dû prendre celle d’un de ses camarades tués pendant les combats. En dépit de ce qu’il a vécu, et parce qu’il n’a pas d’autres options, il pense qu’il redeviendra soldat un jour. Si on lui demande s’il n’a pas peur de retourner dans l’armée, il répond : ’Je n’ai pas peur, je sais que tout le monde doit mourir un jour ou l’autre.

En tout état de cause, il faudra des années pour que la profonde plaie ethnique de l’Ituri se referme et pour que toutes les populations traumatisées et brutalisées, y compris les enfants soldats, acceptent ce qu’elles ont subi. A court terme, toutefois, l’établissement de la Cour pénale internationale (CPI) qui a désormais juridiction sur tous les crimes commis depuis juillet 2002, représente un véritable espoir de justice pour les victimes de la violence en Ituri, y compris les enfants. La CPI a décidé de faire de l’Ituri sa priorité et de diligenter des enquêtes qui pourraient servir de base à des poursuites pénales. C’est l’espoir de beaucoup que ces enquêtes permettront de présenter devant la justice les personnes soupçonnées de crimes de guerre qui ont recruté et utilisé des enfants de moins de 15 ans comme soldats.

3.5 Le GOUVERNEMENT DE LA RDC

’Ils nous ont rassemblés, nous les libérateurs et le président [Laurent-Désiré] Kabila lui-même nous a dit : ’Vous êtes mes enfants et je dois faire tout ce qu’il faut pour vous. Nous étions des kadogos, nous étions trop petits, et nous ne savions rien. Même s’ils nous mentaient, on ne pouvait pas s’en apercevoir. Il n’a rien fait. En tout cas pas pour moi personnellement, il n’a rien fait.’ Gaston, un ancien enfant soldat de l’AFDL, en février 2003.

Le nombre total d’enfants soldats qui servent aujourd’hui dans les FAC, l’armée gouvernementale congolaise, n’a pu être établi de manière précise, mais il est question de plusieurs milliers. Les agences des Nations Unies et les autres observateurs avancent régulièrement que les enfants constituent environ 10 p. cent des membres des FAC. Mais il n’existe aucune étude précise pour recouper ce pourcentage. De leur côté, les autorités congolaises sont réticentes à publier des chiffres officiels, même si le ministre des Droits humains de l’époque avait indiqué à Amnesty International au début 2003, que près de 3000 enfants soldats des FAC étaient en instance de démobilisation.

A la connaissance d’Amnesty International, le gouvernement de la RDC ne recrute plus activement des enfants dans ses forces armées. Mais il fournit une assistance militaire directe aux maï maï et au RCD-ML : deux mouvements qui continuent, eux, de recruter des enfants soldats. On a signalé le recrutement parfois forcé d’un petit nombre d’enfants dans les rangs des FAC jusqu’en 2002 . On sait qu’en mai 2000, il y a eu une vaste campagne de recrutement à Kinshasa par exemple, lorsque le gouvernement a ordonné l’arrestation de dizaines de mineurs, pour la plupart des enfants des rues, avant de les enrôler de force. Le nombre d’enfants dans les rangs des FAC diminue donc lentement, au fur et à mesure que les soldats atteignent leur 18 ans, qu’ils s’échappent de l’armée ou bien qu’ils sont démobilisés.

La majorité des enfants dans les FAC aujourd’hui viennent de l’est du pays, en particulier de la région du Kivu. Ils ont été recrutés par milliers entre 1996 et 1997 par l’AFDL, la coalition de groupes armées, dirigé par Laurent-Désiré Kabila et qui, grâce au soutien d’armées étrangères, a conquis le pouvoir en mai 1997. Lorsque l’AFDL a été transformée en armée gouvernementale, nombre de ces enfants qui venaient de l’est ont été intégrées dans la nouvelle structure des FAC

Lorsque les kadogos, comme ils sont communément appelés, aux côtés des forces de l’AFDL ont remporté Kinshasa en mai 1997, beaucoup venaient de marcher sur une distance de plus de 1000 kilomètres en venant de l’est du pays. Ils se sont considérés comme des héros et des libérateurs. Après les souffrances et les traumatismes des batailles, ils espéraient une reconnaissance pour leur contribution à la victoire ainsi qu’une récompense généreuse ainsi qu’on leur avait promis depuis leur enrôlement. Mais cette récompense (une maison, des bourses pour étudier à l’étranger et une prime de guerre substantielle), ne se sont jamais matérialisées. Au lieu de cela, un an plus tard, le président a ordonné à ses anciens alliés rwandais qui avaient soutenu l’AFDL dans le renversement du président Mobutu, de quitter le pays, et, partant, déclenchant le conflit qui dure jusqu’à aujourd’hui.

