Tchad : des milliers de réfugiés soudanais et déplacés tchadiens sans protection !

Voir aussi l’action en direction des autorités soudanaises

Des villages ont été réduits en cendres. Des femmes ont été violées et des hommes et des enfants torturés et tués. Deux millions de personnes ont été déplacées de force et parmi elles, plus de 200 000 vivent actuellement dans des camps de réfugiés au Tchad, de l’autre côté de la frontière. Trois ans après le début du conflit, des civils continuent d’être pris pour cible et les tueries s’étendent au Tchad.

« Les Janjawids ont ouvert le feu sans prévenir. Ils ont avancé progressivement, en tirant. Ils formaient un cordon entre les deux villages, de sorte que quiconque fuirait d’un village à l’autre serait lui aussi abattu. Les seuls survivants sont ceux qui sont parvenus à se cacher derrière des arbres et des buissons (la zone est très broussailleuse). Les Janjawids nous ont tout pris. Il ne nous reste que ce que les femmes avaient emmené avec elles le matin et le peu de choses que les Janjawid ont laissé derrière eux. »
A.R.Y 42 ans, de Djawara.

Il y a eu trois attaques différentes, menées par 80 à 90 Janjawids à dos de chameau ou de cheval. « Ils hurlaient : "Sortez, ce n’est pas votre terre […] on va tout récupérer, y compris le manguier." Ils ont pénétré à l’intérieur des maisons et ont tout pillé : les vêtements, des couvertures, des tapis, des bijoux. »
A.A 55 ans, fermier et chef du village de Hille Chaoua qu’il a été forcé de quitter.

Des milliers d’habitants des villages du Tchad situés le long de la frontière avec le Darfour, dans l’ouest du Soudan, ont ressenti une terreur identique à celle de ces villageois.
La situation au Tchad oriental reproduit celle qui régnait au Darfour en 2003-2004. Les délégués d’Amnesty International ont recensé de nombreux cas de meurtres et de pillages par des membres de milices Janjawids, bien armés et souvent accompagnés par des groupes ethniques alliés tchadiens. Les Janjawids, qui viennent du Darfour, région située de l’autre côté de la frontière, dans l’ouest du Soudan, ont forcé 50 000 à 75 000 personnes à quitter leurs terres et leurs maisons. Comme au Darfour, ils ont pris pour cible les populations rurales sédentaires de chaque zone, tuant, pillant et forçant les villageois à partir.

Les premières attaques des Janjawids ont débuté en 2003 et avaient pour cible le bétail des villages. Après fin 2005, elles se sont intensifiées. Tentant d’y échapper, les villageois ont fui vers l’intérieur du pays, en direction de zones où ils pensaient être en sécurité en raison de la présence de l’armée tchadienne ou de l’administration locale (ils pensaient que cela garantirait une réponse de l’armée en cas d’attaque). Cherchant une protection, certains d’entre eux se sont retrouvés victimes d’attaques encore plus violentes.

Le village de Moukchacha fait partie des villages du canton de Koloy qui ont été attaqués. Un homme âgé de quarante-cinq ans qui a survécu raconte l’errance des populations déplacées à la recherche d’une sécurité difficile à trouver : « Mon village, Moukchacha, a été attaqué le 3 mars par trois côtés différents. Après avoir tué les habitants, les Janjawids sont partis en emmenant 500 têtes de bétail et nos vivres. […] Nous n’avons pas pu enterrer tous nos morts, et nous sommes partis deux jours après pour le village de Koloy. Deux semaines après notre arrivée, le village a été attaqué. Deux personnes qui se trouvaient à la mosquée ont été tuées. De Koloy nous sommes partis pour Goz Beïda [quatre jours à pied, deux jours à dos d’âne, un en voiture…] Ensuite, le sultan nous trouvé ce site à Gourkouroun. Nous sommes informés de ce projet de nous déplacer dans un autre village, mais nous ne sommes pas d’accord, nous n’avons pas les moyens de démonter nos maisons pour les reconstruire ailleurs. Nous ne pouvons pas aller car il n’y a pas de sécurité, la saison des pluies a déjà commencé. »

Les 12 et 13 avril, une importante attaque menée par quelque
1 500 Janjawids a fait 118 morts dans les villages des régions de Djawara et Djemeze. Les personnes déplacées à la suite de cette attaque sont regroupées dans des camps à Dog Dore et Tiero près de la frontière et ne sont pas protégées. Elles craignent de nouveaux raids et sont extrêmement vulnérables.