Dès que cette deuxième guerre a éclaté le 2 août 1998, les sentiments anti-rwandais et anti-tutsis ont atteint une intensité élevée à Kinshasa. D’éminentes personnalités du gouvernement se sont empressées de capitaliser sur ces sentiments en encourageant sur les ondes des radios et de la télévision les gens à attaquer les ressortissants rwandais, les Tutsis, y compris les Tutsis congolais et toute personne soupçonnée de sympathie envers le Rwanda. Dans les semaines qui suivirent, des centaines de personnes furent exécutées illégalement par des foules en colère ou des agents de l’état. Au moins 30 ressortissants rwandais ont été brûlés vivants à Kinshasa pour le seul mois d’août 1998. Beaucoup de kadogos, en raison de leur association avec les Rwandais, se sont retrouvés sur la touche, considérés avec suspicion, voire même activement harcelés.

Certains kadogos ont été arrêtées et détenues sans être inculpées pendant des mois, et dans certains cas pendant des années. Près de 19 anciens kadogos de la région du Kivu arrêtés en 1998, auraient été toujours dans la principale prison de Kinshasa à la date du mois de juillet 2003. La découverte d’un soi-disant complot pour renverser le gouvernement de Kinshasa en octobre 2000 et l’assassinat du président Laurent-Désiré Kabila en janvier 2001 (deux évènements au cours desquels les enfants soldats ont été accusés d’avoir une grande responsabilité) a provoqué de nouvelles arrestations de kadogos et une plus grande marginalisation. Pour plus d’informations sur les arrestations en rapport avec le prétendu complot d’octobre et l’assassinat du président Kabila en janvier 2001, voir le rapport d’Amnesty International Deadly conspiracies ? (Des rumeurs de conspiration donnent lieu à de violentes répressions - AFR 62/004/2001, 28 mars 2001). Le sentiment qui domine parmi les enfants soldats, c’est qu’ils se sentent trahis par le gouvernement de Kinshasa et qu’ils n’ont pas obtenu ni reconnaissance ni récompense pour leur rôle dans ce qu’ils estiment être la ’libération’ de leur pays.

3.5.1 Les initiatives de démobilisation

Le 9 juin 2000 Laurent-Désiré Kabila a publié un décret présidentiel (Décret-Loi 066) annonçant l’intention du gouvernement de démobiliser les ’groupes vulnérables’ dont les enfants soldats, présents dans l’armée congolaise. Le 13 janvier 2001, le gouvernement a mis sur pied un organisme inter-ministériel pour superviser le processus de démobilisation, appelé BUNADER, qui comprenait des responsables du ministère de la Défense et du ministère des Droits de l’Homme. Puis le 18 juin 2001, le président Kabila a annoncé une série de mesures conservatoires, parmi lesquelles citons : la fin du recrutement dans l’armée congolaise des enfants de moins de 18 ans et la fin de l’utilisation des enfants pour des tâches purement militaires.

Ces différentes initiatives culminèrent le 18 décembre 2001 avec une cérémonie de démobilisation haute en couleurs à laquelle participèrent le président Kabila et divers dignitaires internationaux, au camp militaire Kibomango à la périphérie de Kinshasa. Au cours de la cérémonie, 281 soldats ont symboliquement échangé leur uniforme militaire contre un costume civil. Les enfants démobilisés n’ont pas été obligés de remettre leur badge d’identification militaire et certains d’entre eux ont continué à s’en servir comme bon leur semble, par exemple, pour bénéficier de la gratuité des transports en autobus ou en taxi. Plus des trois quarts de ceux qui ont été démobilisés étaient des kadogos de l’Est du pays, la plupart âgé entre 15 et 17 ans. La majorité était dans les rangs de l’armée depuis leur enrôlement en 1996 et 1997.

D’aucun ont pensé que cette cérémonie avait pour objectif de prouver l’engagement gouvernemental en faveur de la démobilisation. Mais la réalité était en fait bien différente. Après la cérémonie, certains invités ont pu voir de nombreux autres enfants soldats dans le camp de Kibomango, des enfants qui avaient été dissimulés des regards de tous jusqu’au départ des dignitaires et des médias internationaux présents à la cérémonie. Beaucoup de ces enfants semblaient plus jeunes que les enfants soldats démobilisés. En fait, il s’est avéré que 74 des soldats qui prirent part à la cérémonie étaient en réalité âgés de plus de 18 ans et ils ont réintégré leur caserne quelques temps après.

C’est le ministère de la Défense et l’armée qui avaient décidé qui serait démobilisés. Ils ont refusé que des experts indépendants jouent un quelconque rôle dans le processus d’identification des futurs démobilisés. On ne sait pas sur quels critères ils se sont basés pour choisir ceux qui seraient démobilisés plutôt que d’autres, ni pourquoi des enfants encore plus jeunes seraient restés dans la caserne de Kibomango. Selon des observateurs, l’armée aurait profité de cette initiative pour se débarrasser des enfants qu’elle considérait trop indisciplinés ou qui ne satisfaisaient aux fonctions de soldat. Que cela soit vrai ou non, des défauts dans le processus d’identification ont mis en lumière des problèmes auxquels ont été confrontés les enfants après leur démobilisation.

3.5.2 Le centre de démobilisation de Kimuenza

Après la cérémonie de démobilisation, les enfants ont été transférés dans un centre de démobilisation à Kimuenza à l’extrême périphérie de Kinshasa. Là, ils ont pu suivre des cours d’alphabétisation et recevoir des conseils concernant leur transition vers la vie civile. Diverses activités sportives et des excursions pendant les week-ends étaient également organisées. La plupart des enfants ont passé 5 mois dans ce centre jusqu’à sa fermeture officielle à la fin d’avril 2002, bien que quelques 67 enfants, qui n’avaient pas de proches à Kinshasa pour les accueillir, soient restés au camp jusqu’en septembre 2002, date de la fermeture définitive du centre.

La gestion de l’initiative de démobilisation et les aménagements de Kimuenza présentaient de nombreux défauts. Les enfants n’avaient pas été pleinement informés de ce à quoi ils devaient s’attendre pendant leur séjour au centre. Certains n’étaient même pas au courant qu’ils allaient être démobilisés, tandis qu’on avait fait croire à d’autres enfants que s’ils acceptaient d’être démobilisés, ils recevraient des bourses pour aller étudier à l’étranger, la Belgique et le Canada étant deux des destinations promises. En fait, aucune bourse d’aucune sorte n’existait. On avait également promis aux enfants qu’ils recevraient une récompense financière, communément appelée prime de guerre, en reconnaissance de leurs services à la nation. Le non-paiement de cette prime a provoqué beaucoup de rancoeur chez les enfants, même si un responsable gouvernemental a affirmé à Amnesty International en février 2003 que le principe du paiement d’une prime de guerre d’un montant de 300 dollars (267,8 euros) avait été accepté.

20 soldates ont été dans un premier temps transférées à Kimuenza, mais la moitié d’entre elles avait plus de 18 ans. Elles ont donc été renvoyées dans leur caserne. Les 10 filles qui sont restées dans le centre venaient pour la plupart de l’Est de la RDC et avaient été recrutées par l’AFDL en 1996 et 1997. Dans le centre, rien n’avait été prévu pour séparer les filles et les garçons ou pour leur fournir des produits de base comme des serviettes hygiéniques. Elles ont été régulièrement harcelées par les garçons. Certains des responsables du centre ont même offert aux filles de l’argent en échange de rapports sexuels. 4 des filles tombèrent enceintes pendant leur séjour au centre.

L’éloignement géographique de Kimuenza, situé à une heure de voiture du centre de Kinshasa, posait également un problème pour les enfants qui souhaitaient reprendre leurs études. Certains devaient marcher plusieurs heures par jour pour aller à l’école et revenir au centre. D’autres qui, alors qu’ils étaient encore incorporés, avaient été autorisés à reprendre à temps partiel leurs études à Kinshasa, se sont retrouvés, une fois au centre, dans l’impossibilité de suivre leurs cours, en raison de la distance.