Fuite de personnes vers le Darfour, en provenance du sud
À l’extrême sud du Tchad, près de la frontière avec la République centrafricaine, le gouvernement a retiré tous ses fonctionnaires, et, semble-t-il, ses forces armées. Les Janjawids peuvent opérer en toute impunité dans cette zone de non-droit. Les groupes pris pour cibles, qui n’ont plus de ressources, éprouvent de graves difficultés à sortir de la vaste région de Tissi pour se rendre dans la zone de Goz Beïda, relativement sûre. Certains se réfugient au Soudan, traversant la frontière entre Tissi et Um Dukhun, une zone tout aussi dangereuse en raison de la présence importante des Janjawids et des groupes d’opposition armés tchadiens. Dans cette zone, ces deux derniers mois, deux camps ont été ouverts pour les réfugiés tchadiens.

Incapacité à protéger la population des attaques répétées
La mort et le déplacement forcé de villageois tchadiens sont le résultat direct de l’incapacité du gouvernement du Soudan à surveiller ses frontières, à désarmer les Janjawids et à les poursuivre devant les tribunaux.
Du côté du Tchad, ces attaques montrent quelles sont les priorités du gouvernement. Des forces armées ont été déployées pour protéger le pays de l’incursion des groupes d’opposition armés tchadiens alors qu’aucune d’elles n’a été chargée de surveiller les zones rurales visées par les attaques des Janjawids.
Les Janjawids font souvent coïncider leurs raids avec les attaques des groupes armés tchadiens. En effet, ces attaques repoussent l’armée tchadienne, laissant les populations rurales locales sans protection.

Absence de l’aide humanitaire

Les 50 000 personnes récemment déplacées sont dans une situation désespérée. On compte déjà plus de 180 000 réfugiés du Darfour répartis dans 12 camps dans l’est du Tchad. Ils sont contraints à rester dans le pays, de plus en plus neutralisés et désespérés à mesure que passent les saisons des semailles et que leur situation reste sans solution. Le nombre de réfugiés ne cesse d’augmenter, les attaques se poursuivant dans le Darfour. Le camp de Gaga a été ouvert récemment, afin d’accueillir plus de réfugiés. Il en abrite maintenant plus de 25 000.
Les personnes déplacées à l’intérieur du Tchad ont, elles, reçu très peu d’aide. Malgré les appels urgents et les campagnes menées par des organisations internationales humanitaires, le niveau de l’aide reçue par les personnes déplacées à l’intérieur de leur pays est bien inférieur à celui de l’aide fournie aux réfugiés venant de l’autre côté de la frontière. Le gouvernement tchadien ne participe presque pas à l’aide fournie aux personnes déplacées. Il se comporte comme si elles constituaient un problème ne relevant pas de sa responsabilité, mais de celle de la communauté internationale, comme les réfugiés. Les Nations unies n’ont pas non plus de fonds pour les personnes déplacées à l’intérieur du Tchad, et même les fonds alloués aux réfugiés ont été bien en deçà de ce qui avait été demandé.

Claude Rosseel,
Coordination Soudan,
crosseel@aibf.be

Passez à l’action ! Envoyez le modèle de lettre ci-dessous aux autorités tchadiennes :

Monsieur le Président,

En tant que membre d’Amnesty International, je suis vivement préoccupé par le sort des dizaines de milliers de réfugiés dans l’est du Tchad.

Ainsi, j’exhorte votre gouvernement :

 à protéger les personnes qui vivent le long de la frontière avec le Soudan et celles qui ont été déplacées en s’assurant que les forces armées tchadiennes se trouvent aux zones frontalières ;

 à faciliter la mise en place de l’aide humanitaire pour les personnes déplacées récemment par les attaques des Janjawids au Tchad oriental ;

 à mettre en place une commission indépendante et efficace chargée d’enquêter sur les attaques contre les civils dans l’est du Tchad. Cette commission doit être composée de personnes connues pour leur indépendance et leur impartialité, notamment des personnes de renommée internationale ayant une excellente compréhension de la situation de la région et une connaissance professionnelle notoire du droit et des pratiques relatives aux droits humains. Le rapport de cette enquête devra être rendu public ;

 à inviter le rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, le représentant spécial du secrétaire général sur les personnes déplacées dans leur propre pays et le rapporteur spécial de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur les réfugiés, les demandeurs d’asile et les personnes déplacées en Afrique à enquêter sur la situation des droits humains au Tchad oriental dans le cadre de leurs mandats et de formuler des recommandations.

Je vous prie d’agréer toutes mes salutations,

Veuillez adresser vos appels à :

Général Idriss Deby,
Président de la République,
Présidence de la République,
BP 74 N’Djamena,
République du Tchad -
Fax : 235 51 45 01/ 52 44 73

2024 - Amnesty International Belgique N° BCE 0418 308 144 - Crédits - Charte vie privée
Made by Spade + Nursit