3.5.3 La vie après l’armée

Très peu des 207 enfants qui sont passés par le centre de Kimuenza ont été rendus par la suite à leur famille. Au début de 2003, environ 14 enfants étaient rentrés chez eux dans la veille de Lubumbashi, dans le Sud-Est, une ville sous contrôle gouvernemental. Une des anciennes enfants soldates a retrouvé sa famille dans la région du Kasaï. Lorsque Amnesty International s’est rendue à Kinshasa en janvier 2003, la majorité des enfants démobilisés, dans l’incapacité de rentrer dans les villes et les villages dans l’est du pays sous contrôle de l’opposition armée, vivaient toujours dans la capitale sans le soutien de leur famille. Ils recevaient sous une forme ou une autre une aide de la part d’ONG locales ou internationales mais cette assistance allait bientôt prendre fin en raison d’un manque de financement.

Après avoir quitté Kimuenza, 9 des 10 filles ont été accueillies pendant trois mois dans un centre de Kinshasa tenu par un groupe religieux local. Elles ont pu y recevoir des cours d’alphabétisation et de couture. Une fois qu’elles ont quitté ce centre, sans emploi et incapables de se payer un logement, 6 des filles se sont arrangées avec des camarades militaires pour retourner vivre dans des casernes. Bien qu’elles ne se soient pas officiellement enrôlées, leur présence dans ces casernes rend quasiment inévitable le jour où elles réintègreront l’armée. Stéphanie, l’une des filles qui est retournée vivre dans une caserne, avait été réduite à faire la charité pour de l’argent et du savon. Quand Amnesty International s’est entretenue avec elle en février 2003, elle craignait d’être expulsée de la caserne et de se retrouver à la rue avec son bébé de deux mois.

La plupart des garçons ont été placés dans différents projets financés par des organisations internationales comme l’UNICEF, la Banque mondiale et l’Organisation internationale du travail (OIT). Environ 122 enfants ont participé à un programme de formation de l’OIT et ont reçu de petites subventions pour payer le transport et le loyer. Une fois que le programme terminé, certains enfants qui avaient épuisé leurs allocations, se sont retrouvés au chômage. Beaucoup d’entres eux passaient leur journée à traîner dans les rues de Kinshasa et ne se distinguaient guère des nombreux enfants des rues sans abri de la capitale. 29 autres enfants ont suivi des stages de formation professionnelle, surtout de mécanique automobile, organisés par une ONG congolaise. D’autres ont suivi des cours d’instruction automobile pour devenir chauffeurs de taxi. Ces formations ont pris fin en janvier 2003. Quelque 56 enfants ont été accueillis dans des centres à Kinshasa, tenu par 3 ONG bénéficiant d’un financement international pour accueillir les anciens soldats et faciliter leur retour progressif à la vie civile. Ces centres offrent de la nourriture aux enfants ainsi que des allocations de transport pour se rendre à l’école. Toutefois, tous ces centres devaient fermer leurs portes en septembre 2003, s’ils ne trouvaient pas des financements supplémentaires.

Même avec des stages de formation professionnelle limités, il est très difficile pour ces enfants de trouver du travail. En raison du marasme économique ambiant, trouver un emploi est une tâche ardue pour tout le monde et les anciens enfants soldats sont désavantagés par rapport à leurs semblables civils qui, eux, ont pu poursuivre leurs études et son plus qualifiés qu’eux. De plus, les relations entre les anciens enfants soldats et la population civile peuvent être empreintées de méfiance mutuelle, de préjugé voire d’hostilité. De nombreux enfants soldats ont été endoctrinés pour croire qu’ils sont supérieurs aux civils qu’ils méprisent. L’un d’entre eux a même dit : ’Les civils sont des animaux.’ De leur côté, les civils peuvent éprouver de la crainte pour ces anciens enfants soldats, voire même de la superstition à faire des transactions avec eux. Par exemple, certains civils refusent que des anciens enfants soldats réparent leur véhicule croyant que l’association de ces anciens enfants soldats avec la mort leur fera avoir un accident. Même un responsable congolais directement impliqué dans les initiatives de démobilisation a qualifié les anciens enfants soldats de ’vrais monstres’, au cours d’une réunion avec Amnesty International, ne parvenant pas à reconnaître la responsabilité du gouvernement dans le processus de réhabilitation de ces anciens enfants soldats.

L’avenir de nombreux kadogos démobilisés à Kinshasa est peu enviable. Bien que dans plusieurs cas, les agences humanitaires aient réussi à localiser les familles des enfants dans l’Est du pays, le gouvernement de Kinshasa a toujours refusé pour l’instant d’autoriser les enfants à rentrer dans leur région en faisant valoir l’argument selon lequel ces enfants pourraient être de nouveau recrutés par des groupes armées opposés au gouvernement. Sans le soutien de leur famille et de leur entourage, nombre de ces kadogos craignent de devenir des enfants de la rue sans abri. Certains pourront être entraînés dans la délinquance . D’autres pourraient conclure que leur seule issue de secours est le retour dans l’armée. Tous ces scénarios constituent un échec patent du processus de démobilisation.

Interrogée par Amnesty International pour savoir si elle envisageait de retourner dans l’armée, Jeanne, dont l’expérience en tant qu’enfant soldate au sein de l’AFDL est décrite au chapitre II, a répondu : ’Il y a un an j’aurais dit non. Mais aujourd’hui, je crains que depuis que je suis démobilisée, l’armée me manque. Quand j’étais dans l’armée, j’étais logée et personne ne pouvait me jeter à la rue. Et j’étais payée en plus. Mais maintenant, un an après ma démobilisation, je n’ai plus rien. Ils n’ont pas trouvé de moyens pour me réinsérer dans ma région ou pour me permettre de reprendre mes études bien que nous leur ayons dit que nous voulions reprendre nos études. Il n’y a rien. Il n’y a pas de différence entre nous et les enfants des rues. C’est pour cela que je vous dit que l’armée me manque.’.

Le gouvernement de Kinshasa doit accepter une part de responsabilité dans cette situation dramatique. L’erreur la plus importante qu’il a commise au cours de la plus importante initiative de démobilisation prise à ce jour, a été d’oublier ou d’ignorer le rôle crucial de la famille et de l’entourage pour réussir la réinsertion d’un ancien enfant soldat dans la vie civile. Ce sont les enfants démobilisés qui aujourd’hui paient le prix de ces erreurs.

Au début 2003, le gouvernement a examiné la possibilité de démobiliser les enfants soldats des villes gouvernementales de Lubumbashi, Kananga et Mbuji-Mayi. Ces initiatives sont également les bienvenues mais il est essentiel que le gouvernement évite de répéter les erreurs commises lors de la démobilisation des enfants soldats de Kinshasa. Pour l’instant les initiatives gouvernementales de démobilisation laissent beaucoup à désirer. Le gouvernement doit encore prouver qu’il est vraiment engagé dans la démobilisation de ces enfants en leur offrant l’espérance d’un avenir meilleur dans la vie civile.

3.6 Les autres groupes armés

Ainsi qu’il est précisé dans l’introduction, ce chapitre ne prétend pas être exhaustif dans son étude de l’utilisation des enfants soldats par tous les groupes armés en opération à l’heure actuelle en RDC. Le bilan en matière des droits humains de plusieurs autres groupes armés, dont l’utilisation des enfants soldats n’est pas présentée dans les principales sections de ce chapitre, est brièvement abordé dans les paragraphes ci-dessous. L’espace comparativement réduit qui leur est accordé ne signifie pas que leur utilisation souvent extensive des enfants soldats est secondaire pour Amnesty International.

Il est difficile d’obtenir des informations sur l’utilisation des enfants soldats par les éléments armés hutus connus sous le nom d’interahamwe, et par leurs alliés de l’ancienne armée rwandaises, les FAR, qui après avoir accompli le génocide de 1994, ont fui ensemble le Rwanda pour se réfugier dans ce qui était alors le Zaïre. De nombreux éléments, dont la présence continuelle en RDC fut la justification donnée par le gouvernement rwandais pour son implication militaire en RDC, ont continué à recruter des civils en RDC, y compris des enfants. Jamani, âgé de 13 ans, mais qui fait plus jeune et qui éprouve beaucoup de difficultés à s’exprimer, a déclaré à Amnesty International : ’Jusqu’à 9 ans, je vivais à la maison dans la région de Masisi dans le Nord-Kivu avec ma mère. Puis les interahamwe sont venus et m’ont forcé à aller dans la brousse avec eux. Après un an dans la forêt, je me suis enfui, mais je n’ai pas pu retrouver ma famille. Alors j’ai rejoint la milice maï maï. En avril 2002, j’ai été démobilisé et ramené à ma famille. Un jour les interahamwe sont revenus au village et ils ont tué ma mère. Maintenant, je ne sais plus où aller.’ A Kalehe dans la province du Sud-Kivu, selon des sources locales, jusqu’à 20 p. cent des forces interahamwe dans la zone sont des enfants, y compris des filles. Ils sont souvent utilisés comme porteurs durant les pillages commis dans la région.

Tous les groupes politiques burundais ainsi que les forces armées burundaises ont recruté et utilisé des enfants soldats. Des dizaines d’enfants sont par exemple morts en juillet 2003, lors de l’attaque sur la capitale Bujumbura par le groupe politique armé le PALIPEHUTU-FNL. Les forces armées burundaises ont été plus ou moins impliquées dans le conflit en RDC. Le principal groupe politique armé, à dominante hutue, le CNDD-FDD, dirigé par Pierre Nkurunziza, qui a une base arrière dans l’Est du Congo, utilise depuis de nombreuses années des enfants soldats dans ses rangs. Il continue de recruter ou d’enlever régulièrement des enfants au Burundi, dans des écoles ou des camps de réfugiés en Tanzanie voisine. Certains enfants recrutés, parfois de force, avaient à peine 8 ans.

Les forces armées burundaises, également présentes en RDC, officiellement pour lutter contre la présence du CNDD-FDD, ont enrôlé des enfants dans leurs rangs. Le gouvernement reconnaît ce phénomène mais diffère avec les estimations quant à l’étendue de l’utilisation d’enfants soldats dans son armé. Les deux forces continuent d’être accusées de graves atteintes aux droits humains en RDC et au Burundi. Le problème est récurrent en raison du manque d’action ou de volonté politique. En 1999, alors que le CNDD-FDD, dirigé à l’époque par Jean Bosco Ndayikengurukiye, perdait du terrain face aux forces du RCD-Goma, des centaines de combattants ont fui la RDC vers la Zambie. Selon des observateurs indépendants, 50 p. cent des fuyards étaient des enfants.

Le MLC, le groupe armé dirigé par Jean-Pierre Bemba qui contrôle la majeure partie du Nord de la RDC, recrute depuis des années des enfants à Mbandaka dans la province de l’Equateur. L’armée ougandaise, l’UPDF, a aidé le MLC dans le recrutement et la formation militaire d’enfants congolais. En 2001, le MLC aurait reconnu qu’il y avait 1800 enfants dans ses rangs, pour la plupart membres du groupe ethnique Ngbaka dont est issu le chef du MLC, mais également des groupes ethniques Ngbandi et Ngombe. En septembre 2002, 2 membres d’une ONG locale basée à Gbadolite et un journaliste de Radio Okapi de la MONUC ont été arrêtés pour avoir rapporté des informations concernant le sort des enfants soldats au sein du MLC.

Les enfants soldats ont été impliqués dans des offensives du MLC au cours desquelles de sévères atteintes aux droits humains ont été commises, y compris l’attaque du MLC fin 2002 qui a été surnommée ’Opération effacer le tableau’. Des soldats du MLC, soutenus par le RCD-National de Roger Lumbala, ont attaqué Mambasa et d’autres villes de l’Ituri et du Nord-Kivu. Amnesty International a interrogé des civils qui ont fui les horreurs de ces attaques à caractère ethniques. Des civils y ont été exécutés sommairement, violés et torturés. On a signalé des cas de cannibalisme. De même fin 2002, des soldats du MLC ont été envoyés à Bangui, la capitale de la République centrafricaine voisine, pour empêcher un coup d’état contre le régime chancelant du président Ange-Félix Patassé. Ces soldats ont profité de l’occasion pour violer systématique des dizaines de femmes chez elles à Bangui.

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